Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 497 - Appel rejeté
Date de l'ouverture du procès : 18 septembre 2006
Endroit : BFC Borden, édifice P-153, 633 rue Dieppe, Borden (ON).
Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, trafic (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, possession d’une substance (art. 4(1) LRCDAS).
Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chefs d’accusation 2, 3: Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 40 jours et une amende au montant de 1000 $.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Le soldat C.R. Taylor, 2006 CM 38
Dossier : C200638
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
BASE DES FORCES CANADIENNES BORDEN
Date : Le 22 septembre 2006
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
LE SOLDAT C.R. TAYLOR
(accusé)
DÉCISION RELATIVE À LA CHARTE
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Le soldat Taylor R59 156 399 est accusé d’avoir commis trois infractions punissables en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Il est accusé plus précisément de deux chefs de trafic de cocaïne, une infraction prévue au paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et d’un chef de possession de marijuana, une infraction prévue au paragraphe 4(1) de la même loi.
[2] Le demandeur, l’accusé, a demandé à la cour martiale permanente, en vertu de l’article 112.03 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, d’ordonner la divulgation du nom de l’indicateur appelé source 002 dans le plan de la police. Le Service national des enquêtes des Forces canadiennes a refusé de divulguer ce renseignement au demandeur.
[3] Le demandeur soutient que son innocence est en jeu et qu’il a besoin de connaître l’identité de la source 002 pour avoir une défense pleine et entière. Il fait valoir que la procédure décrite par la Cour suprême du Canada au paragraphe 33 de R. c. Leipert devrait être utilisée pour régler cette question.
[4] La preuve du demandeur était constituée des témoignages de neuf personnes. À sa demande, la cour a aussi pris judiciairement connaissance du guide intitulé Consignes et procédures techniques de la Police militaire, conformément à l’alinéa 16(1)e) des Règles militaires de la preuve.
[5] La défenderesse n’a produit aucune preuve.
PRIVILÈGE RELATIF AUX INDICATEURS
[6] Les avocats des parties se sont référés à des décisions judiciaires dans leur plaidoirie. Ils ont tous deux cité des passages de R. c. Scott et de R. c. Leipert, deux arrêts clés de la Cour suprême du Canada sur le privilège relatif aux indicateurs de police. Leipert incorpore des décisions antérieures sur ce privilège et donne aux tribunaux inférieurs des indications claires à ce sujet.
[7] Je vais maintenant traiter brièvement des principales considérations concernant le privilège relatif aux indicateurs qui ressortent de la jurisprudence canadienne pertinente. Au sujet de l’importance de ce privilège, la Cour suprême a écrit, et je cite :
Le tribunal qui analyse cette question doit, au départ, reconnaître que le privilège relatif aux indicateurs de police constitue une protection ancienne et sacrée qui joue un rôle vital en matière d’application de la loi. Cette protection est fondée sur l’obligation qui incombe à tous les citoyens de contribuer à l’application de la loi. S’acquitter de cette obligation comporte un risque de vengeance de la part des criminels. La règle du privilège relatif aux indicateurs de police a donc été adoptée pour protéger les citoyens qui collaborent à l’application des lois et encourager les autres à en faire autant. Comme l’a dit le juge Cory (maintenant juge de notre Cour) dans l’arrêt R. c. Hunter [...] [un arrêt rendu par la Cour d’appel de l’Ontario en 1987] :
[traduction] La règle interdisant la divulgation de renseignements susceptibles de permettre d’établir l’identité d’un indicateur existe depuis très longtemps. Elle trouve son origine dans l’acceptation de l’importance du rôle des indicateurs dans le dépistage et la répression du crime. On a reconnu que les citoyens ont le devoir de divulguer à la police tout renseignement qu’ils peuvent détenir relativement à la perpétration d’un crime. Les tribunaux ont réalisé très tôt l’importance de dissimuler l’identité des indicateurs, à la fois pour assurer leur propre sécurité et pour encourager les autres à divulguer aux autorités tout renseignement concernant un crime. La règle a été adoptée en vue de réaliser ces objectifs.
La règle revêt une importance fondamentale pour le fonctionnement du système de justice criminelle. Comme on l’explique dans l’arrêt Bisaillon c. Keable, [1983] 2 R.C.S. 60, à la p. 105 :
Le principe confère en effet à l’agent de la paix le pouvoir de promettre explicitement ou implicitement le secret à ses indicateurs, avec la garantie sanctionnée par la loi que cette promesse sera tenue même en cour, et de recueillir en contrepartie de cette promesse, des renseignements sans lesquels il lui serait extrêmement difficile d’exercer ses fonctions et de faire respecter le droit criminel.
Dans l’arrêt R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979, [...] le juge Cory souligne l’importance accrue de la règle dans les enquêtes en matière de drogues :
La valeur des indicateurs pour les enquêtes policières est depuis longtemps reconnue. Depuis que le crime existe, ou du moins depuis qu’il y a des poursuites criminelles, les indicateurs jouent un rôle important dans les enquêtes policières. Peut-être est-il vrai que certains indicateurs agissent contre rémunération ou dans leur propre intérêt. Peu importe leur mobile, les indicateurs sont dans une position précaire et jouent un rôle dangereux.
Le rôle des indicateurs dans les affaires de drogues est particulièrement important et dangereux. Ils fournissent souvent à la police le seul moyen d’obtenir des renseignements sur les opérations et le fonctionnement des réseaux de trafiquants [...] L’enquête repose souvent sur la confiance qui s’établit entre le policier et l’indicateur; or, cette confiance peut être fort longue à obtenir. La sécurité, voire la vie, non seulement des indicateurs mais encore des agents d’infiltrations, dépendent de cette confiance.
[8] Dans Leipert, la juge en chef McLachlin, s’exprimant au nom de la Cour, a confirmé au paragraphe 14 que :
[...] le privilège relatif aux indicateurs de police revêt une telle importance qu’il ne saurait être soupesé en fonction d’autres intérêts. Une fois que son existence est établie, ni la police ni les tribunaux n’ont le pouvoir discrétionnaire de le restreindre.
Elle a ajouté aux paragraphes 17 et 18, au sujet de la portée du privilège relatif aux indicateurs, et je cite :
Compte tenu de son rapport avec l’efficacité fondamentale du droit criminel, le privilège relatif aux indicateurs de police a une large portée. Bien qu’il ait été établi en matière criminelle, il s’applique également en matière civile : Bisaillon c. Keable [...] Il s’applique au témoin appelé à la barre, qui ne peut être contraint de dire s’il est un indicateur de police : Bisaillon c. Keable [...] Il s’applique également à l’indicateur dont l’identité n’est pas révélée, celui qui n’est jamais appelé à témoigner mais qui fournit des renseignements à la police. Sous réserve seulement de l’exception concernant la démonstration de l’innocence de l’accusé, le ministère public et le tribunal doivent s’abstenir d’identifier l’indicateur dont l’identité n’a pas été révélée.
Le privilège relatif aux indicateurs de police empêche non seulement la divulgation de leur nom, mais aussi de tout renseignement susceptible d’en révéler implicitement l’identité. Les tribunaux ont reconnu que même les détails les plus infimes peuvent permettre d’identifier quelqu’un [...]
[9] Ainsi, le privilège relatif aux indicateurs de police ne souffre qu’une exception, soit celle concernant la démonstration de l’innocence de l’accusé. La juge en chef McLachlin a parlé plus longuement de cette exception au paragraphe 20 de Leipert en citant un principe fondamental du système canadien de justice pénale qui avait été énoncé par le juge Cory dans R. c. Scott. Et je cite :
Dans notre système, le droit d’une personne accusée de démontrer son innocence en faisant naître un doute raisonnable au sujet de sa culpabilité a toujours primé.
Elle a ensuite expliqué au paragraphe 21 :
[...] la preuve doit révéler l’existence d’un motif de conclure que la divulgation de l’identité de l’indicateur est nécessaire pour démontrer l’innocence de l’accusé [...]
Elle a ajouté :
[...] la simple supposition [que les renseignements] pourraient être utiles à la défense était insuffisante [...]
[10] S’il est démontré que l’indicateur a été un témoin essentiel du présumé crime ou a agi comme agent provocateur (ou, en d’autres termes, si l’indicateur a incité concrètement l’accusé à commettre le crime (comme le juge Cory l’a écrit dans Scott)), cette preuve révélerait l’existence d’un motif de recourir à l’exception.
[11] Les contestations de mandats de perquisition fondées sur l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés peuvent aussi créer une exception au privilège relatif aux indicateurs. Cette dernière exception à la règle n’a pas été invoquée devant la cour en l’espèce, et la cour ne fera pas davantage de commentaires sur le sujet.
[12] La juge en chef McLachlin a décrit la procédure à suivre par les tribunaux lorsqu’un accusé demande la divulgation de l’information privilégiée ayant trait à un indicateur en invoquant l’exception concernant la démonstration de son innocence. Premièrement, l’accusé doit montrer qu’il existe un motif de conclure que, sans la divulgation demandée, son innocence sera en jeu; deuxièmement, si l’existence d’un tel motif est établie, le tribunal pourra alors examiner l’information en cause pour déterminer si elle est effectivement nécessaire pour prouver l’innocence de l’accusé; troisièmement, s’il conclut que la divulgation est nécessaire, le tribunal ne devra révéler que les renseignements essentiels à l’établissement de l’innocence; quatrièmement, avant de divulguer l’information à l’accusé, la poursuite devrait pouvoir demander la suspension des procédures. Si la poursuite décide d’aller de l’avant, l’accusé pourra se faire communiquer les renseignements essentiels à l’établissement de son innocence.
[13] La cour doit maintenant examiner la preuve présentée dans le cadre de la présente demande préliminaire afin de déterminer si l’accusé a démontré qu’il existe un motif de conclure que la divulgation de l’identité de l’indicateur est nécessaire pour prouver son innocence. Plus précisément, la cour doit décider si la preuve démontre que l’indicateur est un témoin essentiel des présumées infractions ou qu’il a agi comme agent provocateur relativement à ces infractions.
[14] La cour souligne que la preuve présentée par le demandeur avait trait uniquement aux deux accusations de trafic de cocaïne et qu’aucune preuve n’a été produite relativement à l’accusation de possession de marijuana. En conséquence, elle se prononcera seulement sur les deux accusations de trafic de cocaïne.
EXAMEN DE LA PREUVE
[15] La décision d’ordonner la divulgation de l’identité d’un indicateur confidentiel doit être prise avec une prudence extrême et après un examen méticuleux de la preuve produite lors de l’audition de la demande. La cour a examiné toute la preuve avec soin. Elle considère que les témoignages du sergent McLeod, du sergent Turner, du maître de 2e classe Joanisse et du soldat Taylor sont les plus pertinents en l’espèce.
Le soldat Taylor
[16] L’accusé, le demandeur, a été la dernière personne à témoigner lors de l’audition de la présente demande. Lorsque son avocat lui a demandé s’il consommait de la cocaïne, l’accusé a répondu par l’affirmative. L’avocat de la défense lui a ensuite demandé s’il avait été un consommateur de cocaïne dans le passé. Le soldat Taylor a répondu qu’il avait consommé de la cocaïne trois ou quatre fois par mois, mais qu’il avait depuis demandé son admission dans un centre de désintoxication. Lors de son contre‑interrogatoire, il a affirmé qu’il était sorti de ce centre quelques jours auparavant seulement et que sa réponse initiale au sujet de sa consommation actuelle de cocaïne était due à la nervosité.
[17] Le soldat Taylor a déclaré dans son témoignage qu’il n’était pas un trafiquant et qu’il n’avait pas remis ou vendu des stéroïdes au soldat Legresley, même si ce dernier lui en avait fait la demande. Il a affirmé qu’ils, et je cite, [traduction] « se connaissaient depuis longtemps » et qu’ils [traduction] « étaient proches ». Il a aussi dit que c’est le soldat Legresley qui l’avait initié aux drogues sur la base. Il a aussi mentionné qu’il croyait que le soldat Legresley était la source 002.
[18] Lorsque l’avocat de la défense lui a demandé la première fois, au cours de son interrogatoire principal, s’il connaissait l’identité de la source 002, le soldat Taylor a répondu qu’il s’agissait du soldat Legresley. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi il pensait que c’était le soldat Legresley, il a répondu, et je cite, [traduction] « après avoir lu les notes et avoir passé les derniers jours en cour, je crois effectivement qu’il s’agit de Legresley ».
[19] L’avocat de la défense lui a ensuite demandé s’il avait d’autres raisons de croire que le soldat Legresley était la source 002. Le soldat Taylor a alors mentionné que le soldat Legresley lui avait avoué, environ deux mois plus tôt, qu’il était bien la source 002. Lorsqu’on lui a demandé pourquoi le soldat Legresley lui aurait fait un tel aveu, le soldat Taylor a répondu qu’ils [traduction] « se connaissaient depuis longtemps » et que le soldat Legresley [traduction] « se sentait mal » et qu’il était émotif. Le soldat Legresley lui aurait dit aussi qu’il [traduction] « ne savait pas pourquoi il avait agi comme il l’avait fait ».
[20] Au cours de son contre‑interrogatoire, le soldat Taylor ne pouvait pas se rappeler la date exacte à laquelle le sergent McLeod avait déménagé dans sa chambre, mais il a souligné qu’ils entretenaient de bons rapports, qu’[traduction] « ils s’entendaient bien » et qu’[traduction] « il le considérait comme un bon ami ».
[21] Au cours de son contre‑interrogatoire, le soldat Taylor a déclaré que la première réponse qu’il a donné pendant son interrogatoire principal au sujet de sa consommation actuelle de drogues était erronée et était attribuable à sa nervosité, qu’il ne consommait plus de drogues et qu’il était [traduction] « propre ». Il a répondu non à la question de savoir s’il avait déjà vendu de la drogue dans le passé, mais, lorsqu’on lui a demandé s’il accepterait malgré tout de fournir de la cocaïne au soldat (sergent) MacLeod à peine trois jours environ après avoir fait sa connaissance, il a répondu : [traduction] « Oui, madame. »
[22] On a aussi demandé au soldat Taylor, au cours de son contre‑interrogatoire, s’il avait vendu de la cocaïne au sergent McLeod le 3 avril. Le soldat Taylor a répondu que cette question lui avait déjà été posée maintes fois ‑ trois ou quatre fois en fait ‑ et qu’il l’avait fait, et je cite : [traduction] « il a rendu service à un ami ».
[23] Au sujet de la présumée infraction du 5 avril, le soldat Taylor a déclaré qu’il [traduction] « n’avait aucun souvenir de cette vente ». Lorsqu’on lui a demandé s’il se souvenait de la vente du 3, il a répondu : [traduction] « Oui, madame. »
[24] Lorsque la procureure de la défenderesse a voulu savoir, lors du contre‑interrogatoire, si la source 002 était présente lors de la première vente le 3 avril, le soldat Taylor a répondu par la négative. Lorsqu’elle a voulu savoir si la source 002 était présente lors de la deuxième vente survenue le 5 avril, le soldat Taylor a répondu qu’il [traduction] « n’avait aucun souvenir de la transaction qui était survenue, de l’argent a changé de mains ». Il a ajouté, et je cite, [traduction] « j’étais peut‑être défoncé, je planais peut‑être complètement ». Il a reconnu qu’il n’avait pas une très bonne mémoire et qu’il [traduction] « se rappelait seulement certaines choses ».
[25] Au cours de son contre‑interrogatoire, le soldat Taylor ne pouvait pas affirmer que de la cocaïne avait été achetée pendant qu’il se promenait en voiture dans les environs d’Angus avec le soldat Legresley.
Le sergent McLeod
[26] Le sergent McLeod, ou le soldat McLeod comme il se faisait appeler pendant l’opération BORGUS, était l’agent d’infiltration chargé de prendre contact avec le soldat Taylor. Pendant la partie de son interrogatoire principal portant sur la présumée infraction du 5 avril, l’avocat du demandeur lui a demandé s’[traduction] « il serait exact de dire que le soldat Legresley est directement impliqué ». Le sergent McLeod a répondu que le soldat Legresley n’était pas directement impliqué et que c’est le soldat Taylor qui était la cible de l’opération. Il a ajouté qu’il avait dit au soldat Taylor qu’il traiterait seulement avec lui et qu’aucune transaction n’avait été conclue en présence du soldat Legresley. Même s’il a dit que le soldat Legresley, et je cite, [traduction] « attendait dans le couloir », le sergent McLeod a précisé qu’il discutait d’un achat de cocaïne avec le soldat Taylor et qu’il avait dit à ce dernier qu’il ne voulait pas que d’autres personnes [traduction] « soient au courant de ses affaires ».
[27] Le sergent McLeod a aussi déclaré que l’opération visait le soldat Legresley. Il avait été informé de manière générale au sujet des démarches préalables et des quatre cibles désignées par l’enquête préliminaire. Il a aussi mentionné qu’il avait [traduction] « acheté deux ou trois fois de la cocaïne au soldat Legresley ». Il a confirmé, au cours de son contre‑interrogatoire, qu’il avait commencé son travail d’infiltration le 30 mars 2005.
Le sergent Turner
[28] Le sergent Turner était l’enquêteur en chef de l’opération BORGUS. Il a déclaré dans son témoignage qu’il avait parlé à la source 002 le 15 janvier 2005 et qu’il avait ensuite préparé un rapport concernant la source le jour même. Le rapport lui a été présenté afin de lui rafraîchir la mémoire, et il a confirmé que le soldat Taylor et trois autres personnes étaient nommés dans le rapport. Il a aussi confirmé que le nom du soldat Skinner s’y trouvait. Ce rapport contient des renseignements fournis par la source 002 selon lesquels le soldat Taylor, le soldat Campbell et le soldat Turner avaient pris contact avec la source les 14 et 15 janvier dans l’espoir de [traduction] « se procurer de la cocaïne ».
[29] Le plan d’enquête de l’opération BORGUS a été préparé par le sergent Turner le 17 février 2005. Il y était question de deux sources d’information. Deux personnes étaient nommées dans le plan : le soldat Skinner et le soldat Roy. Le plan indiquait également que la source 002 était le principal trafiquant de drogues au CFCR, mais qu’elle avait cessé de vendre de la drogue et [traduction] « voulait reprendre sa vie en main ». Le sergent Turner a lu cette information tirée de son plan d’enquête.
[30] En l’espace de cinq minutes, l’avocat du demandeur a demandé à trois reprises au sergent Turner si, dans le plan, la source 002 était une cible d’occasion et à deux reprises si la source 002 était une cible. Dans le même court laps de temps, on a aussi demandé deux fois au sergent Turner qui était la cible d’occasion et une fois qui étaient les cibles désignées dans le plan.
[31] Le sergent Turner a déclaré dans son témoignage que les cibles désignées dans le plan étaient le soldat Roy et le soldat Skinner. La première fois qu’on lui a demandé qui étaient les cibles d’occasion, le sergent Turner a répondu qu’il s’agissait de toutes les personnes identifiées par l’agent d’infiltration participant à l’opération. Lorsqu’on lui a demandé si la source 002 était une cible d’occasion, le sergent Turner a déclaré que, selon des renseignements transmis par une autre source, la source 002 et le soldat Taylor consommaient de la cocaïne.
[32] Lors de la séance d’information avec son équipe, le sergent Turner a mentionné que le soldat Taylor et le soldat Legresley étaient aussi devenus des cibles d’occasion. L’avocat du demandeur lui a immédiatement demandé s’il se rappelait si la source 002 était désignée comme une cible d’occasion dans le plan. Le sergent Turner a répondu que ce qu’on lui demandait, c’était d’identifier la source 002. L’avocat du demandeur a avancé qu’il y avait plusieurs cibles désignées dans le plan, et le sergent Turner a acquiescé à ce commentaire. L’avocat du demandeur lui a ensuite demandé si la source 002 était l’une de ces cibles. Le sergent Turner a déclaré qu’il révélerait l’identité d’un indicateur confidentiel en répondant à cette question. Il a ajouté que la source 002 n’était pas mentionnée comme cible dans le plan. On lui a ensuite demandé si le nom du soldat Taylor figurait dans le plan. Après avoir consulté le plan pour se rafraîchir la mémoire, le sergent Turner a confirmé que le soldat Taylor n’y était pas désigné comme cible.
[33] On a demandé au sergent Turner qui étaient les cibles d’occasion dans le plan. Il a répondu que les deux cibles nommées dans le plan étaient le soldat Skinner et le soldat Roy. On lui a posé la question une deuxième fois et il a donné la même réponse. Finalement, on lui a demandé si la source 002 pouvait être une cible, ce à quoi il a répondu qu’il ne le croyait pas [traduction] « en ce qui concernait ce plan ».
[34] Pendant son contre‑interrogatoire, le sergent Turner a expliqué que la source 002 était un indicateur et non un agent. Il a expliqué la différence entre un agent et un indicateur. Il a déclaré que la source 002 avait cessé de transmettre des renseignements à la police militaire avant le début de l’opération. On a confirmé que la source 002 était impliquée dans des activités illégales pendant l’opération et que cette personne était alors [traduction] « traitée comme toutes les autres ». Le sergent Turner a aussi déclaré qu’il y avait deux sources pour cette opération et qu’il s’était fié à l’information fournie par la source 001.
Le maître de 2e classe Joanisse
[35] Le maître de 2e classe Joanisse travaillait au sein de la section des renseignements criminels de la police militaire à Ottawa pendant la période pertinente. Il a décrit comment il avait rédigé l’évaluation des renseignements criminels. Il a précisé qu’il s’était fondé sur les rapports concernant la source fournis par l’enquêteur et sur d’autres dossiers pertinents de la police. Il a confirmé que l’évaluation des renseignements criminels est un outil d’enquête. Ce document est préparé au début de l’enquête parce qu’il est plus facile à lire que le rapport habituel de la PM. L’évaluation des renseignements criminels concernant l’opération BORGUS a été imprimée le 17 mars 2005.
[36] Le maître de 2e classe Joanisse a consulté l’évaluation des renseignements criminels de l’opération BORGUS pour se rafraîchir la mémoire avant de répondre aux questions du demandeur. Le soldat Roy et le soldat Skinner ont été désignés comme étant les cibles. Le maître de 2e classe Joanisse a aussi indiqué que l’évaluation renfermait des renseignements fournis par la source 002 sur le soldat Taylor. La source 002 avait transmis des renseignements selon lesquels le soldat Taylor était un vendeur de stéroïdes car il avait offert de lui vendre dix ampoules de stéroïdes.
APPLICATION DES FAITS À LA JURISPRUDENCE
[37] Que doit faire la cour? Selon Bisaillon c. Keable, il incombe à la défense de révéler l’existence d’un motif qui justifie qu’il soit porté atteinte à ce privilège exceptionnel. Dans R. c. Garofoli, [1990] 2 R.C.S. 1421, (1990), 60 C.C.C. 161, le juge Sopinka de la Cour suprême du Canada a conclu que le juge du procès doit soupeser l’importance de l’identité de l’indicateur pour la thèse de l’accusé et le préjudice que causerait la divulgation à l’indicateur et en matière d’application de la loi.
[38] Le demandeur invoque l’exception concernant la démonstration de son innocence et prétend que l’indicateur confidentiel était soit un témoin essentiel soit un agent provocateur. Les témoignages les plus pertinents en l’espèce sont ceux du sergent McLeod, du sergent Turner et du soldat Taylor.
TÉMOIN ESSENTIEL DE L’INFRACTION
[39] Le soldat Taylor a expliqué pourquoi il pense que le soldat Legresley est l’indicateur confidentiel 002. Lorsque son avocat lui a demandé pourquoi il voulait que l’identité de cet indicateur soit révélée, il a répondu qu’il voulait que le soldat Legresley dise la vérité au sujet des accusations. Selon les témoignages du sergent Turner et du maître de 2e classe Joanisse, la source 002 a allégué que le soldat Taylor avait essayé de lui vendre des stéroïdes.
[40] Lorsqu’on lui a demandé, au cours de son contre‑interrogatoire, s’il savait ce que la source 002 dirait à la cour si son identité était révélée, le soldat Taylor a répondu qu’il n’en était pas certain. Il a ensuite répondu par l’affirmative à la question de savoir s’il se demandait ce que la source 002 dirait à la cour. Le soldat Taylor a admis que le soldat Legresley ‑ la source 002 selon lui ‑ n’était pas présent lors de la première présumée transaction de cocaïne. Il a reconnu n’avoir presque aucun souvenir de la deuxième transaction parce qu’il était [traduction] « défoncé » ou qu’il [traduction] « planai[t] [...] complètement ».
[41] Le sergent McLeod a déclaré dans son témoignage qu’il s’était assuré que ses transactions avec le soldat Taylor ne se fassent pas en présence du soldat Legresley.
AGENT PROVOCATEUR
[42] Dans R. c. Babes (2000), 146 C.C.C. (3d) 465, la Cour d’appel de l’Ontario a fait une distinction entre les agents et les indicateurs :
[traduction] De manière générale, la différence entre un indicateur et un agent réside dans le fait que le premier fournit simplement des renseignements à la police, tandis que le deuxième agit sous les ordres de la police et participe activement à la transaction illégale d’une quelconque façon [...]
[42] Dans R. c. Scott, le juge Cory a décrit dans les termes suivants l’agent provocateur : « l’indicateur qui incite concrètement l’accusé à commettre un crime ».
[43] Dans le cas présent, le sergent Turner a déclaré dans son témoignage que la source 002 était un indicateur et non un agent. Il a défini chaque terme correctement. Il a affirmé que la source 002 avait cessé de fournir des renseignements à la police militaire avant le début de l’opération et qu’elle était devenue une cible lorsqu’on avait découvert qu’elle était impliquée dans des activités illégales.
[44] Le soldat Taylor n’a pas témoigné au sujet de la participation possible du soldat Legresley à la première présumée infraction. Il a toutefois reconnu qu’il ne se rappelait pas tous les faits concernant la deuxième présumée infraction, mais seulement [traduction] « certaines choses » parce qu’il [traduction] « planai[t] peut‑être complètement » ou était peut‑être [traduction] « défoncé ». Il n’a pas dit dans son témoignage que le soldat Legresley avait joué un rôle dans ses affaires avec le sergent McLeod. La crédibilité du soldat Taylor n’est pas mise en doute à cet égard.
DÉCISION
[45] Aucune preuve indiquant que la source 002 ou le soldat Legresley aurait été un instigateur ou un participant actif de l’une ou l’autre des présumées infractions de trafic de cocaïne n’a été produite par le demandeur ou par les autres témoins. Selon R. c. Leipert, la simple supposition que les renseignements pourraient être utiles est insuffisante; il resterait peu de chose du privilège relatif aux indicateurs si une simple supposition était suffisante pour le lever.
[46] La cour ne souscrit pas à l’argument du demandeur selon lequel la présente affaire est exceptionnelle. La cour estime que le demandeur n’a produit aucune preuve démontrant que la source 002 est un témoin essentiel ou a agi comme un agent provocateur dans le cadre de l’une ou l’autre des présumées infractions de trafic de cocaïne. En conséquence, il n’est pas nécessaire de poursuivre la procédure établie dans Leipert.
[47] Pour ces motifs, la cour rejette la demande qui lui a été présentée afin qu’elle ordonne que l’identité de l’indicateur désigné dans le plan de la police comme la source 002 soit révélée à l’accusé.
[48] La présente audience tenue en vertu de l’article 112.03 des ORFC est levée.
LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, j.m.
Avocats :
La major J.J.L.G. Caron, Direction des poursuites militaires
Procureure de Sa Majesté la Reine
Le capitaine de corvette M. Reesink, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du soldat Taylor