Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 8 mars 2005.
Endroit : CI SOFT Wainwright, édifice 626, Denwood (AB).
Chefs d’accusation:
• Chefs d’accusation 1, 4 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
• Chef d’accusation 2 : Art. 85 LDN, a menacé verbalement un supérieur.
• Chef d’accusation 3 : Art. 85 LDN, a insulté verbalement un supérieur.
• Chefs d’accusation 5, 6 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
Résultats:
• VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 5, 6 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3, 4 : Coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1200$.
Contenu de la décision
Citation : R. c. Le soldat J.A. Martin,2005CM19
Dossier : S200519
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ALBERTA
CENTRE D’INSTRUCTION DU SECTEUR DE L’OUEST DE LA FORCE TERRESTRE WAINWRIGHT
Date : 8 mars 2005
PRÉSIDENT : CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
LE SOLDAT J.A. MARTIN
(Accusé)
SENTENCE
(Prononcée oralement)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Soldat Martin, après avoir accepté et enregistré vos plaidoyers de culpabilité relativement aux deuxième, troisième et quatrième chefs d’accusation, la Cour vous déclare coupable de ces chefs. Il m’incombe maintenant de déterminer votre peine. Pour ce faire, j’ai tenu compte des principes de la détermination de la peine appliqués par les tribunaux de droit commun du Canada ayant compétence en matière pénale et par les cours martiales. J’ai tenu compte également des faits de l’espèce décrits dans le sommaire des circonstances (pièce 3), des témoignages que j’ai entendu pendant la phase préliminaire ainsi que des observations de la poursuite et de l’avocat de la défense.
[2] Les principes de la détermination de la peine guident la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en vue de déterminer une peine adéquate et adaptée à chaque cas. En règle générale, la peine doit correspondre à la gravité de l’infraction et au degré de culpabilité de son auteur, soit à son niveau de responsabilité et à son caractère. La Cour se fonde sur les peines prononcées par les autres tribunaux dans des affaires similaires, non parce qu’elle respecte aveuglément les précédents, mais parce que son sens commun de la justice veut qu’elle juge de façon similaire les affaires similaires. Néanmoins, lorsqu’elle détermine la peine, la Cour tient compte des nombreux facteurs qui distinguent chaque affaire dont elle est saisie, des circonstances aggravantes susceptibles de justifier une peine plus lourde et des circonstances atténuantes susceptibles d’en diminuer la sévérité. Les buts et les objectifs recherchés lorsque l’on détermine la peine ont été exposés de diverses manières dans de nombreuses affaires antérieures. En général, ils visent à protéger la société, y compris bien entendu les Forces canadiennes, en favorisant le développement et le maintien d’une collectivité juste, paisible, sûre et respectueuse de la loi. Fait important, dans le contexte des Forces canadiennes, ces objectifs incluent le maintien de la discipline, comportement ou obéissance si nécessaires à l’efficacité d’une force armée. Les buts et objectifs comprennent aussi l’aspect dissuasion de l’individu afin que le délinquant ne récidive pas et du public afin que d’autres ne suivent pas l’exemple du délinquant. La peine vise aussi à assurer la réinsertion du délinquant, à promouvoir son sens de la responsabilité et à dénoncer les comportements illégaux. Il est normal que certains de ces buts et objectifs prévalent sur d’autres au cours du processus permettant d’arriver à une peine juste et adaptée à chaque cas. Toutefois, il incombe au tribunal chargé de déterminer la peine de les prendre en compte; une peine juste et adaptée est une combinaison des ces buts, adaptée aux circonstances particulières de l’espèce.
[3] Comme je vous l’ai expliqué lorsque vous avez présenté votre plaidoyer de culpabilité, l’article 139 de la Loi sur la défense nationale prévoit les différentes peines qu’une cour martiale peut infliger. Ces peines sont limitées par la disposition de la Loi créant les infractions et prévoyant les peines maximales et aussi par le champ de compétence susceptible d’être exercé par la Cour.
[4] Une seule peine peut être infligée au délinquant, qu’il soit déclaré coupable d’une seule infraction ou de plusieurs. Mais la peine peut comporter plus d’une sanction. Un principe important veut que le tribunal inflige la peine la moins sévère qui permettra de maintenir la discipline. Pour déterminer la peine, dans cette affaire, j’ai tenu compte des conséquences directes et indirectes de la déclaration de culpabilité et de la peine que je vais infliger.
[5] En résumé, les faits en l’espèce révèlent que pendant qu’il défilait, à la date alléguée, soit le 29 septembre 2004, le contrevenant est devenu agité, s’est lancé vers le sergent McLean et l’a menacé par des propos vulgaires dont le détail figure dans l’acte d’accusation. Une lutte brève s’en est suivie, et l’accusé a été maîtrisé en attendant l’arrivée de la police militaire. Celui-ci a continué à lutter, puis s’est calmé. Il s’est agité de nouveau et a insulté l’adjudant Catterall, en employant les termes figurant au troisième chef d’accusation. Lorsque l’adjudant Catterall lui a ordonné de rester où il était, le contrevenant a tenté de s’échapper, mais il a été immobilisé.
[6] En l’espèce, le ministère public recommande une peine d’emprisonnement de cinq jours. L’avocat de la défense recommande, au nom du contrevenant, une mesure comprenant un blâme et une amende et plaide, au cas où une peine d’emprisonnement serait infligée, en faveur d’un sursis.
[7] Le procureur m’a signalé des circonstances aggravantes dont la Cour a tenu compte en l’espèce. Avant tout, il y a la gravité même des infractions commises. Je pense notamment à celle de désobéissance à un ordre légitime, en contravention de l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, qui est punissable d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. Cette peine maximale très lourde indique que le Parlement considère qu’il est grave de désobéir à un ordre légitime.
[8] Le procureur a aussi souligné que l’incident s’était produit pendant un défilé, à la vue des autres membres présents à ce moment. En l’espèce, il s’est basé sur la fiche de conduite du contrevenant, qui a été déposée comme la pièce I-1 aux fins d’identification. La fiche de conduite révèle que le contrevenant a déjà été condamné à deux reprises pour des infractions à la Loi sur la défense nationale. La première accusation concernait une absence sans permission, qui a eu lieu en mai 2004 et pour laquelle le contrevenant a été condamné, le 10 juin 2004, à quatre jours de confinement au quartier. La deuxième accusation inscrite sur la fiche de conduite concerne une infraction de défaut de comparution devant un tribunal militaire, commise par le contrevenant le 3 juin 2004, alors que l’ordre lui en avait été dûment donné, pour laquelle il a été condamné le 14 juillet 2004, à six jours de détention, lors d’un procès sommaire.
[9] L’avocat de la défense soutient que la Cour, dans la détermination d’une peine appropriée, ne devrait pas tenir compte de la première inscription figurant sur la fiche de conduite, à savoir l’infraction d’absence sans permission, qui a donné lieu à une peine de quatre jours de confinement au quartier. À l’appui de ses observations, l’avocat de la défense a invoqué auprès de la Cour la DOAD 7006-1, intitulée « Établissement et tenue des fiches de conduite ». Il a précisé, en substance, que la fiche de conduite en question n’avait pas été tenue conformément à la DOAD 7006-1, et que cette première accusation aurait dû en être radiée.
[10] La DOAD 7006-1 prévoit les circonstances dans lesquelles une inscription doit être supprimée d’une fiche de conduite. À la rubrique « Suppression d’inscriptions », cette ordonnance administrative de la Défense dispose qu’ « Il faut supprimer les inscriptions des fiches de conduite » quand « un pardon a été accordé en vertu » d’une loi fédérale; quand le verdict de culpabilité a été annulé par suite d'une révision ou d'un appel; et enfin, quand le Chef d'état-major de la défense juge que l'inscription au sujet d'une condamnation par une cour ou un tribunal étranger n'est plus nécessaire.
[11] Au même paragraphe, la DOAD précise les mesures à prendre pour punir les infractions inscrites sur la même fiche de conduite mais pouvant généralement être qualifiées de moins graves. Elle dispose que « Toute inscription au sujet d'une amende de 200 $ ou moins, ou d'une peine mineure (p. ex. sept jours de consigne au quartier) doit être radiée de la fiche de conduite du militaire » et énumère quatre types de situations auxquelles la directive s’applique.
[12] La première s’applique à la situation se présentant lorsqu’est terminée celle des périodes suivantes qui vient en dernier lieu : six mois de service à compter de la date d'enrôlement ou de réenrôlement ou la formation de base de son groupe professionnel militaire. Il n’a pas été suggéré que cette disposition s’applique en l’espèce. Ces inscriptions portées sur une fiche de conduite pour des infractions relativement mineures doivent aussi être supprimées, et nous lisons, à la fin d'une période de douze mois pendant laquelle aucune condamnation n'a été consignée sur la fiche, au moment de la promotion au grade de sergent ou, pour un élève-officier ou un militaire du rang, au moment de l'obtention de la commission d'officier. Répétons-le, l’avocat de la défense ne fonde pas ses observations sur ces dispositions.
[13] Il souligne plutôt que, selon la dernière entrée, des condamnations mineures de ce type doivent être radiées d’une fiche de conduite « avant la libération du militaire des FC s'il est libéré avant d'avoir terminé la formation de base de son groupe professionnel militaire ».
[14] Aux fins du présent jugement, bien que la preuve sur ce point me paraisse faible, je retiens qu’en fait, le contrevenant va être libéré avant d'avoir terminé la formation de base de son groupe professionnel militaire. Toutefois, aux termes de cette rubrique, l’inscription concernant une infraction relativement moins grave doit être supprimée de la fiche de conduite « avant la libération du militaire des FC ».
[15] En l’espèce, le contrevenant fait, semble-t‑il, l’objet d’une procédure de libération des Forces canadiennes, mais à ce jour, il n’en a pas encore été libéré. Par conséquent, il me semble que la fiche de conduite des Forces canadiennes dont il est question a été tenue dans le respect de la DOAD 7006-1, aussi je rejette l’observation de l’avocat de la défense selon laquelle il faudrait faire abstraction de la première inscription figurant sur la fiche de conduite. Par conséquent, dans ces conditions, la fiche de conduite antérieurement numérotée I-1, aux fins d’identification, va prendre le numéro suivant dans la présente instance.
[16] En l’espèce, pour les fins de la détermination de la peine, il existe plusieurs circonstances atténuantes dont la Cour doit tenir compte. Comme l’a souligné l’avocat de la défense, l’accusé a présenté un plaidoyer de culpabilité relativement aux trois infractions dont la Cour est saisie. En général, cette attitude prouve que le contrevenant regrette sincèrement la conduite qui a donné lieu aux accusations. En l’espèce, j’admets que les plaidoyers de culpabilité expriment les regrets du contrevenant. En fait, comme je l’ai indiqué, on considère souvent le plaidoyer de culpabilité comme la première étape sur la voie d’une réinsertion réussie, qui constitue l’un des objectifs du processus de détermination de la peine.
[17] En outre, le contrevenant est membre subalterne des Forces canadiennes, dans lesquelles il n’est entré qu’en 2002. Il semble aussi, comme je l’ai déjà indiqué, que le contrevenant fasse actuellement l’objet d’une procédure de libération pour des raisons administratives. Il est âgé de 32 ans et apporte à sa fille, âgée d’une dizaine d’années, un soutien financier s’élevant à 300 $ par mois, auquel s’ajoutent d’autres montants qu’il doit, à n’en pas douter, avancer de temps à autre.
[18] En l’espèce, je considère que l’état mental de l’accusé constitue une circonstance atténuante importante. Il ressort du témoignage que j’ai entendu que le contrevenant souffre depuis longtemps d’une douleur au genou qui l’a obligé à réduire ses activités de fantassin. Lorsqu’il était affecté au peloton en attente d’instruction, l’accusé semble avoir connu des difficultés d’adaptation qui, selon les éléments de preuve médicaux dont j’ai pris connaissance, ont débouché sur des crises de panique, un sentiment de frustration, de l’insomnie et des maux de tête récurrents.
[19] En août 2004, le mois avant la perpétration des infractions, le Dr Girvin, lieutenant-colonel dans les Forces canadiennes, a diagnostiqué chez l’accusé de l’hypertension labile, un trouble d’adaptation associé à une humeur dépressive.
[20] Le mois précédent, soit en juillet 2004, le Service de psychiatrie du Royal Alexandra Hospital d’Edmonton a examiné le contrevenant parce qu’il avait un comportement perturbateur pendant son incarcération. Il s’agit de la peine de six jours de détention prononcée contre lui pour son infraction de défaut de comparution devant un tribunal militaire, et il ressort des témoignages que j’ai entendus, que cette peine a été purgée à la caserne disciplinaire des Forces canadiennes d’Edmonton comme prévu. Il semble que l’on ait conduit le contrevenant à l’hôpital en raison de son incapacité apparente de s’adapter aux conditions de son incarcération. Dans son rapport, le médecin du Royal Alexandra Hospital signale le trouble d’adaptation et ce qu’il appelle une « personnalité du groupe B ». Dans sa déposition, le Dr Ramsahoye a expliqué que l’expression « personnalité du groupe B » faisait référence à des émotions ou à des expressions caractéristiques du comportement de l’accusé.
[21] Je retiens la déposition du Dr Ramsahoye. Je l’ai trouvé équilibrée et éclairée. Je retiens en particulier son affirmation portant qu’une peine d’emprisonnement serait susceptible d’aggraver le trouble d’adaptation actuel. Sur ce point, sa déposition est étayée par les circonstances du séjour du contrevenant au Royal Alexandra Hospital, comme je l’ai indiqué.
[22] Je retiens également la déposition du Dr Ramsahoye selon laquelle il y aurait un rapport entre l’état psychiatrique du contrevenant et sa conduite du 29 septembre 2004, qui a donné lieu aux accusations dont est saisie la Cour.
[23] En l’espèce, la dissuasion est le principal facteur dont la Cour doit tenir compte dans la détermination d’une peine. Compte tenu de toutes les circonstances relatives aux infractions et au contrevenant, je considère qu’en l’espèce la Cour est en mesure d’appliquer le principe de la dissuasion en infligeant une peine n’impliquant pas l’incarcération du contrevenant.
[24] Soldat Martin, veuillez vous lever. Vous êtes condamné à un blâme et à une amende de 1 200 $, payable par tranches de 100 $ par mois à compter du 31 mars 2005 et pendant les onze mois suivants. Au cas où vous seriez libéré des Forces canadiennes avant que l’amende ne soit soldée, le montant total de l’amende impayé devra être soldé la veille de votre libération. Soldat Martin, veuillez sortir au pas.
[25] Par les présentes, les délibérations de cette cour martiale concernant le soldat Martin sont terminées.
CAPITAINE DE FRÉGATE P.J. LAMONT, J.M.
Avocats :
Le capitaine de vaisseau K.A. Reichert, procureur militaire régional, Région de l’Ouest,
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le lieutenant de vaisseau M. Reesink, Direction du service d’avocats de la défense, Ottawa
Avocat du soldat J.A. Martin