Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 mars 2014.

Endroit : Collège militaire royal de Saint-Jean, 15 rue Jacques-Cartier Nord, Pavillon De Lery, Saint-Jean-sur-Richelieu (QC).

Chefs d’accusation :
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Verdicts
•Chef d’accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait.
•Chef d’accusation 2 : Coupable.

Sentence
•Un blâme.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Lemoyne, 2014 CM 1006

 

                                                                                                                  Date : 20140317

                                                                                                                 Dossier : 201368

 

                                                                                                    Cour martiale permanente

 

                                                                                   Collège militaire royal de Saint-Jean

                                                                         Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec) Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Aspirant de marine V.D. Lemoyne, contrevenant

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant le plaignant.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               L'aspirant de marine Lemoyne a avoué sa culpabilité à deux chefs d'accusation, soit d'une part l'infraction de voies de fait, contrairement à l'article 266 du Code criminel; et d'autre part l'infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline contrairement à l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour avoir harcelé une personne en contravention de la Directive et ordonnance administrative (DOAD) 5012-0.

 

[2]               Le harcèlement est défini à la DOAD 5012-0. Il consiste en tout comportement inopportun et injurieux, d'une personne envers une ou d'autres personnes en milieu de travail, et dont l'auteur savait ou aurait raisonnablement dû savoir qu'un tel comportement pouvait offenser ou causer préjudice. Il comprend tout acte, propos ou exhibition qui diminue, rabaisse, humilie ou embarrasse une personne, ou tout acte de cette nature.

 

[3]               Les procureurs en présence ont formulé une suggestion commune, soit un blâme. Après analyse, la cour en conclut que cette recommandation se situe dans le spectre des sentences applicables en pareille matière.

 

[4]               Les faits de cette affaire sont reproduits dans le sommaire des circonstances qui a été déposé devant la cour. En résumé, les évènements se sont déroulés le 28 octobre 2012 à la garnison Valcartier, Courcelette, province de Québec lorsque le contrevenant et sa victime, qui lui était supérieur en grade, participaient durant une fin de semaine, à titre d'étudiants, à une formation destinée à en faire des conseillers en matière de harcèlement, en matière de conflit et en matière d'abus envers les cadets, et ce, en compagnie d'autres officiers qui provenaient des différents corps de cadets de l'Unité régional de soutien aux cadets Région de l'Est. Aspirant de marine Lemoyne et sa victime étaient tous deux en service de classe « A » lors de cette formation. Quelques heures avant l'incident, suite à la journée de formation, un groupe d'officiers s'était dirigé au Mess intégré de la garnison Valcartier afin d'y relaxer, d'y fraterniser et aussi d'y prendre quelques consommations. La victime et l'aspirant de marine Lemoyne faisait partie évidemment de ce groupe. Vers 1 h 30 du matin, la victime a tenté de se lever pour aller aux toilettes. En ce faisant, elle a perdu l'équilibre et elle est retombée sur son fauteuil. Le contrevenant l'a alors aidé à se relever et il l'a accompagné, posant sa main au dos de la victime, jusqu'à l'urinoir. Une fois rendue, la victime a pris place à l'endroit pertinent et elle a uriné. L'aspirant de marine Lemoyne est demeuré prêt de lui en se tenant perpendiculairement à sa victime. Selon le sommaire, il semble que l'aspirant de marine Lemoyne ne cessait de le fixer. Lorsque sa victime eut terminé, le contrevenant a baissé les yeux et lui a regardé les parties génitales. C'est alors qu'immédiatement la victime a voulu remonter son pantalon. Mais avant qu'il puisse le faire, l'aspirant de marine Lemoyne a tenté de lui toucher le pénis en lui disant : « laisse-toi faire ». C'est alors que ce dernier s'est rapidement retourné pour lui faire dos tout en lui disant de ne pas le toucher. À ce moment, l'aspirant de marine Lemoyne lui a barré le chemin. La victime s'est dégagée pour se diriger vers la sortie. C'est alors que le contrevenant s'est mis sur son chemin tout en lui donnant des petits coups d'épaule en lui disant : « laisse-toi faire », « ça va te relaxer », « je vais te donner 1 $ » et « ça va te soulager ». La victime est finalement parvenue à se sortir des toilettes et retourner avec les autres officiers. À son retour, l'une de ses collègues a constaté un changement de comportement de sa part. Et lorsqu'elle a été informée de son état, la victime lui a raconté ce qui venait de se produire, en présence de ses autres collègues. Le lendemain, l'aspirant de marine Lemoyne s'est excusé auprès de sa victime lorsque celle-ci l'a confronté sur son comportement de la veille. La victime a par la suite décidé, avec raison, d'informer la chaîne de commandement de la situation suite aux recommandations d'un instructeur. Une enquête en a suivi et lors de cette enquête, le contrevenant a été rencontré après avoir reçu une mise en garde appropriée. Il a d'abord nié les faits et en a admis plusieurs par la suite, tout en tentant d'expliquer ceux-ci.

 

[5]               Durant l'audition portant sur la détermination de la sentence, il fut mis en preuve que l'aspirant de marine Lemoyne est un jeune homme de 22 ans qui complète actuellement son diplôme d'études collégiales en comptabilité et gestion et qu'il planifie poursuivre des études universitaires en sciences comptables, et ce, dans un avenir rapproché. Il vit actuellement chez ses parents à Rouyn-Noranda et il n'a aucun emploi à temps partiel. En ce qui concerne sa carrière à titre d'officier dans le cadre d'instruction des cadets, il a fait l'objet d'un retrait de ses fonctions militaires dans les semaines qui ont suivies la commission des infractions qui lui étaient reprochées parce que son commandant considérait avoir des motifs raisonnables, même si les allégations impliquaient des comportements entre adultes, de croire qu'il était préférable de procéder audit retrait parce que la nature de son travail impliquait directement qu'il soit en contact avec des personnes vulnérables. Il est toujours sur le coup de cette mesure administrative. Il est en preuve que le contrevenant est impliqué dans le mouvement des cadets depuis qu'il a l'âge de 12 ans. À la fin de son expérience de cadet, il est demeuré dans le mouvement à titre d'instructeur civil et il s'est enrôlé à titre d'élève-officier en novembre 2011.

 

[6]               La commandante du Corps des Cadets de la MRC Rouanda, à Rouyn Noranda, le connait bien, soit depuis environ huit ans. Elle le décrit comme un jeune homme exemplaire qui a terminé son séjour au sein du mouvement des cadets à titre de cadet-commandant. Il est décrit comme une personne fiable, autonome et responsable, mais surtout respectueux envers ses collègues. Elle dit de lui qu'il est intègre et loyal. Il est devant cette cour aujourd'hui âgé d'à peine 22 ans et ce sont ses premiers démêlés avec la justice, toute juridiction confondue. J'espère que ce sera la dernière fois.

 

[7]               Le commandant actuel de l'Unité régionale de soutien aux cadets n'a pas témoigné, mais les parties ont consenti au dépôt d'une lettre signée de sa main en date du 14 mars 2014. Il appert que son ancien commandant de corps de cadets l'avait considéré comme futur responsable des droits de la personne pour les cadets de son unité. Il considère que le contexte, la nature des faits reprochés, est d'autant plus inquiétante puisque la responsabilité du contrevenant est de superviser et de promouvoir le développement des jeunes cadets. Il envisage prendre des mesures administratives à l'égard de l'aspirant de marine Lemoyne suite à cette cour martiale.

 

[8]               Il est important de souligner qu'il s'agit d'un geste impulsif ou spontané commis dans un contexte où, encore une fois, l'alcool est présent et qui implique, encore une fois, des jeunes adultes. Elle implique un jeune adulte qui a manqué de jugement et qui a agi contrairement à la réputation dont il jouissait de la part de personnes qui le connaissaient depuis longtemps. Il ne s'agit pas d'un cas d'abus de confiance envers des personnes vulnérables et il n'y a aucune preuve devant cette cour qu'il représente un danger pour les jeunes cadets. Cela ne veut toutefois pas dire qu'il devrait faire l'objet d'une confiance aveugle envers les jeunes qu'il pourrait côtoyer si on lui en donne l'opportunité dans l'avenir, mais ce n'est pas le choix ou la décision de cette cour. Cette tâche ou cette responsabilité incombe à bon droit à la chaîne de commandement. Il a témoigné et il ne fait aucun doute, dans l'esprit de la cour, qu'il regrette ses gestes et qu'il est profondément embarrassé et humilié de son comportement, mais aussi d'avoir eu à faire face à une cour martiale pour les gestes qu'il a commis, et ce, devant une salle d'audience remplie aujourd'hui. En plus de la sentence qui lui sera imposée, il devra vivre avec les conséquences lourdes qui résulteront de l'application de la Loi sur le casier judiciaire. Je laisserai son avocat lui expliquer les tenants et aboutissants de cette loi et de l'implication qu'elle aura à son endroit.

 

[9]               Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables qui varient légèrement d'un cas à l'autre. Le prononcé de la sentence lors d'une cour martiale a pour objectif essentiel de contribuer au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi, et ce, par l'infliction de peines justes visant en autres un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c.                   d'isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d.                  de favoriser la réinsertion du contrevenant dans son environnement au sein des Forces canadiennes ou dans la vie civile; et

 

e.                   de susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants militaires.

 

[10]           La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction, les antécédents du contrevenant, ainsi que son degré de responsabilité. La sentence doit prendre également en compte le principe de l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des contrevenants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour a l'obligation, avant d'envisager la privation de liberté, d'examiner la possibilité de sanctions moins contraignantes lorsque les circonstances le justifient. Finalement, la sentence doit être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes qui liées à la perpétration de l'infraction ou à la situation du contrevenant et prendre en compte toute conséquence indirecte du verdict et de la sentence sur le contrevenant. Ainsi, la sentence imposée sera la résultante d'un exercice de pondération qui se traduira par la sentence minimale que la cour considère adéquate pour rencontrer celle qui sera composée de la peine ou d'une combinaison de peine que la cour considère minimale, comme je l'ai dit, tout en contribuant au maintien de la discipline militaire et au respect de la loi.

 

[11]           La suggestion commune des procureurs doit respecter les objectifs et les principes précédemment mentionnés qui sont applicables en l'espèce, sinon la cour n'a d'autre choix que de la refuser. Ici le procureur de la poursuite soumet que la sentence proposée permet de maintenir la discipline et le respect de la loi en mettant l'emphase sur les objectifs de dissuasion générale et spécifique, ainsi que la dénonciation du geste. La cour accepte cette proposition mais la sentence doit également permettre la réhabilitation de l'accusé considérant spécifiquement son âge.

 

[12]           Les infractions sont sérieuses, même si les faits se situent dans la fourchette inférieure des incidents qui font normalement l'objet de telles accusations lors des cours martiales, et ce, tel que l'ont souligné les procureurs en fonction de la jurisprudence qui a été soumise à la cour. Je suis d'avis que la suggestion commune des procureurs ne peut être écartée parce qu'elle n'est pas déraisonnable et qu'elle ne déconsidère pas l'administration de la justice. Un blâme est une peine sérieuse, même si elle ne comporte aucune conséquence financière directe ou de privation de liberté. Elle envoie un message clair que le comportement fautif doit être sévèrement réprouvé et il peut avoir des conséquences durables à l'égard du contrevenant.

 

POUR CES RAISONS, LA COUR

 

[13]           PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du 1er chef d'accusation, mais à l'égard de l'infraction moindre et incluse de voies de fait contrairement à l'article 266 du Code criminel et un verdict de culpabilité à l'égard du 2e chef d'accusation pour un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline au terme de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

ET

 

[14]           CONDAMNE le contrevenant, l'aspirant de marine Lemoyne, à un blâme.


 

Avocats :

 

Major G. Roy, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Capitaine de corvette P. Desbiens, Service d'avocats de la défense

Avocat pour l'aspirant de marine V.D. Lemoyne

 

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