Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 27 avril 2009

Endroit : Le manège militaire Parc Moss, 130 rue Queen est, Toronto (ON)

Chefs d'accusation
Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable de l'infraction moindre et incluse de voies de fait.
Chef d'accusation 2 : Non coupable.

SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R. c. Seifi, 2009 CM 3017

Date : 20091009
Dossier : 200948

Cour martiale permanente

Manège militaire Parc Moss
Toronto (Ontario), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

L’ex-Soldat S. Seifi, accusé

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

MOTIFS DU VERDICT

[1]               Le Soldat Seifi est accusé d’une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir agressé sexuellement G.L.E.C. contrairement à l’article 271 du Code criminel et, subsidiairement, d’avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline pour avoir touché la poitrine de G.L.E.C. sans son consentement contrairement à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

[2]               Les faits sur lesquels ces chefs d’accusation sont fondés ont trait à un incident survenu le 10 juillet 2008, à la Base des Forces canadiennes (BFC) Borden, pendant un cours de technicien médical QEL3.

LA PREUVE

[3]               La preuve dont dispose la présente cour martiale est constituée essentiellement des éléments suivants :

a.                   les témoignages des personnes suivantes, dans l’ordre de leur présentation : G.L.E.C., la plaignante en l’espèce; la Soldate Van Aert; le Soldat Seifi, l’accusé en l’espèce;

b.                  la pièce 3, une série d’admissions faites par l’accusé en conformité avec l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve, concernant notamment l’identité de l’accusé, ainsi que la date et le lieu de l’incident;

c.                   la pièce 4, la version du chapitre 19‑36 des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC), intitulé « Inconduites à caractère sexuel », qui était en vigueur à l’époque du prétendu incident. Ce document a été produit en preuve sur consentement;

d.                  la pièce 5, un article écrit par l’accusé et publié sur un site Web le 11 septembre 2008. Ce document a été produit en preuve sur consentement;

e.                   la pièce 6, un courriel envoyé par l’accusé à l’éditeur de l’article le 9 septembre 2008, qui précisait le titre original de l’article. Ce document a aussi été produit en preuve sur consentement;

f.                    les éléments dont la cour a pris judiciairement connaissance en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve.

[4]               Il conviendrait, à ce moment‑ci, que la cour relate les témoignages présentés par les deux parties en l’espèce.

Le témoignage de G.L.E.C.

[5]               La plaignante, G.L.E.C., a déclaré qu’elle a suivi un cours de tech med NQ3 pendant l’été 2008, à la BFC Borden, avec 12 autres personnes, dont l’accusé. Elle a expliqué qu’elle avait trouvé l’accusé agressif et qu’elle avait peut‑être utilisé certains mots pour lui faire savoir qu’elle ne l’aimait pas. Elle a dit qu’elle n’avait pas de véritables rapports avec lui parce qu’elle ne lui parlait pas très souvent et qu’ils n’avaient pas réellement tissé de liens à l’extérieur du cours. Elle n’a rien dit ou fait pour qu’il ne l’aime pas.

[6]               Elle a dit à la cour qu’au cours de l’après‑midi du 10 juillet 2008 tous les étudiants ont participé à un cours à l’extérieur, sur la base, sur le levage et le transport médicaux afin d’apprendre comment évacuer un blessé autrement qu’en utilisant une civière.

[7]               La plaignante a dit que les instructeurs ont fait la démonstration de différentes techniques, notamment le transport sur le dos, le transport sur une épaule et la « chaise à porteurs ». Elle a ajouté que les candidats essayaient de choisir une personne ayant la même taille qu’eux pour s’exercer à ces techniques et qu’elle a fait équipe avec la Soldate Van Aert et une autre femme. Vers la fin du cours, il y a eu une course de relais utilisant la technique du transport sur le dos.

[8]               La plaignante a dit à la cour que ce sont les candidats qui décidaient de la composition des deux équipes pour la course de relais. Comme certains membres de l’autre équipe ne voulaient pas du Soldat Seifi, la plaignante l’a invité à se joindre à son équipe malgré l’opposition de certains de ses coéquipiers. Le Soldat Seifi a accepté.

[9]               La plaignante a déclaré que la course de relais consistait à transporter un membre de l’équipe sur son dos entre deux pylônes. À la fin du trajet, les deux coéquipiers devaient échanger leur position et revenir au point de départ, puis une autre paire devait s’exécuter. L’équipe gagnante était la première dont tous les membres avaient effectué tout le trajet.

[10]           G.L.E.C. a dit que la Soldate Van Aert était la première à la ligne de départ, devant elle, de sorte que, normalement, elle aurait fait la course avec elle. Le Soldat Seifi s’est cependant placé au début de la file pendant que les deux équipes essayaient de s’organiser. La plaignante a vu que la Soldate Van Aert n’était pas à l’aise de faire équipe avec l’accusé. La plaignante, qui est très compétitive, a décidé de courir avec le Soldat Seifi. Elle a expliqué qu’elle était mécontente, mais que, comme la chose la plus importante pour elle à ce moment‑là était de gagner la course, elle a décidé de mettre fin au malaise que causait la situation chez ses coéquipiers en courant avec le Soldat Seifi.

[11]           La plaignante a dit qu’elle et le Soldat Seifi devaient être la première paire à courir pour son équipe. Le Soldat Seifi a transporté la plaignante sur son dos à l’aller. La plaignante a expliqué que cette technique est utilisée pour transporter des patients conscients et blessés. Cette partie de la course s’est bien passée. Ils ont ensuite changé de place. Elle est descendue du dos de l’accusé et celui‑ci a monté sur son dos. Elle a alors commencé à courir vers le point de départ.

[12]           Elle a dit à la cour qu’elle soutenait la partie inférieure du corps du Soldat Seifi en tenant ses jambes. Le torse du Soldat Seifi était directement en contact avec son dos. Pendant qu’elle courait, elle se penchait vers l’avant afin de contrebalancer le poids du Soldat Seifi. Elle a dit que les bras du Soldat Seifi étaient autour de son cou. En fait, elle pouvait voir les coudes du Soldat Seifi de chaque côté grâce à sa vision périphérique. Elle a dit qu’il avait posé ses aisselles ou une partie de ses biceps sur ses épaules pour soutenir la partie supérieure de son corps. La plaignante était très concentrée sur la course et elle n’a jamais remarqué où le Soldat Seifi avait mis ses mains. Elle a dit qu’elle ne sentait pas ses mains sur elle et a supposé qu’il les avait posées sur ses propres avant‑bras pendant qu’elle courait. Elle a souligné qu’elle portait un soutien-gorge sport ce jour‑là.

[13]           La plaignante a déclaré qu’aux trois quarts du trajet environ elle a senti l’accusé saisir ses deux seins en même temps et les relâcher une seconde plus tard. Elle n’a pas vu l’accusé le faire, mais elle a dit à la cour qu’elle avait senti ses doigts sur ses seins. Elle a levé les bras et a enlevé l’accusé de son dos. Elle s’est tournée vers lui et lui a crié : [traduction] « Qu’est-ce qui te prend, Seifi? » Le Soldat Seifi lui aurait répondu : [traduction] « Quoi? » La plaignante a alors dit : [traduction] « O.K. Laisse tomber, laisse tomber. » Elle est ensuite allée se placer à la fin de la file.

[14]           La Sergente Jardine, une instructrice, se serait alors dirigée vers eux et aurait demandé au Soldat Seifi de rester où il était. L’instructrice a demandé à la plaignante ce qui s’était passé et elle a répondu que le Soldat Seifi lui avait pris les seins. L’instructrice est ensuite allée parler au Soldat Seifi. Elle parlait assez fort et semblait en colère.

[15]           G.L.E.C. a dit qu’elle avait entendu l’accusé répondre à la Sergente Jardine qu’il n’avait rien fait et lui demander de quoi elle parlait. Elle a dit essentiellement qu’il niait tout ce que lui disait la Sergente Jardine.

[16]           G.L.E.C. a dit à la cour que cet incident avait mis un terme au cours. Elle a indiqué qu’elle s’est mise en rangs avec les autres étudiants et qu’ils ont quitté les lieux. Elle a mentionné que, plus tard ce soir‑là, elle a porté plainte à la police militaire et a fait une déclaration écrite. La PM l’aurait rencontrée cinq jours plus tard et sa déposition aurait été enregistrée sur bande vidéo.

Le témoignage de la Soldate Van Aert

[17]           La Soldate Van Aert a déclaré dans son témoignage qu’elle suivait le même cours que la plaignante et l’accusé. Le 10 juillet 2008, elle a participé à un cours à l’extérieur sur les techniques de levage et de transport. Elle a dit qu’elle s’était mise avec la plaignante pour s’exercer aux différentes techniques parce qu’elles avaient à peu près la même taille et le même poids. Elle a dit à la cour qu’une course de relais avait été organisée pour mettre en pratique la technique du transport sur le dos et que le groupe devait être divisé en deux équipes. Comme elle et la plaignante se trouvaient au début de la file d’une équipe, elles allaient se mettre ensemble pour la course, comme elles l’avaient fait pour les exercices, puisqu’elles avaient à peu près la même taille et le même poids.

[18]           Elle a dit à la cour que le Soldat Seifi est venu se placer au début de la file et qu’elle et la plaignante se sont regardées, ne sachant pas avec qui il allait faire équipe pour la course parce qu’elles tenaient à faire la course ensemble. Elle a dit qu’elle s’est sentie un peu soulagée quand la plaignante a décidé de se mettre avec l’accusé.

[19]           Elle a raconté à la cour que l’accusé et la plaignante ont commencé la course. Elle n’a rien vu jusqu’à ce qu’elle aperçoive la plaignante jurer et crier contre l’accusé. Selon elle, le Soldat Seifi niait que quelque chose se soit passé. La Soldate Van Aert a vu et entendu la plaignante expliquer ce qui s’était passé à une instructrice, la Sergente Jardine. Elle a dit que cette dernière avait mis fin à l’activité et que les candidats étaient retournés dans la salle de cours.

Le témoignage du Soldat Seifi

[20]           Le Soldat Seifi a déclaré dans son témoignage qu’il a suivi un cours de technicien médical pendant l’été 2008 et que la plaignante et la Soldate Van Aert suivaient le même cours. Le jeudi 10 juillet 2008, il a participé, avec les autres étudiants, à un cours à l’extérieur sur les techniques de levage et de transport. Il a dit qu’il s’était mis avec Mitchell et Alexander pour la partie pratique du cours et que, lorsqu’est venu le temps de la course de relais, des équipes ont été formées et le Caporal Hoertz lui a dit qu’il ne pouvait pas faire partie de son équipe. La plaignante et d’autres membres de l’autre équipe l’ont alors invité à se joindre à eux, ce qu’il a fait. Il a dit à la cour qu’il se trouvait au centre des deux équipes lorsqu’il a reçu l’invitation et qu’il est allé se placer au début de la file de sa nouvelle équipe parce qu’il s’agissait du chemin le plus court pour rejoindre ses coéquipiers.

[21]           Il a dit que la course a été lancée et que la plaignante a sauté sur son dos et lui a dit de courir. Il a saisi ses jambes et a commencé à courir. Il a mentionné que la plaignante avait placé ses mains sur ses épaules. Lorsqu’ils sont arrivés au bout du trajet, ils étaient en tête. Il a dit que la plaignante était descendue de son dos et lui avait dit de monter sur le sien. Il avait hésité parce qu’il n’était pas certain qu’elle fût suffisamment forte pour le transporter, vu qu’il était plus lourd qu’elle. La plaignante l’a pris par la main et l’a attiré vers elle. Il est monté sur son dos. Il a dit à la cour qu’elle avait placé ses mains sous ses genoux pour soutenir le bas de son corps. Il a mis ses mains sur ses épaules, de sorte que ses coudes se trouvaient de chaque côté de sa tête. Il a précisé que ses mains étaient posées sur les trapèzes de la plaignante, entre ses épaules et la base de son cou, ses doigts étant légèrement pliés.

[22]           Le Soldat Seifi a dit que la plaignante avait commencé à courir, son corps étant incliné vers l’avant et le sien, à 30 degrés. Il a dit qu’il avait l’impression d’être dans des montagnes russes et qu’il a agrippé les épaules de la plaignante parce qu’il avait peur de tomber. Il a dit qu’elle l’avait lâché à quelques pieds de la ligne d’arrivée où les attendait l’autre paire de coureurs. Il n’est pas tombé immédiatement. Elle l’a secoué, l’a enlevé de son dos, s’est tournée vers lui, l’a regardé et, un doigt pointant sa poitrine, lui a crié : [traduction] « Qu’est-ce qui te prend, Seifi? » Il a dit avoir été surpris par son attitude. Il lui a répondu [traduction] « Quoi? » Il a dit à la cour qu’elle avait répondu : [traduction] « Laisse tomber. » La plaignante s’est ensuite dirigée vers la fin de la file en marmonnant.

[23]           Il a dit qu’environ 30 secondes ou une minute plus tard, alors qu’il se dirigeait à son tour vers la fin de la file, l’instructrice, la Sergente Jardine, est venue lui demander ce qu’il avait fait à la plaignante. Il a dit qu’elle lui avait ordonné de se placer en position d’attention et lui a demandé ce qu’il avait fait à la plaignante. Il a entendu la Sergente Jardine demander à la plaignante ce qui s’était passé. Il a aussi entendu la plaignante expliquer qu’il l’avait touchée et il l’a vue pointer sa poitrine alors qu’elle répondait à la Sergente Jardine.

[24]           Le Soldat Seifi aurait répondu à la Sergente Jardine qu’il n’avait pas fait ce que la plaignante prétendait. Il a dit : [traduction] « Je veux seulement quitter l’armée, les gens s’en prennent à moi et j’aime tout le monde. » Il a dit qu’il était alors en état de choc et très en colère parce qu’on l’accusait de quelque chose qu’il n’avait pas fait. Il a dit que cet incident avait mis fin à la course de relais. Il a mentionné que les instructeurs avaient amené la plaignante à l’écart et que tous les étudiants s’étaient mis en rangs et avaient quitté les lieux. La PM est venue l’arrêter tard en soirée.

[25]           Il a dit à la cour qu’il n’a jamais touché la poitrine de la plaignante pendant l’incident, même de manière accidentelle.

[26]           Le Soldat Seifi a écrit des articles qui ont été publiés, notamment la pièce 5, un article intitulé « Selling Sex ». Il a dit à la cour qu’il exprime dans cet article certaines réflexions découlant d’observations personnelles. Il a expliqué que l’article doit être lu dans son ensemble et qu’il se passe de commentaires. Sans nier qu’il critique dans cet article l’idée qu’il existe au Canada un système qui encourage la domination du sexe opposé pour créer des relations, il a clairement dit à la cour que ce n’était pas là l’objet de l’article et que cette réflexion figurait dans une section qui devait être lue avec les autres pour bien comprendre ce qu’il essayait d’exprimer. Il a dit à la cour que le titre original de l’article était « Reflections of a Traveller: Capitalism’s Hands in your Sexuality’s Pockets. How the Social Ladder Turns a Boy’s Basic Need for Love into a Commodity! » et qu’il n’avait jamais suggéré ou approuvé le titre sous lequel l’article avait finalement été publié.

LE DROIT APPLICABLE ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DES INFRACTIONS

Les éléments essentiels des infractions

[27]           L’article 271 du Code criminel prévoit notamment ce qui suit :

AGRESSION SEXUELLE

271.(1) Quiconque commet une agression sexuelle est coupable :

a) soit d’un acte criminel et passible d’un emprisonnement maximal de dix ans;

b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d’un emprisonnement maximal de dix-huit mois.

[28]           Dans l’arrêt R. c. Chase, [1987] 2 R.C.S. 293, le juge McIntyre a défini en ces termes une agression sexuelle à la page 302 :

L’agression sexuelle est une agression, au sens de l’une ou l’autre des définitions de ce concept au par. 244(1) [maintenant 265(1)] du Code criminel, qui est commise dans des circonstances de nature sexuelle, de manière à porter atteinte à l’intégrité sexuelle de la victime.

[29]           L’alinéa 265(1) du Code criminel prévoit notamment ce qui suit :

VOIES DE FAIT

265. (1) Commet des voies de fait, ou se livre à une attaque ou une agression, quiconque, selon le cas :

a) d’une manière intentionnelle, emploie la force, directement ou indirectement, contre une autre personne sans son consentement;

[30]           Il a été établi ce qui suit dans l’arrêt R. c. Ewanchuck, [1999] 1 R.C.S. 330 :

Pour qu’un accusé soit déclaré coupable d’agression sexuelle, deux éléments fondamentaux doivent être prouvés hors de tout doute raisonnable : qu’il a commis l’actus reus et qu’il avait la mens rea requise. L’actus reus de l’agression consiste en des attouchements sexuels non souhaités. La mens rea est l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne, tout en sachant que celle‑ci n’y consent pas, en raison de ses paroles ou de ses actes, ou encore en faisant montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement. […]

L’actus reus de l’agression sexuelle est établi par la preuve de trois éléments: (i) les attouchements, (ii) la nature sexuelle des contacts, (iii) l’absence de consentement. […]

[L]a mens rea de l’agression sexuelle comporte deux éléments : l’intention de se livrer à des attouchements sur une personne et la connaissance de son absence de consentement ou l’insouciance ou l’aveuglement volontaire à cet égard.

[31]           Ainsi, la poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable : l’identité de l’accusé, ainsi que la date et le lieu indiqués dans l’acte d’accusation. Elle devait aussi prouver les éléments suivants : le fait que le Soldat Seifi a employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante; le fait qu’il a employé la force d’une manière intentionnelle contre la plaignante; le fait que celle‑ci n’a pas consenti à l’emploi de la force; le fait que le Soldat Seifi savait que la plaignante n’avait pas donné son consentement ou a fait montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement; le fait que les contacts auxquels s’est livré le Soldat Seifi sur la plaignante étaient de nature sexuelle.

[32]           L’article 129 de la Loi sur la défense nationale prévoit notamment ce qui suit :

(1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

[33]           Ainsi, la poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable : l’identité de l’accusé, ainsi que la date et le lieu indiqués dans l’acte d’accusation. Elle devait aussi prouver les éléments suivants : l’acte allégué dans l’acte d’accusation, le préjudice causé au bon ordre et à la discipline et l’état mental blâmable. Pour prouver le préjudice causé au bon ordre et à la discipline, la poursuite devait aussi établir la norme de conduite requise, le fait que l’accusé la connaissait ou aurait dû la connaître et le fait que l’acte constituait un manquement à celle‑ci.

La présomption d’innocence et le doute raisonnable

[34]           Avant que la cour procède à son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Ces principes sont évidemment bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

[35]           Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut‑être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction.

[36]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité d’un accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

[37]           Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne a été accusée n’est absolument pas une indication qu’elle est coupable. J’ajouterai que les seules accusations auxquelles un accusé doit faire face sont celles qui figurent dans l’acte d’accusation déposé au tribunal.

[38]           Dans l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué ce qui suit au paragraphe 242 :

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[39]           Par ailleurs, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Soldat Seifi, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

[40]           Qu’entend-on par preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut être constituée de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments présentés par les témoins, de témoignages d’experts, d’aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou d’éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

[41]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

[42]           La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que la cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Elle se demandera, par exemple, si les faits valaient la peine d’être notés, s’ils étaient inhabituels ou frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, à juste titre plus faciles à oublier. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure qu’il mentira lorsqu’il décide de témoigner.

[43]           Un autre facteur qui doit être pris en compte dans l’évaluation de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

[44]           De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Il en est autrement, par contre, dans le cas d’un mensonge délibéré : cela est toujours grave et peut vicier le témoignage en entier.

[45]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

[46]           Comme la règle du doute raisonnable s’applique à la question de la crédibilité, la cour doit d’abord se prononcer de manière définitive sur la crédibilité de l’accusé en l’espèce et décider si elle ajoute foi ou non à ce qu’il dit. Il est vrai que la présente affaire soulève des questions importantes de crédibilité, et il s’agit d’un cas où la méthode d’évaluation de la crédibilité décrite par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R. c. W.(D.), [1991] 1 R.C.S. 742, doit être utilisée parce que l’accusé, le Soldat Seifi, a témoigné. La Cour suprême a formulé le test dans les termes suivants à la page 758 de cet arrêt :

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

[47]           Ce test a été établi principalement pour éviter au juge des faits d’avoir à déterminer à quelle preuve il ajoute foi, celle de l’accusé ou celle de la poursuite. La Cour suprême du Canada a toutefois répété clairement à maintes reprises qu’il n’est pas nécessaire de réciter cette formule mot à mot comme une incantation (voir l’arrêt R. c. S. (W.D.), [1994] 3 R.C.S. 521, à la page 533).

[48]           Comme la juge Abella, qui a rédigé le jugement de la majorité dans l’arrêt R. c. C.L.Y., [2008] 1 R.C.S. 5, 2008 CSC 2, l’a souligné au paragraphe 10, je veux confirmer que je connais le test décrit dans l’arrêt W.(D.), susmentionné, ainsi que l’arrêt C.L.Y., susmentionné, et l’arrêt R. c. J.H.S., [2008] 2 R.C.S. 152, 2008 CSC 30, rendus par la Cour suprême du Canada sur l’utilisation de ce test aux fins de l’évaluation de la crédibilité. Le piège que la cour doit éviter est de se trouver dans une situation où elle choisit entre deux versions ou donne l’impression de le faire.

[49]           En plus de connaître le fardeau et la norme de preuve, je sais que le droit relatif aux plaintes récentes a été abrogé au Canada, quoique le fait de ne pas porter plainte puisse être pris en compte par le juge des faits. Je sais aussi que le droit n’exige pas que le récit de la plaignante soit corroboré. Enfin, étant renseigné au sujet de la présomption d’innocence, du doute raisonnable, du fardeau de preuve et de la norme de preuve applicable, j’examinerai maintenant la thèse des parties et les questions en litige et traiterai des principes juridiques pertinents.

LA THÈSE DES PARTIES

[50]           Il convient maintenant de résumer la thèse des parties.

La thèse de la poursuite

[51]           La poursuite soutient que, compte tenu des aveux faits par l’accusé relativement à l’identité, ainsi qu’à la date et au lieu où se sont produites les deux infractions qui lui sont reprochées, la seule question que la cour doit trancher en l’espèce a trait à l’actus reus et à la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle et, subsidiairement, de l’infraction relative à la commission d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[52]           La poursuite soutient que la cour doit, à cette fin, appliquer le test défini dans l’arrêt W.(D.), susmentionné, dans le contexte de la preuve qu’elle a admise.

[53]           La poursuite soutient également que la version des faits de la plaignante est crédible et fiable vu la manière dont elle l’a exposée à la cour et le fait que cette version est étayée par d’autres éléments de preuve produits par la poursuite, par exemple le témoignage indépendant de la Soldate Van Aert. La poursuite fait valoir également que le témoignage de la plaignante est cohérent et que la façon dont celle‑ci a décrit comment l’accusé a pris ses seins et sa réaction immédiate à ce geste est suffisante pour que la cour tire une conclusion hors de tout doute raisonnable quant à l’actus reus et à la mens rea des deux infractions qui sont reprochées à l’accusé.

[54]           En ce qui concerne la deuxième accusation, la poursuite laisse entendre qu’elle aurait pu être portée en vertu du paragraphe (1) ou du paragraphe (2) de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Comme l’acte allégué dans l’acte d’accusation constitue une inconduite à caractère sexuel, l’OAFC 19‑36 doit s’appliquer de toute façon.

[55]           La poursuite laisse entendre également que la cour ne doit pas ajouter foi au témoignage du Soldat Seifi, même si ce dernier a corroboré la plus grande partie du témoignage de la plaignante. Selon elle, l’accusé a constamment blâmé les autres pour ce qui s’est passé et la façon dont il a décrit à la cour la position de ses mains pendant qu’il était sur le dos de la plaignante ne tient pas.

[56]           En outre, la poursuite fait valoir que l’article écrit par l’accusé et produit en preuve en l’espèce est suffisant pour conclure hors de tout doute raisonnable que l’accusé avait la mens rea requise par les deux accusations parce que cet article révèle que l’accusé pensait qu’il devait dominer les femmes pour établir une relation.

[57]           En conséquence, la poursuite soutient que, compte tenu de l’analyse de la cour fondée sur l’arrêt R. c. W.(D.), susmentionné, celle‑ci doit conclure que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de preuve hors de tout doute raisonnable en l’espèce et déclarer l’accusé coupable des deux infractions.

La thèse de l’accusé

[58]           L’avocat de l’accusé convient que la principale question en litige en l’espèce a trait à la crédibilité et que les questions de l’actus reus et de la mens rea doivent faire l’objet d’une analyse fondée sur l’arrêt R. c. W.(D.), susmentionné.

[59]           L’avocat de l’accusé fait valoir que la plaignante a témoigné de manière évasive et qu’elle ne cessait d’argumenter, alors que l’accusé a témoigné avec franchise et que son témoignage était cohérent. Il soutient que la plaignante s’est trompée sur ce qui s’est réellement passé et que, comme personne – y compris la plaignante – n’a rien vu, il n’y avait rien à voir. Selon lui, la plaignante aurait été en mesure de voir les mains de l’accusé si celles‑ci avaient été placées comme elle le prétend. Or, il est clair qu’elle ne voyait pas les mains de l’accusé.

[60]           En ce qui concerne l’article écrit par l’accusé et produit en preuve par la poursuite, l’avocat de l’accusé fait valoir qu’il ne révèle rien de plus qu’une opinion et qu’il ne peut en aucun cas servir à soutenir l’idée que l’accusé pensait qu’il devait dominer les femmes pour établir une relation avec elles.

ANALYSE

[61]           En ce qui concerne la première accusation, la cour convient avec les avocats que la question qu’elle doit trancher en l’espèce a trait à la commission de l’actus reus par l’accusé et à l’existence de la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle hors de tout doute raisonnable.

[62]           Quant à la deuxième accusation, la cour doit déterminer d’abord quel paragraphe de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale s’applique, puis si l’accusé a commis l’actus reus et s’il avait la mens rea de l’infraction relative à la commission d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[63]           La cour doit d’abord déterminer si elle doit croire ou non la preuve produite par l’accusé. La nature de la preuve en l’espèce impose à la cour de tirer certaines conclusions sur la crédibilité des témoins de la poursuite afin d’évaluer correctement la crédibilité et la fiabilité du témoignage de l’accusé à la lumière de tous les éléments de preuve présentés par la poursuite pour démontrer les éléments essentiels des deux infractions.

[64]           La thèse de la poursuite repose essentiellement et principalement sur le témoignage de la plaignante, G.L.E.C. Aussi, la cour entend évaluer d’abord la crédibilité et la fiabilité de ce témoignage. Elle pourra ensuite, comme le juge du procès l’a fait et comme la Cour suprême l’a approuvé dans l’arrêt C.L.Y., susmentionné, appliquer le test défini dans l’arrêt W.(D.), dans le contexte de la preuve qu’elle a admise.

Les éléments de preuve admissibles

Le témoignage de la plaignante

[65]           G.L.E.C., la plaignante en l’espèce, a témoigné avec franchise, calme et honnêteté. Son témoignage était cohérent et logique. Il ne fait aucun doute aux yeux de la cour que le fait que ses seins ont été saisis est un incident important, inhabituel et marquant pour elle et qu’elle est toujours en mesure de le décrire en détail. Le témoignage de la plaignante était fondé sur ses souvenirs et, lorsqu’il y avait contradiction sur des faits, par exemple sur la question de savoir si elle s’est retournée et a parlé à l’accusé tout de suite après l’incident, elle a admis sans hésiter qu’elle n’avait aujourd’hui aucun souvenir précis de ces faits, mais que, si c’est ce qu’elle avait dit à la police tout juste après l’incident, alors cela avait dû arriver. En résumé, il semblait à la cour que la plaignante était en mesure de dire ce qu’elle se rappelait ou non et pourquoi.

[66]           La plaignante s’est décrite comme une personne très compétitive, ce qui expliquerait pourquoi, au moment de l’incident, elle était davantage préoccupée par la course de relais que par toute autre chose, par exemple la question de savoir avec qui elle ferait équipe et où étaient placées les mains de la personne installée sur son dos. Elle a déclaré pendant son interrogatoire principal qu’elle n’avait pas vu les mains de l’accusé lorsqu’il lui avait pris les seins, mais elle a décrit avec conviction et précision comment elle s’était rendu compte de ce qui se passait.

[67]           La plaignante a dit à la cour que l’accusé avait saisi simultanément ses deux seins d’une manière soudaine et totalement inattendue. La cour est convaincue que cet incident a causé des problèmes émotifs à la plaignante et que, pendant qu’elle essayait de faire face à la situation et de comprendre ce qui s’était passé, elle n’a pas porté toute son attention à ce qui se passait autour d’elle tout de suite après l’incident.

[68]           La plaignante a dû décrire quelques fois, depuis l’incident, comme elle s’était rendu compte que l’accusé lui prenait les seins. Devant la cour, elle a donné des détails additionnels. Elle a notamment dit qu’elle avait senti les doigts de l’accusé sur ses seins. Elle a expliqué que ces détails lui étaient revenus à la mémoire après que l’avocat de la défense lui avait posé des questions avec insistance au cours de son contre‑interrogatoire.

[69]           La cour n’a aucune difficulté à accepter les explications détaillées de la plaignante, lesquelles sont conformes aux déclarations qu’elle a faites précédemment à la police et qui ont été produites en preuve, selon lesquelles l’accusé avait touché ses deux seins ou les avait saisis pendant un très court instant. En fait, elle a décrit de différentes façons la même chose : deux mains se sont emparées de ses seins pendant un très court instant, suffisamment longtemps cependant pour qu’elle s’en rende compte.

[70]           On a prétendu devant la cour que le témoignage de la plaignante n’était pas fiable car elle n’avait pas vu les mains de l’accusé saisir ses seins. L’attitude compétitive de la plaignante, qui explique pourquoi elle était concentrée uniquement sur la course de relais, la soudaineté de l’incident, la nature de la partie de son corps qui a été touchée et la réaction physique et émotive instinctive qu’elle a eue en enlevant l’accusé de son dos lorsque celui‑ci lui a saisi les seins expliquent logiquement pourquoi elle n’a pas vu ses mains. Cependant, la fermeté avec laquelle elle a expliqué ce qu’elle a senti à ce moment‑là et la logique de ses explications rendent son témoignage digne de foi.

[71]           En conséquence, la cour conclut que le témoignage de la plaignante est crédible et fiable.

Le témoignage de la Soldate Van Aert

[72]           La Soldate Van Aert a témoigné avec franchise. Ce qu’elle a dit à la cour au sujet de ce qu’elle a vu avant et après l’incident était conforme aux principaux détails. Des contradictions qui se sont produites en toute innocence après un certain temps, par exemple sur la question de savoir si elle était la première ou la deuxième dans la file lors de la course de relais, n’ont aucune incidence sur la crédibilité et la fiabilité de son témoignage.

[73]           La Soldate Van Aert a répondu quelques fois avec hésitation aux questions posées par l’avocat de la défense, mais elle lui a donné des réponses claires et a reconnu sans problème qu’elle ne se rappelait pas très bien certains faits, par exemple l’endroit d’où arrivait l’accusé lorsqu’il s’est placé au début de la file où elle et la plaignante se trouvaient. Elle a toutefois dit clairement qu’elle n’avait rien vu de l’incident comme tel. La suite des faits qu’elle dit avoir vus et entendus était cohérente et logique. La cour estime que la Soldate Van Aert n’a aucun intérêt particulier dans l’issue du procès, et elle conclut que son témoignage est crédible et fiable.

L’analyse fondée sur l’arrêt W.(D.)

[74]           Ayant tiré une conclusion relativement aux éléments de preuve admissibles produits par la poursuite au soutien des accusations, j’appliquerai maintenant le test énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt W.(D.), susmentionné. J’analyserai d’abord la preuve produite par l’accusé afin d’évaluer la fiabilité et la crédibilité de son témoignage à la lumière des éléments essentiels de la première accusation : l’actus reus et la mens rea. Je referai ensuite le même exercice pour la deuxième accusation.

La première accusation

[75]           Le Soldat Seifi, l’accusé en l’espèce, a témoigné avec franchise. Il a donné des réponses claires à la cour. Il a confirmé dans son témoignage la plupart des éléments de preuve produits par la poursuite et admis par la cour. Il a confirmé qu’il avait dû changer d’équipe pour la course de relais et qu’il avait été invité par la plaignante et certains de ses coéquipiers à se joindre à eux. Il a aussi confirmé que la plaignante était très compétitive, qu’elle était concentrée sur la course et qu’elle était impatiente de la commencer. Il a corroboré le fait qu’il avait fait équipe avec la plaignante et qu’il avait été le premier à courir, la plaignante sur son dos. Il a confirmé dans son témoignage qu’il était sur le dos de la plaignante pour le retour.

[76]           Il a confirmé la réaction soudaine et inattendue de la plaignante à la suite de l’incident, y compris ses gestes et ses paroles. Il a corroboré la preuve produite par la poursuite et admise par la cour qui démontre qu’une instructrice, la Sergente Jardine, l’a interpelé, qu’il a nié avoir quoi que ce soit à voir avec le prétendu incident et que la course de relais et le cours ont pris fin tout de suite après l’incident.

[77]           Essentiellement, le témoignage de l’accusé concordait avec la preuve produite par la poursuite et admise par la cour. Il différait cependant de cette preuve sur deux points : l’endroit où il avait placé ses mains pendant qu’il était sur le dos de la plaignante et le fait qu’il avait saisi ses seins.

[78]           La cour ne juge pas crédible et digne de foi l’explication donnée par l’accusé au sujet de l’endroit où il avait placé ses mains pendant qu’il était sur le dos de la plaignante. Selon lui, il a mis ses mains sur les épaules de la plaignante, ses coudes se trouvant de chaque côté de la tête de celle‑ci. Il a précisé que ses mains étaient sur ses trapèzes, entre ses épaules et la base de son cou, ses doigts étant un peu pliés.

[79]           Si l’accusé avait placé ses mains de cette façon, ses coudes se trouvant de chaque côté de la tête de la plaignante n’auraient pas pu se trouver dans le champ de vision périphérique de celle‑ci. De plus, l’accusé a dit qu’il avait peur de tomber parce qu’il n’était pas certain que la plaignante était suffisamment forte pour transporter une personne plus lourde qu’elle comme lui. Aussi, le fait que l’accusé s’est agrippé aux épaules de la plaignante semble étrange et inusité aux yeux de la cour. Il aurait été normal, s’il avait l’impression, comme il l’a dit, d’être dans des montagnes russes pendant qu’il était sur le dos de la plaignante, que l’accusé place ses aisselles sur les épaules de la plaignante de manière à garder le haut de son corps près du dos de celle‑ci afin d’éviter de perdre l’équilibre ou de tomber. De plus, ses mains pouvaient glisser plus facilement que s’il avait placé ses aisselles sur les épaules de la plaignante.  

[80]           Comme il avait peur d’être trop lourd pour la plaignante, l’accusé aurait aidé sa coéquipière en se plaçant comme la cour le suggère, compte tenu du fait que la plaignante soutenait déjà le bas de son corps en tenant ses jambes de chaque côté de son corps.

[81]           Or, la grande crainte de tomber que l’accusé ressentait pendant qu’il était sur le dos de la plaignante et la manière dont il se tenait alors avec ses mains ne tiennent pas la route et vont à l’encontre de la logique.

[82]           Au cours de son interrogatoire principal, le Soldat Seifi a dit à la cour que lui et la plaignante étaient près de la ligne d’arrivée lorsque celle‑ci avait ouvert les bras et l’avait secoué pour qu’il descende de son dos. Pourquoi aurait‑il été nécessaire qu’elle ouvre les bras si l’accusé la tenait avec ses mains comme il le dit? La cour ne voit aucune raison logique qui explique pourquoi la plaignante a agi ainsi, si ce n’est pour que l’accusé enlève ses bras, ses avant-bras et ses mains de son corps. Ensuite, en confirmant la preuve produite par la poursuite et admise par la cour sur cette question, l’accusé a indiqué que ses avant‑bras et ses mains étaient devant la plaignante, et non qu’il avait les mains sur les épaules de celle‑ci.

[83]           Enfin, le Soldat Seifi a dit à la cour que la plaignante se trompait lorsqu’elle a dit qu’il lui avait pris les seins avec ses deux mains, sans toutefois étayer son affirmation. Il est vrai que l’avocat de la défense a évoqué, pendant le contre‑interrogatoire de la plaignante, la possibilité que l’accusé ait tiré vers l’arrière les bretelles de son soutien‑gorge. Au cours de son témoignage cependant, l’accusé n’a jamais fait allusion à cette possibilité et ne l’a jamais clairement mentionnée. Sachant qu’il était sur le dos de la plaignante, qu’il n’y avait personne autour d’eux et que les bras de la plaignante soutenaient la partie inférieure de son corps, l’absence de raisons expliquant pourquoi la plaignante se trompait sur le fait qu’il lui avait saisi les seins n’incite pas la cour à croire qu’il n’a rien fait.

[84]           En conséquence, la cour conclut que la preuve produite par l’accusé n’est pas crédible ni digne de foi.

[85]           La cour doit maintenant s’intéresser à la deuxième étape du test énoncé par la Cour suprême dans l’arrêt R. c. W.(D.), susmentionné. Ayant considéré la preuve dans son ensemble, le témoignage du Soldat Seifi ne soulève aucun doute raisonnable dans l’esprit de la cour quant à l’actus reus et à la mens rea de l’infraction d’agression sexuelle.

[86]           Enfin, en ce qui concerne la dernière étape du test, la cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable, compte tenu de la preuve qu’elle admet, de la culpabilité de l’accusé concernant l’infraction d’agression sexuelle.

[87]           La cour est convaincue que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable la plupart des éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle, mais pas tous. Compte tenu de la preuve qu’elle admet, la cour est convaincue que la poursuite a établi :

a.                   que le Soldat Seifi a employé la force, directement ou indirectement, contre la plaignante;

b.                  qu‘il a employé la force d’une manière intentionnelle contre la plaignante. Vu la partie du corps qu’il a touchée et le fait que l’accusé et la plaignante ont nié qu’un attouchement ait pu survenir de manière accidentelle, il ne fait aucun doute que, pour que l’accusé saisisse les seins de la plaignante comme celle‑ci l’a décrit dans son témoignage, il n’a pu qu’agir intentionnellement. J’aimerais mentionner que la cour n’a accordé aucun poids à l’article produit par la poursuite pour étayer cet élément parce qu’il ne révélait pas une façon particulière de penser de l’accusé;

c.                   que la plaignante n’a pas consenti à l’emploi de la force;

d.                  que le Soldat Seifi savait que la plaignante n’avait pas donné son consentement ou qu’il a fait montre d’insouciance ou d’aveuglement volontaire à l’égard de cette absence de consentement. 

[88]           En ce qui concerne l’actus reus de l’infraction d’agression sexuelle cependant, la cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable que les contacts étaient de nature sexuelle. Outre la nature de la partie du corps touchée et saisie par l’accusé, il n’y a aucune preuve permettant à la cour de conclure hors de tout doute raisonnable que l’agression a été commise dans des circonstances de nature sexuelle, comme l’exige le critère établi dans l’arrêt Chase, susmentionné, au paragraphe 11. La nature des contacts, les circonstances dans lesquelles ils sont survenus, l’absence de parole ou de geste les accompagnant et les autres circonstances concernant l’incident amènent la cour à conclure que la nature sexuelle de la conduite de l’accusé n’a pas été établie hors de tout doute raisonnable.

[89]           En conséquence, compte tenu de la preuve dans son ensemble, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction d’agression sexuelle. Elle a toutefois prouvé hors de tout doute raisonnable l’infraction moindre et incluse de voies de fait.

La deuxième accusation

[90]           La poursuite a d’abord prétendu que, comme il est rédigé, le deuxième chef d’accusation a trait à une infraction prévue au paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale. On fait aussi valoir qu’il peut s’agir d’une infraction visée au paragraphe 129(1) de la même loi.

[91]           Le paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale a pour but de donner effet aux règlements pris par les autorités civiles concernant « l’organisation, l’instruction, la discipline, l’efficacité et la bonne administration des Forces canadiennes », comme le mentionne l’article 12 de la Loi sur la défense nationale, et de faire en sorte que tous les ordres et directives émanant du chef d’état‑major qui sont nécessaires pour donner effet aux décisions et instructions du gouvernement fédéral ou du ministre soient appliqués, comme l’indique le paragraphe 18(2) de la Loi sur la défense nationale.

[92]           Le Lieutenant-colonel Jean-Bruno Cloutier décrit clairement l’objet de cette disposition dans sa thèse intitulée L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien, aux pages 71 et 72 :

[R. c. Soldat S.J.L.S. Bergeron, 2008 CM 3017]
Le paragraphe 129(2) n’est pas quant à lui de nature résiduaire. C’est une infraction de nature spécifique visant à sanctionner la contravention des instruments élaborés aux alinéas a), b) et c) du paragraphe 129(2). Elle crée une obligation pour les justiciables d’observer les règlements et les ordres énumérés au paragraphe 129(2) qui leur ont été dûment émis, publiés et notifiés.

[93]           En conséquence, il ne fait aucun doute à mes yeux que la deuxième accusation a été déposée en vertu du paragraphe 129(1) de la Loi sur la défense nationale parce qu’elle a trait à une série particulière de faits qui constituerait un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, et non une contravention à un règlement ou à un ordre au sens du paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale qui a été dûment pris ou donné, publié et notifié à l’accusé.

[94]           Il conviendrait que la cour répète, à cette étape‑ci, que l’analyse fondée sur l’arrêt W.(D.) qu’elle a effectuée relativement à la première accusation et la conclusion de cette analyse s’appliquent entièrement à la deuxième accusation. Aussi, étant donné que les deux premières étapes de l’analyse ont été effectuées et qu’il faut maintenant procéder à la troisième étape, la cour n’est pas convaincue hors de tout doute raisonnable, compte tenu de la preuve qu’elle admet, de la culpabilité de l’accusé concernant l’infraction relative à la commission d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

[95]           Pour ce qui est des éléments essentiels relatifs à l’identité, à la date et au lieu, il est clair qu’ils ne sont pas contestés vu les aveux formels de l’accusé.

[96]           En ce qui concerne le fait qu’il a été prouvé hors de tout doute raisonnable que l’acte allégué dans l’acte d’accusation concernant la deuxième infraction est survenu, compte tenu de la conclusion tirée par la cour à la suite de l’analyse, fondée sur l’arrêt W.(D.), du témoignage rendu par l’accusé relativement à la première accusation, la cour considère que la poursuite s’est déchargée de son fardeau de prouver cet élément essentiel.

[97]           En ce qui concerne le préjudice causé au bon ordre et à la discipline, la poursuite a produit des éléments devant prouver l’élément essentiel hors de tout doute raisonnable. La cour considère cependant que cette preuve n’a pas été faite.

[98]           La poursuite s’est appuyée sur l’existence de l’OAFC 19‑36 et sur le fait que l’accusé la connaissait pour établir le préjudice causé au bon ordre et à la discipline. Il est vrai que cette OAFC définissait ce qu’est une inconduite à caractère sexuel et quelle mesure doit être prise au regard de la carrière d’un militaire. Il s’agit toutefois seulement d’un élément parmi d’autres qui aurait été utile pour établir la norme de conduite. Il serait difficile pour la cour de conclure qu’un tel préjudice a été causé sans disposer d’un autre élément permettant de fixer la norme applicable. En outre, compte tenu de la conclusion à laquelle elle est parvenue relativement à la nature sexuelle des contacts en ce qui concerne la première accusation, il aurait été difficile pour la cour de conclure que la conduite alléguée est une inconduite à caractère sexuel au sens de l’OAFC.

[99]           De plus, la poursuite aurait pu, conformément à la décision R. c. Jones, 2002 CACM 11, au paragraphe 7, s’appuyer sur la preuve d’un acte dont la conséquence naturelle constituerait un préjudice au bon ordre et à la discipline. La poursuite n’a cependant pas produit une telle preuve qui aurait amené la cour à tirer cette conclusion.

[100]       Enfin, la poursuite a demandé à la cour de considérer l’effet de l’acte allégué dans l’acte d’accusation sur les autres étudiants du cours et sur le cours lui‑même comme un préjudice causé au bon ordre et à la discipline dont la preuve a été faite. Certaines répercussions que l’acte allégué a eues sur la plaignante ont été démontrées, mais la cour ne dispose d’aucune preuve du fait que cet acte aurait eu des répercussions sur les autres militaires qui assistaient au cours ou sur le cours lui‑même. En fait, la preuve est muette à ce sujet. Aussi, il serait difficile pour la cour dans ces circonstances de conclure qu’un préjudice causé au bon ordre et à la discipline a été démontré.

[101]       En conséquence, compte tenu de la preuve dans l’ensemble, la cour conclut que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable tous les éléments essentiels de l’infraction concernant la commission d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

DÉCISION

[102]       Soldat Seifi, veuillez vous lever. Soldat Seifi, en ce qui concerne la première accusation, la cour vous déclare non coupable de l’infraction d’agression sexuelle, une infraction prévue à l’article 271 du Code criminel, punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Toutefois, en vertu du pouvoir qui lui est conféré à l’article 136 de la Loi sur la défense nationale, la cour vous déclare coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait, une infraction prévue à l’article 266 du Code criminel, punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

[103]       Pour ce qui est de la deuxième accusation, la cour vous déclare non coupable de l’infraction d’avoir commis un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en conformité avec l’alinéa 112.40(2)b) des ORFC.


Avocats :

Le Capitaine Z. Drebot, Direction du droit international et opérationnel
Le Major S. MacLeod, Service canadien des poursuites militaires
Procureurs de Sa Majesté la Reine

Le Capitaine de corvette J. McMunagle, Direction du service d’avocats de la défense
Avocats de l’ex‑Soldat S. Seifi

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