Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 6 octobre 2014.

Endroit : Réfectoire Currie, Édifice R-15, 15 promenade Valour, Collège militaire royal, Kington (ON).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4, 5 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 7) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 7 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 130 LDN, emploi illégitime d’uniformes ou certificats militaires.
•Chef d’accusation 8 (subsidiaire au chef d’accusation 9) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 9 (subsidiaire au chef d’accusation 8) : Art. 130 LDN, emploi illégitime d’uniformes ou certificats militaires.
•Chef d’accusation 10 (subsidiaire au chef d’accusation 11) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 11 (subsidiaire au chef d’accusation 10) : Art. 130 LDN, emploi illégitime d’uniformes ou certificats militaires.

Verdicts
•Chefs d’accusation 1, 3, 5 : Coupable.
•Chefs d’accusation 2, 4, 6, 7, 8, 9, 10, 11 : Retirés.

Sentence
•Un blâme et une amende au montant de 5000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c. Miller, 2014 CM 2018

 

Date : 20141007

Dossier : 2013100

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Kingston

Kingston, (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant-colonel D.L. Miller, contrevenante

 

 

En présence du : Colonel M. Gibson, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Lieutenant-colonel Miller, après avoir accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement aux premier, troisième et cinquième chefs d’accusation figurant sur l’acte d’accusation, la Cour vous déclare à présent coupable de ces infractions. Il m’incombe à présent de prononcer une sentence juste, équitable et appropriée.

 

[2]               À cet égard, la Cour a tenu compte des principes de détermination de la sentence applicables au système de justice militaire, des faits de l’affaire tels que révélés par la preuve entendue par la Cour et les documents introduits en preuve, ainsi que des observations des avocats de la poursuite et de la défense.

 

[3]               Les objectifs fondamentaux de la détermination de la sentence par les tribunaux militaires du système de justice militaire, dont les cours martiales sont un des types, consistent à : promouvoir l’efficacité opérationnelle des Forces canadiennes en contribuant au maintien de la discipline, de l’efficacité et du moral des troupes; et contribuer au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre.

 

[4]               Ces objectifs fondamentaux sont atteints en imposant des sanctions justes répondant à au moins l’un des buts suivants : promouvoir l’habitude de l’obéissance aux commandements et aux ordres légitimes; maintenir la confiance du public dans les Forces canadiennes en tant que force armée disciplinée; dénoncer le comportement illégal; dissuader le contrevenant et quiconque de commettre des infractions; favoriser la réinsertion sociale des délinquants; contribuer à la réintégration des contrevenants au service militaire; isoler, au besoin, les contrevenants des autres officiers ou militaires du rang ou de la société en général; assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[5]               Le principe fondamental de la détermination de la sentence est que celle-ci doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant. Les autres principes de détermination de la sentence incluent les suivants : la sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration de l’infraction; la sentence doit être analogue à celles qui sont infligées à des contrevenants comparables ayant commis des infractions semblables dans des circonstances similaires; le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, soit par l’emprisonnement, soit par la détention si une sentence moins contraignante peut se justifier dans les circonstances; la sentence devrait être la moins sévère requise pour maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des troupes; et toutes les conséquences indirectes de la déclaration de culpabilité ou de la sentence doivent être prises en compte.

 

[6]               Dans l’affaire que la Cour instruit aujourd’hui, je dois déterminer si les objectifs de détermination de la sentence seraient mieux servis par la dissuasion, la dénonciation, la réadaptation ou une combinaison de ces facteurs.

 

[7]               La Cour doit imposer la sentence la moins sévère requise pour maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des troupes. La discipline est la qualité que chaque membre des Forces canadiennes doit posséder lui permettant de mettre les intérêts du Canada et celui des Forces canadiennes au-delà des siens propres. Ceci est nécessaire car tous les membres doivent obéir rapidement et volontairement à des ordres légitimes susceptibles d’avoir de très graves conséquences personnelles, allant jusqu’aux blessures ou même la mort. La discipline est décrite comme une qualité parce qu’en fin de compte elle doit être intériorisée, même si cette aptitude est développée et encouragée par les Forces canadiennes par le biais de l’instruction, de la formation et de la pratique, puisque c’est un des prérequis essentiels à l’efficacité opérationnelle d’une force armée. L’une des composantes les plus importantes de la discipline dans le contexte militaire est l’autodiscipline, ce qui renvoie dans une large mesure à la force de caractère nécessaire pour ne pas se livrer à une conduite répréhensible ou contraire à l’éthique. Les actes posés par le lieutenant-colonel Miller démontrent qu’elle a fait preuve de faiblesse à cet égard.

 

[8]               Les faits de la présente affaire figurent dans l’énoncé des circonstances introduit en preuve. Le lieutenant-colonel Miller était, à toutes les périodes pertinentes en l’espèce, un officier supérieur servant dans la force régulière des Forces canadiennes.

 

[9]               Le 20 décembre 2012, à l’occasion d’une sortie de son unité à Kingston (Ontario), le lieutenant-colonel Miller a porté son veston UDA et arboré les médailles/rubans et décorations suivants:

 

a)                  Officier de l’Ordre du mérite militaire (OMM);

 

b)                  Médaille du service spécial (MSS) avec une barrette OTAN;

 

c)                  Médaille canadienne du maintien de la paix (MCMP);

 

d)                  Force des Nations unies chargée d’observer le désengagement (FNUOD) avec le chiffre 2;

 

e)                  Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL);

 

f)                    Décoration des Forces canadiennes (CD) avec une agrafe/une rosette en argent;

 

g)                  Trois mentions élogieuses de commandement.

 

[10]           Elle n’avait pas l’autorisation de porter la médaille de la FINUL, la MSS, ni deux des mentions élogieuses de commandement. L’énoncé des circonstances indique qu’elle portait la médaille de la FINUL et de la MSS sur son uniforme depuis 1997.

 

[11]           La Cour estime que les facteurs suivants sont aggravants en l’espèce :

 

a)                  la gravité objective des infractions dont le lieutenant-colonel Miller a été déclarée coupable. L’infraction de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline au titre de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale est passible d’une destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d’une moindre sentence;

 

b)                  le lieutenant-colonel Miller est un officier supérieur jouissant d’une longue expérience au sein des Forces canadiennes et elle aurait tout simplement dû se montrer plus avisée et mieux se conduire, ne pas succomber aux tentations de la vanité ou de l’orgueilleuse affichage, ou chercher à s’arroger une distinction de reconnaissance qu’elle n’avait pas légitimement méritée ou qu’elle n’était pas dûment autorisée à arborer;

 

c)                  comme le révèle sa fiche de conduite, le 22 octobre 2012, le lieutenant-colonel Miller a été reconnue coupable par une cour martiale permanente de trois infractions faisant intervenir la malhonnêteté : pour avoir fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main, et pour deux chefs de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Toutes ces déclarations de culpabilité se rapportaient au fait qu’elle avait faussement et sciemment fait valoir qu’elle avait réussi une épreuve du programme EXPRESS FC. La Cour l’avait alors condamnée à un blâme et à une amende de 3 000 $. Je note qu’il s’agissait là d’une sentence conjointement proposée à la Cour par les mêmes avocats de la poursuite et de la défense qui comparaissent en l’espèce;

 

d)                  le lieutenant-colonel Miller a porté les médailles et les mentions élogieuses en question pendant une longue période et, en particulier, a continué à les arborer, ce qu’elle n’avait pas le droit de faire après sa précédente condamnation en cour martiale pour une infraction de malhonnêteté le 22 octobre 2012. Les trois accusations auxquelles elle a plaidé coupable se rapportent à des actes posés le 20 décembre 2012, soit deux mois après sa précédente condamnation.

 

[12]           Les facteurs atténuants dans la présente affaire sont les suivants :

 

a)                   tout d’abord, le lieutenant-colonel Miller a plaidé coupable aux infractions. Ce facteur atténuant est toujours important parce qu’il montre que la contrevenante assume la responsabilité de ses actions;

 

b)                  la performance constamment remarquable du lieutenant-colonel Miller au fil des ans, ainsi que l’attestent les rapports d’évaluation de rendement produits en preuve et se rapportant aux années précédant sa condamnation en 2012 par une cour martiale permanente;

 

c)                   la liasse de lettres de mention élogieuse accumulées au fil des années, et de lettres de soutien en sa faveur ayant été versée en pièce 15. Au cours de sa carrière de 34 ans au sein des Forces canadiennes, le lieutenant-colonel Miller a acquis une grande valeur dans le service;

 

d)                  les déclarations figurant dans la lettre versée en pièce 15 et rédigée en octobre 2014 par le major-général Tremblay, son commandant actuel à l’Académie canadienne de la défense, et dans le courriel du colonel Ewing, son superviseur actuel, portant que la performance récente du lieutenant-colonel Miller est très bonne malgré la pression découlant de son procès imminent en cour martiale, et qu’elle continue d’être un atout précieux pour les Forces canadiennes.

 

[13]           La Cour estime que les principes de détermination de la sentence sur lesquels il faut mettre l’accent en l’espèce sont la dénonciation et la dissuasion générale et spécifique. La confiance en l’honnêteté, l’intégrité, la discipline, la maturité et le bon jugement des officiers supérieurs des Forces canadiennes, de la part du public comme des autres membres des Forces canadiennes, est essentielle pour que les Forces puissent remplir efficacement leur mission vitale. Les membres des Forces canadiennes sont légitimement tenus de répondre à des normes très élevées. Les actes posés par le lieutenant-colonel Miller dérogent significativement à ces normes. Elle ne doit jamais commettre à nouveau ces actes, et les autres membres des FC doivent aussi comprendre que ceux-ci sont tout simplement intolérables et être dissuadés de les commettre.

 

[14]           L’alinéa 18.11(1) des ORFC auquel le lieutenant-colonel Miller a contrevenu est assez clair : « Aucun officier ou militaire du rang ne doit porter un ordre, une décoration, une médaille ou le ruban d’un tel insigne sans autorisation. » Les médailles et les décorations ne conservent leur sens que si les critères de qualification en vertu desquels elles sont décernées sont appliqués avec rigueur et que l’on s’assure pareillement qu’elles ne sont arborées que par ceux qui les ont véritablement méritées et qui ont le droit de les porter en accord avec les autorités compétentes.

 

[15]           La poursuite et la défense ont conjointement recommandé une sentence consistant en un blâme et en une amende de 5 000 $. En cas de recommandation conjointe, comme l’a répété la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R. c. Soldat Chadwick Taylor, 2008 CACM 1, la question que la Cour doit se poser n’est pas de savoir si elle aurait infligé cette sentence si les parties ne l’avaient pas proposée; la Cour doit plutôt se demander si des motifs convaincants justifient de s’en écarter, c’est-à-dire si la sentence proposée est inadéquate, déraisonnable, peut discréditer l’administration de la justice ou être contraire à l’intérêt public.

 

[16]           Ni la poursuite ni la défense ne m’ont soumis de précédents dont les faits se rapprocheraient de l’affaire qui nous occupe au chapitre de la détermination de la sentence. S’il s’agissait d’une première infraction, j’aurais conclu sans difficulté que la sentence conjointement proposée par la poursuite et la défense est appropriée. Ce n’est pas le cas, toutefois, ce qui soulève certaines difficultés en l’espèce. La contrevenante, le lieutenant-colonel Miller, a été condamnée par une cour martiale pour des infractions de malhonnêteté peu avant le 20 décembre 2012, et la malhonnêteté est aussi en cause dans les accusations dont la Cour est saisie. À cette date, cette condamnation devait être fraîche dans son esprit. Elle a pourtant décidé de continuer à porter des médailles et des insignes de mention élogieuse qu’elle n’avait pas mérités.

 

[17]           Cette affaire pourrait sembler d’une gravité mineure à ceux qui n’appartiennent pas à la communauté militaire. Il n’en est rien. La Cour notera que le fait de « [porter] illégitimement un uniforme, des insignes de grade, des rubans ou médailles auxquels l’inculpé n’a pas droit » est d’ailleurs cité dans la note G des ORFC concernant l’article 103.60 comme l’exemple type d’une conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Mais en l’espèce, ce qui importe véritablement c’est ce que la conduite du lieutenant-colonel Miller révèle de son intégrité en tant qu’officier supérieur. Que cette affaire suive de si près ses condamnations précédentes de malhonnêteté doit soulever des questions importantes quant à son intégrité et son jugement.

 

[18]           On peut se demander en l’occurrence si la recommandation conjointe de la poursuite et la défense est assez différente en nature de la sentence imposée au lieutenant-colonel Miller lors du précédent procès en cour martiale pour respecter le principe des sentences par palier. D’après les avocats, le montant supérieur de l’amende permet de le conclure. On peut en douter. En l’absence d’une recommandation conjointe, eu égard aux déclarations de culpabilité antérieures à la date indiquée dans les trois accusations dont le lieutenant-colonel Miller a été à présent déclaré coupable, la Cour aurait envisagé la sentence de rétrogradation. Cependant, comme je l’ai déjà mentionné, la jurisprudence indique que ce n’est pas ce critère qui convient.

 

[19]           Au moment de décider s’il y a lieu de s’écarter de la recommandation conjointe, je dois tenir compte des directives formulées par les cours d’appel, et notamment la Cour d’appel de la cour martiale. Ceci étant fait, la Cour n’estime pas que la sentence proposée est impropre au point d’être inappropriée et déraisonnable, contraire à l’intérêt public ou de nature à jeter le discrédit sur l’administration de la justice.

 

[20]           J’ai également tenu compte des arguments par lesquels les avocats ont voulu rappeler que de multiples facteurs peuvent influencer les positions adoptées finalement par la poursuite et la défense concernant les recommandations de sentence dans chaque affaire, et que les juges doivent se retenir de chercher au-delà des recommandations que ces derniers leur soumettent à titre d’officiers de justice.

 

[21]           J’ai également tenu compte de la preuve atténuante solide versée pour le compte du lieutenant-colonel Miller au sujet de son passé et de sa performance récente en tant qu’officier des Forces canadiennes. Par conséquent, la Cour acceptera la recommandation conjointe des avocats de la poursuite et de la défense en ce qui a trait à la sentence.

 

[22]           Lieutenant-colonel Miller, la Cour espère très sincèrement que vous avez tiré les bonnes leçons de vos deux comparutions en cour martiale et qu’une troisième ne sera jamais nécessaire.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[23]           VOUS DÉCLARE coupable des premier, troisième et cinquième chefs d’accusation figurant sur l’acte d’accusation.

 

[24]           VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende de 5 000 $.


 

Avocats :

 

Major J.E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Major S.L. Collins, service d’avocats de la défense

Avocat du lieutenant-colonel Miller

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