Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 13 septembre 2005.
Endroit : BFC Trenton, édifice 22, 3e étage, 74 avenue Polaris, Astra (ON).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Une suspension d’instance. Chef d’accusation 2 : Coupable.
• SENTENCE : Une amende au montant de 300$.

Contenu de la décision

 

Citation : R. c. Caporal J.R.M. Grandmont,2005CM43

 

Dossier : S200543

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

BASE DES FORCES CANADIENNES TRENTON

TRENTON, ONTARIO

 

Date : 13 septembre 2005

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU : LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL,

                                                   JUGE MILITAIRE

 

SA MAJESTÉ LA REINE

(Poursuivante)

c.

CAPORAL J.R.M. GRANDMONT

(Accusé)

 

SENTENCE

(Oralement)

 

 

[1]                    Caporal Grandmont, la Cour ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité au 2e chef d'accusation, la Cour vous trouve maintenant coupable du 2e chef d'accusation et elle ordonne une suspension d'instance à l'égard du 1er chef d'accusation.

 

[2]                    Le caporal Grandmont a reconnu sa culpabilité à une accusation portée aux termes de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale pour un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit d'avoir usé de violence contre le caporal R.A. Hayward en employant la force afin de l'introduire dans un véhicule.

 

[3]                    La Cour suprême a reconnu dans l'arrêt R. c. Généreux que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en me­sure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » La Cour suprême a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Ces directives de la Cour suprême ne permettent toutefois pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence composée d'une ou plusieurs peines qui seraient au-delà de ce qui est requis dans les

 


circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit toujours représenter l'intervention minimale requise.

 

[4]                    En déterminant la sentence qu'elle considère être appropriée et minimale dans cette affaire, la Cour a pris en compte les circonstances entourant la commission de l'infraction telle que révélée par le sommaire des circonstances dont vous avez accepté la véracité, la preuve documentaire déposée devant la cour, les témoins entendus notamment l'adjudant-maître Barrett, le sergent Westcott, ainsi que votre propre témoignage. La Cour a pris en compte également les plaidoiries des avocats et la jurisprudence citée dans le cadre d'une analyse des principes applicables en matière de détermination de la sentence.

 

[5]                    La preuve devant cette cour démontre que le samedi 24 avril 2004, vous aviez été chargé d'accomplir des tâches routinières d'inspection de registres et des tests de pressurisation sur un aéronef Hercule CC-130 en compagnie de certains de vos collè­gues y compris le caporal Hayward. Ce dernier était mandaté uniquement pour certifier l'exécution de la tâche des autres techniciens et s'assurer de leur exécution alors qu'il avait une condition médicale qui le limitait à des tâches administratives. La tâche qui lui avait été assignée était d'ailleurs de nature purement administrative. Le sommaire des circonstances indique que les membres de l'équipe d'inspection se sont tous rendus dans l'aire de service et qu'ils sont montés dans un véhicule dans l'attente de se rendre à l'avion, sauf le caporal Hayward qui, lui, manquait à l'appel. Après un certain temps, le caporal Hayward est aperçu près du point de fumage situé près de la ligne d'envol. Le caporal Grandmont se dirige ainsi vers le caporal Hayward qui ne semble pas pressé de partir. Le caporal Hayward dit alors au caporal Grandmont qu'il ne se sentait pas bien, qu'il ressentait de la douleur et qu'il voulait se reposer avant d'aller accomplir la tâche. Le caporal Grandmont savait que son collègue avait une condition médicale, mais il ignorait, selon ses dires, de quel mal souffrait le caporal Hayward. Le caporal Grandmont devient alors rapidement impatient suite aux propos du caporal Hayward notamment en raison du rôle très limité du caporal Hayward, soit d'être présent au moment des inspections et certifier qu'elles avaient été faites. Une escalade verbale s'est donc amorcée entre les deux jusqu'à ce que le caporal Grandmont essuie un autre refus de la part du caporal Hayward. Le caporal Grandmont pose donc son bras sur les épaules du caporal Hayward qui le repousse, à son tour. L'accusé agrippe le caporal Hayward par le bras en le rame­nant vers le véhicule pour l'y pousser de force. Le caporal Grandmont force donc le capo­ral Hayward à s'asseoir et s'appuyer sur le dos du siège du passager avant, en le retenant par la nuque et sous le menton pour quelques secondes, et ce jusqu'à ce que les autres membres de l'équipe d'inspection ne les séparent. Les gestes du caporal Grandmont ont causé une douleur considérable au caporal Hayward pendant et après l'incident, mais il semble qu'il n'en garde aucune séquelle physique, même s'il a été ébranlé, perturbé et angoissé par les événements. Cet incident a fait l'objet d'une enquête policière qui était

 


complétée moins de deux semaines plus tard, soit le 9 mai 2004. Ce n'est toutefois que le 21 septembre 2004 que des accusations furent portées contre le caporal Grandmont. Le 24 novembre 2004, le commandant de l'unité demandait à l'autorité de renvoi de connaî­tre l'accusation, mais ce dossier n'a été transmis au directeur des poursuites militaires que le 1er mars 2005.

 

[6]                    Le poursuite demande à la Cour d'infliger une amende d'au moins 1000 dollars pour assurer le maintien de la discipline. Elle invoque qu'une telle sentence per­mettrait de satisfaire les principes de détermination de la peine applicables en l'espèce, soit la protection du public et des Forces canadiennes, la dissuasion spécifique ainsi que la dénonciation du geste du caporal Grandmont.

 

[7]                    La défense soumet que la Cour devrait infliger une amende de 200 dollars ou moins qui serait assortie d'une peine mineure sous la forme d'un avertissement. D'entrée de jeu, la Cour rejette la recommandation de la défense parce qu'elle n'est pas fondée ni en fait ni en droit. D'une part, l'amende de 200 dollars ou moins n'est pas suffisante dans les circonstances de cette affaire pour assurer le maintien de la discipline et l'intérêt de la justice en prenant compte tant de la gravité subjective que de la gravité objective de l'acte reproché, et ce même si la Cour accepte d'accorder le plus de poids possible aux circonstances particulières de l'accusé. D'autre part, même si la Cour mar­tiale peut imposer une peine mineure aux termes de l'article 104.13 des Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), les peines mineures qu'une cour martiale peut infliger sont toutefois assujetties aux restrictions qui sont imposées au tableau ajouté à l'article 108.24. Or, ledit tableau indique que l'avertissement ne constitue pas une peine concomitante facultative à l'amende. D'ailleurs, l'article 108.38 des ORFC prévoit qu'un avertissement devrait être donné si l'on désire donner un avis officiel à un contrevenant sans imposer d'autre peine. Or, cette cour rejette une telle possibilité puisqu'une telle sentence serait nettement insuffisante dans les circonstances de cette affaire et qu'elle a déjà rejeté la proposition de la défense d'infliger une amende de 200 dollars ou moins.

 

[8]                    Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables en matière de détermination de la sen­tence, quoiqu'ils varient légèrement d'un cas à l'autre. L'importance qui est attribuée à chacun des objectifs et principes doit toutefois être adaptée ou modulée aux circonstances de l'af­faire. Pour contribuer à l'un des objectifs essentiels de la discipline militaire, soit le maintien d'une force armées professionnelle et disciplinée, opérationnelle et efficace, ces objectifs et ces principes peuvent s'énoncer comme suit :

 

premièrement, la protection de la société y compris les Forces canadiennes;

 


deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant;

 

troisièmement, la dissuasion du contrevenant, et quiconque, de commettre les mêmes infractions;

 

quatrièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant;

 

cinquièmement, la proportionnalité à la gravité des infractions et le degré de responsabilité du contrevenant;

 

sixièmement, l'harmonisation des peines; et

 

finalement, la Cour prendra en compte les circonstances atténuantes et aggravantes liées à la situation du contrevenant et à la perpétration des infractions.

 

[9]                    Dans la présente cause, la sentence mettra l'emphase principalement sur la punition et la dénonciation du contrevenant. Contrairement aux prétentions de la poursuite, la Cour croit que les chances de récidive du caporal Grandmont sont extrêmement faibles, voire inexistantes. Il s'agit d'un acte isolé et hors caractère. La Cour ne croit pas qu'il soit nécessaire que la sentence mette l'emphase sur le principe de la dissuasion spécifique de l'accusé. Les conséquences directes et indirectes que le verdict et la sen­tence ont sur le contrevenant sont certes toujours pertinentes, mais le contexte de cette affaire démontre clairement que l'attente du procès lui-même, même si l'accusé est respon­sable des actes qui l'ont amené devant cette cour, a déjà eu un impact significatif dans la progression de carrière de l'accusé même si les gestes reprochés sont relativement mineurs dans l'échelle de gravité des crimes relativement similaires. Il faut bien comprendre que cette cour ne met pas en doute le bien-fondé des autorités militaires d'avoir exercé leur pouvoir discrétionnaire en mettant en veilleuse la candidature de l'accusé pour suivre le cours d'ingénieur de vol dans l'attente des résultats du processus disciplinaire. Force est de constater toutefois que cette décision a eu un impact réel sur sa progression de carrière y compris des pertes financières potentielles de l'ordre de 600 dollars par mois.

 

[10]                  En considérant quelle sentence serait appropriée, la Cour a pris en consi­dération les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants. La Cour considère comme aggravants :

 

Premièrement, la nature de l'infraction et la peine prévue par le législateur. L'article 129 de la Loi sur la défense nationale, prévoit comme

 

 


peine maximale la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Il s'agit d'une infraction objectivement sérieuse.

 

Deuxièmement, l'agressivité et le degré de violence que vous avez démontré envers votre collègue dans les circonstances de l'affaire. Cela n'était ni acceptable, ni justifiable. Votre sens du dévouement et de l'urgence pour accomplir votre tâche ne vous permettait pas d'utiliser quelque violence que ce soit envers votre collègue Hayward. Peut-être doutiez-vous de son sens du devoir et de sa condition médicale réelle, cela ne vous autorisait pas à le traiter comme vous l'avez fait. Sachez que vos explications à l'ef­fet qu'il s'agissait d'une première fois qu'une telle situation vous arrivait et que vous n'aviez pas été formellement éduqué pour faire face à de telles situations ne tiennent pas la route. Vous êtes un militaire d'expérience particulièrement brillant et efficace qui savait ou aurait dû savoir que ce n'est pas la façon de régler les différends entre collègues ou avec des subor­donnés. Votre volonté d'accomplir la tâche qui vous avait été confiée dans les plus brefs délais et à tout prix vous a empêché de mettre les choses en perspective et de faire preuve d'un minimum de souplesse et d'utiliser votre jugement adéquatement.

 

Troisièmement, le manque de compassion que vous avez démontré envers votre collègue. Même si vos supérieurs vous ont décrit comme un bon superviseur, votre comportement envers le caporal Hayward le samedi 24 avril 2004 ne nécessitait pas une telle rigidité à son endroit. Vous n'avez pas cherché à savoir ce qu'il avait ou à comprendre et vous n'avez pas cherché à trouver des solutions. Seule la tâche vous importait et rien ne devait faire obstacle à ce qu'elle soit complétée dans les plus brefs délais. Sachez que l'homme, lui, n'est pas une machine et qu'une certaine dose de compassion et d'écoute attentive sont des outils essentiels à tout bon superviseur. L'accomplissement de la tâche dans les délais prescrits doit être évalué à la lumière d'un ensemble de facteurs, y compris les ressources humaines qui sont mises à notre disposition. La Cour est convaincue que votre comportement serait toutefois différent aujourd'hui.

 

Quant aux facteurs atténuants, la Cour retient les éléments suivants :

 

Premièrement, votre aveu de culpabilité devant cette cour. À la lumière de votre témoignage, la Cour considère que cet aveu est sincère et qu'il signifie que vous regrettez votre geste. Vous avez malheureusement outrepassé les limites permises en vous en prenant physiquement à un collègue qui ne semblait partager ‒‒ selon votre opinion au moment de

 


 

l'acte reproché ‒‒ ni votre enthousiasme, votre dévouement ou votre sens du travail bien fait dans l'accomplissement de vos tâches quotidiennes. La Cour accepte que vous vous soyez laissé emporter parce que vous étiez impatient d'accomplir la tâche qui vous avait été assignée et que vous avez manqué de jugement dans la manière dont vous avez tenté de stimu­ler un collègue qui, bien qu'affaibli physiquement, n'était pas stimulé autant que vous pour accomplir ses fonctions.

 

Deuxièmement, votre rendement avant les événements, et après les évé­nement, c'est-à-dire, jusqu'à aujourd'hui. La preuve devant cette cour ne laisse planer aucun doute de vos qualités tant professionnelles et personnelles. Vous êtes un technicien en avionique dont les connaissances et les performances ont été constamment exemplaires. Votre dévouement et votre ardeur au travail vous valent les plus grands éloges de la part de vos supérieurs et ils sont une source d'inspiration constante auprès de vos collègues selon la preuve qui a été déposée devant cette cour. Il ne fait aucun doute que l'incident du 24 avril 2004 est hors caractère. Vous avez sans doute fait preuve d'impatience. Cela vous était permis et peut s'ex­pliquer, mais cela ne peut servir d'excuse. La Cour peut comprendre que des personnes de votre qualité peuvent parfois être frustrées de constater, à tort ou à raison, que l'éthique de travail de certains collègues est déficiente ou qu'ils la mettent en doute. C'est malheureusement, l'escalade verbale et physique qui s'ensuivit qui n'était pas acceptable. Votre ardeur au travail et votre sens du devoir ne vous permettait pas de traiter votre collègue comme vous l'avez fait. La Cour retient de votre témoignage que vous avez appris votre leçon et que vous auriez recours à un supérieur pour gérer ce genre de situation dans l'avenir au lieu de tenter de recourir à la force pour convaincre un collègue de s'acquitter de sa tâche promptement.

 

Troisièmement, le fait que vous ayez raté de toute évidence deux opportunités de suivre un cour d'ingénieur de vol depuis les incidents en raison des procédures disciplinaires dont vous faites l'objet. Il est en preuve que cette qualification est offerte aux personnes les plus méritantes et que des bénéfices financiers importants y sont rattachés de l'ordre de 600 dollars par mois. Il semble que cette opportunité vous sera offerte en janvier 2006, alors que vous deviez commencer cette formation spécialisée en avril 2005. Il s'agit là d'une conséquence importante quoique indirecte dans les circonstances de cette affaire.

 

 

 


 

Quatrièmement, la Cour retient le délai écoulé depuis la commission de l'infraction pour une affaire qui était, somme toute, peu complexe.

 

[11]                  Caporal Grandmont, veuillez vous lever. Pour ces motifs, la Cour vous condamne à l'amende au montant de 300 dollars. Faites sortir le caporal Grandmont.

 

 

                                           LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M.

 

 

 

Avocats :

 

Major G. Roy, Procureur militaire régional de l'Est

Avocat de la poursuivante

Capitaine de corvette M. Reesink, Directeur du Service des avocats de la défense

Avocat du caporal J.R.M. Grandmont

 

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