Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CACM 547 - Appel abandonné

Date de l'ouverture du procès : 9 mai 2011

Endroit : Le manège militaire Sault Ste Marie, 375 rue Pine, Sault Ste Marie (ON)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICT : Chef d'accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Olive, 2011 CM 2009

 

Date:  20110512

Dossier :  201113

 

Cour martiale permanente

 

Manège militaire de Sault Ste. Marie

Sault Ste. Marie (Ontario) Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent R.R. Olive, accusé

 

 

En présence du Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M. 

 


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Sergent Olive, veuillez vous lever. La Cour vous déclare coupable de l’infraction. Vous pouvez vous asseoir.

 

[2]               Le Sergent Randy Olive fait face à un chef d’accusation pour une infraction relative à un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale. Les détails indiquent qu’il :

 

[traduction] […] entre août 2010 et septembre 2010, a expédié de Kandahar, en Afghanistan, à sa résidence à Sault Ste. Marie, en Ontario, deux AK-74, un AK-47 et trois chargeurs de 30 cartouches, en contravention de l’ordre permanent de théâtre 108 de la Force opérationnelle en Afghanistan.

 

[3]               Un exposé conjoint des faits m’a été régulièrement présenté comme pièce 3. Compte tenu de cet élément de preuve, je conclus que le Sergent Olive a été envoyé en Afghanistan pour une période de sept mois s’étendant du 1er mai au 22 novembre 2010, où il travaillait avec l’équipe de la COCIM de la Force opérationnelle de Kandahar pour assurer la coopération civilo-militaire. Le 17 septembre 2010, des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada située à Trenton (Ontario) ont intercepté un colis provenant de l’Afghanistan. La déclaration douanière et l’étiquette d’expédition de Postes Canada apposées sur le colis indiquaient que le Sergent Randy Olive était l’expéditeur et Randy Olive le destinataire, et que le colis était adressé à la résidence du Sergent Olive à Sault Ste. Marie. Le colis contenait deux fusils d’assaut AK-74 et deux chargeurs à 30 cartouches. Les articles ont été saisis et remis à la police militaire. L’inspection des articles saisis a révélé que les fusils avaient été rendus inutilisables. Il manquait des boulons et des ressorts de rappel et les barils étaient soudés. Le 24 octobre 2010, des policiers militaires se sont rendus à la résidence du Sergent Olive à Sault Ste. Marie où ils ont récupéré un fusil d’assaut AK-47 et un chargeur à 30 cartouches dans un colis provenant de l’Afghanistan. Encore une fois, la déclaration douanière et l’étiquette d’expédition de Postes Canada indiquaient que le Sergent R.R. Olive était l’expéditeur et Randy Olive le destinataire. Là encore, une inspection a révélé que l’arme était inutilisable parce qu’il manquait des pièces et que le baril était soudé.

 

[4]               Entre-temps, le 17 octobre, le Sergent Olive a été arrêté par un policier militaire,  le Caporal‑chef Mullins, pendant qu’ils se trouvaient tous les deux dans un hélicoptère Chinook qui retournait à Kandahar en provenance d’une base d’opérations avancée. Le Sergent Olive a été transporté à la base de la police militaire à Kandahar et a été gardé en détention jusqu’au lendemain. Le lendemain matin, le 18 octobre 2010, le Sergent Olive a été interrogé par le Caporal‑chef Mullins. À la demande de l’avocat, la cour a tenu un voir-dire pour déterminer l’admissibilité des déclarations faites par le Sergent Olive pendant cet interrogatoire. À la fin des plaidoiries, j’ai décidé que les déclarations étaient admissibles et je me suis engagé à fournir les motifs de ma décision.

 

[5]               Le droit régissant l’admissibilité en preuve des déclarations faites par un accusé à une personne en situation d’autorité est bien établi. En common law, de telles déclarations sont inadmissibles à moins qu’elles soient volontaires. Une personne en situation d’autorité s’entend généralement de celle qui participe à l’arrestation, à la détention, à l’interrogation ou à la poursuite d’un accusé. Et il ne fait aucun doute que le Caporal‑chef Mullins était une personne en situation d’autorité au moment où il a arrêté et interrogé le Sergent Olive. Il incombe à la poursuite de convaincre la cour hors de tout doute raisonnable que la déclaration faite par le Sergent Olive au Caporal‑chef Mullins était de nature volontaire avant qu’elle puisse être admise en preuve.

 

[6]               En droit, une déclaration « volontaire » a un sens bien établi. Dans R. c. Oickle, 2000 CSC 38, la Cour suprême du Canada a reformulé le droit relatif au caractère volontaire des confessions. Le juge Iacobucci a rendu le jugement de la Cour et a indiqué ce qui suit :

 

[L]a règle des confessions s’attache à la question du caractère volontaire, considérée au sens large [puisqu’u]ne des principales raisons de cette [règle] est le fait que les confessions non volontaires risquent davantage que les autres de ne pas être fiables. [Renvoi paragraphe 32.]

 

            Dans l’arrêt ultérieur R. c. Spencer, 2007 CSC 11, la Cour suprême du Canada a examiné son jugement antérieur dans Oickle. La juge Deschamps, au nom de la majorité de la Cour, a indiqué ce qui suit au paragraphe 12 :

 

Dans l’arrêt Oickle, la Cour a reconnu qu’il faut tenir compte de plusieurs facteurs pour déterminer s’il existe un doute raisonnable quant au caractère volontaire d’une déclaration faite à une personne en situation d’autorité, y compris l’existence de menaces ou de promesses, l’oppression, la théorie de l’état d’esprit conscient et les ruses policières. Les menaces ou promesses, l’oppression et la théorie de l’état d’esprit conscient sont des éléments qui doivent être examinés globalement et ne doivent « pas être considéré[s] comme une enquête distincte, complètement dissociée du reste de la règle des confessions » (Oickle, par. 63). Par ailleurs, le recours par les « policiers […] [à] des ruses » en vue d’obtenir une confession fait appel à [une analyse distincte […] [qui] vise plus précisément à préserver l’intégrité du système de justice pénale » (par. 65).

 

[7]               En l’espèce, les observations de l’avocat portaient principalement sur l’existence et l’effet des promesses ou des menaces qui auraient été faites par le Caporal‑chef Mullins à l’égard du Sergent Olive. Le Caporal‑chef Mullins était le seul témoin de la poursuite lors du voir-dire. Il a affirmé qu’il est un policier militaire depuis 10 ans. En octobre 2010, il était le sous-officier responsable de la section des enquêtes à Kandahar.  Sur la base de renseignements qu’il a reçus du Canada, il s’est rendu à une base d’opérations avancée par hélicoptère pour arrêter le Sergent Olive. Pendant le vol de retour, il s’est présenté au Sergent Olive et l’a arrêté. Il n’y a eu aucune communication importante pendant le vol en direction de Kandahar, car l’hélicoptère était bruyant et sombre. L’hélicoptère a atterri dans une petite aérogare. Ensuite, le Caporal‑chef Mullins a informé le Sergent Olive qu’il était soupçonné d’avoir transporté des armes par Postes Canada. Il lui a lu une mise en garde et lui a dit qu’il voulait l’interroger. Ils sont montés à bord d’un véhicule de la police, décrit comme étant un VUS, et ils se sont rendus à la base de la police militaire. Pendant le court trajet, le Caporal‑chef Mullins a affirmé avoir discuté de ce que la police militaire savait à propos des deux colis. Le Sergent Olive lui a demandé quelle était la réaction de la chaîne de commandement et le Caporal‑chef Mullins lui a répondu qu’il y avait une enquête et qu’il ne pouvait pas lui dire ce que la chaîne de commandement allait faire. Le Caporal‑chef Mullins a dit qu’à ce moment-là, il ne voulait plus en parler, car le Sergent Olive et lui étaient fatigués. Selon le Caporal‑chef Mullins, le Sergent Olive semblait avoir très peur. Il lui a donné 20 pages tirées des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, ainsi que du papier et un crayon afin que le Sergent Olive puisse rédiger ses observations écrites sur le fait qu’il était détenu sous garde militaire. Le Caporal‑chef Mullins a donné un peu de nourriture au Sergent Olive, l’a laissé dans une cellule et est allé se coucher.

 

[8]               Le matin suivant, le Caporal‑chef Mullins a interrogé le Sergent Olive. L’interrogatoire a été enregistré sur bande vidéo et sur bande audio à la connaissance du Sergent Olive. L’enregistrement a été admis en preuve lors du voir-dire; il est devenu la pièce 4 au procès à la suite de la décision rendue lors du voir-dire. Une transcription de l’interrogatoire a été fournie pour accommoder la cour, mais elle n’a pas été jointe comme pièce. L’enregistrement démontre qu’au moment de l’interrogatoire le matin du 18 octobre, le Sergent Olive était alerte et semblait bien reposé. Il a reçu une mise en garde, comme la veille, à propos de la valeur probante de ses déclarations et une autre mise en garde explicite. Il a immédiatement et totalement coopéré avec le Caporal‑chef Mullins. Il a répondu aux questions qui lui ont été posées de manière réceptive et sans hésitation. Vers la fin de l’enregistrement, le Sergent Olive s’est vu offrir la possibilité de préparer une déclaration écrite d’une page, ce qu’il a accepté. Il a donc été laissé seul pendant ce temps. Pendant l’interrogatoire, comme nous pouvons le constater dans l’enregistrement, les deux parties étaient polies, respectueuses et professionnelles.

 

[9]               Le Sergent Olive a témoigné pendant le voir-dire. Il a affirmé que pendant qu’ils étaient dans le VUS, en direction de la base de la police militaire, le Caporal‑chef Mullins lui a dit que des fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada avaient intercepté des armes, qu’ils étaient furieux et qu’ils voulaient conserver leur compétence sur l’affaire, qu’ils envisageaient de porter des accusations d’importation, et peut-être de trafic, et que les accusations pouvaient entraîner une peine d’emprisonnement de 15 ans. Selon le témoignage du Sergent Olive, le Caporal‑chef Mullins lui aurait dit qu’il, Mullins, s’était battu avec l’ASFC pour avoir compétence et qu’il, Olive, était chanceux que l’armée ait compétence, car si l’ASFC avait été saisie de l’affaire, il aurait pu écoper d’une peine d’emprisonnement allant jusqu’à 15 ans et d’un casier judiciaire. Le Caporal‑chef Mullins a déclaré que la chaîne de commandement espérait qu’il coopère, que sa coopération serait bien vue et que les accusations ne seraient pas aussi graves. Dans le véhicule, le Caporal‑chef Mullins a montré au Sergent Olive un mandat l’autorisant à fouiller sa trousse ainsi que les endroits où il habitait. Le Caporal‑chef Mullins a dit avoir d’autres mandats pour fouiller sa trousse et sa résidence. Le Sergent Olive a compris qu’il parlait de sa maison à Sault Ste. Marie où il habitait avec sa famille. Selon le témoignage du Sergent Olive, le Caporal‑chef Mullins a affirmé que s’il coopérait, seule sa trousse serait fouillée, mais sinon, sa maison serait saccagée. Le Sergent Olive a ajouté qu’il était terrifié à l’idée que les autorités de l’ASFC soient saisies de l’affaire et qu’il soit condamné à une longue peine d’emprisonnement. Il a réfléchi à sa situation et a décidé de coopérer avec le Caporal‑chef Mullins. Il a donc subi un interrogatoire le lendemain matin parce qu’il pensait que la chaîne de commandement verrait sa coopération d’un bon œil et déciderait de ne pas donner l’enquête aux autorités de l’ASFC. C’est la raison pour laquelle il a parlé au Caporal‑chef Mullins pendant son interrogatoire de la troisième arme qui se trouvait chez lui au Canada. Il savait qu’il était enregistré sur bande vidéo et audio et il voulait paraître coopératif, mais il a coopéré seulement parce qu’il croyait que l’affaire serait autrement donnée aux autorités civiles et parce qu’il ne voulait pas que les enquêteurs saccagent sa maison.

 

[10]           Le Caporal‑chef Mullins a été contre-interrogé sur les points soulevés par le Sergent Olive pendant son interrogatoire principal à propos de la conversation qu’ils ont eue dans le VUS. Le Caporal‑chef a déclaré qu’il ne se souvenait pas avoir dit au Sergent Olive que les autorités de l’ASFC étaient furieuses. Il a affirmé ne pas se souvenir des détails de cette conversation, mais qu’il ne dirait pas une telle chose. Il ne se souvient pas d’avoir dit que l’ASFC voulait accuser le Sergent Olive de trafic et il a nié avoir dit au Sergent Olive que la peine maximale serait 15 ans d’emprisonnement si l’ASFC était saisie de l’affaire. Il a nié avoir dit au Sergent Olive que s’il coopérait, l’armée s’occuperait de l’affaire et il n’aurait pas de casier judiciaire. Selon son témoignage, il ne se souvient pas d’avoir montré un mandat de perquisition au Sergent Olive l’autorisant à fouiller la maison, mais il affirme qu’il ne pensait pas à ce moment‑là avoir de raisons d’obtenir un mandat lui permettant de fouiller la maison. Il a nié avoir dit au Sergent Olive que la police pouvait saccager sa résidence.

 

[11]           Il est clair et évident qu’il y a des contradictions importantes entre le témoignage du Caporal‑chef Mullins et celui du Sergent Olive en ce qui concerne les propos tenus par le Caporal‑chef dans le VUS. Somme toute, je préfère le témoignage du Caporal‑chef Mullins sur les points contradictoires. Il m’a semblé être un enquêteur consciencieux, compétent et conscient des limites de son pouvoir. Au moment où il s’est entretenu avec le Sergent Olive dans le VUS, il venait tout juste de le rencontrer et il commençait à lui parler. Le Caporal‑chef Mullins n’avait aucune raison à ce moment-là de supposer que le Sergent Olive ne collaborerait pas en répondant à ses questions. Le Caporal‑chef Mullins n’avait tout simplement aucune raison, si peu de temps après avoir fait sa connaissance, de supposer que le Sergent Olive ne collaborerait pas à son enquête ou que les menaces ou promesses que lui attribue le Sergent Olive seraient nécessaires pour obtenir sa collaboration. J’ai eu l’occasion de regarder l’enregistrement vidéo de l’interaction entre le Caporal‑chef et le Sergent qui a duré environ 40 minutes. Lors de l’enregistrement, le Caporal‑chef donne l’image d’un enquêteur calme, professionnel et méticuleux qui respecte rigoureusement les droits et intérêts du Sergent Olive. J’estime que ce comportement ne s’accorde pas du tout avec l’impression donnée par le Sergent Olive concernant les déclarations faites par le Caporal‑chef Mullins dans le VUS. Je n’accepte tout simplement pas le témoignage du Sergent Olive à propos de ce qui s’est produit dans le VUS.

 

[12]           Je n’accepte pas le témoignage du Sergent Olive quand il dit que le Caporal‑chef a menacé de saccager sa maison dans le cadre de l’exécution d’un mandat de perquisition. Vu les témoignages que j’ai entendus, il n’y avait aucun motif raisonnable de supposer qu’une autre arme pouvait se trouver dans la résidence du Sergent Olive au Canada jusqu’à ce que ce dernier en parle lors de l’interrogatoire. Jusque-là, il aurait été impossible d’obtenir un mandat de perquisition pour la maison au Canada. J’accepte le témoignage du Caporal‑chef Mullins selon lequel il n’avait pas de mandat de perquisition pour la résidence au moment où il s’est entretenu avec le Sergent Olive dans le véhicule de la police. Je n’accepte pas non plus le témoignage du Sergent Olive selon lequel le Caporal‑chef Mullins lui aurait dit que la chaîne de commandement voulait qu’il collabore et que s’il refusait, l’affaire serait confiée aux autorités civiles. Dans notre système de justice militaire, les autorités civiles sont toujours libres d’exercer leur compétence sans intervention des autorités militaires. À titre d’enquêteur chevronné de la police militaire, le Caporal‑chef Mullins savait que la chaîne de commandement des Forces canadiennes ne décide pas si l’ASFC reprend le dossier. Je n’accepte pas l’insinuation dans le témoignage du Sergent Olive que le Caporal‑chef Mullins a abusé de son autorité comme enquêteur de la police militaire en faisant une fausse déclaration au Sergent Olive au sujet de la relation entre les autorités civiles et militaires chargées de l’enquête.

 

[13]           Je n’accepte pas l’argument de l’avocat de la défense selon lequel le Caporal‑chef Mullins était prêt à tout pour obtenir une déclaration du Sergent Olive et je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel le Sergent Olive a été détenu afin qu’il soit plus enclin à obtempérer à la demande de la police de donner une déclaration.

 

[14]           En résumé, je n’accepte pas le témoignage du Sergent Olive relativement aux menaces et promesses qui, selon lui, ont été faites pendant la conversation qui a eu lieu dans le VUS et son témoignage sur ces points ne soulève aucun doute raisonnable dans mon esprit. Au contraire, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que les déclarations, orales et écrites, faites par le Sergent Olive au Caporal‑chef Mullins le matin du 18 octobre étaient de nature libre et volontaire et, par conséquent, les déclarations ont été admises en preuve.

 

[15]           En cour martiale, comme dans le cadre de toute poursuite criminelle devant un tribunal canadien, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’un terme technique dont la signification est reconnue. Si la preuve ne permet pas d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de l’infraction. Le fardeau de preuve à cet égard incombe à la poursuite, et il n’est jamais renversé. L’accusé n’a pas à établir son innocence. En fait, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes de la procédure, jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, au moyen d’une preuve admise par le tribunal. Le doute raisonnable ne constitue pas une certitude absolue, mais la preuve qui ne mène qu’à conclure à la culpabilité probable n’est pas suffisante. Si la cour est plutôt convaincue que l’accusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, l’accusé doit être acquitté. En effet, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche beaucoup plus de la certitude absolue que d’une norme de culpabilité probable. Toutefois, le doute raisonnable n’est pas un doute frivole ou imaginaire; il ne repose pas sur la compassion ou sur un préjugé. Le doute raisonnable est fondé sur la raison et le sens commun découlant de la preuve ou de l’absence de preuve. Le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments constitutifs de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.

 

[16]           La règle du doute raisonnable s’applique à la crédibilité des témoins. Parvenir à une conclusion sur les faits ne se résume pas à préférer la version d’un témoin à celle d’un autre. La cour peut accepter la véracité de tout ce que dit un témoin, ou ne pas l’accepter du tout. Elle peut aussi n’accepter la véracité et l’exactitude que d’une partie du témoignage. Si la cour accepte le témoignage d’un accusé sur les aspects les plus essentiels d’une affaire, ce dernier ne peut être déclaré coupable de l’accusation qui pèse contre lui. Cependant, même si son témoignage n’est pas accepté, s’il demeure un doute raisonnable, il doit être acquitté. Et même si la preuve de l’accusé ne laisse aucun doute raisonnable à la cour, celle-ci doit tout de même examiner toute la preuve dont elle admet la crédibilité et la fiabilité pour décider si la culpabilité de l’accusé est établie hors de tout doute raisonnable.

 

[17]           Il y a plusieurs éléments constitutifs de l’infraction reprochée dans le premier et unique chef d’accusation en l’espèce, dont certains ne sont pas vraiment en litige. Je suis convaincu que la date et le lieu de l’infraction reprochée sont établis hors de tout doute raisonnable, et l’identité du Sergent Olive en tant que contrevenant n’est pas en litige. Il n’est pas non plus contesté qu’il a envoyé les articles à sa résidence de Sault Ste. Marie de Kandahar. Tous ces points sont établis dans les déclarations écrites et orales faites par le Sergent Olive au Caporal‑chef Mullins. Dans ces déclarations, j’accepte que le Sergent Olive disait la vérité. Bien entendu, la poursuite doit établir que la conduite du contrevenant était préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La poursuite n’a présenté aucun élément de preuve quant à l’effet de la conduite reprochée sur le bon ordre et la discipline. Cependant, pour établir cet élément de l’infraction, la poursuite se fonde sur le paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, lequel prévoit notamment ce qui suit :

 

Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline [...] le fait de contrevenir à

 

[...]

 

b)            des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

[...]

 

 

[18]           En l’espèce, la poursuite prétend que le contrevenant a désobéi à un ordre; soit, l’ordre permanent du théâtre 108.  Deux versions de ce document sont jointes comme pièces 6 et 7. Cela reflète les modifications mineures qui ont été apportées au document, lesquelles sont entrées en vigueur le 15 septembre 2010. Sur le fondement de la preuve documentaire, les pièces 8 et 9, je suis convaincu que l’accusé a envoyé les deux colis au Canada avant le 15 septembre 2010 et, par conséquent, en tant que membre de la Force opérationnelle de l’Afghanistan au moment des importations, il était assujetti à la version de l’OPT 108 en vigueur avant cette date. Comme pièce 6, l’OPT 108 est intitulé [traduction] « Ordre permanent du théâtre (OPT) 108 de la Force opérationnelle en Afghanistan — artéfacts et trophées de guerre ». L’objectif de l’ordre est énoncé au paragraphe 1 :

 

[traduction] Le présent OPT vise à promulguer les politiques et procédures relatives à l’acquisition ou à la collection de souvenirs de guerre.

 

Le paragraphe 3 expose l’intention du commandant :

 

[traduction] Pour dissuader les membres de la FOA de collectionner des articles potentiellement dangereux ou illégaux qui sont destinés à être utilisés dans le théâtre des opérations, ou importés au Canada.

 

Et comme politique générale, le paragraphe 4 prévoit ce qui suit :

 

[traduction] Les membres de la FOA ne doivent pas acquérir des armes à feu, des munitions, de l’équipement militaire ou d’autres artéfacts ou trophées de guerre, notamment par achat, don ou autre moyen, sauf dans les cas permis ci-après.

 

Le paragraphe 8 est intitulé [traduction] « Exceptions » et se lit comme suit :

 

[traduction] Conformément au renvoi A, chapitre 28.63, et au renvoi B, paragraphe 1306, les artéfacts et les trophées de guerre, notamment les armes, les munitions inertes ou les accoutrements, peuvent être importés à condition qu’ils soient destinés à une collection de musées ou à un mess. L’autorisation d’importation doit être donnée par le SCEMD du QGDN, par l’intermédiaire du CEM J3.  Le traitement d’une demande d’importation nécessite l’approbation du cmdt FOA. Ce dernier donne son approbation lorsqu’il est prouvé que le donateur est réellement le propriétaire légal de l’article en question et que l’utilisation de cet article au Canada est autorisée conformément aux règlements en vigueur. Le BPR de la FOA en ce qui concerne le rapatriement d’artéfacts et de trophées de guerre est le GN de la FOA G1.

 

[19]           L’avocat de l’accusé prétend que la poursuite n’a pas établi que l’accusé avait désobéi à l’OPT 108 en envoyant ces articles au Canada. Cependant, même s’il avait désobéi à cet ordre, la poursuite n’a pas établi l’élément moral de l’infraction reprochée; soit, le fait qu’il connaissait l’existence de l’ordre au moment où il a envoyé ces articles au Canada. Par conséquent, il ne savait pas qu’il commettait une infraction aux termes de l’ordre. En ce qui concerne le premier argument, je suis convaincu que la conduite de l’accusé, l’envoi de ces articles au Canada, est visée par l’OPT 108. Il n’y a aucun doute dans mon esprit que les armes en question sont des artéfacts ou des trophées de guerre conformément à l’OPT 108. Le Sergent Olive semble avoir accepté cette affirmation pendant sa conversation avec le Caporal‑chef Mullins. Aussi, dans les déclarations qu’il a faites au Caporal‑chef Mullins, le Sergent Olive a affirmé qu’un collègue et lui voulaient acquérir des articles, comme les armes envoyées au Canada, dans le but de les exposer comme artéfacts dans le mess de leur unité d’appartenance.

 

[20]           L’avocat de la défense a fait valoir que les articles en question ne sont pas « potentiellement dangereux ou illégaux » et qu’ils n’étaient pas donc visés par l’OPT. Je n’accepte pas cet argument. Je conclus que l’intention du commandant exposée au paragraphe 3 ne devrait pas être interprétée de manière à restreindre les termes généraux de l’interdiction prévue au paragraphe 4. Le paragraphe 8 de l’OPT 108 prévoit expressément que les trophées de guerre et les artéfacts, comme les armes en l’espèce, peuvent être importés au Canada dans la mesure où une autorisation est donnée. Il est admis qu’à aucun moment le Sergent Olive n’a demandé l’autorisation pour importer ces articles au Canada et qu’à aucun moment l’autorisation n’a été donnée pour l’une ou l’autre des importations. Je suis donc convaincu hors de tout doute raisonnable que la conduite du Sergent Olive, qui a importé ces articles au Canada par la poste sans autorisation, était contraire à l’OPT 108.

 

[21]           En ce qui concerne l’élément moral de l’infraction, je suis d’accord avec l’argument de l’avocat de la défense selon lequel la poursuite doit prouver que le Sergent Olive savait qu’il désobéissait à un ordre quand il a envoyé les armes au Canada. Après avoir fait un examen approfondi de l’enregistrement de la conversation entre le Caporal‑chef Mullins et le Sergent Olive et lu la courte déclaration écrite du Sergent Olive, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que le Sergent Olive savait à ce moment-là qu’il désobéissait à un ordre. En réponse aux questions ouvertes du Caporal‑chef Mullins, le Sergent Olive a dit qu’il avait convenu avec un autre membre d’envoyer des articles similaires, soit des armes qui avaient été rendues inutilisables, au Canada par la poste. Pendant l’interrogatoire, il a dit : [traduction] « Nous savions ce que nous faisions. Nous en avions discuté auparavant. » Puis, il a ajouté : [traduction] « Lui et moi voulions faire quelque chose pour nos mess, comme, vous savez, les unités de la Force régulière, leurs membres ramènent des trophées de guerre et ce genre de chose à la maison. Et lui et moi nous demandions si nous pouvions faire quelque chose, quelque chose de bien pour nos mess et nos unités d’appartenance respectives. » Plus tard, le Caporal‑chef a déclaré : [traduction] « Alors, fondamentalement, vous saviez qu’il y avait un OPT et vous saviez que nous ne deviez pas collectionner ces articles » et le Sergent Olive a répondu : « Exact. » Par la suite, le Caporal‑chef Mullins a mentionné le processus d’autorisation établi par l’OPT. Il a dit ce qui suit au Sergent Olive : [traduction] « Il existe un processus selon lequel, si vous aviez fait inspecter cette arme par les techniciens de munitions, ils auraient certifié n’avoir décelé aucune radiation et, comme, ils vous auraient donné un bout de papier, un certificat, sur lequel il est écrit que l’arme est inutilisable et ensuite, vous auriez dû obtenir l’autorisation. Même avec le certificat, vous devez obtenir l’autorisation du J4 pour les envoyer au Canada et il doit avoir les numéros de série et tout. Étiez-vous au courant de tout ça? » Le Sergent Olive a répondu « oui ». Aussi, le Sergent Olive a été explicite en ce qui a trait à son état d’esprit au moment des importations quand il a écrit dans sa déclaration, pièce 5 : [traduction] « J’étais au courant de l’ordre selon lequel il est interdit d’envoyer des trophées de guerre à la maison, mais je pensais vraiment avoir pris les mesures appropriées pour rendre ces fusils inutilisables et inoffensifs. » Il est évident que le Sergent Olive pensait que les armes n’étaient plus considérées comme des armes puisqu’il avait apporté des modifications dans le but de les rendre inutilisables, mais j’estime qu’il n’y avait aucun fondement raisonnable permettant au Sergent Olive de conclure, et il n’a pas conclu, que les modifications apportées aux armes rendaient l’OPT inapplicable, de sorte que les armes pouvaient être importées au Canada sans les autorisations requises par l’OPT 108. Le Sergent Olive savait qu’il n’avait pas obtenu l’autorisation pour envoyer ces articles au Canada et il savait à ce moment-là qu’il devait obtenir une autorisation.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[22]           DÉCLARE l’accusé coupable du premier et unique chef d’accusation.

 


Avocats :

 

Capitaine R.D. Kerr, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Sergent R.R. Olive

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