Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 20 mai 2014.

Endroit : BFC Gagetown, édifice F-1, Oromocto (NB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, interception d’une communication privée (art. 184(1) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4 : Coupable. Chef d’accusation 2 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c. Laliberté, 2014 CM 2010

 

Date :  20140522

Dossier :  201372

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Oromocto (Nouveau-Brunswick), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal C.J. Laliberté, accusé

 

 

En présence du Colonel M.R. Gibson, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE DÉCISION

 

 

[1]               Le caporal Laliberté est accusé de quatre infractions. La première accusation, punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, a trait à l’interception de communications privées en contravention du paragraphe 184(1) du Code criminel. La deuxième accusation, portée subsidiairement à la première accusation, a trait à une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit avoir prétendument utilisé du matériel de surveillance électronique de la police militaire sans autorisation, en contravention du Code de déontologie de la police militaire. Les troisième et quatrième accusations allèguent que le caporal Laliberté s’est conduit de façon méprisante envers un supérieur, en contravention de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale.

 

[2]               Pour exposer la décision de la cour, je vais d’abord passer en revue les faits de l’espèce ainsi qu’ils ont été établis au moyen des témoignages entendus par la cour, puis faire un rappel du droit applicable avant de signaler les conclusions que j’ai tirées concernant la crédibilité de certains témoins. Je vais par la suite appliquer le droit aux faits pour expliquer l’analyse que j’ai faite, avant de présenter la décision de la cour sur les quatre accusations.

 

[3]               Tout d’abord, passons en revue les faits. La poursuite a appelé six témoins : le capitaine Powell, Mme Jody Schnare, le caporal-chef Nachuk, le matelot de 1re classe Marcelli, l’adjudant (retraité) Hoben et le caporal-chef Fitzgerald.

 

[4]               L’accusé, le caporal Laliberté, a également témoigné.

 

[5]               Les trois premières accusations découlent de la participation du caporal Laliberté à une réunion du Comité de santé et de sécurité du Bureau G3 à la Base des Forces canadiennes de (BFC) Gagetown le 11 juin 2013, plus précisément de ses échanges lors de cette réunion avec le caporal-chef Nachuk, ainsi que d’événements subséquents survenus au détachement de la police militaire à la BFC Gagetown plus tard dans l’après-midi du même jour. En résumé, la réunion avait porté sur certaines questions liées à la santé et à la sécurité, puis, durant le volet de la réunion où les participants prenaient la parole à tour de rôle, il y a eu un échange animé entre le caporal Laliberté et le caporal-chef Nachuk, un membre d’une autre unité qui participait à la réunion; durant cet échange, le caporal Laliberté a arraché l’insigne porte-nom de son uniforme et l’a dirigé vers le caporal-chef Nachuk pour qu’il le lise. La façon dont il a dirigé l’insigne porte-nom a été décrite de diverses manières par les différents témoins : [traduction] « jeter », « lancer », « d’un coup de poignet comme on lance un Frisbee » ou « placer ». Il a également dit au caporal-chef Nachuk que celui-ci ne faisait pas partie de sa chaîne de commandement, qu’il ne pouvait donc pas lui dire quoi faire, qu’il n’était pas obligé de l’écouter et qu’il était conscient de ses droits.

 

[6]               À son retour au détachement de la police militaire, devant accomplir une tâche que lui avait confiée le caporal-chef Fitzgerald, son superviseur immédiat, le caporal Laliberté est allé à la salle de surveillance où se trouve le matériel d’enregistrement servant à enregistrer les entrevues qui se déroulent dans les deux salles d’entrevues. Ayant noté sur le moniteur dans la salle de surveillance que le caporal-chef Nachuk et l’adjudant Hoben parlaient de lui dans [traduction]  « la salle des entrevues en douceur, comme on l’appelait », il a appuyé sur le bouton d’enregistrement. Ainsi, la discussion entre l’adjudant Hoben et le caporal‑chef Nachuk a été enregistrée. Peu après, le caporal Laliberté a avoué à l’adjudant Hoben et au caporal-chef Fitzgerald qu’il avait enregistré leur discussion.

 

[7]               La quatrième accusation découle d’un échange entre le caporal Laliberté et son superviseur immédiat, le caporal-chef Fitzgerald, au détachement de la police militaire à la BFC Gagetown le 19 juin 2013. Le caporal Laliberté souhaitait présenter une note de service au caporal-chef Fitzgerald pour que le drapeau de la fierté LGBT soit hissé au quartier général de la BFC Gagetown en août dans le cadre d’un événement organisé à Fredericton. Le caporal-chef Fitzgerald a indiqué au caporal Laliberté qu’il était occupé pour l’instant et que ce dernier allait devoir lui laisser la note de service pour qu’il l’examine plus tard. Ensuite, le caporal Laliberté a voulu partir et il y a eu un échange assez vif, durant lequel le caporal Laliberté a affirmé qu’il aurait recours aux médias si le caporal-chef Fitzgerald n’accédait pas à ses souhaits sans délai.

 

[8]               Conformément au paragraphe 15(2) des Règles militaires de la preuve, la cour a pris judiciairement connaissance de la teneur, mais non de la publication ou de la suffisance de la notification, du Code de déontologie de la police militaire (DORS/2000-14), un règlement pris en vertu de la Loi sur la défense nationale, qui est publié à l’Appendice 7.1 du Volume IV des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. L’Annexe E (Outils d’enquête : l’entrevue) du document de la police militaire A‑SJ‑100‑004/AG-000, en date de juillet 2004, a aussi été déposée en preuve (pièce no 3).

 

[9]               Je passe maintenant aux questions de droit. Pour arriver à une conclusion appropriée en l’espèce, la cour doit relever le droit applicable, soit :

 

a.                   les éléments des infractions dont le caporal Laliberté est accusé;

 

b.                  les éléments se rapportant à l’identité ainsi qu’à l’heure, la date et le lieu des présumées infractions ne sont pas contestés et ont été admis par la défense.

 

[10]           La première accusation inscrite à l’acte d’accusation, soit l’infraction d’interception de communications privées en contravention du paragraphe 184(1) du Code criminel, comporte les éléments additionnels qui suivent. Pour que cette infraction soit commise :

 

a.                   il doit y avoir un dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre;

 

b.                  il faut que le geste soit fait volontairement;

 

c.                   il faut que la personne intercepte quelque chose;

 

d.                  ce qu’elle intercepte doit être une communication privée.

 

[11]           L’article 183 du Code criminel renferme plusieurs définitions qui s’appliquent à l’interprétation de l’infraction prévue à l’article 184.  Par « dispositif électromagnétique, acoustique, mécanique ou autre », on entend tout dispositif ou appareil utilisé ou pouvant être utilisé pour intercepter une communication privée. « Intercepter » s’entend notamment du fait « d’écouter, d’enregistrer ou de prendre volontairement connaissance d’une communication ». Par « communication », on entend une communication orale ou télécommunication dont l’auteur se trouve au Canada, ou destinée par celui-ci à une personne qui s’y trouve, et qui est faite dans des circonstances telles que son auteur peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle ne soit pas interceptée par un tiers. 

 

[12]           Le terme « volontairement » n’a pas de sens fixe en droit canadien et doit tirer son sens du contexte. Toutefois, en général, il renvoie à l’intention de produire une conséquence illicite.

 

[13]           La deuxième accusation se rapporte au paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale, qui est ainsi libellé :

 

                Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a)     une disposition de la présente loi;

 

b)     des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

c)     des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

 

[14]           Ainsi, pour une personne assujettie au Code de discipline militaire, toute violation volontaire d’un règlement pris en vertu de la Loi nationale sur la défense serait réputée avoir un effet préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Afin de prouver l’infraction, il faut démontrer que la personne avait l’intention de commettre l’acte sous-jacent illicite qui constituerait une contravention à l’ordonnance ou au règlement, et que cet acte contrevenait bel et bien à l’ordonnance ou au règlement.

 

[15]           Les troisième et quatrième accusations figurant à l’acte d’accusation se rapportent à l’infraction prévue à l’article 85 de la Loi nationale sur la défense, soit la conduite méprisante envers un supérieur, qui comporte les éléments suivants :

 

(a)                la personne visée par la conduite doit être un supérieur, au sens de la définition de ce terme à l’article 2 de la Loi nationale sur la défense;

 

(b)               la cour doit être convaincue que la personne accusée savait que la personne visée par la conduite méprisante était un supérieur;

 

(c)                la conduite méprisante doit avoir eu lieu à la portée de la vue ou de l’ouïe du supérieur en question;

 

(d)               la conduite doit avoir été méprisante.

 

[16]           Selon le dictionnaire Oxford, le mot « contemptuous » (méprisant) signifie [traduction] « qui manifeste du mépris, ou insolent ». Il définit le mépris comme suit [traduction] : « sentiment par lequel on juge qu’une personne ou une chose est indigne d’estime ou dépourvue de valeur, qu’elle mérite notre dédain ou de grands reproches ».

 

[17]           La norme devant servir à évaluer un geste ou des paroles est une norme objective –  autrement dit, on se reporte à la perception qu’aurait une personne raisonnable, et non aux sentiments subjectifs de l’accusé, pour ce qui est de savoir si les paroles ou les gestes se voulaient méprisants.

 

[18]           La deuxième question a trait à la présomption d’innocence et à la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Les avocats connaissent bien ce principe, mais il se peut que d’autres personnes dans la salle d’audience ne le connaissent pas, alors la cour va prendre un moment pour donner quelques précisions, notamment pour le bénéfice de l’accusé, le caporal Laliberté.

 

[19]           Il est juste de dire que la présomption d’innocence est probablement le principe le plus fondamental du droit pénal canadien, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel du droit régissant les procès criminels au Canada. Dans les affaires relevant du Code de discipline militaire, tout comme les affaires de droit criminel au Canada, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente jusqu’à ce que la poursuite prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments essentiels de l’infraction. L’accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[20]           La norme relative à la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l’accusé. Pour obtenir une déclaration de culpabilité, la poursuite doit prouver, selon la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable, chacun des éléments essentiels de l’infraction reprochée. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé, mais jamais à l’accusé de prouver son innocence.

 

[21]           La cour doit, après avoir considéré l’ensemble de la preuve, déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité relativement à tous les éléments essentiels de l’infraction.

 

[22]           L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[23]           Dans l’arrêt R c. Lifchus, [1997] 3 RCS 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives à l’intention du jury concernant le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas se fonder sur la sympathie ou les préjugés, mais sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle à la cour, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est absolument pas une indication de sa culpabilité.

 

[24]           Dans l’arrêt R c. Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au paragraphe 242 :

 

[…] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités [...]

 

[25]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est presque impossible d’apporter une preuve conduisant à une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a pas d’obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, hors de tout doute raisonnable.

 

[26]           Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[27]           La troisième question a trait à l’appréciation des témoignages.

 

[28]           La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des affirmations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de vidéos, de cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par des témoins, des témoignages d’experts, des faits admis devant la cour par la poursuite ou par la défense, ou des questions dont la cour a connaissance d’office.

 

[29]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements. La cour doit déterminer les éléments de preuve qu’elle juge crédibles et fiables.

 

[30]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoignage. Par exemple, elle évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer les événements, et les raisons qu’il a de s’en souvenir. Une chose en particulier a‑t-elle aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins, donc naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; autrement dit, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[31]           Le comportement du témoin lors de son témoignage est un facteur pouvant servir à évaluer sa crédibilité : le témoin était-il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif, hésitant? Argumentait-il sans cesse? Il faut toutefois évaluer le comportement du témoin avec prudence et évaluer dans un même temps si son témoignage était cohérent en soi et compatible avec les faits non contestés ou admis en preuve. La Cour d’appel de l’Ontario et la Cour d’appel de la cour martiale ont signalé qu’il ne faut pas trop se fier au comportement à titre de facteur dans l’appréciation de la crédibilité des témoins et de la fiabilité de la preuve.

 

[32]           Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave, et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage.

 

[33]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Elle peut accepter en entier ou en partie le témoignage d’une personne ou l’écarter. Dans l’arrêt Clark c. La Reine, 2012 CACM 3, la Cour d’appel de la cour martiale a formulé des lignes directrices très claires pour l’évaluation de la crédibilité des témoins. Le juge Watt a élaboré les principes directeurs. Premièrement, les témoins ne sont pas « présumés dire la vérité ». Le juge des faits doit apprécier le témoignage de chaque témoin en tenant compte de tous les éléments de preuve produits durant l’instance, sans s’appuyer sur aucune présomption, sauf peut-être la présomption d’innocence.

 

[34]           Deuxièmement, le juge des faits n’est pas nécessairement tenu d’admettre le témoignage d’un témoin simplement parce qu’il n’a pas été contredit par le témoignage d’un autre témoin ou par un autre élément de preuve. Le juge des faits peut se fonder sur la raison, le sens commun et la rationalité pour rejeter tout élément de preuve non contredit. Il peut accepter ou rejeter tout ou partie d’un témoignage versé au dossier.

 

[35]           L’appréciation de la crédibilité n’est pas dépourvue de nuances. On ne peut non plus déduire de la conclusion selon laquelle un témoin est crédible que son témoignage est fiable. Une conclusion selon laquelle un témoin est crédible n’oblige pas le juge des faits à accepter sans réserve le témoignage d’un témoin. Il n’y a aucun parallèle entre la crédibilité et la preuve.

 

[36]           Voici ce que le juge Watt a signalé au paragraphe 48 de l’arrêt Clark :

 

                Un témoignage peut soulever des problèmes de véracité et d’exactitude. Les problèmes de véracité renvoient à la sincérité du témoin, à sa volonté de dire la vérité telle qu’il la perçoit, bref, à sa crédibilité. Les problèmes d’exactitude concernent l’exactitude du récit du témoin, à savoir, son caractère fiable. Le témoignage d’un témoin crédible, honnête personne au demeurant, peut néanmoins ne pas être fiable.

 

[37]           L’accusé, le caporal Laliberté, a témoigné à son procès et son témoignage était essentiellement la dénégation de plusieurs faits ayant un lien direct avec les éléments essentiels des infractions en cause.

 

[38]           Cela étant, la cour doit s’attarder au critère établi par le juge Cory de la Cour suprême du Canada dans les motifs qu’il a prononcés dans l’arrêt R c. W. (D.), [1991] 1 RCS 742, à l’égard d’affaires comme celle-ci où l’accusé a livré un témoignage et que celui-ci constitue essentiellement une dénégation de l’un des éléments essentiels de l’accusation. Les directives de la Cour suprême à cet égard sont les suivantes :

 

Premièrement, si je crois le témoignage de l’accusé, je dois alors prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si je ne crois pas le témoignage de l’accusé, mais que j’ai un doute raisonnable, je dois prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si je n’ai pas de doute à la suite du témoignage de l’accusé, je dois me demander si, en vertu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable de la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[39]           Dans l’arrêt R c. J.H.S., 2008 CSC 30, au paragraphe 12, la Cour suprême du Canada a repris, en l’approuvant, le passage suivant de l’arrêt R c. H. (C.W.), (1991), 68 CCC (3d) 146 (C.A. C.-B.), où le juge Wood a formulé une directive supplémentaire :

 

[TRADUCTION]

                Dans ces cas, j’ajouterais la directive supplémentaire suivante qui, logiquement, devrait être la deuxième : « Si, après un examen minutieux de tous les éléments de preuve, vous êtes incapables de décider qui croire, vous devez prononcer l’acquittement. »

 

[40]           Je vais maintenant passer à une appréciation de la preuve en l’espèce et à la question de savoir si la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé relativement à chaque élément essentiel de l’infraction, suivant la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable.

 

[41]           Mettant en application le cadre analytique de l’arrêt W(D), j’examine d’abord le témoignage de l’accusé, le caporal Laliberté. J’ai conclu que, de manière générale, il était un témoin crédible dans certaines portions de son témoignage, mais pas dans d’autres. J’ai accepté une partie de son témoignage, mais pas la totalité. Il y a des parties précises et importantes de son témoignage que je ne trouve pas crédibles ou fiables. Je n’accepte pas ces parties de son témoignage parce qu’elles ne sont pas cohérentes, qu’elles sont illogiques, ou qu’elles sont contredites par d’autres témoignages que je trouve dignes de foi. De plus, tout en gardant à l’esprit les limites et réserves se rapportant à la prise en compte du comportement du témoin pour évaluer sa crédibilité (signalées ci-dessus), j’ai conclu, à titre d’élément secondaire de mon évaluation, que le comportement du caporal Laliberté durant son contre-interrogatoire était peu convaincant et par moments évasif.

 

[42]           Plus précisément, je ne crois pas et n’accepte pas son témoignage selon lequel, de la façon dont étaient disposés les participants à la réunion du Comité de santé et de sécurité tenue le 11 juin 2013, il ne pouvait pas voir le fourreau de grade sur la poitrine du caporal‑chef Nachuk qui se trouvait directement devant lui durant la réunion et que, par conséquent, il n’était pas au fait du grade de ce dernier et ne savait pas qu’il était son supérieur au sens prévu à l’article 2 de la Loi nationale sur la défense. Le caporal Laliberté pouvait lire l’insigne porte-nom du caporal-chef Nachuk, qui aurait été près du fourreau de grade, si bien qu’il aurait pu facilement voir le fourreau de grade. Je ne crois pas que le caporal Laliberté n’était pas au fait du grade du caporal-chef Nachuk durant leur échange.

 

[43]           Deuxièmement, je ne crois pas la version des événements du caporal Laliberté concernant ce qui s’est produit dans la salle de surveillance du détachement de la police militaire quand il a mis en marche le matériel d’enregistrement. Sa version selon laquelle il a tout simplement appuyé sur le bouton d’enregistrement – sans donner d’explication concernant son intention – sonne faux et est peu convaincante dans les circonstances. De plus, je ne crois pas qu’il n’avait pas l’intention d’enregistrer l’entrevue sur un DVD. De même, je ne crois pas que le caporal-chef Fitzgerald lui avait demandé de transférer sur DVD les entrevues déjà enregistrées sur le disque dur.

 

[44]           Troisièmement, je ne crois pas sa version de l’échange qu’il a eu avec le caporal‑chef Fitzgerald au détachement de la police militaire le 19 juin et je ne crois pas qu’il n’y avait rien de menaçant dans son affirmation selon laquelle il s’adresserait aux médias si le caporal-chef Fitzgerald n’accédait pas immédiatement à ses souhaits. Je reviendrai sur cette question plus loin.

 

[45]           Je ne crois pas le témoignage du caporal Laliberté sur ces points cruciaux; de plus, son témoignage ne soulève pas de doute raisonnable dans mon esprit.

 

[46]           Par conséquent, je dois maintenant examiner si, en vertu de la preuve que j’accepte, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable de la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[47]           Je vais commencer en examinant la crédibilité et la fiabilité de la preuve présentée par les témoins de la poursuite, en gardant à l’esprit les lignes directrices de la Cour d’appel de la cour martiale, exposées ci-dessus.

 

[48]           À mon avis, tous les témoins de la poursuite étaient crédibles et fiables. Il était manifeste qu’ils faisaient de leur mieux pour témoigner de façon précise et équitable et sans embellissement. En particulier, j’ai trouvé que les deux principaux témoins de la poursuite, le caporal-chef Nachuk et le caporal-chef Fitzgerald, avaient témoigné sans embellissement et d’une manière calme et mesurée. Je conclus que leurs témoignages sont crédibles et fiables.

 

[49]           Une grande partie des témoignages présentés à la cour portait sur ce qu’on pourrait considérer comme étant le contexte général des événements en cause; toutefois, cela n’avait pas de lien direct avec les accusations dont la cour est saisie. Il est important que tous comprennent que, au bout du compte, la tâche de la cour est de se pencher et de rendre une décision sur les accusations précises dont elle est saisie et qui visent des incidents précis.

 

[50]           Je vais maintenant passer à une analyse de chaque accusation.

 

[51]           En ce qui a trait à la première accusation, il ressort de la preuve que, à l’heure, à la date et à l’endroit indiqués, le caporal Laliberté s’est servi d’un appareil d’enregistrement JVC (qui répond à la définition d’un dispositif électromagnétique exposée à l’article 183 du Code criminel) pour intercepter (en enregistrant, encore une fois au sens prévu à l’article 183 du Code criminel) une communication orale privée (encore une fois au sens prévu à l’article 183) entre l’adjudant Hoben et le caporal-chef Nachuk. Ces derniers ont tous deux témoigné qu’ils ne savaient pas que leur conversation était enregistrée et qu’ils n’auraient pas consenti à ce qu’elle soit enregistrée dans cette situation.  

 

[52]           Il reste un élément essentiel de l’infraction à examiner : « volontairement ». Il ressort clairement des témoignages, y compris de celui du caporal Laliberté lui-même, qu’il avait l’intention d’appuyer et qu’il a appuyé sur le bouton d’enregistrement de l’appareil. Il avait l’intention d’enregistrer la conversation à l’insu et sans le consentement des deux participants. Ainsi, il avait l’intention de produire la conséquence interdite par l’article 184 du Code criminel. En ce qui a trait à la mens rea pour cette infraction particulière, il serait sans importance sur le plan juridique même si, comme il l’a prétendu dans son témoignage, le caporal Laliberté croyait qu’il était en droit de faire une copie. Comme le précisent l’article 150 de la Loi nationale sur la défense et l’article 19 du Code criminel, le fait d’ignorer les dispositions d’une loi ne constitue pas une excuse pour la perpétration d’une infraction. De plus, comme l’a reconnu la défense, étant donné que l’élément moral de l’infraction exposée à l’article 184 est le caractère volontaire de l’action, la défense fondée sur une croyance sincère mais erronée ne pourrait pas être admise pour réfuter cet élément de l’infraction. Il est clair que le caporal Laliberté a volontairement appuyé sur le bouton d’enregistrement et qu’il avait l’intention d’enregistrer la conversation. De toute manière, à la lumière de la preuve, la cour n’accepte pas que le caporal Laliberté, un membre chevronné de la police militaire, croyait honnêtement qu’il était approprié de réaliser cet enregistrement dans les circonstances de l’espèce.

 

[53]           Par conséquent, en ce qui a trait à la première infraction, la cour conclut que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver tous les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

[54]           Pour ce qui est de la deuxième infraction, la cour a pris judiciairement connaissance du Code de déontologie de la police militaire. Il ressort clairement des témoignages, y compris de celui du caporal Laliberté lui-même, qu’il était au courant de la teneur de ce règlement et qu’il l’avait examiné à plusieurs moments durant sa carrière. La publication de ce règlement et la suffisance de la notification sont démontrées. La preuve confirme que, à l’heure, à la date et à l’endroit indiqués, il s’est servi du matériel de surveillance électronique au détachement de la police militaire pour enregistrer subrepticement (c’est-à-dire à leur insu et sans leur consentement) l’adjudant Hoben et le caporal-chef Nachuk, et qu’il l’a fait à des fins privées. Il s’agit d’une violation de l’alinéa 4j) du Code de déontologie de la police militaire, qui stipule qu’aucun policier militaire ne doit utiliser les ressources de la police militaire à des fins privées ou à toute autre fin non autorisée. Cette violation du règlement est réputée être, par effet de la loi en vertu du paragraphe 129(2) de la Loi nationale sur la défense, préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Par conséquent, en ce qui a trait à la deuxième infraction, la cour conclut que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver tous les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

[55]           En ce qui concerne la troisième infraction, le lieu, la date et l’heure ne sont pas mis en cause. La cour accepte le témoignage du caporal-chef Nachuk concernant la manière dont le caporal Laliberté a dirigé son insigne porte-nom vers lui et conclut que : le caporal Laliberté a effectivement lancé son insigne porte-nom en direction du caporal-chef Nachuk, une personne qui était son supérieur au sens de l’article 2 et de l’article 85 de la Loi nationale sur la défense; qu’il lui a adressé des paroles indiquant que [traduction] « tu ne fais pas partie de ma chaîne de commandement, tu ne peux pas me dire quoi faire, je ne suis pas obligé de t’écouter »; et que, vues de façon objective, ces paroles et cette conduite étaient méprisantes envers le caporal-chef Nachuk. Ces gestes ont été posés à la portée de la vue et de l’ouïe du caporal-chef Nachuk, et la cour conclut à la lumière des faits que le caporal Laliberté devait savoir que le caporal-chef Nachuk était un supérieur. Le fait que le caporal Laliberté était frustré à la suite de son échange avec le caporal-chef Nachuk et d’autres personnes lors de la réunion et qu’il a peut-être cédé à un mouvement d’irritabilité ou à un sentiment exagéré de sa propre importance ou de l’importance de son rôle à la réunion ou même la possibilité qu’il croyait sincèrement qu’il s’agissait d’une façon appropriée d’interagir dans le cadre de la réunion peut s’avérer un facteur pertinent pour l’atténuation de la sentence, mais il ne s’agit pas d’un facteur pertinent pour déterminer s’il a commis l’infraction en vertu de l’article 85 de la Loi nationale sur la défense et cela ne réfute pas les éléments essentiels de l’infraction. Par conséquent, la cour conclut que tous les éléments essentiels de la troisième accusation ont été démontrés.

 

[56]           Pour ce qui est de la quatrième accusation, la cour accepte la version des événements du caporal-chef Fitzgerald et rejette celle du caporal Laliberté concernant la question de savoir si ce dernier a initialement refusé de revenir contrairement à l’ordre que lui avait donné le caporal-chef Fitzgerald. La cour conclut que le caporal Laliberté a effectivement prononcé des paroles indiquant que [traduction] « tu as intérêt à t’occuper de ce dossier sinon je vais appeler les médias » et que, vues de manière objective, ces paroles ne peuvent être interprétées que comme une menace qui serait exécutée si le caporal-chef Fitzgerald n’accédait pas immédiatement aux souhaits du caporal Laliberté. Dans les circonstances, ces paroles et ces gestes étaient méprisants envers le caporal-chef Fitzgerald, le supérieur direct du caporal Laliberté; il savait qu’il s’agissait de son supérieur et manifestement l’incident s’est produit à la portée de la vue et de l’ouïe du caporal-chef Fitzgerald. Par conséquent, en ce qui a trait à la quatrième infraction, la cour conclut que les éléments essentiels de l’infraction ont été démontrés.

 

[57]           Pour ces motifs, la cour conclut que la poursuite s’est acquittée de son fardeau de prouver tous les éléments essentiels des quatre infractions figurant sur l’acte d’accusation hors de tout doute raisonnable.

 

[58]           Étant donné que la deuxième accusation a été portée subsidiairement à la première accusation, en vertu de l’alinéa 112.40(2)a) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la procédure se rapportant à la deuxième accusation est suspendue.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[59]           vous DÉCLARE coupable des première, troisième et quatrième accusations et ordonne que la procédure se rapportant à la deuxième accusation soit suspendue.

 


 


Avocats :

 

Capitaine de corvette D. Reeves, Service canadien des poursuites militaires,

procureur de Sa Majesté la Reine

 

M. P.E. Hurley, c.r.,

avocat du caporal C.J. Laliberté

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