Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 24 octobre 2011

Endroit : 4e Escadre Cold Lake, Édifice 674, chemin Kingsway, Cold Lake (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1, 2, 3 : Art. 130 LDN, introduction par effraction et commettre un acte criminel (art. 348(1)b) C. cr.).
•Chefs d’accusation 4, 5 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 6 : Art. 130 LDN, agression sexuelle et menaces à une tierce personne (art. 272(1)b) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 6 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4 : Retirés. Chef d’accusation 5 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait (art. 266 C. cr.).
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 34 mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Lough, 2011 CM 2020

 

Date : 20111024

Dossier : 201125

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Cold Lake

Cold Lake (Alberta), Canada

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-Caporal A.M. Lough, accusé

 

 

Devant le Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA DÉCISION RELATIVE À L’INHABILITÉ

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Le demandeur, le Caporal A.M. Lough, est accusé dans un acte d’accusation d’avoir commis un certain nombre d’agressions sexuelles au début d’août 2010 à la Base des Forces canadiennes Cold Lake, en Alberta. Par un avis de demande daté du 11 octobre et présentable le 14 octobre 2011 (pièce PP1‑1), il a demandé, par l’entremise de son avocat, que je me déclare inhabile à présider le procès de la cour martiale permanente relatif aux chefs d’accusation. La demande était fondée sur le fait qu’en août 2010, quelques jours après son arrestation, j’ai procédé à la révision de l’ordonnance de détention prononcée contre le Caporal Lough par l’officier réviseur, qui avait ordonné son maintien sous garde jusqu’à son procès. 

 

[2]        À la fin des plaidoiries, j’ai indiqué que je rendrais ma décision le 20 octobre 2011. Ce jour-là, j’ai rejeté la demande et je me suis engagé à faire connaître les motifs de ma décision en temps voulu. Voici ces motifs.

 

[3]        Le demandeur a reconnu, dans l’avis de demande écrit et dans la plaidoirie de son avocat, qu’il ne prétendait pas que j’étais partial ou que je manquais d’objectivité à l’égard de ses intérêts. Il soutenait plutôt que, même si le critère juridique relatif à la partialité n’était pas rempli en l’espèce, la cour devait se récuser par souci de prudence, c’est‑à‑dire qu’elle devait refuser d’instruire l’affaire en raison de circonstances propres au juge et permettre qu’elle soit confiée à un autre juge. Le poursuivant appuyait le demandeur à cet égard.

 

[4]        Aucune des parties n’a produit une preuve au soutien de la demande. Au cours des plaidoiries, j’ai laissé entendre qu’il n’était pas facile de statuer sur la demande sans avoir aucun détail sur ce qui s’était passé lors de l’instance d’août 2010. Les deux avocats ont convenu que je devais écouter l’enregistrement de cette instance si je le jugeais opportun, ce que j’ai fait.

 

[5]        L’instance d’août 2010 consistait en la révision de la détention du demandeur en vertu de l’article 159 de la Loi sur la défense nationale. Le demandeur était alors en détention militaire par suite d’une ordonnance rendue par un officier réviseur en vertu de l’article 158.2 de la Loi sur la défense nationale. Le poursuivant m’a demandé de maintenir l’ordonnance afin que le demandeur soit gardé en détention. L’audience a eu lieu sur la foi des allégations écrites déposées par le poursuivant concernant les faits sur lesquels étaient fondées les accusations qui figuraient alors dans un procès‑verbal de procédure disciplinaire. Les parties semblaient s’entendre sur la nature des allégations. Des personnes ont été assignées à témoigner à l’audience et la crédibilité de ces témoins n’a pas été réellement mise en doute. Le demandeur lui‑même n’a pas témoigné et sa crédibilité n’a pas été contestée. Dans ma décision relative à la révision, j’ai énoncé une question susceptible d’être en litige au procès : était‑ce réellement le demandeur qui était entré dans le logement privé de trois personnes? J’ai aussi mentionné que la thèse de la poursuite était relativement solide.

 

[6]        À la fin de l’audience, j’ai ordonné que le demandeur soit maintenu sous garde. Saisie d’une requête déposée par le demandeur, la Cour d’appel de la cour martiale a permis à ce dernier, le 20 septembre 2010, de me présenter à nouveau sa demande de mise en liberté afin que je détermine si, depuis mon ordonnance du 10 août 2010, la situation avait changé de manière à justifier qu’il soit en liberté en attendant son procès.

 

[7]        La situation du demandeur avait effectivement changé depuis mon ordonnance de détention du 10 août, et le poursuivant et l’avocat de la défense ont convenu d’un ensemble de conditions sur la foi desquelles j’ai ordonné que le demandeur soit libéré jusqu’à son procès.

 

[8]        Le critère servant à déterminer si un décideur est partial est bien établi en droit canadien depuis la fin des années 1970. Dans l’arrêt R c S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, le juge Cory a écrit :

 

Dans ses motifs de dissidence dans l’arrêt Committee for Justice and Liberty c. Office national de l’énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, à la p. 394, le juge de Grandpré a exposé avec beaucoup de clarté la façon dont il convient d’appliquer le critère de la partialité :

 

[L]a crainte de partialité doit être raisonnable et le fait d’une personne sensée et raisonnable qui se poserait elle-même la question et prendrait les renseignements nécessaires à ce sujet. [...] [C]e critère consiste à se demander « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique... »

 

Je poursuis en citant le juge Cory :

 

C’est ce critère qui a été adopté et appliqué au cours des deux dernières décennies. Il comporte un double élément objectif : la personne examinant l’allégation de partialité doit être raisonnable, et la crainte de partialité doit elle-même être raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire. Voir les décisions Bertram, précitée, aux pp. 54 et 55; Gushman, précitée, au par. 31. La personne raisonnable doit de plus être une personne bien renseignée, au courant de l’ensemble des circonstances pertinentes, y compris [traduction] « des traditions historiques d’intégrité et d’impartialité, et consciente aussi du fait que l’impartialité est l’une des obligations que les juges ont fait le serment de respecter » : R. c. Elrick, [1983] O.J. No. 515 (H.C.), au par. 14. Voir aussi Stark, précité, au par. 74; R. c. Lin, [1995] B.C.J. No. 982 (C.S.), au par. 34.

 

Et plus loin :

 

[…] [l]es diverses formulations [du critère] visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C’est une conclusion qu’il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l’intégrité judiciaire. De fait, l’allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais celle de l’administration de la justice toute entière. Voir la décision Stark, précitée, aux par. 19 et 20. Lorsqu’existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d’agir. C’est toutefois une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère.

 

La charge d’établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l’existence : Bertram, précité, à la p. 28; Lin, précité, au par. 30. De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l’espèce.

 

[9]        Au cours des plaidoiries, les avocats ont porté à mon attention plusieurs affaires où un juge avait présidé plus d’une instance concernant un même accusé et où une demande visant à obtenir une mesure de redressement de la nature d’une récusation avait été présentée. Une affaire de ce genre faisant autorité qui n’a pas été mentionnée par les avocats est R c Perciballi (2001), 154 CCC (3d) 481. Dans cette affaire, la Cour d’appel de l’Ontario était saisie d’une allégation de crainte raisonnable de partialité visant un juge qui avait accordé une autorisation d’interception de communications privées à l’encontre d’un accusé après avoir rejeté une demande de révision de la décision concernant la libération sous caution du même accusé. La juge Charron a prononcé le jugement de la Cour. Elle a fait remarquer que les questions en litige dans les deux instances étaient différentes et a affirmé au paragraphe 21 :

 

[traduction] ... La simple participation du juge ayant accordé l’autorisation à une autre instance dans le passé n’a pas pour effet, en l’absence d’une preuve contraire convaincante, de réfuter la présomption d’intégrité et d’impartialité dont jouissent les juges. Ainsi, la simple allégation que le juge Hamilton a pris connaissance, lors de la révision de la mise en liberté sous caution, d’une « preuve préjudiciable » n’ayant pas été présentée au soutien de la demande d’autorisation est futile. Il arrive régulièrement que des juges président le procès d’un accusé après avoir écarté des éléments de preuve dont ils ont pris connaissance au cours d’un voir‑dire ou après avoir entendu les confessions ou les plaidoyers de culpabilité de coaccusés.

 

[10]      Je crois que ces propos énoncent fidèlement le droit applicable. Il n’existe pas une interdiction absolue qui empêche un juge de conduire un procès simplement parce qu’il a présidé précédemment des procédures concernant le même accusé, par exemple une audience relative à une demande de libération sous caution ou une révision de la libération sous caution. Il faut cependant examiner l’ensemble des circonstances pour déterminer si la présomption d’impartialité des juges est réfutée par une preuve convaincante qui fait naître une crainte raisonnable de partialité; voir aussi la décision R c Manning rendue par le juge Porter de la Cour provinciale de Terre‑Neuve‑et‑Labrador le 28 septembre 2010, ainsi que les décisions qui y sont mentionnées.

 

[11]      En l’espèce, je ne suis pas convaincu que la présomption d’impartialité dont jouissent les juges est réfutée. La remarque que j’ai faite au cours de la révision de la libération sous caution au sujet de la force apparente de la preuve de la poursuite à cette étape avait trait à une question qui est soulevée à juste titre dans ce genre d’instances. Je ne peux conclure que le juge qui fait état de manière appropriée de la force de la preuve de la poursuite à cette étape devient inhabile à instruire le procès. Les questions en litige sont très différentes au procès et la preuve peut bien avoir changé depuis la révision de la libération sous caution. Fait important, l’admissibilité de la preuve au procès semble maintenant être contestée, alors que cette question n’a pas été soulevée au cours de la révision de la libération sous caution.

 

[12]      Je conclus que le critère rigoureux servant à déterminer si un juge doit se récuser – l’existence d’une crainte raisonnable de partialité, comme je l’ai décrit – n’est pas rempli en l’espèce. Cela ne met toutefois pas fin à l’affaire. Les deux parties, qui semblent reconnaître que ce critère n’est peut‑être pas rempli en l’espèce, soutiennent, en se fondant sur les mêmes faits, que je devrais me récuser par souci de prudence et d’équité. On a porté à mon attention deux affaires où les juges l’ont fait.

 

[13]      Dans R c Bird, [1997] O.J. No. 2074, le juge McIsaac était prié de se retirer du d’un procès devant juge seul après avoir présidé certaines instances préalables au procès, notamment une enquête sur le cautionnement au cours de laquelle il avait ordonné que l’accusé soit détenu jusqu’à son procès. Il a statué que le critère relatif à la récusation n’était pas rempli et il a rejeté la demande fondée sur l’inhabilité. Il a cependant fait remarquer, au paragraphe 10, que l’accusé :

 

[traduction] ... ressent un certain malaise à me voir présider son procès, en particulier maintenant qu’il a perdu son droit à un procès devant jury.

 

Le juge McIsaac a décidé de se récuser.

 

[14]      Dans R c M.R.K., [2004] N.J. No. 148, le juge Porter, de la Cour provinciale de Terre‑Neuve‑et‑Labrador, a fait droit à une demande présentée conjointement par les avocats afin qu’il ne préside pas le procès après avoir entendu une demande de libération sous caution et avoir discuté de la signification d’un plaidoyer de culpabilité avec l’accusé. Même s’il ne semblait pas convaincu que le critère relatif à la récusation était rempli, le juge Porter a fait droit à la demande conjointe des parties.

 

[15]      J’ai examiné avec soin cette prétention, mais j’ai finalement conclu que je ne devais pas me récuser. À mon avis, ce n’est que dans de très rares cas qu’un juge ayant été désigné régulièrement pour entendre une affaire devrait décider de se récuser alors que le critère juridique de la crainte raisonnable de partialité n’est pas rempli. Dans M.R.K., le juge Porter a cité R c Kochan, [2001] A.J. 555, où un tribunal de l’Alberta a rappelé les propos suivants formulés par le juge Mason, de l’Australie, dans Re J.R.L., 161 C.L.R. 342 :

 

[traduction] Bien qu’il soit important que justice paraisse être rendue, il l’est tout autant que les officiers de justice s’acquittent de leur obligation de siéger et qu’ils n’encouragent pas les parties, en faisant droit avec empressement à des allégations d’apparence de partialité, à croire que, si elles demandent la récusation d’un juge, leur affaire sera instruite par une autre personne susceptible d’être plus favorable à leur cause.

 

[16]      Dans un contexte militaire, le pouvoir d’assigner des juges à une affaire particulière est prévu par la loi, à l’article 165.25 de la Loi sur la défense nationale :

 

Le juge militaire en chef désigne un juge militaire pour chaque cour martiale et lui confie les fonctions judiciaires prévues sous le régime de la présente loi.

 

À mon avis, ce pouvoir du juge militaire en chef serait compromis si un juge militaire faisait droit à une demande des parties de se récuser et de ne pas entendre une affaire qui lui a été régulièrement confiée, au motif que l’une des parties ou même les deux pourraient ressentir un certain malaise à voir le juge instruire leur affaire.

 

[17]      Par conséquent, la demande a été rejetée.


 

Avocats :

 

Major G.T. Rippon, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine D.M. Hodson, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’ex-Caporal A.M. Lough

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