Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 28 janvier 2014.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 84 LDN, a frappé un supérieur.

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 2500$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Schelder, 2014 CM 1002

 

Date : 20140128

Dossier : 201367

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Esquimalt (Colombie‑Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 1re classe J.F. Schelder, contrevenant

 

 

En présence du : Colonel M. Dutil, J.M.C.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le matelot de 1re classe Schelder a inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’égard de l’infraction consistant à avoir frappé un supérieur, en contravention de l’article 84 de la Loi sur la défense nationale. Les avocats de la poursuite et de la défense recommandent conjointement à la Cour d’infliger une sentence consistant en un blâme et une amende de 2500 $ payable en douze versements mensuels.

 

[2]               Les circonstances entourant la perpétration de l’infraction révèlent que le vendredi 24 mai 2013, l’équipage du Navire canadien de Sa Majesté Calgary a organisé une collecte de fonds au club de la flotte du pacifique de la Base des Forces canadiennes Esquimalt. Le matelot-chef Silver, qui faisait partie de l’équipe qui organisait cet événement non officiel, était présent au club de la flotte du pacifique ce soir-là afin d’aider à la préparation et au déroulement de la soirée. Il avait revêtu, pour l’occasion, des habits civils. Le matelot de 1re classe Schelder a assisté à la soirée en compagnie du matelot de 2e classe MacKay. Il s’est présenté sur les lieux vers 20 h. Au cours de la soirée, il a consommé, tour à tour, de la bière et des boissons alcoolisées pour atteindre un fort degré d’ivresse. L’avocat du matelot de 1re classe Schelder a informé la Cour que, le soir de l’incident, le contrevenant avait commencé à boire avant son arrivée au club de la flotte du pacifique. Entre 21 h et 22 h, le matelot‑chef Silver a remarqué que le matelot de 1re classe Schelder avait délibérément cassé un petit verre à boisson à l’intérieur du club de la flotte du pacifique. Il s’est approché de lui pour lui parler et lui demander de cesser ces agissements. Conscient que le matelot‑chef Silver était un supérieur, le matelot de 1re classe Schelder a immédiatement obtempéré. Le reste de la soirée s’est déroulé sans autre incident jusqu’au moment où, peu après minuit, soit le samedi 25 mai 2013, le matelot de 1re classe Schelder et son ami MacKay se sont retrouvés juste à l’extérieur de l’immeuble. Au même moment, le matelot-chef Silver est sorti de l’immeuble et les a aperçus qui se tenaient debout dehors. Il s’est approché d’eux et s’est adressé au matelot de 2e classe MacKay. Pendant que les deux hommes parlaient, le matelot de 1re classe Schelder, qui était en état d’ébriété avancée, a décrit en marchant un cercle autour du matelot‑chef Silver et, sans prévenir, il l’a saisi d’une main pour le retourner face à lui et lui a asséné un coup de poing sur le côté de la tête. Le matelot‑chef Silver s’est effondré, inconscient, et sa tête a heurté le sol dur. Les matelots Schelder et MacKay ont alors quitté les lieux en abandonnant le matelot‑chef Silver à son sort. Plus tard, le matelot de 1re classe Schelder a été arrêté par la police militaire non loin de là. Le matelot‑chef Silver a été transporté en ambulance à l’hôpital, où il a subi des examens puis reçu son congé. Le lundi 27 mai 2013, il s’est présenté au Centre des Services de santé des Forces canadiennes (Pacifique) : un diagnostic de syndrome post-commotion cérébrale a été posé et il s’est vu accorder un congé de maladie de sept jours. Le lundi 3 juin 2013, à l’issue d’un nouvel examen, il a été autorisé à reprendre le travail en effectuant des demi-journées, en plus de devoir respecter certaines contraintes d’emploi pour raison médicale concernant l’entraînement physique autonome, ne pas participer aux exercices et parades militaires et ne pas soulever de charges de plus de cinq kilogrammes. Ces prescriptions ont été renouvelées pour sept jours additionnels et, le 10 juin 2013, le matelot‑chef Silver a repris l’ensemble de ses fonctions à temps plein. Pendant environ sept semaines suivant l’incident, il a souffert de maux de tête fréquents.

 

[3]               Je dois maintenant déterminer une sentence qui sera juste, appropriée et équitable. Dans le cadre de la détermination de la sentence d'un contrevenant aux termes du code de discipline militaire, une cour martiale doit, comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a expressément affirmé, tenir compte des principes et objectifs de détermination de la sentence appropriée, y compris ceux énoncés aux articles 718.1 et 718.2 du Code criminel. L’objet fondamental de la détermination de la peine dans les instances portées devant la cour martiale consiste à favoriser le respect de la loi et de la discipline militaire par l’infliction de peines qui visent à atteindre au moins un des objectifs suivants : dénoncer le comportement illégal; dissuader le contrevenant et d’autres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions de cette nature; isoler, au besoin, le contrevenant du reste de la société; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants, notamment, par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité, et favoriser la réadaptation et la réinsertion sociale du contrevenant.

 

[4]               La sentence doit également prendre en compte les principes suivants. Elle doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, à la réputation du contrevenant et à son degré de responsabilité. Elle devrait être semblable aux sentences infligées à des délinquants semblables pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La Cour doit aussi respecter le principe selon lequel un contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être justifiées dans les circonstances. Finalement, la sentence sera augmentée ou allégée pour tenir compte des circonstances aggravantes ou atténuantes se rapportant à l’infraction ou au contrevenant. Ce faisant, la Cour doit toutefois faire preuve de retenue lorsqu’elle détermine la sentence et inflige la sanction la moins sévère pour maintenir la discipline militaire.

 

[5]               L’infraction consistant à frapper un supérieur en contravention de l’article 84 de la Loi sur la défense nationale est d’ordre strictement militaire et n’a pas d’équivalent en droit criminel canadien. Le respect des supérieurs et des subordonnés forme le cœur de la discipline militaire, laquelle est essentielle à l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes. Il s’agit d’une infraction très grave passible de l’emprisonnement à perpétuité. Les circonstances propres à la présente affaire n’en font pas un cas comptant parmi les plus graves, mais elles sont suffisamment sérieuses pour commander l’imposition d’une sentence sévère. La sentence que les procureurs ont conjointement recommandée se situe dans la fourchette des sentences infligées pour des infractions similaires et ne correspond aucunement à une sentence clémente. La Cour ne voit pas de raisons de rejeter cette proposition.

 

[6]               Je me propose maintenant d’examiner les facteurs aggravants et atténuants propres à l’affaire. À cet égard, la Cour estime que les éléments suivants constituent en l’espèce des facteurs aggravants :

 

a)                  La gravité objective de l’infraction consistant à frapper un supérieur, qui est prévue à l’article 84 de la Loi sur la défense nationale : comme je l’ai mentionné précédemment, il s’agit de l’une des infractions les plus graves en droit militaire canadien parce qu’elle atteint au cœur de la discipline militaire. En l’absence de circonstances atténuantes d’un caractère impérieux – par exemple, intimidation, provocation ou agression préalablement commise par la victime – susceptible d’expliquer la réaction démesurée, la colère ou la perte de sang-froid du contrevenant, ce dernier recevra généralement une peine sévère s’il est déclaré coupable d’une telle infraction (voir l’ouvrage du juge Gilles Létourneau et du professeur Michel W. Drapeau, Military Justice in Action: Annotated National Defence Legislation, (Toronto : Carswell, 2011), à la page 205).

 

b)                  L’absence de facteur contributif attribuable à la victime : la Cour est d’avis que le coup asséné au matelot‑chef Silver par le matelot de 1re classe Schelder ne résulte pas de la provocation et qu’il s’agit d’un geste gratuit. Le matelot de 1re classe Schelder ne peut invoquer le fait qu’il a été réprimandé par le matelot‑chef Silver plus tôt dans la soirée pour s’être conduit de manière répréhensible en brisant des verres au mess, pour excuser les voies de fait qu’il a perpétrées plus tard sur son supérieur. Le procureur du contrevenant a aussi fait observer que le degré d’intoxication avancé atteint par le matelot de 1re classe Schelder au cours de la soirée en question pourrait expliquer pourquoi il a pu penser que son ami, le matelot de 2e classe MacKay, avait été menacé par la victime alors que les deux s’entretenaient à l’extérieur. Le matelot de 1re classe Schelder a reconnu, par la voix de son avocat, qu’il n’avait alors aucune raison de croire que c’était en effet le cas.

 

c)                  Les conséquences du coup pour la victime : bien que je souscrive aux propos tenus par le juge militaire Lamont au paragraphe 12 de la décision R c Hillier, 2007 CM 2002, propos selon lesquels l’étendue du préjudice ou des blessures infligés n’est pas un élément essentiel de l’infraction consistant à frapper un supérieur, il s’agit néanmoins d’un facteur important dont il faut tenir compte à la lumière de l’ensemble des circonstances entourant la perpétration de cette infraction. Le matelot‑chef Silver a reçu un seul coup de poing, mais ce coup de poing a entraîné de lourdes conséquences. Il a souffert d’une commotion cérébrale qui l’a empêché de remplir ses fonctions militaires pendant environ deux semaines. Durant les quelque sept semaines qui ont suivi l’incident, le matelot‑chef Silver a souffert de fréquents maux de tête. Le matelot de 1re classe Schelder devrait s’estimer très chanceux du fait que le matelot‑chef Silver n’a pas subi de blessures plus graves par suite du coup qui l’a fait tomber et se cogner la tête sur le pavé. Cependant, les conséquences tragiques découlant de l’infraction ne sauraient justifier une augmentation de la sentence à un niveau qui en ferait une sentence inappropriée.

 

d)                 Le fait que le contrevenant ait abandonné sa victime après l’avoir frappée à la tête : le matelot de 1re classe Schelder et son ami ont quitté les lieux tout de suite après le coup porté à la tête du matelot-chef Silver, en dépit du fait que celui‑ci se soit écroulé, inconscient, en se cognant la tête contre le pavé. La Cour convient que le matelot de 1re classe Schelder était en état d’ébriété avancée au moment des faits, mais son comportement n’en demeure pas moins fortement répréhensible.

 

[7]               La Cour estime que les éléments suivants constituent des facteurs atténuants dans les circonstances :

 

a)                  L’inscription d’un plaidoyer de culpabilité à la première occasion : il s’agit du plus important facteur atténuant en l’espèce. Le matelot de 1re classe Schelder a reconnu l’entière responsabilité de ses actes et la Cour est convaincue, sur la base de la preuve dont elle a été saisie quant à la réputation et à la conduite professionnelle du contrevenant depuis son enrôlement dans les Forces canadiennes en 2008, que son aveu de culpabilité est l’expression de remords sincères.

 

b)                  Le rendement du contrevenant au sein des Forces canadiennes : la preuve documentaire déposée en cour témoigne en termes éloquents du degré de professionnalisme du contrevenant et du dévouement dont il fait preuve dans son travail au sein des Forces canadiennes. Il est considéré comme un employé qui atteint des résultats impressionnants et affiche en tout temps une attitude positive. Il jouit d’une solide réputation auprès de ses supérieurs et de ses collègues. Son immense potentiel ne fait aucun doute et il est assurément promis à un brillant avenir au sein des Forces canadiennes. L’incident en cause ne lui correspond guère.

 

c)                  L’âge du contrevenant : le matelot de 1re classe Schelder n’a que 24 ans. Or, malgré son jeune âge, ses états de services sont remarquables.

 

d)                 Les excuses et les regrets exprimés par le contrevenant : bien que le contrevenant ait transmis ses excuses par l’entremise de son avocat ce matin, j’accepte l’explication qu’a donnée ce dernier quant aux raisons pour lesquelles son client n’était pas en mesure de présenter lui‑même ces excuses à la victime. En outre, j’ai pu observer l’attitude du matelot de 1re classe Schelder en cour aujourd’hui et je suis convaincu de la sincérité de son plaidoyer de culpabilité et de ses remords.

 

e)                  L’absence de dossier disciplinaire et de casier judiciaire : c’est la première fois que le contrevenant a des démêlés avec le système de justice militaire ou pénale. Il n’a pas d’antécédents à ce chapitre.

 

[8]               La recommandation conjointe des procureurs permet d’atteindre les objectifs essentiels de la détermination de la peine qui doivent s’appliquer en l’espèce, à savoir la dissuasion générale et spécifique ainsi que la réinsertion sociale d’un jeune professionnel vaillant, dévoué et ayant beaucoup de potentiel. Par ailleurs, j’estime, à l’instar de la poursuite, qu’il n’est pas justifié de rendre l’ordonnance prévue à l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale en vue d’interdire au contrevenant d’avoir une arme en sa possession. Étant donné que l’infraction énoncée à l’article 84 de la Loi est une infraction secondaire, la poursuite n’a pas non plus sollicité l’ordonnance autorisant le prélèvement de substances corporelles sur le contrevenant pour les besoins d’une analyse génétique et prévue à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[9]               DÉCLARE le contrevenant, le matelot de 1re classe Schelder, coupable de l’infraction consistant à avoir frappé un supérieur en contravention de l’article 84 de la Loi sur la défense nationale.

 

[10]           CONDAMNE le contrevenant, le matelot de 1re classe Schelder, à un blâme et à une amende de 2500 dollars payable en 12 versements mensuels consécutifs et égaux, à compter du 15 février 2014.


 

Avocats :

 

Major J.G. Simpson et lieutenant-Colonel S.D. Richards, Service canadien des poursuites militaires, procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Maître C. Mackie, Suntok Mackie, avocats, avocat du matelot de 1re classe J.F. Schelder

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