Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 15 mars 2011

Endroit : 14e Escadre Greenwood, Centre d'entraînement Birchall, Édifice 221, promenade Administration, Greenwood (NÉ)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 (subsidiaire au chef d'accusation 2) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
•Chef d'accusation 2 (subsidiaire au chef d'accusation 1) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Une suspension d'instance.
•SENTENCE : Une réprimande.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Lalande, 2011 CM 2005

 

Date :  20110401

Dossier :  201056

 

Cour martiale permanente

 

14e escadre Greenwood

Greenwood (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.M. Lalande, accusé

 

 

En présence du Capitaine de frégate P.J. Lamont, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

 

[1]        Sergent Lalande, veuillez vous lever. La cour vous déclare coupable à l’égard du premier chef d’accusation et ordonne une suspension des procédures à l’égard du deuxième. Vous pouvez vous asseoir.

 

[2]        Le Sergent John Michael Lalande est accusé de deux infractions à la Loi sur la défense nationale. La première accusation est d’avoir maltraité un subordonné par le grade, et la seconde accusation, portée à titre subsidiaire, est d’avoir commis des voies de fait en vertu de l’article 266 du Code criminel, qui est une infraction d’ordre militaire en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale.

 

[3]        Lors de son procès devant la Cour martiale permanente, et avant le plaidoyer, le Sergent Lalande, que j’appellerai parfois le demandeur, a déposé un avis écrit de la demande, pièce PP1-2, en vue d’obtenir une suspension des procédures, ou toute autre réparation équitable. L’avis de demande en soi n’exposait pas tout à fait clairement les éléments de preuve sur lesquels la demande de suspension des procédures était fondée, mais dans les observations écrites déposées par les deux parties après l’audition de la preuve relative à la demande (pièce M2-16, observations écrites du demandeur; pièce M2-17 observations de l’intimé; pièce M2-18, réponse écrite du demandeur), il est devenu évident que les motifs invoqués par le demandeur pour obtenir une suspension des procédures sont l’abus de procédure, y compris la catégorie résiduelle de conduite abusive, soit une violation des droits garantis par l’article 7 de la Charte, et un délai antérieur à l’accusation équivalant à une violation du droit à un procès équitable garanti par l’al. 11d) de la Charte.

 

[4]        À la suite des plaidoiries, j’ai rejeté la demande et je me suis engagé à fournir les motifs de ma décision. Voici les motifs.

 

[5]        Les témoignages de vive voix de quelques13 témoins ont été entendus relativement à la demande et un certain nombre de documents ont été déposés comme pièces. J’accepte les témoignages, y compris celui du Sergent Lalande. J’estime que les contradictions relevées dans les témoignages ne portaient que sur des détails. Selon cette partie de la preuve, je peux tirer les conclusions de fait suivantes.

 

[6]        En 2002, le demandeur, un membre des Forces canadiennes en service depuis longtemps, a été déclaré coupable dans le cadre de la procédure sommaire des infractions de voies de fait causant des lésions corporelles et d’un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, c’est-à-dire se quereller en présence de subordonnés, des infractions pour lesquelles il a été condamné à 20 jours de détention, suspendu et rétrogradé. Quelques années auparavant, en 1991, il avait été reconnu coupable par une cour civile de l’Alberta pour avoir volé une obligation d’une valeur n’excédant pas 1 000 $ et condamné à un jour d’emprisonnement et une amende de 500 $.

 

[7]        En 2007, le Sergent Lalande a déposé une demande de réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire et il l’a obtenue. Il a reçu les documents du Canadian Pardon Services sur du papier à en-tête du gouvernement du Canada en date du 28 janvier 2008. Il a montré ces documents à son unité lors d’une réunion avec le Capitaine Hiscock peu de temps après avoir été réhabilité.

 

[8]        Suivant la politique de la DAOD 7016-0 intitulée « Réhabilitation », lorsqu’un militaire se voit accorder une réhabilitation en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, il faut modifier ses états de service. Le commandant doit faire modifier les états de service du militaire dans son unité, et le chef de personnel militaire et le vice-chef d’état-major de la Défense doivent faire modifier les états de service du militaire au bureau central.  Suivant la DAOD 7016-1 intitulée « Administration des Forces canadiennes concernant la réhabilitation », le commandant qui reçoit la copie de la réhabilitation d’un militaire doit établir une fiche de conduite sur laquelle l’inscription relative à la réhabilitation est supprimée et retirer du dossier de l’unité du militaire les documents relatifs à l’infraction visée par la réhabilitation. Dans le cas du Sergent Lalande, l’administration de la réhabilitation n’a eu lieu que le 16 août 2010, soit plus de deux ans et demie à compter du moment où la réhabilitation a été portée à l’attention de l’unité pour la première fois, à la suite d’une intervention du Major Colwell, désigné pour aider le Sergent Lalande.

 

[9]        Entre-temps, en juin 2009, le Sergent Lalande a fait l’objet d’une plainte qui a entraîné une accusation apparaissant au procès-verbal de procédure disciplinaire, pour avoir frappé un subordonné par le grade. L’accusation est devenue l’une des deux accusations devant cette cour. Le militaire du rang supérieur de l’unité qui a enclenché l’enquête, la police militaire qui a poursuivi l’enquête, l’autorité ayant porté des accusations au sein de l’unité, le commandant de l’unité, la chaîne de commandement y compris l’autorité de renvoi, et le procureur qui a approuvé les accusations pour la cour martiale avaient tous accès à des renseignements sur les condamnations pour lesquelles le demandeur avait été réhabilité, ou avaient été avisés par des personnes ayant accès à ces renseignements. Si l’administration du dossier personnel du demandeur avait été effectuée en temps opportun, je pense que la plupart des décideurs dans le cadre du processus d’enquête et d’approbation des accusations, ainsi que tous les décideurs de grade supérieur, à partir du grade de commandant de l’unité, n’auraient pas été au courant de son état de personne graciée.

 

[10]      J’estime également que les événements ayant donné lieu aux accusations pour lesquelles le Sergent Lalande a été condamné en 2002 étaient généralement connus, ou faisaient l’objet de rumeurs, dans une société relativement restreinte, laquelle comprenait des militaires du rang supérieur de l’unité du Sergent Lalande et certaines personnes qui ont été interrogées par la police militaire dans le cadre de l’enquête. D’autres décideurs de grade supérieur n’auraient pas été au courant de l’incident à l’origine de ces infractions pour lesquelles une réhabilitation a été obtenue si ce n’est par la fiche de conduite sur laquelle sont inscrites les condamnations.  

 

[11]      Je conclus également que certains militaires du rang supérieur de l’unité savaient, ou auraient dû savoir, que les infractions survenues en 2002 étaient visées par une réhabilitation, mais ont tout de même transmis des renseignements à la police militaire au sujet des condamnations et des incidents à l’origine des condamnations.  

 

[12]      Compte tenu de ces faits, le demandeur prétend qu’il y a eu abus de procédures parce que tous les décideurs, des enquêteurs au procureur chargé d’approuver les accusations, ont été influencés par le fait qu’ils étaient au courant des infractions commises par le Sergent Lalande à l’égard desquelles il a été réhabilité (pièce M2-16, observations écrites du demandeur, par. 50 [traduction] « chaque action engagée par l’État contre le Sergent Lalande a été viciée par la communication des condamnations pour lesquelles il avait obtenu une réhabilitation »). Il soutient que la communication et l’utilisation d’un dossier relatif à une condamnation visée par une réhabilitation constituent une violation de la Loi sur le casier judiciaire et de la politique des Forces canadiennes contenue dans la DAOD, et équivaut à une forme de discrimination interdite par la Loi canadienne sur les droits de la personne.

 

[13]      La réhabilitation était accordée en vertu de l’article 5 de la Loi sur le casier judiciaire, qui au moment où la réhabilitation a été accordée à la fin de janvier 2008 était ainsi libellé :

 

5.  La réhabilitation a les effets suivants :

 

a) d’une part, elle sert de preuve des faits suivants :

 

(i) dans le cas d’une réhabilitation octroyée pour une infraction visée à l’alinéa 4a), la Commission, après avoir mené les enquêtes, a été convaincue que le demandeur s’est bien conduit,

 

(ii) dans le cas de toute réhabilitation, la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur;

 

b) d’autre part, sauf cas de révocation ultérieure ou de nullité, elle entraîne le classement du dossier ou du relevé de la condamnation à part des autres dossiers judiciaires et fait cesser toute incapacité ou obligation – autre que celles imposées au titre des articles 109, 110, 161, 259, 490.012 ou 490.019 du Code criminel ou du paragraphe 147.1(1) de la Loi sur la défense nationale que la condamnation pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements.

 

[14]      À mon avis, l’argument du demandeur est fondé sur une idée erronée de l’effet de la réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire. Ce genre de réhabilitation, appelée « réhabilitation administrative », vise à minimiser ou à éviter complètement certaines des conséquences juridiques qu’entraîne une condamnation criminelle. La réhabilitation n’a pas pour effet d’effacer la condamnation de sorte que la condamnation n’existe plus et elle n’a pas non plus pour objet de réécrire l’histoire en laissant entendre que la conduite qui est à l’origine de l’accusation et de la condamnation n’a pas eu lieu.  

 

[15]      Dans Re Therrien 2001 CSC 35, la Cour suprême du Canada, sous la plume du juge Gonthier, a abordé la question des conséquences juridiques d’une réhabilitation administrative :

 

116  L’article 5 et le par. 6(2) L.C.J. énoncent les effets de l’octroi d’une réhabilitation : (1) elle sert de preuve que la Commission nationale des libérations conditionnelles, après avoir mené les enquêtes prévues par la loi, est convaincue que le demandeur s’est bien conduit et que la condamnation pour laquelle elle est accordée ne devrait plus ternir sa réputation; (2) elle efface les conséquences de la condamnation et fait cesser les incapacités qu’elle pouvait entraîner aux termes d’une loi fédérale ou de ses règlements; et (3) elle entraîne la mise à l’écart de tout dossier portant sur la condamnation, soit la radiation du casier judiciaire. En elles-mêmes, ces dispositions ne me convainquent pas que la réhabilitation peut avoir pour effet d’anéantir rétroactivement la condamnation. Elles sont davantage l’expression du maintien de son existence, jumelée à une volonté d’en minimiser les conséquences à l’avenir. En effet, le sous-al. 5a)(ii) L.C.J. précise que la réhabilitation sert de preuve que « la condamnation en cause ne devrait plus ternir la réputation du demandeur » (je souligne), sous-entendant qu’elle existe toujours et qu’elle pourrait le faire. Ensuite, les effets de la réhabilitation sont limités aux incapacités juridiques créées par la loi fédérale ou ses règlements et excluent donc l’ensemble des conséquences postpénales prévues aux lois provinciales, ce qui laisse également croire que la réhabilitation n’a qu’une portée limitée. Finalement, les renseignements contenus au casier judiciaire ne sont pas détruits, mais mis à l’écart d’où ils risquent de ressurgir advenant une nouvelle inconduite de la personne réhabilitée.

 

La Cour suprême a aussi souscrit à l’opinion du professeur Dumont en ce qui concerne l’effet d’une réhabilitation accordée en vertu de la Loi sur le casier judiciaire, au par. 122 :

 

Il nous paraît clair que la Loi sur le casier judiciaire octroie un pardon qui vise seulement à faire cesser les effets négatifs d’une condamnation. Empruntant les caractéristiques d’un pardon partiel et conditionnel, la réhabilitation administrative n’est pas assimilable à une déclaration d’innocence à rebours, comme peut l’être le pardon absolu en vertu de la prérogative royale ou du Code criminel; par conséquent, la réhabilitation administrative n’entraîne pas logiquement la négation ou la neutralisation rétroactive de la condamnation. [Italiques dans l’original.]

 

[16]      Le demandeur prétend cependant que le fait que les divers décideurs étaient au courant des condamnations visées par des réhabilitations a eu une incidence négative sur sa réputation. Je n’accepte pas cet argument. Premièrement, les décideurs qui étaient au courant ou avaient entendu parler des incidents à l’origine des condamnations visées par une réhabilitation avaient le droit de tenir compte de leur connaissance des antécédents du demandeur en prenant les diverses décisions administratives et disciplinaires, peu importe si le comportement fait l’objet d’une accusation, et encore moins s’il fait l’objet d’une accusation ou d’une réhabilitation. Deuxièmement, j’estime que les décideurs, qui sont au courant de l’incident antérieur seulement parce qu’ils ont fait un examen rapide de la fiche de conduite, étaient bien plus influencés par les faits de la présente infraction reprochée au Sergent Lalande. Plus particulièrement, j’accepte le témoignage du Lieutenant-colonel Flynn, qui était le commandant responsable de la discipline dans son unité, selon lequel les infractions antérieures, qui comme il le sait maintenant avaient fait l’objet d’une réhabilitation avant la date des infractions actuellement reprochées, ne constituaient pas un facteur important dans sa décision d’approuver les accusations et de renvoyer l’affaire à la cour martiale.

 

[17]      Je n’accepte pas l’argument du demandeur selon lequel les autorités chargées du dépôt et de l’approbation des accusations, en sachant que les infractions antérieures avaient fait l’objet d’une réhabilitation, étaient tenues de réévaluer le dossier d’accusation. Je ne crois pas que les témoins ayant participé au processus décisionnel ont affirmé qu’ils auraient pris une autre décision s’ils avaient été au courant de la réhabilitation accordée pour les condamnations antérieures, ou s’ils n’avaient pas été au courant de l’incident à l’origine des infractions visées par une réhabilitation. 

 

[18]      Je n’accepte pas non plus l’argument selon lequel le demandeur a fait l’objet de discrimination contrairement à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il est vrai que « l’état de la personne graciée » est un motif de distinction illicite, mais je ne vois aucune preuve de discrimination en l’espèce. En particulier, le demandeur ne faisait pas l’objet d’une enquête ou d’une poursuite parce qu’il avait été condamné dans le passé ou parce qu’il avait obtenu une réhabilitation. Il faisait l’objet d’une enquête à la suite de la plainte du plaignant, le Caporal-chef Kresky (pièce M2-9), lequel a laissé entendre qu’au moins une infraction disciplinaire avait été commise.

 

[19]      Il y a abus de procédure d’importance constitutionnelle lorsqu’une poursuite est menée « de manière à contrevenir aux valeurs fondamentales de décence et de franc-jeu de la société et à mettre ainsi en question l’intégrité du système ». Habituellement, une telle conduite compromet le caractère équitable du procès ou les autres droits procéduraux énumérés dans la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, même si ce n’est pas le cas, il y a une catégorie résiduelle se rapportant à la conduite visée par l’article 7 où une poursuite est menée d’une manière inéquitable ou vexatoire au point de contrevenir aux notions fondamentales de justice et de miner ainsi l’intégrité du processus judiciaire. Dans un cas comme dans l’autre, les principes de justice fondamentale sont violés en vertu de l’article 7 de la Charte, et une réparation devrait être accordée.

 

[20]      En l’espèce, j’estime que l’unité et certains de ses membres n’ont pas réussi à traiter la demande de réhabilitation en temps opportun, et au moins un des membres peut avoir commis une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire contrairement à la Loi sur le casier judiciaire en divulguant le dossier de la condamnation visée par la réhabilitation contrairement au paraphe 6(2) de la Loi sur le casier judiciaire. Par conséquent, tous les décideurs chargés de l’enquête ainsi que du dépôt et de l’approbation des accusations disposaient de renseignements relatifs aux condamnations antérieures du Sergent Lalande qu’ils n’auraient pas dû avoir. Cependant, je ne peux pas conclure que les décisions, y compris l’approbation des accusations par le procureur, auraient été différentes si aucune condamnation antérieure n’avait été consignée sur la fiche de conduite du demandeur au moment où ces décisions ont été prises. Eu égard à l’ensemble des circonstances, je ne suis pas convaincu qu’il y a eu abus de procédure en l’espèce. Les valeurs de décence et de franc jeu de la société ne sont pas compromises, pas plus que l’intégrité du système judiciaire. Il n’y a aucune atteinte aux notions fondamentales de justice.

 

[21]      Même si j’en étais convaincu, la présente affaire est loin d’être la plus claire justifiant l’octroi de la réparation demandée, soit la suspension des procédures. 

 

[22]      Enfin, le demandeur prétend qu’un délai d’environ cinq mois, pendant lesquels l’enquête de police portant sur ces infractions reprochées a traîné, porte atteinte au droit à un procès équitable garanti par la Charte. Cet argument n’est simplement pas fondé. Le demandeur semble être d’avis que la mémoire de certains témoins qui ont témoigné relativement à la demande était, dans une certaine mesure, déficiente et que ces troubles de mémoire sont attribuables à la lenteur de l’enquête avant le dépôt des accusations. Je ne crois pas que les témoins ont vraiment souffert de troubles de mémoire. Quoi qu’il en soit, presque tous les faits sur lesquels la demande était fondée peuvent être établis à partir de la preuve documentaire déposée.

 

[23]      La demande a été rejetée.

 

[24]      En cour martiale, comme dans le cadre de toute poursuite criminelle devant un tribunal canadien, il incombe à la poursuite de prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Dans un contexte juridique, il s’agit d’un terme technique dont la signification est reconnue. Si la preuve ne permet pas d’établir la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable, celui-ci ne doit pas être déclaré coupable de l’infraction. Le fardeau de preuve à cet égard incombe à la poursuite, et il n’est jamais renversé. La personne accusée n’a pas à établir son innocence. En fait, l’accusé est présumé innocent à toutes les étapes de la procédure, jusqu’à ce que la poursuite ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable, au moyen d’une preuve admise par le tribunal.

 

[25]      Le doute raisonnable ne constitue pas une certitude absolue, mais la preuve qui ne mène qu’à conclure à la culpabilité probable n’est pas suffisante. Si la cour est plutôt convaincue que l’accusé est plus probablement coupable que non coupable, cela ne suffit pas pour le déclarer coupable hors de tout doute raisonnable; dans ce cas, l’accusé doit être acquitté. En effet, la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche beaucoup plus de la certitude absolue que d’une norme de culpabilité probable. Cependant, le doute raisonnable n’est pas un doute futile ou imaginaire. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Le doute raisonnable est fondé sur la raison et le sens commun découlant de la preuve ou de l’absence de preuve.  

 

[26]      Le fardeau de la preuve hors de tout doute raisonnable s’applique à chacun des éléments constitutifs de l’infraction reprochée. En d’autres termes, si la preuve ne permet pas de prouver chacun des éléments de l’infraction hors de tout doute raisonnable, l’accusé doit être acquitté.  

 

[27]      La règle du doute raisonnable s’applique à la crédibilité des témoins dans une situation semblable à celle de la présente affaire, où la preuve révèle différentes versions des faits ayant une incidence directe sur les questions en litige. Parvenir à une conclusion sur les faits ne se résume pas à préférer la version d’un témoin à celle d’un autre. Le tribunal peut accepter la véracité de tout ce que dit un témoin, ou ne pas l’accepter du tout. Il peut aussi accepter la véracité et l’exactitude d’une partie seulement du témoignage. Si le tribunal accepte le témoignage d’un accusé sur les aspects les plus essentiels d’une affaire, ce dernier ne peut être déclaré coupable de l’accusation qui pèse contre lui. Cependant, même si son témoignage n’est pas accepté, s’il demeure un doute raisonnable, il doit être acquitté. Et même si la preuve de l’accusé ne soulève à son avis aucun doute raisonnable, le tribunal doit quand même examiner toute la preuve dont il admet la crédibilité et la fiabilité pour décider si la culpabilité de l’accusé est établie hors de tout doute raisonnable.  

 

[28]      Les événements en question dans la présente affaire ont eu lieu dans le bureau du Sergent Lalande, au Centre d’entraînement tactique à la BFC Cold Lake. Un certain nombre de personnes se trouvaient dans le petit bureau le 12 juin 2009. Elles accomplissaient différentes tâches ou attendaient des instructions. Le Sergent Lalande et le Caporal-chef Kresky ont eu une brève conversation et, peu de temps après, ils étaient tous les deux à l’extérieur du bureau. Les témoignages sont contradictoires en ce qui concerne la façon dont le Caporal-chef Kresky a quitté la pièce.

 

[29]      Le Caporal-chef Kresky a dit qu’il parlait au Sergent Lalande, qui était assis à son bureau, à propos d’une question reliée au travail. Le Sergent Lalande a contourné le bureau au moment où il quittait la pièce. Le Caporal-chef a senti une force appliquée dans son dos, qui l’a déstabilisé et poussé à l’extérieur du bureau. Il a identifié le Sergent Lalande comme étant la personne qui l’a poussé et il a affirmé que le Sergent Lalande lui a dit : [traduction] « ferme ta gueule et retourne à la cantine ». 

 

[30]      Le Caporal-chef Schaub a affirmé qu’il était dans la pièce et qu’il a entendu une partie de la conversation entre le Sergent Lalande et le Caporal-chef Kresky. Il a vu le Sergent Lalande saisir le Caporal-chef Kresky par les épaules, le faire tourner sur lui‑même et le pousser à l’extérieur de la pièce avec la paume de sa main et son avant-bras.

 

[31]      Je me fonde sur le témoignage du Caporal-chef Schaub en ce qui concerne la façon dont le Sergent Lalande a poussé le Caporal-chef Kresky. Le Caporal-chef Schaub a pu observer distinctement ce qui s’est passé à quelques pieds de lui. Il avait travaillé en étroite collaboration avec le Sergent Lalande en tant que commandant adjoint et il ne semble pas avoir été distrait par autre chose qui se passait dans le bureau à ce moment-là. Il était suffisamment attentif pour remarquer que le Sergent Lalande semblait un peu fâché. Il était préoccupé par le comportement du Sergent Lalande dont il venait d’être témoin alors il a dit au Caporal-chef Buckingham de les suivre et de les surveiller, c’est-à-dire le Sergent Lalande et le Caporal-chef Kresky.  

 

[32]      Il a témoigné d’une façon remarquablement franche sans animosité à l’égard du Sergent Lalande, ou toute autre personne. Son témoignage était inébranlable pendant le contre-interrogatoire. De plus, il a affirmé avoir vu un contact physique entre le Sergent Lalande et le Caporal-chef Kresky et cela a été corroboré par le témoignage du Caporal-chef Kresky et celui du Caporal Wolfe. Bien que le Caporal-chef Kresky n’a pas dit avoir été saisi par les épaules et tourné sur lui-même, comme l’a affirmé le Caporal-chef Schaub, cette contradiction ne m’amène pas à douter de l’exactitude de la description des événements donnée par le Caporal-chef Schaub.

 

[33]     Je n’accepte pas le témoignage du Sergent Lalande à propos de la tournure des événements. Sur plusieurs points, il a été contredit par les quatre autres témoins, dont j’accepte le témoignage sur ces points. Par exemple, bien qu’il semble convenir avoir quitté le bureau à peu près au même moment que le Caporal-chef Kresky, il a affirmé qu’il se trouvait deux pieds derrière le Caporal-chef Kresky et que tout contact physique entre eux aurait été accidentel. Cependant, le Caporal Wolfe a clairement dit que le Sergent Lalande était derrière le Caporal-chef Kresky et qu’il l’a poussé à l’extérieur de la pièce. Le Sergent Lalande dit qu’il n’était pas en colère contre le Caporal-chef Kresky, mais qu’il a élevé la voix pour attirer l’attention du Caporal‑chef Buckingham qui était occupé à regarder un horaire pour y apporter des changements.

 

[34]      J’estime donc que le Sergent Lalande a utilisé une certaine force pour physiquement pousser le Caporal-chef Kresky à l’extérieur de son bureau de la manière décrite par le Caporal-chef Schaub lors de son témoignage et que l’utilisation de la force était intentionnelle dans le but évident de le faire sortir. Il ne fait aucun doute que le Caporal-chef Kresky n’a pas consenti à ce contact et je suis d’avis que le Sergent Lalande était indifférent à la question de savoir si le Caporal-chef Kresky avait donné son consentement, ou il n’y a pas pensé. Il ne se souciait donc pas de savoir si le Caporal-chef Kresky avait consenti à se faire pousser. Je ne crois pas que l’avocat de la défense a soutenu le contraire. Les éléments de l’infraction de voies de fait reprochée dans le deuxième chef d’accusation sont donc établis hors de tout doute raisonnable et le Sergent Lalande est déclaré coupable relativement à la deuxième accusation.

 

[35]      La première accusation allègue une infraction de mauvais traitement d’un subordonné et précise que le mauvais traitement consiste à avoir poussé le Caporal‑chef Kresky. J’ai déjà conclu que le Sergent Lalande a intentionnellement poussé le Caporal-chef Kresky de la façon décrite par le Caporal-chef Schaub, et les circonstances entourant ce geste portent à conclure qu’il s’agit d’un mauvais traitement. Cela s’est produit en présence d’autres membres des FC pour aucune raison militaire valide. Je n’accepte pas l’argument, fondé sur le témoignage du Sergent Lalande, selon lequel le Caporal-chef Kresky refusait d’obtempérer à la demande du Sergent de quitter le bureau dans le but de l’accompagner au bureau du Capitaine Plickett. Les témoins qui ont dû porter un jugement ont affirmé n’avoir jamais vu une telle conduite de la part d’un supérieur envers un subordonné pendant leur service dans les Forces canadiennes. Bien qu’elle soit de nature relativement mineure, la conduite établie du Sergent Lalande en l’espèce constitue un acte ordinaire de violence, et équivaut à un mauvais traitement au sens de l’article 103.28 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes.

 

[36]      Il ne fait aucun doute qu’au moment des événements le Caporal-chef Kresky était, à sa connaissance, un subordonné du Sergent Lalande. Il n’est donc pas coupable relativement à la première accusation.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[37]      CONCLUT que, comme les accusations sont portées à titre subsidiaire, il y aura une déclaration de culpabilité à l’égard du premier chef d’accusation et une suspension des procédures à l’égard du deuxième.

 


Avocats :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B.G. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Sergent J.M. Lalande

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