Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 27 janvier 2014.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, 48 terrain de parade Nicklin, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Lynk, 2014 CM 2001

 

Date : 20140203

Dossier : 201351

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant D.A. Lynk, accusé

 

 

 

En présence du Colonel M.R. Gibson, J.M.

 


[traduction française officielle]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        L’Adjudant Lynk est accusé de trois infractions : désobéissance à un ordre légitime d’un officier supérieur, en contravention avec l’article 83 de la Loi sur la défense nationale; négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention avec l’article 129 de la Loi sur la défense nationale; et acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention avec l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Les seconde et troisième accusations sont portées subsidiairement à la première.

 

[2]        Les trois accusations ont toutes trait à un ordre qui aurait été donné à l’Adjudant Lynk par l’Adjudant-maître Olsen le 22 novembre 2012 selon lequel [traduction] « aucun contact physique » ne devait se produire relativement au traitement des prisonniers lors d’un scénario d’exercice d’entraînement appelé « Charging Dragoon » tenu dans le comté de Renfrew, auquel participaient les Royal Canadian Dragoons.

 

[3]        La preuve en l’espèce consiste en les témoignages de vive voix présentés par 10 témoins convoqués par la poursuite (Lieutenant McNaughton, Caporal‑chef Norquay, Cavalier Bishop, Cavalier Heffernan, Caporal‑chef Bergeron, Caporal Pope, Adjudant‑maître Olsen, Cavalier Beebe, Cavalier Deutsch et Cavalier Schoufour) et cinq témoins convoqués par la défense (Adjudant Lynk, Sergent Edwards, Sergent Horne, Capitaine Roach et Adjudant Gigacz). Tous ces témoins ont témoigné longuement et en détail à propos des événements survenus les 22 et 23 novembre 2012, concernant des choses qui se sont produites durant l’exercice Charging Dragoon. Il y a également eu beaucoup de discussions au sujet des normes régissant le traitement des prisonniers dans le cadre des exercices d’entraînement nationaux auxquels participent les soldats canadiens.

 

[4]        De plus, trois photos et deux vidéos captées à l’aide du téléphone cellulaire du Sergent Edwards ont été présentées en preuve à titre de pièces. Les trois photos et la première vidéo illustrent des événements survenus lors d’un scénario de recherche qui s’est déroulé le 22 novembre. La seconde vidéo illustre une partie des événements qui se sont produits lors du scénario de recherche tenu le 23 novembre et ayant entraîné le dépôt des accusations devant la cour.

 

[5]        Avant que la cour ne procède à son analyse de la preuve et des accusations, il convient d’aborder plusieurs aspects clés du droit que la cour doit appliquer. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut-être moins des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[6]        Le premier de ces principes est celui voulant que la poursuite soit liée par les détails relatifs aux accusations qu’elle a portées aux fins de la tenue d’un procès devant une cour martiale. Comme je l’ai mentionné dans mes motifs de décision, en ce qui a trait à la requête présentée par la défense relativement à l’absence de preuve prima facie, l’obligation pour la poursuite d’établir le bien‑fondé de la cause ainsi qu’il est précisé dans les accusations est un principe fondamental du droit pénal. La Cour d’appel de la cour martiale (CACM) a récemment réitéré ce principe aux paragraphes 29 et 30 de sa décision dans l’affaire Bombardier Tomczyk c La Reine, 2012 CACM 4.

 

[7]        Le second a trait à la présomption d’innocence et à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Il est juste de dire que la présomption d’innocence est probablement le principe le plus fondamental du droit pénal canadien, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel du droit régissant les procès criminels au Canada. Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, tout comme les affaires de droit criminel au Canada, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction. L’accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[8]        La norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l’accusé. Pour obtenir une condamnation, la poursuite doit prouver, selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, chacun des éléments essentiels de l’infraction reprochée. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, mais jamais à l’accusé de prouver son innocence.

 

[9]        La cour doit, après avoir considéré l’ensemble de la preuve, déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité relativement à tous les éléments essentiels de l’infraction. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[10]      Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives à l’intention du jury concernant le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas se fonder sur la sympathie ou les préjugés, mais sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle à la cour, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est absolument pas une indication de sa culpabilité.

[11]      Dans l’arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 242 :

[…] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités [...]

Par contre, il faut se rappeler qu’il est presque impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’occurrence, l’Adjudant Lynk, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

[12]      La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des affirmations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de vidéos, de cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par des témoins, des témoignages d’experts, des faits admis devant la cour par la poursuite ou par la défense, ou des questions dont la cour a connaissance d’office.

 

[13]      Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements. La cour doit déterminer les éléments de preuve qu’elle juge crédibles et fiables.

 

[14]      La crédibilité n’est pas synonyme de dire la vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mentir. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoignage. Par exemple, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer les événements, et les raisons qu’il a de s’en souvenir. Une chose en particulier a-t-elle aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins, donc naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; autrement dit, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

[15]      L’attitude du témoin lors de son témoignage est un facteur pouvant servir à évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Il faut toutefois évaluer l’attitude du témoin avec prudence et évaluer dans un même temps si son témoignage était cohérent en soi et compatible avec les faits non contestés ou admis en preuve.

[16]      Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave, et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage. La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Elle peut accepter en entier ou en partie le témoignage d’une personne ou l’écarter.

[17]      L’Adjudant Lynk a témoigné pour sa défense. Il l’a fait avec calme, confiance et franchise. Le témoignage qu’il a livré était cohérent en soi. Il a expressément nié avoir reçu un ordre de l’Adjudant-maître Olsen selon lequel il ne devait y avoir aucun contact physique avec les personnes recherchées durant l’exercice. Il a déclaré que [traduction] « cela ne s’est pas produit ».

 

[18]      Il s’agit d’un point crucial à la détermination de la présente affaire, puisque l’allégation voulant qu’un tel ordre ait été donné à l’Adjudant Lynk par l’Adjudant‑maître Olsen est invoquée comme élément essentiel des trois accusations précisées par la poursuite dans l’acte d’accusation.

 

[19]      Cela étant, la cour doit s’attarder au critère établi par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans les motifs qu’il a prononcés dans l’arrêt R c W. (D.), [1991] 1 RCS 742, à l’égard d’affaires comme celle-ci où l’accusé a livré un témoignage et que celui-ci constitue essentiellement un déni de l’un des éléments essentiels de l’accusation. Les directives de la Cour suprême à cet égard sont les suivantes :

 

a)         Premièrement, si je crois le témoignage de l’accusé, je dois alors prononcer l’acquittement.

b)         Deuxièmement, si je ne crois pas le témoignage de l’accusé, mais que j’ai un doute raisonnable, je dois prononcer l’acquittement.

c)         Troisièmement, même si je n’ai pas de doute à la suite du témoignage de l’accusé, je dois me demander si, en vertu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable de la preuve de la culpabilité de l’accusé.

[20]      Dans l’arrêt R c J.H.S., 2008 CSC 30, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a repris, en l’approuvant, le passage suivant de l’arrêt R c H. (C.W.) (1991), 68 CCC (3d) 146 (C.A. C.-B.), où le juge Wood a formulé une directive supplémentaire :

[TRADUCTION]

Dans ces cas, j’ajouterais la directive supplémentaire suivante qui, logiquement, devrait être la deuxième : « Si, après un examen minutieux de tous les éléments de preuve, vous êtes incapables de décider qui croire, vous devez prononcer l’acquittement. »

 

À l’examen de la preuve en l’espèce, je conclus qu’à la suite du témoignage de l’Adjudant Lynk, j’éprouve un doute raisonnable quant à savoir si l’ordre en question a été donné.

 

[21]      Par ailleurs, indépendamment du doute dont je viens de parler, j’éprouve un doute raisonnable quant à savoir si l’ordre voulant qu’il n’y ait aucun contact physique avec les personnes recherchées pendant le reste des scénarios de l’exercice Charging Dragoon a été donné par l’Adjudant-maître Olsen à l’Adjudant Lynk le 22 novembre 2012.

 

[22]      Différents facteurs donnent lieu à ce doute raisonnable, notamment :

 

a)      le commentaire fait par l’Adjudant-maître Olsen, au sujet de la présente procédure, selon lequel [traduction] « c’est une connerie »;

 

b)      le témoignage du Sergent Edwards;

 

c)      le contenu de la seconde vidéo (pièce n7 versée en preuve) illustrant une partie des événements du 23 novembre;

 

d)     le témoignage de l’Adjudant Gigacz selon lequel, en qualité d’adjudant des opérations, il n’était pas au courant qu’un tel ordre avait été donné ou communiqué au sein de l’unité;

 

e)      l’absence d’éléments de preuve documentaire recueillis en vue de corroborer l’affirmation que la règle de [traduction] « l’absence de contact physique » est en fait une règle habituelle dans l’armée, comme l’a affirmé l’Adjudant‑maître Olsen;

 

f)       l’absence d’éléments de preuve pour indiquer que l’ordre en question (qui se serait appliqué aux autres au-delà de la troupe de l’Adjudant Lynk) aurait été donné ou communiqué à d’autres membres de l’unité, ordre qui aurait été obligatoire si le commandant l’avait donné;

 

g)      la preuve concernant l’échange entre l’Adjudant-maître Olsen et le Sergent Edwards au relais routier, qui n’a pas semblé établir une inquiétude rattachée au fait qu’un ordre avait été enfreint.

 

[23]      Puisque le fait de donner cet ordre est un élément essentiel de l’infraction, telle qu’elle est précisée dans les trois accusations mentionnées dans l’acte d’accusation, la cour estime que la poursuite ne s’est pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait selon la norme exigée pour justifier une déclaration de culpabilité.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[24]      vous DÉCLARE non coupable des trois accusations dont il est fait mention dans l’acte d’accusation.

 


 

Avocats :

 

Major T.E.K. Fitzgerald, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’Adjudant D.A. Lynk

 

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