Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 octobre 2006.
Endroit : Garnison Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, des voies de fait infligeant des lésions corporelles (art. 267b) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

Citation : R. C. Caporal S.J.D. Raymond et Caporal S. Robertson, 2006 CM 46

 

Dossier : V200646

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

UNITÉ DE SOUTIEN DE SECTEUR VALCARTIER

 

Date : 18 octobre 2006

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPORAL S.J.D. RAYMOND ET CAPORAL S. ROBERTSON

(Accusés)

 

VERDICT

(Rendu oralement)

 

 

INTRODUCTION

 

[1]                    Les caporaux Raymond et Robertson sont accusés et jugés conjointement par cette cour martiale permanente pour des accusations qui découlent d'un incident qui aurait eu lieu le 24 novembre 2004 à la Garnison Valcartier. Ils sont accusés d'une part aux termes de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale pour une infraction punis­sable à l'article 267b) du Code criminel, soit des voies de fait ayant causé des lésions corporelles. D'autre part, la poursuite a porté une accusation subsidiaire aux termes de l'article 95 de la Loi sur la défense nationale, soit d'avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée. Les détails de ce 2e chef d'accusation allèguent que le mauvais traitement était de nature physique. Les faits entourant ces accusations gravitent autour d'une altercation qui a au lieu au deuxième étage de l'édifice abritant le 3e Bataillon du Royal 22e Régiment, plus précisément dans le secteur des casiers et de l'aire de repos, et ce à l'intérieur des lignes de la compagnie B. Cette altercation aurait eu lieu entre les accusés et le caporal Légaré qui avait le grade de soldat à l'époque des infractions alléguées.

 

 

 

 


La preuve

 

[2]                    La preuve devant cette cour est constituée essentiellement des éléments suivants, soit :

 

Premièrement, les témoignages entendus, et ce dans l'ordre de leur compa­rution devant la cour, soit celui du caporal Légaré ‒‒ la victime alléguée et soldat à l'époque ‒‒ de l'ex-caporal Haché, du caporal-chef Forgues, du caporal Tremblay, ainsi que du caporal Masson. Ces témoins furent appelés par la poursuite. Les témoins aussi entendus sont le caporal Raymond, le caporal Robertson ‒‒ les accusés dans la présente affaire ‒‒ ainsi que le caporal Bouchard et le sergent Charette.

 

Deuxièmement, la pièce 3, soit un dessin préparé par le caporal Légaré durant son témoignage qui identifie les lieux où les incidents se sont déroulés et certaines des personnes présentes à ce moment.

 

Troisièmement, les pièces 4 à 7 qui sont des photographies prises par le policier militaire Masson dont les pièces 5 à 7 qui représentent le haut du corps, ainsi que le visage du caporal Légaré en date du 25 novembre 2004, soit le lendemain des incidents.

 

Et finalement, la connaissance judiciaire prise par la cour des faits et questions qui sont du domaine de l'article 15 des Règles militaires de la preuve.

 

LES FAITS

 

[3]                    Les faits entourant cette cause gravitent autour d'une altercation qui a eu lieu au deuxième étage de l'édifice abritant le 3e Bataillon du Royal 22e Régiment, et comme je l'ai dit auparavant, dans le secteur des casiers de l'aire de repos à l'intérieur des lignes de la compagnie B. L'altercation a eu lieu entre le caporal Légaré, le caporal Raymond et le caporal Robertson. La preuve nous indique que certains faits qui ont précédé l'altercation et d'autres qui se sont déroulés après sont pertinents pour bien comprendre la dynamique et l'état d'esprit des personnes impliquées dans cette affaire au moment où les incidents auraient eu lieu.

 


[4]                    Les événements précurseurs à l'incident du 24 novembre 2004 ont lieu la journée précédente lorsque le soldat Légaré aurait eu une discussion particulièrement animée avec le caporal Brassard qui était responsable de l'organisation d'une marche forcée cette journée-là. La version du caporal Légaré est à l'effet qu'il n'était pas en possession de son équipement pour participer à ladite marche forcée parce qu'il sortait d'un cours de guerre en montagne. Il se serait rendu au bureau de son sergent de peloton pour lui en faire part et ce dernier lui aurait donné l'autorisation de rester avec lui pour accomplir d'autres tâches.

 

[5]                    À sa sortie, le soldat Légaré tombe face-à-face avec le caporal Brassard qui lui demande où est son matériel. Le soldat Légaré lui aurait rétorqué que le sergent lui avait permis de ne pas prendre part à la marche forcée. Selon Légaré, le caporal Brassard se serait mis à l'injurier alors qu'il essayait de lui fournir les raisons pour lesquelles il n'avait pas son équipement. Ce dernier l'aurait traité entre autres de « faufi­le » et du fait qu'il ne s'intégrait pas suffisamment au groupe. C'est alors que la conversa­tion se serait envenimée à un point tel que le caporal Brassard aurait invité le soldat Légaré pour régler leurs différends à l'extérieur; invitation que le soldat Légaré aurait acceptée.

 

[6]                    Selon la version du témoin Légaré, il n'avait aucune intention belliqueuse envers le caporal Brassard et il ne voulait que s'expliquer. L'engueulade se serait pour­suivie à l'intérieur jusqu'au moment où d'autres personnes sortent des bureaux pour leur dire que cela ne se faisait pas de s'invectiver de la sorte.

 

[7]                    La preuve entendue fait état d'une rumeur qui se serait aussitôt mise à circuler, à l'effet qu'un certain soldat offrait de « donner des claques sur la gueule aux caporaux qui en voulaient » ou des mots de cette nature.

 


[8]                    Le lendemain matin, le caporal Tremblay discutait avec le soldat Légaré au premier étage de l'édifice du 3e Bataillon près de l'escalier qui mène au deuxième étage où sont situés les casiers des soldats et des caporaux de la compagnie B. C'est alors que le caporal Robertson aperçoit le soldat Légaré et l'invite à monter à l'étage pour avoir un « O Group » pour discuter. Le soldat Légaré acquiesce et monte. Selon ses dires, il réalise rapidement qu'il s'agit d'un piège. Il rapporte qu'il voit le caporal Raymond enjoin­dre aux autres soldats présents de descendre pour faire en sorte qu'il se retrouve seul en présence d'une dizaine de caporaux, y compris les accusés. Selon le témoin de la pour­suite Haché, c'est plutôt le caporal Robertson qui aurait fait descendre les soldats. Selon le caporal Légaré, le caporal Robertson l'aurait empoigné par le collet avant de le pro­jeter dans les casiers à deux occasions. Il l'aurait invectivé tout comme l'avait fait le caporal Brassard la journée précédente. Il le traite de « faufile » et le réprimande à l'effet que le soldat Légaré n'embarque pas avec eux et qu'il est à part des autres. Selon Légaré, alors qu'il a le dos acculé aux cases comme en fait foi la pièce 3, le caporal Raymond lui assène des coups de coude dans le dos. Toujours selon le caporal Légaré, il signifie à Robertson qu'il ne leur a rien fait et que le problème est plutôt entre lui et le caporal Brassard. Il les questionne d'ailleurs sur son absence lors de ce « O Group ». Le soldat Légaré affirme qu'il aperçoit à ce moment le caporal Brassard surgir et se mettre à lui rire en pleine face. Selon Légaré, Brassard était alors caché derrière les cases. Cette version est toutefois contredite par le témoin Haché qui dit que le caporal Brassard était d'ailleurs assis avec lui dans l'aire de repos près des casiers avant que l'incident ne dégénère.

 

[9]                    Le caporal Légaré a témoigné à l'effet qu'alors qu'il s'adressait au caporal Brassard, le caporal Raymond continuait à lui frapper dans le dos, il s'est retourné et sans jamais baisser les yeux s'est mis à le dévisager. Selon sa version des faits, le caporal Raymond l'aurait empoigné en lui faisant une prise de tête pour l'égorger en lui disant : « C'est qui le boss icitte, c'est nous autres les caporaux ». Il essaie alors de se dégager en utilisant son bras intérieur pour atteindre le visage ou les yeux de Raymond alors qu'il a la tête vers le sol ou vers l'abdomen du caporal Raymond. Légaré nous dit que Robertson l'en empêche en s'interposant avec son bras pour le retenir et en lui prenant les mains. Raymond et Légaré tombent au pied des casiers. Légaré étouffe. Une voix dit : « Il ne respire plus ». Raymond lâche sa prise. Légaré se relève alors que Robertson le tient encore et que Raymond a sa main sur sa gorge. Légaré est accoté le dos aux casiers et Raymond a alors son poing fermé ou « crinqué » et prêt à le frapper au visage. C'est alors que le caporal Tremblay s'interpose en mettant son bras pour empêcher le caporal Raymond de frapper et leur dit : « C'est assez les niaiseries ». Selon le caporal Légaré, les accusés l'ont libéré et ils sont tous redescendus alors que lui et Tremblay demeurent à l'étage pour qu'il y reprenne son souffle.

 

[10]                  Le témoin de la poursuite Haché témoigne qu'il a vu bien peu de choses, mais qu'il a entendu le caporal Robertson avoir la conversation avec le soldat Légaré. Selon Haché, Légaré se serait alors emporté et aurait dit : « Si vous arrêtez pas de m'écoeurer, je vais en taper un ». C'est alors que le caporal Raymond l'aurait invité et qu'un aurait poussé l'autre. Ils se seraient alors empoignés et seraient tombés par terre. Selon lui, un des deux aurait manqué d'air et une personne aurait dit : « C'est assez! » Le tout se serait terminé là selon ce témoin.

 

[11]                  Le caporal-chef Forgues, autre témoin de la poursuite, a témoigné à l'effet qu'il était présent et que les caporaux n'avaient aucune intention agressive lorsqu'ils se sont réunis avec le soldat Légaré. Le but de la réunion ne visait, selon lui, qu'à réitérer au soldat Légaré que lorsqu'un caporal remplace un caporal-chef, il faut l'écouter. Il a dit que c'est le caporal Raymond qui tenait la discussion avec le soldat Légaré. Selon Forgues, il leur faisait face. Il a témoigné à l'effet qu'il a vu le soldat Légaré jeter sa vareuse par terre et regarder le caporal Raymond. Les deux se seraient mis alors à se chamailler.

 


[12]                  Le caporal-chef Tremblay, caporal à l'époque de l'altercation, a corroboré le témoignage du caporal Légaré à l'effet qu'ils discutaient ensemble au pied de l'escalier, mais selon Tremblay c'est plutôt le caporal Raymond qui aurait demandé au plaignant de monter à l'étage. Il aurait entendu alors des bruits de casiers à deux reprises avant qu'il n'y monte lui-même. À son arrivée, ces deux personnes se tiraillaient et le caporal-chef Tremblay s'interpose en les séparant et en disant à Légaré « Relaxe, calme-toi! ». Il remarque que Légaré a le visage rouge, quoiqu'il n'y ait rien de remarquable au visage. Selon lui, Légaré forçait contre lui pour retourner se tirailler contre Raymond. Le caporal-chef Tremblay n'a vu aucun geste porté par le caporal Robertson envers Légaré. Quant aux paroles qu'aurait prononcées Légaré, il a témoigné à l'effet que ce dernier a dit que « Ça ne resterait pas là! » Il ne souvient pas avoir entendu toutefois le soldat Légaré dire qu'il allait se venger.

 

[13]                  Le caporal Bouchard appelé par la défense a témoigné à l'effet que le 24 novembre 2004 alors qu'il suivait un cours avec une vingtaine d'autres caporaux y com­pris les accusés, une personne les informe durant la pause du matin qu'un soldat du 3e Bataillon avait offert des claques sur la gueule à un caporal. C'est alors qu'instinctive­ment, selon les dires du caporal Bouchard, tous se seraient levés parce que, selon lui, cela ne faisait aucun sens et qu'aucun soldat ne pouvait être autorisé à faire une telle chose. Ils sont donc tous montés. Il semble clair, selon la cour, que l'identité du soldat était connue et qu'il s'agissait du soldat Légaré même si le caporal Bouchard, lui, n'avait jamais entendu son nom. Il s'est donc rendu à l'étage dans les lignes de la compagnie B, près des casiers, où le soldat se trouvait. Le caporal Bouchard indique qu'ils sont alors entre 10 et 15 caporaux, ou un nombre autour de cette grandeur-là, dont les accusés ainsi que les caporaux Coulombe, Dubois, Joly, Forgues et le caporal Boivin. À son arrivée, il voit que le soldat est au fond de la pièce et qu'il dit, en s'adressant à ceux qui sont devant lui : « Vous êtes braves d'arriver icitte en gang comme ça! » Le caporal Raymond lui aurait alors dit qu'ils n'étaient pas là pour le battre, mais pour lui parler. Le soldat Légaré aurait alors rétorqué immédiatement : « Je m'en crisse, je n'ai pas peur de personne! » Le caporal Bouchard a témoigné à l'effet qu'il a vu ledit soldat regarder les gens autour de lui ‒‒ il a utilisé l'expression « sizer tout le monde » ‒‒ et déboutonner sa vareuse et la jeter par terre alors que la discussion animée se poursuivait entre Raymond et Légaré. Dix secondes plus tard, c'est alors que le soldat Légaré se serait jeté sur Raymond tel un chant en l'agrippant. Ils se seraient brassés dans les casiers jusqu'au moment où Raymond aurait pris Légaré par le cou et qu'ils se seraient retrouvés tous les deux par terre. En voyant cela, le caporal Bouchard aurait quitté la pièce sur le champ peu impressionné de ce qu'il venait de voir. Il a d'ailleurs utilisé l'expression : « C'est une gang de flos icitte ». Le caporal Bouchard n'aurait rien vu d'autres.

 


[14]                  Les caporaux Robertson et Raymond ont aussi témoigné. Le caporal Robertson nie avoir frappé ou poussé le soldat Légaré dans les cases. Il a fait allusion que la discussion avec le soldat Légaré avait pour but de le ramener dans le droit chemin. Il corrobore le caporal Raymond ainsi que le caporal-chef Tremblay à l'effet que c'est le caporal Raymond qui a demandé au plaignant de monter à l'étage. Il a expliqué que l'endroit choisi était pour s'assurer que ce meeting impromptu ait lieu à l'abri des patrons et des autres soldats. Il affirme avoir demandé à deux soldats de quitter les lieux. Il s'adresse alors à Légaré en lui reprochant son attitude et le fait qu'il ne s'intègre pas au groupe. Il lui reproche également que ce n'est pas correct d'offrir des claques sur la gueule. Selon le caporal Robertson, il demande à Légaré de réfléchir en lui demandant de se mettre dans la situation où ce dernier serait en situation d'autorité ou de commande­ment. Légaré lui aurait répondu en des termes sans équivoque qu'il s'en foutait. Robert­son décide alors de demander au caporal Brassard, présent sur les lieux, de régler ses problèmes avec le soldat Légaré. Brassard prend la parole et il dit à Légaré entre autres : « T'es une faufile ». C'est alors que le soldat Légaré aurait déboutonné sa vareuse l'a jetée par terre en disant : « C'est ça l'armée! Dix contre un, j'ai pas peur de personne. » Alors qu'il est en face de lui, il voit le soldat Légaré s'avancer d'un pas décidé vers le caporal Raymond et lui agrippe le visage de ses mains. Le caporal Raymond le maîtrise en l'emmenant au sol. Les deux se relèvent et il les sépare.

 

[15]                  Quant au caporal Raymond, il corrobore le témoignage du caporal-chef Tremblay et du caporal Robertson à l'effet qu'il a demandé au soldat Légaré de le suivre à l'étage. Il corrobore également le témoignage du caporal Robertson sur la discussion entre ce dernier et le soldat Légaré, ainsi que sur l'arrivée du caporal Brassard qui traite alors Légaré de « faufile » et de la vareuse qui est jetée par terre par Légaré. Le caporal Raymond contredit le caporal Robertson en disant que Légaré s'est avancé vers Brassard et Robertson avec les poings fermés. Il a témoigné qu'il a fait un pas vers l'avant antici­pant une attaque de la part de Légaré. Le soldat Légaré l'aurait alors agrippé au visage. Il aurait répliqué par une prise de tête et un croc-en-jambe qui les projette au sol tous les deux. Il le maîtrise au sol, alors que l'autre se débat. Robertson, Dubois et Tremblay leur disent que c'est assez. Le caporal Raymond lâche alors prise et les deux se relèvent. Selon l'accusé Raymond, le soldat Légaré voulait continuer et il essaie même de lui lancer un coup de poing qui rate la cible. L'incident se termine et selon lui, il n'aurait utilisé que la force nécessaire.

 

[16]                  La preuve indique également que le plaignant est une personne qui a pratiqué le kick-boxing, un sport de combat, pendant une dizaine d'années avant l'alter­cation. La preuve apportée par le sergent Charette nous indique qu'il a eu vent de l'inci­dent par sa conjointe qui est l'amie de la conjointe du soldat Légaré. Il l'aurait appelé aussitôt pour s'enquérir de son état et savoir ce qui s'était passé. Le soldat Légaré aurait dit au sergent Charette au cours d'une conversation téléphonique qu'il avait effectivement enlevé son manteau lors de l'altercation, qu'il était prêt à se battre, mais qu'aucun coup n'avait été donné. Le soldat Légaré lui aurait dit qu'il avait été seulement maîtrisé. Le soldat Légaré a admis avoir eu un tel appel de la part du sergent Charette, mais il a prétendu qu'il ne s'agissait pas là du but principal de cet appel.

 


[17]                  Quant aux blessures, le soldat Légaré en a fait état. Il a notamment fait état d'avoir eu la lèvre fendue lors de cette altercation. Cette blessure l'aurait empêché de manger et boire ce qu'il voulait durant environ une semaine. Les photos faisant l'objet des pièces 5 à 7 démontrent une petite égratignure d'environ deux à trois centimètres à droite du visage près de la lèvre supérieure, ainsi qu'une marque rougeâtre au bas de l'oeil droit. La pièce 7 s'avère d'ailleurs la meilleure représentation du visage du plaignant parce qu'il s'agit d'un plan rapproché. Toutefois, aucune de ces photos ne permet de soutenir les propos du plaignant Légaré en ce qui a trait à sa lèvre fendue. Les photos ne démontrent aucune rougeur, marque, éraflure ou enflure apparente tant de la lèvre supérieure que de la lèvre inférieure. Or, il est en preuve que ces photos furent prises le lendemain de l'incident. Il n'y a également aucune preuve additionnelle devant cette cour sur la nature et les conséquences des marques sur le visage du plaignant Légaré qui apparaissent sur ces photos. Donc, cela complète le résumé de la preuve entendue par cette cour sur laquelle la Cour va rendre sa décision.

 

Le droit applicable et les éléments essentiels des accusations

 

[18]                  Le paragraphe 267 b) du Code criminel se lit en partie comme suit :

 

Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonne­ment maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas :

 

                                                                                     . . .

 

b) inflige des lésions corporelles au plaignant.

 

Outre l'identité des accusés, la date et le lieu tels qu'ils sont allégués à l'acte d'accusation, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable, les éléments essentiels suivants :

 

premièrement, le fait que le caporal Raymond et le caporal Robertson ont employé la force directement ou indirectement contre le caporal Légaré, soldat à l'époque;

 

deuxièmement, le fait que les accusés ont employé cette force de manière illégale contre le caporal Légaré. J'utilise ici cette expression parce que la défense soulève comme moyens de défense soit le consentement de la victime alléguée ou la légitime défense; et

 

finalement, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable le fait que l'agression a causé des lésions corporelles au caporal Légaré qui résulte de l'application de cette force.

 

[19]                  En ce qui a trait au 2e chef d'accusation, subsidiaire au 1er chef d'accusation, outre l'identité des accusés, la date et le lieu tels qu'ils sont allégués à l'acte d'accusation, la poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable, les éléments essentiels suivants pour que la Cour puisse conclure à la commission d'une infraction aux termes de l'article 95 de la Loi sur la défense nationale :

 


premièrement, le fait que le caporal Raymond et le caporal Robertson ont maltraité le caporal Légaré;

 

deuxièmement, le fait que le caporal Légaré leur était subordonné par le grade ou l'emploi;

 

troisièmement, le fait que le mauvais traitement était de nature physique puisque c'est là, la manière que la poursuite a choisi d'alléguer aux détails de l'accusation; et

 

finalement, l'intention coupable des accusés au moment de la commission de l'infraction alléguée.

 

Présomption d'innocence et doute raisonnable

 

[20]                  Qu'il s'agisse d'accusations portées aux termes du code de discipline militaire devant un tribunal militaire ou de procédures qui se déroulent devant un tribunal pénal civil pour des accusations criminelles, une personne accusée est présumée inno­cente jusqu'à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[21]                  Ce fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès. Une personne accusée n'a pas à prouver son innocence. La poursuite doit prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels d'une accusation.

 

[22]                  La preuve hors de tout doute raisonnable ne s'ap­plique pas aux éléments de preuve individuels ou aux différentes parties de la preuve; elle s'applique à l'en­sem­­ble de la preuve sur laquelle s'appuie la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve incombe à la poursuite tout au long du procès et ne se déplace jamais sur les épaules de l'accusé.

 

[23]                  Un tribunal devra trouver l'accusé non coupable s'il y a un doute raison­nable à l'égard de sa culpabilité après avoir évalué l'ensemble de la preuve. L'expression « hors de tout doute raisonnable » est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de l'histoire et des traditions de notre système judiciaire. Dans l'arrêt R. c. Lifchus (1997) 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a établi la façon d'expliquer le doute raisonnable dans un exposé au jury. Les principes de l'arrêt Lifchus ont été appliqués dans plusieurs pourvois subséquents. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imagi­naire ou frivole. Il ne peut être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il doit reposer plutôt sur la raison et le bon sens. Il doit logiquement découler de la preuve ou de l'absence de preuve.

 


[24]                  Dans l'arrêt R. c. Starr (2000) 2 R.C.S. 144, au paragraphe 242, le juge Iacobuci, pour la majorité, a indiqué « qu'une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités. » Il est toutefois opportun de rappeler qu'il est virtuellement impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue, et que la poursuite n'est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve n'existe pas en droit. La poursuite ne doit prouver la culpabilité des accusés, soit le caporal Raymond et le caporal Robertson en l'espèce, que hors de tout doute raisonnable.

 

[25]                  Comme je l'ai indiqué plus tôt, l'approche appropriée relativement à la norme de preuve consiste à évaluer l'ensemble de la preuve et non d'évaluer des éléments de preuve individuels séparément. Il est donc essentiel d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoignages à la lumière e l'ensemble de la preuve.

 

[26]                  Cette norme de preuve hors de tout doute raisonnable s'applique égale­ment aux questions de crédibilité. La Cour n'a pas à décider d'une manière définitive de la cré­di­bilité d'un témoin ou d'un groupe de témoins. Au surplus, la Cour n'a pas à croire en la totalité du témoignage d'une personne ou d'un groupe de personnes.

 

[27]                  Si la Cour a un doute raisonnable relativement à la culpabilité du caporal Raymond qui découle de la crédibilité des témoins, elle doit l'acquitter. Cela s'applique également au caporal Robertson. Lorsque la décision dépend entièrement ou presque entièrement de la crédibilité du plaignant et de celle d'un accusé, la question n'est pas de déterminer laquelle des versions des faits est vraie ou lequel du plaignant ou de l'un ou des deux accusés il faut croire. La question demeure toujours la même : la poursuite a-t-elle fait la preuve de ses prétentions au-delà de tout doute raisonnable?

 

[28]                  Dans de telles circonstances, le droit exige que la Cour trouve l'accusé non coupable :

 

premièrement, si la Cour croit la version d'un accusé, et

 

deuxièmement, même si la Cour ne croit pas l'ac­cu­sé ou l'un d'eux, mais qu'elle a un doute raisonnable en conséquence de leur témoignage, après avoir examiné la déposition ou leur déposition dans le contexte de l'ensemble de la preuve.

 

Finalement, si la Cour, après avoir évalué l'en­semble de la preuve, ne sait pas qui croire ou a un doute raisonnable quant à qui croire, elle doit faire bénéficier ce doute à l'accusé ou dans ce cas-ci, l'un ou l'autre ou les deux, et acquitter en conséquence.

 


[29]                  Tel que souligné par l'avocat de la défense, Me Asselin, c'est à l'arrêt R. c. W.(D.) (1991) 1 R.C.S. 742 à la page 757, que le juge Cory proposa une approche à trois volets lorsque le juge du procès pourrait avoir à donner des directives aux jurés au sujet de la crédibilité dans le contexte de la norme de preuve hors de tout doute raison­nable, et je cite :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifeste­ment vous devez prononcer l'acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

[30]                  Après ces quelques propos sur la présomption d'innocence et la norme de preuve hors de tout doute raisonnable ‒‒ y compris celle qui s'applique aux questions de crédibilité ‒‒ la Cour va maintenant se pencher sur les faits révélés par la preuve en fonction du droit applicable.

 

Les questions en litige

 

[31]                  D'entrée de jeu, les éléments essentiels de l'in­fraction qui portent sur l'identité des accusés, la date et le lieu des infractions ne sont pas contestés. En ce qui a trait au 1er chef d'accusation, soit les voies de fait ayant causé des lésions corporelles, les questions en litige portent sur les points suivants :

 

Premièrement, la légalité des gestes qui auraient été commis par les accusés Raymond et Robertson à l'endroit du caporal Légaré, ou soldat Légaré à l'époque, lors de l'utilisation de la force à son endroit, soit en raison du consentement du caporal Légaré à cet effet ou du droit de l'accusé Raymond, en particulier, à soulever la légitime défense dans les circonstances de cette affaire.

 

Deuxièmement, la suffisance de la preuve en ce qui a trait aux blessures qu'aurait subies le caporal Légaré pour qu'elles constituent des lésions corporelles au sens de la loi. La Cour est d'avis que l'examen de la crédi­bilité des témoins entendus devant cette cour est particulièrement impor­tant pour déterminer si la poursuite s'est acquittée de son fardeau de preuve.

 

[32]                  En ce qui a trait au 2e chef d'accusation, soit d'avoir maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée, la seule question en litige porte sur la détermination par cette cour s'il y a effectivement eu mauvais traitement physique contre le caporal Légaré en se fondant sur la preuve retenue par la Cour.


[33]                  Afin de répondre à ces questions, il est essentiel d'évaluer la crédibilité et la fiabilité des témoignages à la lumière de l'ensemble de la preuve.

 

DÉCISION

 

[34]                  La Cour a examiné attentivement tous les témoignages séparément, mais aussi à la lumière de l'ensemble de la preuve. Il n'existe aucune formule magique pour décider de la crédibilité d'un témoignage ou de la valeur qu'il faut lui accorder. La Cour a entre autres porté attention à l'intégrité et l'intelligence de chacun des témoins, leur faculté d'observation et leur capacité de rapporter ces observations devant la cour. La Cour a considéré leur capa­cité de se souvenir des événements en tenant compte que certains événements ou certains faits peuvent marquer chaque personne de manière différente. La Cour a observé si les témoins en prêtant attention à des facteurs comme, par exemple, si le témoin tentait ou tente honnêtement de dire la vérité, s'il est sincère et franc ou s'il est partial, réticent et évasif. Dans l'évaluation de cette crédibilité de chacun des témoins, la Cour s'est posée plusieurs questions. Le témoin semblait-il honnête? Avait-il une raison particulière de ne pas dire la vérité? Le témoin avait-il un intérêt dans le résultat de l'affaire ou une raison de présenter une preuve favorisant une partie plutôt que l'autre? Le témoin était-il en mesure de présenter des observations exactes et complètes au sujet de l'événement? A-t-il eu l'occasion de le faire? Dans quelles circons­tances les observations ont-elles été faites? Dans quel état se trouvait le témoin? S'agissait-il d'un événement ordinaire ou hors de l'ordinaire? Le témoin a-t-il donné l'impression d'avoir une bonne mémoire? Le témoin a-t-il une raison de se souvenir des événements au sujet duquel il a témoigné? L'incapacité ou la difficulté du témoin à se souvenir des événements semblait-elle véritable ou était-elle utilisé comme une excuse pour éviter de répondre aux questions? Les témoignages étaient-ils cohérents en soi et entre eux? Le témoin a-t-il précédemment dit ou fait quelque chose de différent? Les contradictions dans le témoignage sont-elles si sérieuses qu'elles rendent moins crédibles ou moins fiables ses principaux aspects? La contradiction est-elle importante ou mi­neure? Résulte-t-elle d'une déclaration différente du témoin ou d'une omission de sa part? Peut-elle être expliquée? L'explication a-t-elle du sens? Comment se comportait le témoin lorsqu'il témoignait, sans pour autant y attacher trop d'importance car on sait tous que les apparences sont parfois trompeuses.

 

Le caporal Raymond

 


[35]                  Le caporal Raymond a témoigné devant cette cour. Même si son témoi­gnage semblait très prudent et préparé, il a témoigné de manière directe et sans faux-fuyant. Il ne fait aucun doute pour cette Cour que tant lui que le caporal Robertson avaient pour but d'intimider le soldat Légaré afin de le ramener à l'ordre pour l'incident qui avait eu lieu avec le caporal Brassard le 23 novembre 2004. La Cour est toutefois satisfaite que ce meeting impromptu à l'abri des regards des supérieurs et des autres soldats n'avait pas pour but de s'en prendre physiquement au soldat Légaré. Cette Cour est également d'avis que ce genre de comportement n'est pas acceptable de la part de caporaux. Il s'agit d'une manoeuvre d'intimidation qui n'a pas sa place. Pour en revenir au caporal Raymond, son témoignage est toutefois crédible et généralement corroboré, y compris par certains témoins de la poursuite dont les témoins Haché, Forgues et Tremblay. Il ne fait aucun doute que son témoignage ne concorde pas sur les points principaux avec celui du caporal Légaré, le plaignant dans cette cause. La Cour ne peut conclure, d'après l'ensemble de la preuve, que le caporal Raymond ment sur les questions essentielles, mais la Cour est convaincue qu'il a tenté délibérément de se présenter sous un jour particulièrement favorable notamment dans son récit relativement à ses agisse­ments physiques envers le soldat Légaré.

 

Le caporal Robertson

 

[36]                  Le caporal Robertson est également un témoin relativement crédible. La Cour ne retient pas son témoignage en ce qui concerne les explications qu'il a fournies pour faire en sorte que ce problème devait se régler au plus bas niveau. Comme je l'ai dit plus tôt, il s'agissait d'une manoeuvre délibéré d'intimidation qui a mal tourné. Son témoignage est toutefois largement corroboré.

 

Le caporal Légaré

 

[37]                  Le caporal Légaré, soldat à l'époque, a témoigné d'une manière peu convaincante. Son histoire ne tient pas la route en ce qui concerne l'attaque dont il aurait été victime. La Cour accepte la version de tous les témoins qui ont affirmé qu'il ait dit à qui voulait l'entendre qu'il n'avait peur de personne et qu'il était prêt à se battre en allant même jusqu'à déboutonner sa vareuse et la jeter par terre en soutenant les autres du regard. La Cour ne retient également pas son témoignage sur l'ampleur des blessures qu'il aurait subies, y compris sur une blessure à la lèvre qui n'apparaît aucunement sur les photos déposées devant la cour.

 

L'ex-caporal Haché

 

[38]                  L'ex-caporal Haché, appelé par la poursuite, a affirmé avoir vu peu de choses. La Cour ne le croit pas sur ce point, mais elle ne peut rejeter son témoignage pour cette raison. La Cour retient son témoignage lorsque celui-ci est corroboré.

 

 

 

 

 

Le caporal-chef Forgues

 


[39]                  Le caporal-chef Forgues a également été appelé par la poursuite. Il semblait nerveux, réticent et évasif. Son témoignage ne soutient pas la thèse de la poursuite et la Cour retient son témoignage seulement lorsqu'il est corroboré.

 

Le caporal-chef Tremblay

 

[40]                  Le caporal-chef Tremblay a témoigné de manière claire et précise. Il a témoigné de manière honnête et au meilleur de sa connaissance. Sa crédibilité n'est pas mise en doute. La poursuite a fait état que les premiers bruits entendus par le témoin Tremblay sont survenus lorsque le caporal Robertson aurait poussé le soldat Tremblay[­sic] dans les casiers. Une telle interprétation n'est pas corroborée par un témoin indépen­dant qui aurait pu voir ou enten­dre une telle chose, dont l'ex-caporal Haché, le caporal-chef Forgues ou le caporal Bouchard.

 

Le caporal Bouchard, le sergent Charette et le caporal Masson

 

[41]                  En ce qui a trait au témoignage du caporal Bouchard, il est particulière­ment crédible et convaincant. La Cour ne met aucunement en doute la fiabilité de son témoignage. Il en va de même pour le sergent Charette qui n'a aucun intérêt dans cette affaire. Finalement, la crédibilité du policier militaire Masson ne fait pas l'objet de quelque doute que ce soit pour cette Cour.

 

Analyse du droit à la lumière des faits

 

[42]                  En ce qui concerne l'analyse du droit à la lumière des faits de cette cause, la défense soumet à la cour que la preuve permet d'aborder cette cause par étapes. D'une part, elle invite la Cour à considérer d'abord le 1er chef d'accusation, soit les voies de fait ayant causé les lésions corporelles avant de procéder à l'analyse du 2e chef d'accusation. Elle suggère à cette Cour que l'un ou l'autre des accusés ne pourrait être trouvé coupable du 2e chef d'accusation si la Cour a un doute raisonnable sous le 1er chef d'accusation parce que la poursuite a pris soin de préciser dans les détails du 2e chef d'accusation que le mauvais traitement allégué avait été commis physiquement. La défense soumet que la poursuite ne s'est pas déchargée de son fardeau de preuve, soit d'une part qu'elle n'a pas établi hors de tout doute raisonnable l'absence de consentement du plaignant Légaré; soit d'autre part, que le soldat Raymond a agi en légitime défense lorsqu'il a empoigné le soldat Légaré et l'a maîtrisé au sol. En ce qui a trait à l'accusé, caporal Robertson, la défense soulève qu'il n'a jamais poussé le soldat Légaré et qu'il n'aurait pas une participa­tion suffisante dans l'affaire. La poursuite soumet que les accusés ne peuvent invoquer la légitime défense aux termes des articles 34 et 37 du Code criminel. Selon elle, les accusés ne peuvent soulever la légitime défense dans les circonstances parce qu'elle n'a pas de fondement probant et il ne fait aucun doute, toujours selon la poursuite, que les faits démontrent que l'accusé a commis des voies de fait sur la personne du soldat Légaré qui lui ont causé des lésions corporelles telles qu'il appert de la preuve.


[43]                  Il ressort de l'ensemble de la preuve acceptée par la Cour que la thèse de la poursuite qui s'appuie presque entièrement sur le témoignage du caporal Légaré, soldat à l'époque, ne peut être retenue. L'ensemble de cette preuve acceptée par la Cour démontre sans équivoque que le soldat Légaré a provoqué l'altercation, qu'il était prêt à se battre et qu'il n'avait pas l'intention de reculer devant qui que ce soit. Il est par contre extrêmement malheureux que sa réaction fut directement causée par l'ini­tiative des caporaux Raymond et Robertson qui visait à l'intimider de la bonne vieille manière diraient certains, comportement que la Cour qualifie d'inacceptable dans les circonstan­ces.

 

[44]                  Il ne fait aucun doute que ni le caporal Raymond, ni le caporal Robertson ou n'importe quel autre caporal présent à ce moment voulait s'en prendre physiquement au soldat Légaré. Légaré s'est senti piégé et il a réagi de manière agressive. Le tout a dégénéré et la Cour est satisfaite que la force utilisée à son endroit était minimale dans les circonstances.

 

[45]                  La poursuite n'a pas réussi à prouver hors de tout doute raisonnable que le soldat Légaré n'avait pas consenti à l'échange physique entre lui et le caporal Raymond et la Cour a un doute raisonnable sur la véracité de la théorie qui voudrait que le caporal Robertson ait poussé le soldat Légaré dans les casiers à deux reprises sur la seule foi du témoignage non corroboré de ce dernier, si ce n'est par le témoin Tremblay selon la théorie de la poursuite.

 

[46]                  Au surplus, les témoignages entendus confirment soit la thèse d'un affrontement concerté dont le consentement n'a pas été vicié par des lésions graves voulues ou causées; soit la thèse de la légitime défense par le caporal Raymond qui a agi pour se protéger lui-même ou, selon sa propre version, parce qu'il appréhendait une attaque de la part du soldat Légaré à l'endroit de Brassard ou Robertson. Il faut com­prendre que dans le contexte, l'altercation physique et son prélude se sont déroulés de toute évidence très rapidement. En conséquence, les accusés doivent bénéficier du doute raisonnable.

 


[47]                  Je m'en voudrais de ne pas réitérer à quel point la façon d'agir des caporaux Raymond et Robertson est blâmable et qu'elle a été l'élément déclencheur de cette histoire. Ils ont voulu intimider une personne qui, à tort ou à raison, ne l'a pas accepté. En agissant de la sorte, ils ont tout simplement mis de l'huile sur le feu plutôt que d'informer leur chaîne de commandement du comportement tout à fait inacceptable d'un soldat envers un caporal ou envers un autre caporal par rapport évidemment aux caporaux Raymond et Robertson. Ils ont voulu être juge et partie et ils ont manqué de jugement. Cela ne veut pas dire qu'un caporal ne peut pas avoir une conversation robuste et civilisée envers un soldat pour des manquements qui doivent être corrigés prompte­ment. La Cour dans ses commentaires réfère seulement aux circonstances de cette affaire en ce qui a trait au caractère tout à fait inapproprié de ce genre de comportement collectif visant à intimider un subordonné.

 

[48]                  En ce qui a trait au 2e chef d'accusation, la Cour a également un doute raisonnable à l'effet que le soldat Légaré aurait été maltraité physiquement. La poursuite ayant choisi elle-même de limiter ainsi la commission de l'infraction en rédigeant les détails de cette accusation, la Cour n'a pas à examiner l'ensemble de la preuve en fonction de la possibilité d'un verdict annoté aux termes de l'article 138 de la Loi sur la défense nationale parce qu'une telle différence aurait porté préjudice aux accusés dans la préparation de leur défense. Ainsi la Cour n'a pas à répondre à la question de savoir si la preuve était suffisante pour qu'il y ait eu un mauvais traitement autre que physique envers le soldat Légaré.

 

Dispositif

 

[49]                  Caporal Raymond, levez-vous. Cette Cour vous trouve non coupable du 1er chef d'accusation et non coupable du 2e chef d'accusation. Officier de la cour, qu'on lui remette sa coiffure. Mettez votre coiffure. Venez saluer la cour. Quittez cette salle.

 

[50]                  Caporal Robertson, levez-vous. Cette Cour vous trouve également non coupable du 1er chef d'accusation et non coupable du 2e chef d'accusation. Qu'on lui remette sa coiffure. Saluez la cour et quittez cette salle.

 

 

 

                                                                                           COLONEL M. DUTIL, J.M.C.

 

Avocats :

 

Major J. Caron, Procureur militaire régional, Région de l'est

Capitaine de corvette M. Raymond, Procureur militaire régional, Région de l'est

Avocats de la poursuivante

Me Jean Asselin, Avocat, Labrecque, Robitaille, Roberge, Asselin, 400, boul. Jean‑ Lesage, bur.310, Québec (Québec) G1K 8W1.

Avocat du caporal S.J.D. Raymond et du caporal S. Robertson

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