Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 7 mars 2011

Endroit : Centre Asticou, Bloc 2600, Pièce 2601, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Charges
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 116 LDN, a dissipé un bien public.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 117f) LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
•Chef d'accusation 3 : Art. 124 LDN, a exécuté avec négligence une tâche militaire.
•Chef d'accusation 4 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4 : Non coupable.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Reedy, 2011 CM 2004

 

Date : 20110325

Dossier : 201101

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du centre d’Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Adjudant-maître R.J. Reedy, accusé

 

 

Devant : Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Adjudant-maître Reedy, veuillez vous lever. La Cour, vous ayant déjà déclaré non coupable quant au quatrième chef d’accusation, vous déclare maintenant non coupable des premier, deuxième et troisième chefs d’accusation. Vous pouvez vous asseoir.

 

[2]               L’Adjudant-maître Reedy est accusé de quatre infractions à la Loi sur la Défense nationale. Les premier et deuxième chefs, soit avoir dissipé un bien public et commis un acte de caractère frauduleux, sont portés contre lui à titre subsidiaire et tous deux précisent qu’entre le 24 septembre 2003 et le 30 septembre 2008, à la BFC Trenton, en Ontario, ou dans les environs, il a utilisé la carte d’achat du corps de cornemuses de la 8e Escadre pour des achats qui n’étaient pas nécessaires au corps de cornemuses. Le troisième chef fait état d’une infraction de négligence dans l’exécution des tâches militaires, soit d’avoir manqué à son devoir, à titre de détenteur de carte d’achat, de tenir un registre d’achat. Le quatrième chef allègue une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit d’avoir tenté, le ou vers le 20 décembre 2007, d’altérer un document gardé à des fins militaires en demandant au Sergent Marazzo de détruire le grand livre concernant les fonds du corps de cornemuses, contrairement à l’alinéa 125c) de la Loi sur la Défense nationale.

 

[3]               À l’ouverture de son procès devant la cour martiale permanente, l’Adjudant-maître Reedy a présenté un avis écrit de demande, pièce M1-1, pour obtenir un arrêt des procédures au motif d’une atteinte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable garanti par l’alinéa 11b) de la Charte canadienne des droits et libertés. À la fin des plaidoiries, j'ai rejeté la demande en indiquant que les motifs seraient déposés ultérieurement. Voici donc ces motifs.

 

[4]               Dans l’arrêt R c LeGresley, CACM-496, 2008 CACM 2, la Cour d’appel de la cour martiale a appliqué le raisonnement formulé par la Cour suprême du Canada dans R c Morin, 1992 1 R.C.S. 771, relativement à une allégation de transgression de droits garantis par l’alinéa 11b) de la Charte dans une cour martiale. Sous la plume du juge en chef, la Cour s’est ainsi exprimée, au paragraphe 33 :

 

[...] L’approche qu’il faut adopter, dans une analyse relative à l’alinéa 11b) de la Charte, est celle qui est décrite dans Morin, précité, et elle exige que

la Cour pondère chacun des quatre facteurs afin de déterminer le caractère raisonnable du délai.

 

34.           L’approche décrite par la Cour suprême dans Morin pour décider si un droit garanti par l’alinéa 11b) de la Charte a été violé nécessite que le tribunal pondère les intérêts que la disposition a pour objet de protéger et les facteurs qui soit entraînent inévitablement un délai soit ont causé le délai. Selon la Cour suprême, les facteurs à examiner dans l’analyse étaient les suivants :

 

                1.             la longueur du délai;

 

                2.             la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul;

 

                3.             les raisons du retard, notamment :

 

                                a)            les délais inhérents à la nature de l'affaire;

 

                                b)            les actes de l’accusé,

 

                                c)             les actes du ministère public;

 

                                d)            les limites des ressources institutionnelles;

 

                                e)             les autres raisons du délai;

 

                4.             le préjudice subi par l'accusé.

 

35.          À la page 788 des motifs, la Cour suprême a décrit le processus judiciaire en ces termes :

Le processus judiciaire appelé « pondération » exige un examen de la longueur du délai et son évaluation en fonction d'autres facteurs. Le tribunal détermine ensuite si le délai est déraisonnable. Pour rendre cette décision, il y a lieu de tenir compte des intérêts que l'al. 11b) vise à protéger. Si l'on écarte la question du délai en appel, la période qui doit être examinée est celle qui court de la date de l'accusation à la fin du procès. [jurisprudence citée] La longueur de cette période peut être réduite par la soustraction des périodes pour lesquelles il y a eu renonciation. Il faut alors déterminer si cette période est déraisonnable compte tenu des intérêts que l'al. 11b) vise à protéger, de l'explication du délai et du préjudice subi par l'accusé.

 

36.           Il est utile, à ce stade-ci, de revoir brièvement les intérêts que l’article 11 de la Charte vise à protéger. La disposition a pour objet principal la protection des droits individuels de tout inculpé : (1) le droit à la sécurité, (2) le droit à la liberté, (3) le droit à un procès équitable. Le droit à un procès équitable est protégé par le fait de veiller à ce que la personne soit jugée pendant que la preuve est accessible et récente. La Cour suprême (dans Morin, précité) a également reconnu un objet secondaire : la société dans son ensemble a intérêt à ce que les citoyens accusés de crimes soient traduits en justice et traités selon la loi, de façon humaine et équitable.

 

[5]               Les événements à l’origine de l’enquête qui a conduit aux accusations dont la Cour est saisie, soit l’historique de l’enquête, le dépôt d’accusations et leur présentation devant une cour martiale, sont énoncés dans l’exposé conjoint des faits, pièce M1-4. Entre le moment où les allégations d’irrégularités financières ont été formulées, à la fin février 2008, et celui où les accusations ont été consignées au procès-verbal de procédure disciplinaire, le 19 février 2010, il y a eu une enquête approfondie des finances et de la tenue de dossiers des deux corps bénévoles de la 8e escadre Trenton, à savoir un corps des cornemuses et une fanfare. L’Adjudant-maître Reedy, musicien de métier, était responsable des deux corps.

 

[6]               La période de délai en l’espèce est celle qui court de la date à laquelle le Service national des enquêtes des Forces canadiennes a porté les accusations, soit le 19 février 2010, jusqu’à la fin du procès, soit un peu plus de 13 mois plus tard. La défense n’a renoncé à aucun délai durant cette période.

 

[7]               Dans ses observations écrites, pièce M1-3, l’avocat du demandeur mentionne un délai d’environ 10 mois entre le moment où les accusations ont été portées et le 18 octobre 2010, date du renvoi de l’affaire au directeur des poursuites militaires (DPM). Pendant pratiquement toute cette période, l’unité de l’accusé, l’Unité de soutien des Forces canadiennes, était saisie de l’affaire. À mon avis, même en tenant compte de la complexité inhérente à une enquête financière, selon toute apparence d’une bonne longueur, l’unité ne semble pas avoir traité l’affaire avec toute la célérité que les circonstances permettaient, comme l’exige l’article 162 de la Loi sur la Défense nationale. J’accepte l’argument de l’avocat du demandeur selon lequel l’action ou, dans ce cas-ci, l’inaction de la chaîne de commandement milite à l’encontre de la poursuite.

 

[8]               Mon propos n’est pas ici de jeter le blâme sur qui que ce soit pour les retards survenus, mais simplement d’expliquer le temps écoulé depuis le dépôt des accusations. Après le renvoi de l’affaire au DPM, la Couronne et la défense ont toutes deux agi avec une célérité louable pour faire inscrire la cause au rôle. Aucune pénurie de ressources institutionnelles ni aucun autre motif n’ont retardé le procès.

 

[9]               Le demandeur soutient, à en juger par son témoignage et celui de sa conjointe dans le cadre de la présente demande, qu’il a subi un important préjudice en raison du temps qui s’est écoulé avant que l’affaire soit entendue. J’ai étudié attentivement la preuve qui indique que les accusations portées contre lui ont eu, dès le début, un effet dévastateur et traumatisant sur le demandeur. Il a déclaré être passé par toutes les émotions possibles et imaginables. Son sommeil, son alimentation et sa concentration ont été perturbés. Cela a aussi nui à sa relation avec sa conjointe et leur fils. Le demandeur avait souffert de dépression quelques années avant l’enquête et avait été soigné, mais à partir du début de l’enquête sur les accusations, il avait de nouveau sombré dans une dépression, cette fois encore plus profonde. Durant cette période, il s’est senti ostracisé à l’intérieur de la collectivité restreinte de musiciens avec qui il travaille depuis qu’il a été expulsé de la salle de musique durant l’année 2008. Néanmoins, il semble que son avancement au sein des Forces canadiennes n’ait pas été compromis. Il est actuellement inscrit au cours de langue nécessaire à l’obtention de sa prochaine promotion.

 

[10]           J’accepte la preuve non contestée du demandeur et de sa conjointe quant aux répercussions qu’ont eu sur lui l’enquête et les accusations soumises au tribunal. Il m’apparaît évident que les effets sur le demandeur sont apparus lorsque les allégations ont été formulées et qu’elles ont fait l’objet d’une enquête, ce qui est bien avant le moment où les accusations ont été réellement portées contre lui en février 2010. Je reconnais que le traumatisme émotionnel dont il a souffert lorsque les allégations ont été faites persiste encore aujourd’hui, mais je ne peux pas conclure que ces difficultés émotionnelles ont été exacerbées par le temps qui s’est écoulé entre le dépôt des accusations en février 2010 et aujourd’hui. Je ne voudrais pas que l’on conclue de mes propos que je déprécie les conséquences de ces évènements sur le droit à la sécurité du demandeur. J’estime qu’elles sont réelles et importantes. Cependant, dans une certaine mesure, ces conséquences sont probablement inévitables lorsqu’un militaire du rang supérieur des Forces canadiennes ayant de longs états de service et une réputation irréprochable est soupçonné de malversations financières dans une petite collectivité.

 

[11]           En dernière analyse, ma tâche est de pondérer tous ces facteurs, y compris l’intérêt public incontestable dans la résolution, par voie de procès, des allégations portées contre le demandeur. Dans la présente affaire, à mon avis, la balance penche en faveur de la reprise du procès. Pour ces motifs, la demande est rejetée.

 

[12]           En cour martiale, comme dans le cadre de toute poursuite criminelle devant un tribunal canadien, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’un terme technique dont la signification est reconnue. Si la preuve ne permet pas d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de l’infraction. Le fardeau de preuve à cet égard incombe à la poursuite, et il n’est jamais renversé. La personne accusée n’a pas à établir son innocence. De fait, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes de la procédure, jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, au moyen d’une preuve admise par le tribunal.

 

[13]           Le doute raisonnable ne constitue pas une certitude absolue, mais la preuve qui ne mène qu’à conclure à la culpabilité probable n’est pas suffisante. Si la cour estime simplement que l’accusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, l’accusé doit être acquitté. En fait, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche beaucoup plus de la certitude absolue que d’une norme de la « culpabilité probable ».

 

[14]           Cependant, le doute raisonnable n'est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Le doute raisonnable est fondé sur la raison et le sens commun découlant de la preuve ou de l’absence de preuve.

 

[15]           Le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments constitutifs de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.

 

[16]           La 8e Escadre du corps des cornemuses est l’un des deux corps bénévoles à la BFC Trenton. Les musiciens sont des membres des Forces canadiennes, mais certains sont des civils. Quelques militaires membres du corps de cornemuses, dont l’Adjudant-maître Reedy, jouent également dans un groupe de musique celtique appelé les Fiddleheads qui s’est joint au corps de cornemuses lors de certains engagements, dont un voyage aux États-Unis et une séance d’enregistrement.

 

[17]           Comme pour toute organisation militaire, les dépenses du corps des cornemuses sont payées par les fonds publics. À l’occasion, le corps des cornemuses recevait des sommes d’argent, appelées cachets dans les témoignages, venant, semble-t-il, de mécènes reconnaissants, et gagnait aussi des prix en argent de concours. À un moment donné, une personne qui n’a pas été nommée en preuve a ouvert un compte bancaire à la caisse d'épargne et de crédit QuintEssential, à Trenton, en Ontario. Le compte était connu sous le nom de [TRADUCTION] « Fonds du corps de cornemuses de Trenton » et était géré par Kenneth Marazzo qui était membre des Forces canadiennes et cornemuseur dans le corps. Dans son témoignage, M. Marazzo s’est désigné comme étant le trésorier du corps, un poste qu’il a occupé durant quatre à cinq ans, et ce, jusqu’en 2007. Les cachets et autres rentrées d’argent étaient déposés dans ce compte. Le compte servait à payer diverses choses, dont des réceptions, de l’essence pour un voyage en Virginie, des blousons spéciaux et d’autres articles que le Fonds de la base ne couvrait pas. M. Marazzo estimait que le fonds était une caisse commune détenant l’argent personnel des membres du corps. M. Marazzo a pris l’initiative de conserver des relevés d’opération du compte de la caisse QuintEssential.

 

[18]           En décembre 2007, l’Adjudant-chef Secretan, à titre d’Officier de musique, a ordonné par écrit que le compte de la caisse QuintEssential soit fermé et qu’un compte de fonds non publics soit ouvert pour gérer les fonds reçus par le corps des cornemuses. La note de service, pièce 3, qui s’adressait à l’accusé, l’Adjudant-maître Reedy, intimait l’ordre d’agir avant le 21 décembre. L’Adjudant-maître Reedy a ordonné qu’une partie des capitaux du compte de la caisse QuintEssential soit versée dans le compte de fonds non publics de l’unité et qu’une autre, environ 5 000 $, soit conservée dans une boîte postale scellée appartenant au corps.

 

[19]           À un certain moment au mois de décembre 2007, probablement après l’ordonnance écrite de l’Adjudant-chef Secretan, M. Marazzo a téléphoné à son ami, l’Adjudant-maître Reedy, pour lui demander s’il voulait le dossier des registres concernant le compte ou, dans la négative, ce qu’il devait en faire. L’Adjudant-maître Reedy lui a répondu que les registres n’étaient pas nécessaires et que M. Marazzo devait s’en défaire. De fait, M. Marazzo ne s’en est pas débarrassé. Les registres auxquels M. Marazzo a fait référence étaient compris dans le dossier qui m’a été soumis en tant que pièce 5. Le dossier contient des relevés mensuels de la caisse QuintEssential pour la période allant de janvier à octobre 2007, ainsi qu’un document créé par M. Marazzo, qu’il a appelé « feuille de calcul », comprenant plusieurs inscriptions comptables se rapportant à la même période. Ce document correspond à celui qui est mentionné au quatrième chef d’accusation. Selon la thèse de la poursuite, le dossier tenu par M. Marazzo constitue un grand livre des fonds qui était gardé à des fins militaires et que l’Adjudant-maître Reedy a tenté de dissumulé, contrairement à l’alinéa 125c) de la Loi sur la Défense nationale, en demandant à M. Marazzo de le détruire.

 

[20]           J’accepte l’argument de la poursuite selon lequel les sommes reçues par le corps des cornemuses, sous forme de cachets ou autre, et déposées dans le compte de la caisse QuintEssential étaient des « biens non publics » aux termes de l’article 2 de la Loi sur la Défense nationale. À ce titre, ces sommes étaient dévolues au Commandant d’unité au profit de tous les membres de l’unité, conformément à l’article 38 de la Loi sur la Défense nationale. Ces fonds n’appartenaient ni à l’ensemble du corps de cornemuses, ni à aucun de ses membres. M. Marazzo avait simplement tort en croyant le contraire.

 

[21]           La quatrième accusation fait état d’une infraction au paragraphe 129(3) de la Loi sur la Défense nationale, soit la tentative de commettre l’infraction créée par l’alinéa 125c), ainsi rédigé :

 

Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de trois ans quiconque :

 

[...]

 

c)             dans l'intention de nuire ou d'induire en erreur, altère, dissimule ou fait disparaître un document ou dossier gardé, établi ou délivré à des fins militaires ou ministérielles.

 

[22]           La nature du document en question est donc un élément essentiel de l’infraction qui est reprochée à la quatrième accusation. Le document était-il « gardé à des fins militaires » tel qu’allégué? Je doute que le document créé et tenu par M. Marazzo fût gardé à des fins militaires. Une partie du document était constituée de relevés de compte mensuels provenant de la caisse d’épargne et de crédit QuintEssential que M. Marazzo a conservés pour une période d’au moins quelques mois durant l’année 2007. Quant à la feuille de calcul, il semble que M. Marazzo ait commencé à tenir ce registre de son propre chef, sans aucune instruction écrite ou orale venant d’une autorité militaire supérieure, bien que le compte auquel il se rapporte ait été actif depuis quelques années sans tenue de registre.

[23]           De plus, l’intention précise d’induire en erreur est aussi un élément essentiel de l’infraction reprochée à la quatrième accusation, tel que précisé par la poursuite dans sa plaidoirie. Je ne suis pas convaincu, compte tenu de l’ensemble de la preuve que j’ai entendue, qu’il m’est justifié de conclure raisonnablement que l’Adjudant-maître Reedy avait l’intention d’induire quiconque en erreur en faisant une remarque qui m’apparaît anodine à M. Marazzo sur le fait qu’il n’était nullement nécessaire de conserver le registre une fois le compte de la caisse QuintEssential clôturé sur ordre de l’Adjudant-chef Secretan.

 

L’Adjudant-maître Reedy n’est pas coupable du quatrième chef d’accusation.

 

[24]           Comme je l’ai déjà mentionné, les premier et deuxième chefs de l’acte d’accusation sont portés contre lui à titre subsidiaire et les précisions relatives aux accusations sont identiques. La preuve présentée m’a convaincu que l’Adjudant-maître Reedy était le détenteur de la carte d’achat, à savoir une carte de crédit MasterCard de la Banque de Montréal, pour la 8e Escadre du corps de cornemuses en date du 15 octobre 2003. Je suis également convaincu qu’il a utilisé cette carte ou a autorisé quelqu’un à l’utiliser pour l’achat de plusieurs articles qui ont été payés sur les fonds publics. J’estime que la question est de savoir si les articles achetés n’étaient « pas nécessaires pour le corps de cornemuses » comme il est allégué dans les deux accusations.

 

[25]           La pièce 8 consiste en une série de documents se rapportant à une vérification après-paiement des achats et des comptes du corps de cornemuses, pour une période de cinq ans à partir de l’année 2003, qui a été effectué par la Capitaine Mawhinney, une Agente des services financiers de la 8e Escadre, avec l’aide de quelques personnes. Le rapport a été demandé par la police militaire de la 8e Escadre pour aider à leur enquête. Il est juste de dire que la Capitaine Mawhinney a mené une enquête approfondie qui a révélé de nombreuses et graves irrégularités de comptabilité et de tenue de livres.

 

[26]           La pièce 8 contient un rapport de 12 pages résumant les constatations et les conclusions de la Capitaine Mawhinney. L’annexe A afférente au rapport de la Capitaine Mawhinney est un document de 3 pages intitulé [TRADUCTION] « Activité de la carte d’achat de L’Adjum Reedy – articles suspects ». Ce document énumère des articles achetés avec la carte d’achat de l’Adjudant-maître Reedy entre 2003 et 2008. Dans la colonne « Acheteur », il est écrit soit « Adjudant-maître Reedy », soit simplement « Inconnu » et dans la colonne « Commentaires » l’auteur indique, dans le cas de nombreux articles, « Ne satisfait pas aux exigences du corps de cornemuses » ou « Exigence inconnue ». Lors de sa plaidoirie, la poursuite a précisé que les articles énumérés à l’annexe A représentent ceux qui ne sont pas censés être nécessaires au corps de cornemuses.

 

[27]           Vu l’ensemble de la preuve, je conclus qu’il n’a pas été établi hors de tout doute raisonnable que l’un ou la totalité des articles énumérés dans l’annexe A n’étaient pas nécessaires au corps des cornemuses. Bien qu’elle ait rédigé ce document, la Capitaine Mawhinney a volontiers reconnu en contre-interrogatoire qu’elle ne possède pas de connaissances spécialisées en ce qui concerne les besoins du corps de cornemuses et qu’elle n’a consulté aucune autorité afin déterminer quels sont ces besoins. Certains articles dans la liste me semblent manifestement nécessaires à un corps de cornemuses, tels que des « supports de cymbales et de tambours » et des « baguettes; étuis; peaux de caisses », tandis que d’autres articles ont, à première vue, peu à voir avec le corps de cornemuses tels que des « bottes faites sur mesure; casques d’écoute » et des « cordons pour chauffe-moteur ». Aucun des témoins qui pourraient être considérés comme ayant des connaissances sur les besoins d’un corps de cornemuses n’a été questionné attentivement quant aux articles spécifiques qui apparaissent dans l’annexe A.

 

[28]           La poursuite soutient, sur la foi du témoignage de l'Adjudant Alderman, que les articles en cause ont été achetés pour l’usage des Fiddleheads et, par conséquent, n’étaient pas destinés au corps de cornemuses. Je ne puis souscrire à cet argument. À mon avis, il est clair que les Fiddleheads faisaient partie du corps de cornemuse de la 8e Escadre. Leur personnel se recoupe et ils ont régulièrement joué ensemble afin d’élargir le répertoire traditionnel d’un corps de cornemuse en y ajoutant de la musique celtique. Dans son argument, la poursuite n’a pas laissé entendre que cela constituait une activité militaire inconvenante ou non autorisée. Je conclus que la distinction faite entre les articles nécessaires au corps de cornemuses et ceux dont les Fiddleheads auraient pu avoir besoin est artificielle. Certains articles énumérés dans l’annexe A ressemblent à du matériel et des accessoires qui apparaissent dans les photographies soumises en preuve montrant le corps de cornemuses en train de s’installer ou de répéter ou de jouer.

 

L’Adjudant-maître Reedy n’est pas coupable des premier et deuxième chefs d’accusation.

 

[29]           La troisième accusation fait état de négligence dans l’exécution des tâches militaires du fait qu’à titre de détenteur de carte d’achat, l’Adjudant-maître Reedy n’a pas tenu de registre des achats fait avec la carte comme il le devait. En qualité de détenteur de carte d’achat, l’Adjudant-maître Reedy a reconnu par écrit, au moment où la carte a été délivrée, l’obligation de se conformer aux exigences énoncées dans les DOAD 1016-1 « Utilisation des cartes d’achats ». À la page 9 de cet instrument, qui m’a été soumis en tant que pièce 7, il est écrit, sous la rubrique « Responsabilité du détenteur de la carte », que les détenteurs de carte doivent tenir un registre des achats fait avec la carte. Ce document est décrit à la page 2 des DOAD. Il fournit simplement des renseignements sur tous les achats faits avec la carte en précisant le nom du vendeur, le coût et la date de l’achat ainsi qu’une description de la marchandise achetée. Le registre permet de vérifier l’exactitude du relevé mensuel de carte de crédit. Je suis convaincu qu’à titre de détenteur de carte, l’Adjudant-maître Reedy était dans l’obligation, dans le cadre de ses tâches militaires, de tenir un registre des achats et qu’il était au courant de cette obligation. Toutefois, je ne suis pas convaincu hors de tout doute raisonnable qu’il a négligé de tenir un registre de la carte d’achat.

 

[30]           La défense soutient que, d’après le témoignage de Sergent Smith, l’Adjudant-maître Reedy a fourni un registre chaque mois. En réinterrogatoire, il est apparu évident que le Sergent Smith faisait référence au relevé mensuel de carte de crédit. Ce relevé ne constitue pas un registre d’achat et le Sergent Smith était dans l’erreur s’il croyait le contraire.

 

[31]           La poursuite fait référence au rapport de la Capitaine Mawhinney, pièce 8, pour établir que l’Adjudant-maître Reedy ne tenait pas de registre d’achat. L’annexe C du rapport de la Capitaine Mawhinney intitulé [TRADUCTION] « Liste datée de la carte d’achat de l’Adjum Reedy » présente des renseignements sous forme de tableau concernant les achats faits avec la carte de l’Adjum Reedy. Je souligne que trois achats faits durant l’exercice financier 2003-2004 sont antérieurs à l’accusé de réception de la carte signé par l’Adjudant-maître Reedy le 15 octobre 2003. Une colonne dans l’annexe C intitulée [TRADUCTION] « Au registre de la carte d’achat? » comporte soit l’inscription « aucun registre » soit, après le 1er mai 2006, l’inscription « oui ». Ainsi, je devrais en déduire que durant la longue période à laquelle la troisième accusation fait référence, l’Adjudant-maître Reedy ne tenait en fait aucun registre d’achat. La Capitaine Mawhinney n’a pas été interrogée pour savoir où elle a obtenu les renseignements qui ont donné lieu aux inscriptions dans cette colonne de l’annexe C. Elle doit avoir vu quelque chose qui lui a permis d’inscrire qu’il y avait un registre d’achat pour de nombreux articles achetés après le 1er mai 2006. Si elle a vu un registre d’achat ou autre chose qui l’a convaincue de l’existence d’un tel registre, elle ne l’a pas présenté en preuve. Quant à l’inscription « aucun registre » concernant les achats faits après le 1er mai 2006, il est important de rappeler que l’Adjudant-maître Reedy n’est pas accusé d’avoir tenu un registre d’achat insuffisant, mais bien d’avoir complètement omis d’en tenir un. Sur la foi de l’ensemble de la preuve, je ne puis simplement pas affirmer hors de tout doute raisonnable que l’Adjudant-maître Reedy a négligé de tenir un registre d’achat.

 

L’Adjudant-maître Reedy n’est pas coupable du troisième chef d’accusation.


 

AVOCATS :

 

Capitaine E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major E. Thomas et Capitaine D. Hodson, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’Adjudant-maître R.J. Reedy

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

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