Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 24 février 2014.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, possession de pornographie juvénile (art. 163.1(4) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, accès à la pornographie juvénile (art. 163.1(4.1) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Cawthorne, 2014 CM 1014

 

Date : 20140605

Dossier : 201336

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

(Colombie-Britannique) Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 3e classe W.K. Cawthorne, contrevenant

 

En présence du colonel M. Dutil, J.M.C.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

ORDONNANCE LIMITANT LA PUBLICATION

 

Restriction à la publication : Par ordonnance rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’une personne faisant l’objet d’une représentation, d’un écrit ou d’un enregistrement qui constitue de la pornographie juvénile au sens de l’article 163.1 du Code criminel.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le 16 avril 2014, le Comité de la présente Cour martiale générale a prononcé son verdict au sujet de chacune des accusations portées contre le matelot de 3e classe Cawthorne. Le contrevenant a été déclaré coupable d’un chef de possession de pornographie juvénile, une infraction prévue au paragraphe 163.1(4) du Code criminel qui est punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Il a aussi été déclaré coupable d’un chef d’accès à de la pornographie juvénile, une infraction prévue au paragraphe 163.1(4.1) du Code criminel qui est également punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Ces infractions ont été commises à l’étranger, entre le 30 juin et le 20 juillet 2012.

 

[2]               Pour déterminer la sentence qui doit être infligée, je dois considérer comme prouvés tous les faits, implicitement ou explicitement établis, qui sont essentiels aux verdicts de culpabilité prononcés par la cour martiale. De plus, j’ai pris en compte les faits révélés par la preuve entendue pendant le procès et les autres éléments de preuve et documents produits au cours de l’audience de détermination de la sentence qui a eu lieu plus tôt cette semaine, notamment le témoignage du psychiatre traitant du matelot de 3e classe Cawthorne. Enfin, j’ai pris en compte également les observations des avocats concernant les sentences qu’il convient d’infliger en l’espèce ainsi que toute ordonnance additionnelle que la Cour devrait rendre dans les circonstances.

 

[3]               Les faits relatifs à la perpétration des infractions desquelles le matelot de 3e classe Cawthorne a été déclaré coupable révèlent que, pendant la période en cause, celui‑ci était un membre du Navire canadien de sa Majesté (NCSM) ALGONQUIN qui a participé à l’exercice RIMPAC au large d’Hawaï. Le 16 juin 2012, le navire a quitté Esquimalt en direction de San Diego, en Californie, où il est arrivé trois jours plus tard. Il a ensuite quitté San Diego quelques jours plus tard et est arrivé à Pearl Harbor, près d’Oahu, le 29 juin 2012, où il est demeuré une dizaine de jours. Il a ensuite quitté Pearl Harbor pour participer à l’exercice multilatéral. Il est revenu à la fin de juillet 2012.

 

[4]               Tôt le 21 juillet 2012, alors que le NCSM ALGONQUIN voguait près de la côte d’Oahu, à Hawaï, le matelot de 3e classe Cawthorne vivait dans le mess 14 avec une cinquantaine de membres du détachement ou du groupe des opérations de combat. Le dortoir comportait trois casiers très rapprochés. Pour préserver une certaine intimité, certains militaires avaient placé une cloison entre deux casiers. Le matelot de 2e classe Butchers partageait le casier situé tout à côté de celui du matelot de 3e classe Cawthorne. À la fin de son long quart de travail, vers minuit, le 21 juillet 2012 ou vers cette date, le matelot de 2e classe Butchers est retourné à sa couchette et a découvert le iPhone du matelot de 3e classe Cawthorne entre les deux casiers. Il a appuyé sur le bouton principal du téléphone et une image montrant une très jeune fille âgée clairement de moins de 16 ans se livrant à un acte sexuel très explicite est apparue immédiatement sur l’écran du téléphone. Il a appuyé à nouveau sur le bouton principal du téléphone et a crié à deux autres matelots détenant un grade supérieur au sien pour leur dire ce qu’il avait découvert. Il s’est approché d’eux et ils ont parcouru d’autres photos semblables. Peu de temps après, le iPhone a été remis au capitaine d’armes, puis il a été saisi par la police et analysé par un expert de l’informatique judiciaire de la Gendarmerie royale du Canada. Une copie expurgée du rapport d’extraction judiciaire en format DVD a été déposée devant la Cour sur consentement. Ce DVD contenait plusieurs images graphiques numériques, ainsi que leurs fichiers vidéo, montrant de jeunes enfants se livrant ou présentés comme se livrant à une activité sexuelle explicite ou dont la caractéristique dominante était la représentation, dans un but sexuel, d’organes sexuels ou de la région anale d’une personne âgée de moins de 18 ans.

 

[5]               Au cours de l’audience de détermination de la peine, la Cour a entendu le témoignage du docteur Oliver Robinow, un psychiatre clinicien expérimenté qui est le psychiatre traitant du contrevenant depuis près de deux ans. Il a expliqué le programme mis en place pour traiter les problèmes de santé mentale du matelot de 3e classe Cawthorne, à savoir la paraphilie masculine et des problèmes de personnalité, notamment un détachement à l’égard de ses propres émotions qui remontent à l’enfance au cours de laquelle son patient a notamment été victime de violence pendant plusieurs années. Le docteur Robinow a décrit ce programme de traitement et, à titre d’expert, a indiqué que le matelot de 3e classe Cawthorne se conformait au programme, lequel comprend des rencontres régulières avec un psychiatre et un psychothérapeute ainsi que la prise de médicaments, depuis deux ans. Il a affirmé que la réadaptation se déroule bien, que le risque de récidive est faible et que le patient se conduira normalement s’il a une bonne estime de lui‑même. Selon le docteur Robinow, l’incarcération ne favoriserait pas la réadaptation du contrevenant. Au contraire, elle aurait une incidence négative sur son estime de lui‑même si le programme de traitement était interrompu par une longue période d’emprisonnement. Le procureur de la poursuite a interrogé le docteur Robinow au sujet du fait que le témoignage rendu par le contrevenant au procès relativement à sa connaissance de la présence de pornographie juvénile dans son iPhone était différent de ce qu’il lui avait dit au cours de sa thérapie. Le docteur Robinow a expliqué pourquoi des personnes agissent de cette façon. Le psychiatre a toutefois indiqué que cette divergence ne changeait rien à son opinion selon laquelle l’état du matelot de 3e classe Cawthorne continue à s’améliorer, même s’il devra suivre un programme de traitement toute sa vie.

 

[6]               Le docteur Robinow a souligné que les fortes envies ressenties par un patient atteint de paraphilie masculine ne peuvent pas être entièrement éradiquées. Le programme de traitement a pour but d’aider le patient à changer son comportement et à avoir une meilleure estime de lui‑même. Le docteur Robinow a ajouté qu’il importe également, dans le cadre du traitement, d’amener le patient à reconnaître sa responsabilité. Il a cependant exprimé l’avis que, même s’il peut être utile que le contrevenant ait des remords, cela n’est pas essentiel à sa réadaptation puisque l’objectif fondamental est un changement de comportement. En conclusion, il a affirmé que le matelot de 3e classe Cawthorne répond très bien au traitement et il est convaincu que son patient continuera à progresser. Il a toutefois reconnu que celui‑ci aura besoin de traitement pendant une longue période de temps.

 

[7]               La poursuite soutient qu’un emprisonnement de 90 jours serait une sentence appropriée en l’espèce. Elle demande en outre à la Cour de rendre les ordonnances suivantes : une ordonnance d’interdiction prévue à l’article 161 du Code criminel; une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons de substances corporelles à des fins d’analyse génétique prévue à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale; une ordonnance de confiscation prévue à l’article 164.2 du Code criminel; une ordonnance de se conformer sa vie durant à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévue à l’article 227.01 de la Loi sur la défense nationale

 

[8]               De l’avis de la poursuite, la sentence à infliger au matelot de 3e classe Cawthorne doit mettre l’accent sur les principes de la dénonciation, de la dissuasion générale et de la dissuasion spécifique. On a fait valoir également que la Cour devrait tenir compte de la gravité objective des infractions en cause vu les sentences minimales obligatoires plus lourdes qui sont entrées en vigueur peu de temps après la perpétration de ces infractions par le matelot de 3e classe Cawthorne. Les sentences minimales sont passées d’un emprisonnement de 14 jours à un emprisonnement de 90 jours dans le cas d’une infraction punissable par procédure sommaire et d’un emprisonnement de 45 jours à un emprisonnement de six mois dans le cas d’un acte criminel.

 

[9]               L’avocat de la défense recommande que la Cour inflige une peine d’emprisonnement de 14 jours. Il s’appuie d’abord sur l’ensemble des circonstances et sur le fait que les images trouvées dans le téléphone du matelot de 3e classe Cawthorne étaient moins nombreuses et moins explicites que celles en cause dans la plupart des affaires invoquées par la poursuite. Il s’appuie ensuite – et c’est là l’élément le plus important – sur le témoignage du docteur Robinow concernant le programme de traitement entrepris par le contrevenant et les progrès réalisés par ce dernier jusqu’à maintenant.

 

[10]           Je dois maintenant déterminer ce qui constitue une sentence appropriée et juste. Dans le cadre de la détermination de la sentence à infliger à un contrevenant sous le régime du Code de discipline militaire, une cour martiale doit, comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a expressément affirmé, tenir compte des principes et objectifs de détermination de la sentence appropriée, notamment ceux énoncés aux articles 718.1 et 718.2 du Code criminel. L’objectif fondamental de l’infliction d’une sentence en cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline militaire ou d’y contribuer par l’infliction de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  dénoncer la conduite illégale;

 

b)                  dissuader non seulement le contrevenant, mais aussi d’autres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions semblables;

 

c)                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

 

d)                  assurer la réparation du tort causé aux victimes ou à la collectivité;

 

e)                  susciter la conscience de leurs responsabilités chez les contrevenants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité;

 

f)                    favoriser l’amendement et la réadaptation du contrevenant.

 

[11]           La sentence doit également prendre en compte les principes suivants :

 

a)                  la sentence doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, aux antécédents du contrevenant et à son degré de responsabilité;

 

b)                  elle devrait être semblable à celles infligées à des contrevenants semblables pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

c)                  la Cour doit aussi respecter le principe selon lequel un contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être justifiées dans les circonstances; 

 

d)                  enfin, la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. Toutefois, la Cour doit agir avec retenue lorsqu’elle détermine la sentence et infliger la sentence la moins sévère requise pour maintenir la discipline.

 

[12]           Je conviens avec le procureur de la poursuite qu’une sentence juste et appropriée en l’espèce doit mettre l’accent sur les principes de la dissuasion générale et de la dénonciation. Ces principes ne peuvent toutefois être appliqués dans un vide factuel ou au moyen d’un raisonnement déficient. Par exemple, dire que seule une longue période d’incarcération permet d’assurer le respect du principe de la dissuasion générale constitue une erreur de droit. De plus, la cour doit se demander si une peine exemplaire pourrait nuire à la réadaptation du contrevenant ou aller à l’encontre de l’objectif de dissuasion (Ruby, Sentencing, 8e édition, à la section 1.20). Dans ces circonstances, la Cour estime que la sentence ne doit pas nuire inutilement à la réadaptation du matelot de 3e classe Cawthorne à la lumière du traitement médical efficace pour la paraphilie masculine et les problèmes de personnalité que ce dernier suit actuellement.

 

[13]           Le matelot de 3e classe Cawthorne a été déclaré coupable de deux infractions punissables en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale – possession de pornographie juvénile et accès à de la pornographie juvénile – qui sont prévues aux paragraphes 163.1(4) et (4.1) du Code criminel. Ces infractions entraînent des sentences d’emprisonnement minimales obligatoires. La Cour ne peut cependant pas infliger les peines minimales qui sont actuellement applicables à ces infractions, car l’accusé a le droit de se voir infliger les sentences qui s’appliquaient lorsqu’il a commis les infractions. Les sentences minimales prévues actuellement ne pourraient être infligées en l’espèce que si la Cour concluait qu’elles constituent des sentences justes et appropriées compte tenu de l’ensemble des circonstances.

 

[14]           Aux termes des paragraphes 163.1(4) et (4.1) du Code criminel, quiconque avait en sa possession de la pornographie juvénile ou accédait à de la pornographie juvénile à l’époque où les infractions ont été commises était passible, dans le cas d’un acte criminel, d’un emprisonnement maximal de cinq ans, la sentence minimale étant de 45 jours, et, dans le cas d’une infraction punissable par procédure sommaire, d’un emprisonnement maximal de 18 mois, la sentence minimale étant de 14 jours. Le législateur a alourdi les sentences minimales en août 2012, soit très peu de temps après que le matelot de 3e classe Cawthorne a perpétré les infractions. Les sentences minimales sont alors passées à un emprisonnement de six mois dans le cas d’un acte criminel et à un emprisonnement de 90 jours dans le cas d’une infraction punissable par procédure sommaire.

 

[15]           Dans R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, 2001 CSC 2, la Cour suprême du Canada a décrit le principal objectif des dispositions législatives relatives à la pornographie juvénile. S’exprimant au nom de la majorité de la Cour, la juge en chef McLachlin a dit ce qui suit, au paragraphe 28 :

 

                Tout comme personne ne nie l’importance de la liberté d’expression, personne ne conteste non plus que la pornographie juvénile implique l’exploitation d’enfants. On peut dire que les liens entre la possession de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants sont plus ténus que ceux qui existent entre la production et la distribution de pornographie juvénile et le préjudice causé aux enfants. Toutefois, la possession de pornographie juvénile contribue au marché de cette forme de pornographie, lequel marché stimule à son tour la production qui implique l’exploitation d’enfants. La possession de pornographie juvénile peut faciliter la séduction et l’initiation des victimes, vaincre leurs inhibitions et inciter à la perpétration éventuelle d’infractions.

 

[16]           Il ne fait aucun doute que ces infractions sont objectivement considérées comme des infractions graves au Canada. Dans R. c. Labaye, [2005] 3 R.C.S. 728, 2005 CSC 80, la juge en chef a fait les observations suivantes au paragraphe 109 :

 

                En effet, la moralité sociale contemporaine du Canada rejette notamment la pornographie infantile, l’inceste, la polygamie et la bestialité indépendamment de la question de savoir si ces actes causent un préjudice social ou non. La société juge que ces actes sont, en eux-mêmes, préjudiciables. Le législateur permet la mise en œuvre de cette moralité sociale par l’adoption de normes législatives dans les lois comme le Code criminel.

 

[17]           Au cours des dix dernières années, le législateur a continué d’envoyer un message clair : ces infractions doivent être condamnées sans équivoque. L’alourdissement des sentences minimales obligatoires dont sont passibles les personnes déclarées coupables de possession de pornographie juvénile ou d’accès à de la pornographie juvénile parle de lui‑même.

 

[18]           J’arrive maintenant aux circonstances aggravantes et atténuantes particulières de la présente affaire, qui s’ajoutent aux éléments généralement liés à la gravité des infractions et à la culpabilité morale du contrevenant. À cet égard, la Cour estime que les éléments suivants constituent en l’espèce des facteurs aggravants :

 

a)                  la quantité et la nature du matériel trouvé et auquel le matelot de 3e classe Cawthorne a accédé : Bien que le matériel trouvé dans le iPhone du contrevenant ne soit pas aussi important que dans certaines des affaires contenues dans le dossier des sources invoquées de la poursuite concernant des infractions similaires qui ont été jugées par la cour martiale entre 2006 et 2010, par exemple Petten, Saint‑Jacques et Chiasson, plusieurs images montraient de très jeunes enfants se livrant ou présentés comme se livrant à une activité sexuelle explicite;

 

b)                  le contrevenant participait à un exercice international à l’étranger : Le fait que les événements ayant mené au dépôt des accusations ont eu lieu alors qu’il était en congé à Pearl Harbour ne diminue pas sa responsabilité. La perpétration d’infractions militaires à l’étranger cause nécessairement des problèmes graves à la chaîne de commandement, que les autorités étrangères participent à l’enquête ou soient mises au courant d’un incident ou non. En l’espèce, la chaîne de commandement a choisi de rapatrier le contrevenant au Canada aussi rapidement que possible. Il arrivera inévitablement que des militaires commettent des infractions criminelles ou disciplinaires dans un contexte opérationnel à l’extérieur du Canada, ce qui contribue cependant à éroder l’état de préparation et la discipline. Les faits en l’espèce indiquent que certains des frères d’armes du contrevenant ont été très troublés par la découverte de matériel de pornographie juvénile dans son iPhone, ce qui a eu un effet sur le moral et la discipline.

 

[19]           La Cour estime que les éléments suivants constituent des facteurs atténuants dans les circonstances :

 

a)                  l’état de santé du matelot de 3e classe Cawthorne : Le matelot de 3e classe Cawthorne a lui‑même été victime de violence pendant une longue période alors qu’il était enfant. Il est atteint de paraphilie masculine et de problèmes de personnalité. Non seulement a‑t‑il demandé de l’aide médicale afin de traiter ses problèmes de santé mentale immédiatement après avoir perpétré les infractions, mais son état continue de s’améliorer et son psychiatre traitant a parlé en termes positifs de sa réadaptation en mentionnant qu’elle se déroule bien;

 

b)                  l’âge du contrevenant : Le matelot de 3e classe Cawthorne est âgé de 22 ans. Il avait seulement 20 ans lorsqu’il a commis les infractions. Il était très jeune. Il n’a pas de casier judiciaire et il y a sur sa fiche de conduite une seule inscription très mineure pour un incident survenu il y a un an environ. C’est un très jeune homme qui a besoin d’aide pour faire face à une situation qui a été causée, à tout le moins en partie, par la violence dont il a été victime lorsqu’il était enfant. Dans ces circonstances, la Cour attribue une grande importance à l’opinion exprimée par son psychiatre traitant. La sentence qui lui sera infligée devrait nuire le moins possible à sa réadaptation. Voici à cet égard les commentaires formulés dans l’ouvrage de Ruby, Sentencing (8e édition), à la section 5.275 et plus loin :

 

                [traduction] Cependant, les tribunaux ont de plus en plus tendance à reconnaître que la maladie mentale peut constituer un facteur atténuant, même lorsqu’il n’y a aucun lien de cause à effet entre cette maladie et l’infraction. Les tribunaux ont tenu compte de l’état mental de l’accusé non seulement lorsque cet état a contribué à la perpétration de l’infraction, mais également dans les cas où cette maladie ferait de l’emprisonnement une peine plus lourde pour l’accusé que pour une personne qui n’en souffre pas.

 

[...]

 

                En conséquence, il est indéniable que la peine peut être réduite pour des motifs d’ordre psychiatrique dans deux cas : 1) lorsque la maladie mentale a causé la perpétration de l’infraction ou y a contribué; 2) lorsque l’emprisonnement serait une peine d’une sévérité disproportionnée pour le contrevenant en raison de la maladie mentale dont il est atteint. Dans certains cas, les deux facteurs sont pertinents.

 

[20]           La Cour estime qu’une brève période d’emprisonnement devrait promouvoir les principes de la dissuasion et de la dénonciation visés par la poursuite. Je ne crois pas cependant que la période d’incarcération proposée par celle‑ci soit la mesure minimale requise dans les circonstances. Rien ne permet à la Cour de penser que les infractions en cause en l’espèce auraient été considérées, dans les circonstances, comme des actes criminels, lesquels étaient passibles d’un emprisonnement minimal de 45 jours à l’époque pertinente. La Cour estime qu’un emprisonnement de 30 jours pourrait constituer une peine juste et appropriée.

 

[21]           De plus, la Cour rendra les ordonnances obligatoires suivantes qui ont été demandées par le procureur de la poursuite : une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons de substances corporelles à des fins d’analyse génétique prévue à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale et une ordonnance de se conformer sa vie durant à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels prévue à l’article 227.01 de la Loi sur la défense nationale. La Cour ne rendra cependant pas les ordonnances demandées par la poursuite qui sont prévues aux articles 161 et 164.2 du Code criminel. J’ai sérieusement envisagé de rendre une ordonnance en vertu du paragraphe 161(1), mais l’opinion d’expert du psychiatre du matelot de 3e classe Cawthorne a convaincu la Cour qu’une telle ordonnance n’était pas nécessaire dans les circonstances pour assurer la sécurité du public, notamment des jeunes enfants. En ce qui concerne l’ordonnance demandée par la poursuite afin que soit confisqué le iPhone du contrevenant en vertu de l’article 164.2 du Code criminel, cette ordonnance ne peut être prononcée que lorsque des conditions particulières sont remplies. Le paragraphe 164.2(1) du Code prévoit ce qui suit :

 

164.2(1) Confiscation lors de la déclaration de culpabilité – Le tribunal qui déclare une personne coupable d’une infraction visée aux articles 163.1, 172.1 ou 172.2 peut ordonner sur demande du procureur général, outre toute autre peine, la confiscation au profit de Sa Majesté d’un bien, autre qu’un bien immeuble, dont il est convaincu, selon la prépondérance des probabilités :

 

a)            qu’il a été utilisé pour commettre l’infraction;

 

b)            qu’il appartient :

 

(i)                   à la personne déclarée coupable ou à une personne qui a participé à l’infraction,

 

(ii)                à une personne qui l’a obtenu d’une personne visée au sous-alinéa (i) dans des circonstances qui permettent raisonnablement d’induire que l’opération a été effectuée en vue d’éviter la confiscation.

 

[22]           Le procureur de la poursuite agit sous l’autorité du directeur des poursuites militaires lorsqu’il exécute les fonctions décrites à l’article 165.11 de la Loi sur la défense nationale, notamment la conduite de toutes les poursuites devant les cours martiales. Le directeur des poursuites militaires ou son représentant n’agissent pas ou ne prétendent pas agir au nom du procureur général du Canada. L’expression « procureur général » est définie à l’article 2 du Code criminel. Si elle applique le sens ordinaire de cette disposition, la cour ne peut pas affirmer qu’un procureur de la poursuite militaire devant une cour martiale est visé par la définition de « procureur général » ou que cette définition devrait, par déduction nécessaire, être interprétée de manière à viser toute personne qui agit au nom du directeur des poursuites militaires. En conséquence, le procureur de la poursuite n’a pas la capacité voulue pour demander l’ordonnance de confiscation visée à l’article 164.2 du Code criminel.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           CONDAMNE le contrevenant, le matelot de 3e classe Cawthorne, à de l’emprisonnement pour une période de 30 jours;

 

[24]           REND l’ordonnance prévue à l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale concernant le prélèvement d’échantillons de substances corporelles à des fins d’analyse génétique;

 

[25]           REND l’ordonnance de se conformer sa vie durant à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels qui est prévue à l’article 227.01 de la Loi sur la défense nationale.


 

Avocats :

 

Major D. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-colonel D. Berntsen, Direction du Service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 3e classe Cawthorne

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