Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 7 novembre 2006.
Endroit : BFC Trenton, édifice 22, 3e étage, 74 avenue Polaris, Astra (ON).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 114 LDN, vol.
•Chef d’accusation 2 : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73à 128 de la Loi sur la défense nationale.
Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 700$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Leeworthy, 2006 CM 52
Dossier : S200652
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES TRENTON
Date : le 7 novembre 2006
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
Le Soldat D.G. Leeworthy
(Accusé)
SENTENCE
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Soldat Leeworthy, la Cour, ayant accepté et enregistré votre plaidoyer de culpabilité sous le 2e chef d’accusation, vous en déclare maintenant coupable. Comme la poursuite a retiré le 1er chef d’accusation, le tribunal n’a pas à se prononcer sur celui-ci.
[2] Le sommaire des circonstances, dont vous avez officiellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, éclaire la présente cour quant au contexte dans lequel vous avez commis l’infraction. Pendant que vous étiez responsable des fonds d’appoint du tiroir-caisse du magasin de fourniment de votre escadron, vous avez privé ce magasin, et par extension les autres membres de l’escadron, de 98,28 $ et avez cherché à dissimuler ce fait en fabriquant un faux reçu.
[3] Au Canada, les principes de détermination de la peine, qui sont d’ailleurs les mêmes devant une cour martiale et devant un tribunal civil de juridiction criminelle, ont été énoncés de différentes manières. En général, ils s’appuient sur le besoin de protéger le public, ce qui, bien sûr, comprend en l’espèce les Forces canadiennes. Les principes fondamentaux sont la dissuasion, qui comprend aussi bien l’effet dissuasif produit sur la personne visée, que l’effet dissuasif général, produit sur toute personne qui pourrait être tentée de commettre une infraction du même genre. Ces principes comprennent également le principe de la dénonciation du comportement illégal, et, le dernier mais non le moindre, le principe de l’amendement et de la réinsertion sociale du délinquant.
[4] Il revient au tribunal de déterminer si la protection de la collectivité serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces principes.
[5] Le tribunal a également tenu compte de l’orientation suggérée, et il s’agit bien d’une suggestion car elle n’a aucun effet contraignant sur la cour pour les fins de la détermination de la peine, par l’article 718 du Code criminel du Canada. Les objectifs qui y sont énoncés sont de dénoncer le comportement illégal, de dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions, d’isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société, de favoriser la réinsertion sociale des délinquants, d’assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité, et de susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
[6] En infligeant une peine, la cour doit également suivre les directives de l’article 112.48 des ORFC qui lui impose de tenir compte de toutes les conséquences indirectes de sa décision ou de la peine qu’il prononce, et d’infliger au contrevenant une sentence proportionnée à la gravité de son infraction et à ses antécédents.
[7] La cour a également tenu compte du principe voulant que les peines infligées aux contrevenants qui commettent des infractions similaires dans des circonstances comparables ne soient pas disproportionnées. Le tribunal a également le devoir d’infliger la peine la plus clémente compatible avec le maintien de la discipline dans les rangs.
[8] Dans sa décision rendue dans l’affaire R. c. Paquette 1998 CACM 418, la Cour d’appel de la cour martiale précise clairement que le juge appelé à prononcer une sentence ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt général. La poursuite et votre avocat ont tous les deux proposé que vous soyez condamné à une réprimande et à une amende de 700 $.
[9] Le tribunal doit aussi garder à l’esprit que le but ultime de la peine est le rétablissement de la discipline chez le délinquant et dans les rangs des Forces armées. La discipline est cette qualité que tout membre des FC doit avoir pour l’aider à placer les intérêts du Canada et des Forces canadiennes devant tout intérêt personnel. Ce besoin existe parce que les membres des Forces canadiennes doivent obéir rapidement et sans se faire prier aux ordres légitimes même si ceux-ci peuvent avoir des conséquences dévastatrices sur le plan personnel, comme des blessures ou même la mort. Le tribunal considère la discipline comme une qualité parce que, quoiqu’elle soit enseignée et cultivée par les Forces canadiennes dans le cadre de la formation et des exercices, il s’agit d’une qualité personnelle essentielle à l’efficacité opérationnelle de toute force militaire.
[10] Le tribunal souhaite maintenant citer un arrêt marquant de la Cour suprême du Canada, l’arrêt R. c. Généreux. Cette décision, rendue en 1992, est particulièrement pertinente à votre affaire. La Cour suprême y commente abondamment le système de justice militaire et le Code de discipline militaire. Le tribunal retient plus particulièrement le commentaire suivant :
Plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves lorsqu’elles deviennent des infractions militaires, ce qui autorise l’imposition de sanctions plus sévères. Les exemples en ce domaine sont légion, ainsi le vol au détriment d’un camarade. Dans l’armée la chose est plus répréhensible puisqu’elle porte atteinte à cet « esprit de corps » si essentiel, au respect mutuel et à la confiance que doivent avoir entre eux des camarades, ainsi qu’au moral de la vie de caserne. Pour un citoyen, en frapper un autre, c’est se livrer à des voies de faits punissables en tant que telles, mais pour un soldat, frapper un officier supérieur, c’est beaucoup plus grave; c’est porter atteinte à la discipline et, en certains cas, cela peut équivaloir à une mutinerie. À l’inverse, l’officier qui frappe un soldat commet aussi une infraction militaire sérieuse.
Le tribunal vous cite ce passage d’une décision de la Cour suprême du Canada pour vous démontrer à quel point celle-ci est consciente que certaines infractions prévues au Code de discipline militaire ont des conséquences très différentes de celles que prévoit le Code criminel.
[11] Soldat Leeworthy, le tribunal vous recommande fortement de bien réfléchir à ces mots et au sens qu’il faut leur donner. Vous êtes un membre des Forces canadiennes depuis 2002. Vous avez encore beaucoup à apprendre et vous seul êtes en mesure de prendre la décision de connaître une carrière fructueuse dans les Forces canadiennes. Il s’agit de plus qu’un simple travail. C’est une profession. La profession des armes. Vous devez comprendre que nous devons tous respecter certains principes fondamentaux si nous souhaitons devenir un marin, un soldat ou un aviateur qui contribue à l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes. La confiance entre soldats, marins ou aviateurs constitue un élément essentiel du succès de toute mission. En ayant un comportement déloyal, vous avez brisé ce lien de confiance. Et ce comportement déloyal consistait à cacher le fait que vous aviez privé vos compagnons d’escadron de l’argent que vous avez pris dans le fond de l’escadron. Ce bris de confiance dépasse largement le cadre de vos responsabilités comme commis de soutien à la gestion des ressources. Il touche aux valeurs les plus profondes que nous devons tous chérir et défendre.
[12] La poursuite a soumis des commentaires favorables sur votre disposition à assumer la responsabilité des gestes que vous avez posés. Votre plaidoyer de culpabilité en témoigne de façon tangible. Souhaitons qu’il soit la preuve de votre intention de ne pas répéter de tels gestes. Dans les Forces canadiennes, nous vivons présentement une période trépidante, riche en possibilités d’épanouissement, mais remplie de dangers. Vous pouvez être envoyé en Afghanistan ou dans un autre endroit exposé au danger en soutien à vos compagnons d’armes des FC dans des missions périlleuses. Toute personne doit être un membre de l’équipe à part entière, et on doit pouvoir compter sur elle dans toute espèce de situation. Pour dire les choses simplement, la discipline peut faire la différence entre la vie et la mort. Le tribunal espère sincèrement que la cour martiale tenue aujourd’hui vous aura été utile dans le cheminement d’une carrière fructueuse et pleine de défis.
[13] Le tribunal convient que la présente sentence doit surtout mettre l’accent sur la dissuasion générale et la dénonciation. Vu les circonstances atténuantes dans cette affaire, vu le fait que la somme en jeu est très minime, 98,28 $ et ayant à l’esprit la directive donnée par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt Paquette, le tribunal souscrit à la recommandation conjointe des procureurs selon laquelle la peine appropriée dans cette affaire est une réprimande et une amende de 700 $. Cette amende sera payable par mensualités de 100 $ chacune, à compter du 1er décembre 2006. Si, pour une raison ou pour une autre, vous étiez libéré des Forces canadiennes avant d’avoir fini de payer cette amende, le montant total impayé devrait être soldé la veille de votre libération.
LE LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, J.M.
AVOCATS
Le Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Capitaine de corvette M. Reesink, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Soldat D.G. Leeworthy