Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 26 février 2013.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2): Art. 129 LDN, négligence au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, négligence au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Nauss, 2013 CM 3008

 

Date :  20130228

Dossier :  201306

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant-colonel D.C. Nauss, accusé

 

 

En présence du Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Le Lieutenant-colonel Nauss est accusé de deux infractions alternatives d’ordre militaire en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour avoir omis de manipuler un fusil C7 de façon sécuritaire, comme il était tenu de le faire : premièrement en contravention du Chapitre 301 de l’Ordre permanent du théâtre  de la Contribution canadienne à la Mission de formation en Afghanistan, d’avoir déchargé par négligence une arme; et deuxièmement, en contravention du manuel des Forces canadiennes portant sur le fusil C7 et la carabine C8.

 

[2]               La preuve est constituée des éléments suivants :

 

a.       le témoignage du Colonel Smith;

 

b.      la pièce 3, soit les admissions faites par l’accusé en vertu de l’alinéa 37b) des Règles militaires de la preuve (RMP);

 

c.       la pièce 4, soit une copie du Sommaire des dossiers du personnel militaire (SDPM) du Lieutenant-colonel Nauss, imprimé le 25 février 2013;

 

d.      la pièce 5, soit une copie du Chapitre 338 de l’Ordre permanent du théâtre (OPT) de la Contribution canadienne à la Mission de formation en Afghanistan (CCMF-A), instruction continue sur l’adresse au tir en théâtre d’opérations;

 

e.       la pièce 6, soit une copie du Chapitre 301 de l’Ordre permanent du théâtre (OPT) de la Contribution canadienne à la Mission de formation en Afghanistan (CCMF-A), décharges par négligence;

 

f.       la pièce 7, soit une copie électronique en format PDF de la publication B-GL-317-018/PT-001, le fusil C7 de 5.56 mm et la carabine C8 de 5.56 mm, publiée sous l’autorité du chef d’état-major de la défense;

 

g.      la connaissance judiciaire prise par la cour des éléments visés par l’article 15 des Règles militaires de la preuve, et plus particulièrement du contenu de la publication B-GL-317-018/PT-001, le fusil C7 de 5.56 mm et la carabine C8 de 5.56 mm, publiée sous l’autorité du chef d’état-major de la défense.

 

[3]               Du 3 mars 2012 au 10 novembre 2012, le Lieutenant-colonel Nauss a été déployé en Afghanistan dans le cadre de l’OPÉRATION ATTENTION. Il n’a pas porté ou manipulé son fusil C7A2 de façon routinière durant son déploiement étant donné qu’il n’était tenu qu’au port d’un pistolet de 9mm en tant que conseiller militaire auprès de l’état-major général de l’armée afghane à l’intérieur de la zone verte de Kaboul.

 

[4]               Le Lieutenant-colonel Nauss n’était pas tenu de participer au perfectionnement hebdomadaire dirigé par des Canadiens parce qu’il manipulait de façon régulière son pistolet de 9 mm, soit en moyenne quatre fois ou plus par semaine. Il a cependant reconnu qu’il avait besoin de formation additionnelle d’appoint pour se maintenir à jour au regard du fusil C7A2 parce qu’il ne le manipulait que lors de ses déplacements à l’extérieur de la zone verte, environ une fois par mois en moyenne, durant son affectation de huit mois.

 

[5]               Le 25 octobre 2012, le Lieutenant-colonel Nauss se trouvait au Camp Eggers, à Kaboul, en Afghanistan. Il était volontairement présent en cette matinée, à 09 h 00, à la formation mensuelle de recyclage sur les armes donnée par le service du G3, au QG du DCOM de l’Armée de terre, au puits de déchargement situé près de Jack's House, au Camp Eggers. Il n’était pas membre de cette unité et il n’était pas tenu de participer à cette session de formation. Il y a participé de sa propre initiative.

 

[6]               La formation donnée le 25 octobre était dirigée par l’adjudant-maître Merriam. Trois personnes assistaient à la formation donnée à cette date par le service G3 : le Lieutenant-colonel Nauss du groupe de consultation militaire, le Major Hatfield de l’Armée des États-Unis et le premier lieutenant Kosenko du United States Marine Corps; ces deux dernières personnes étant membres du Service G3.

 

[7]               Alors qu’il effectuait l’exercice de déchargement de son fusil C7A2, le Lieutenant-colonel Nauss a placé le canon de son arme dans le tube de métal du puits de déchargement. Il a alors actionné la sûreté (position SAFE) de l’arme avec sa main gauche et il a libéré le chargeur pour le placer sur le sac de sable du puits de déchargement situé devant lui.

 

[8]               Il a ensuite enlevé la sûreté (position FIRE) avec sa main droite, pensant momentanément qu’il ne pouvait pas éjecter la munition alors que la sûreté était actionnée comme le prévoit l’exercice pour le pistolet de 9mm. Il a par la suite modifié sa prise de façon à tirer la poignée d’armement avec sa main droite pour éjecter la munition de la chambre du fusil.

 

[9]               Lorsqu’il a modifié sa prise, le Lieutenant-colonel Nauss a occasionné le déchargement d’une cartouche réelle de 5.56 mm du fusil C7A2 dans le puits de déchargement dont il a assumé l’entière responsabilité. Le coup de feu a été tiré de façon prudente dans le puits de déchargement. L’arme était en tout temps insérée de façon adéquate dans le tube de métal du puits de déchargement. Aucune des personnes présentes n’a été blessée par le projectile.

 

[10]           Après l’incident, le Lieutenant-colonel Nauss a déchargé son fusil C7A2 et l’a remis l’adjudant-maître Merriam. Le Lieutenant-colonel Nauss a par la suite complété avec succès l’exercice de nettoyage de son pistolet  9 mm.

 

[11]           Le Lieutenant-colonel Nauss a immédiatement rapporté l’incident au premier maître de première classe (Pm 1) Gregory, le sergent-major régimentaire du Camp Eggers (SRM), et ensuite à son supérieur canadien immédiat, le Colonel John Goodman. Il a rendu son fusil au Pm 1 Gregory aux environs du 4 novembre en vue de son inspection par un technicien d’armement qui lui a fait subir des essais le 14 novembre 2012 et qui l’a jugé en bon état de fonctionnement.

 

[12]           Avant cet incident, la dernière fois où le Lieutenant-colonel Nauss avait manipulé un fusil C7A2 remontait au 9 octobre 2012, soit le jour de son retour d’une visite dans le nord de l’Afghanistan.

 

[13]           Entre le 3 mars 2012 et le 10 novembre 2012, le Lieutenant-colonel Nauss était pleinement qualifié pour la manipulation du fusil C7A2 rifle. Il avait reçu une formation d’appoint portant sur l’arme à plusieurs reprises avant et pendant son affectation en Afghanistan.

 

[14]           Le Colonel Smith a témoigné devant la présente cour martiale. Agissant actuellement comme G3 pour l’Armée canadienne, il était le Commandant adjoint du contingent canadien de la mission de formation en Afghanistan, au moment de l’incident en octobre 2012, et le Lieutenant-colonel Nauss était l’un de ses subordonnés. Le Colonel Smith faisait partie de la rotation 1 et il était responsable au quotidien de la gestion des troupes sous son commandement. Étant à la tête du quartier général de l’Élément de soutien de commandement, il assumait la responsabilité de la gestion et du bien-être des membres des Forces canadiennes en opération sous les auspices de l’Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) dans le cadre de l’instruction des forces afghanes.

 

[15]           Le Colonel Smith a dit à la cour que l’accent avait clairement été mis sur les armes individuelles lors de l’entraînement préalable au déploiement donné à Gagetown en novembre et décembre 2011parce que la rotation précédente a constaté que ce qu’elle avait reçu comme formation sur les armes avant sa mission ne suffisait pas, et que certains incidents mettant en cause une arme auraient pu être évités avec un entraînement plus élaboré. Essentiellement, une formation appropriée devrait faire diminuer les décharges par négligence que le Colonel Smith considère comme étant des exercices avec arme effectués de façon inappropriée.

 

[16]           De son point de vue, il a déclaré à la cour qu’une personne ne devrait pas être déployée si elle n’avait pas suivi avec succès une formation sur les armes. Il n’a pas pu cependant dire si le Lieutenant-colonel Nauss avait reçu une formation sur les armes appropriée, et, dans l’affirmative, s’il l’avait réussie. Il n’a pas pu préciser à la cour le type de formation reçue par le Lieutenant-colonel Nauss, mais il s’attendait à ce qu’il l’ait reçue et qu’il l’ait complétée avec succès.  

 

[17]           Le Colonel Smith a affirmé qu’à sa connaissance et selon sa propre expérience, acquise particulièrement auprès des Forces spéciales, de l’École d’infanterie située à Gagetown de 1997 à 2001, ainsi qu’avec le COMFOSCAN, le maniement des fusils C7, C7A1 et C7A2, particulièrement en ce qui concerne le déchargement de l’arme, n’avait pas changé depuis leur introduction en 1990. Il a expliqué que les étapes pour le déchargement de l’arme sont les mêmes que celles indiquées dans le manuel de ces fusils, et qu’elles sont les suivantes :

 

a.       placer le levier sélecteur à la position « S » et défaire la cartouchière;

 

b.      Retirer le chargeur et le placer dans la cartouchière;

 

c.       pointer la bouche vers le haut, incliner l'arme à la droite et tirer la poignée d'armement deux fois vers l'arrière;

 

d.      tenir la poignée d'armement vers l'arrière, incliner l'arme à gauche et regarder ou toucher pour vous assurer que la chambre est vide;

 

e.       laisser la poignée d'armement aller vers l'avant;

 

f.       placer le sélecteur à « R » et presser la détente, fermer le couvercle de la fenêtre d'éjection; et

 

g.        récupérer la douille éjectée, nettoyer et la remplacer dans le chargeur, placer le chargeur dans la cartouchière et refermer la cartouchière.

 

[18]           Le Colonel Smith a expliqué à la cour qu’un puits de déchargement ou une baie sécurisée est un endroit, habituellement situé à l’entrée d’un camp, en vue d’y exécuter des manœuvres de nettoyage et d’y pointer votre arme à l’intérieur. Ces éléments sont construits sur place au moyen de sacs de sable ou de barils de 45 gallons dont l’intérieur est rempli de sable. L’objectif consiste à s’assurer qu’une fois à l’intérieur du camp protégé vous faites en sorte que votre arme n’est pas chargée et prête à être utilisée; ce qui signifie qu’aucune balle ne se trouve dans la chambre de l’arme avec son sélecteur en place sur le mode sûreté, ce qui permettrait à un soldat de faire feu avec cette arme. La raison qui en fait le meilleur endroit pour décharger l’arme repose sur le fait que si le soldat exécute mal la manœuvre, le coup de feu en résultant serait fait dans un endroit sécuritaire. L’application de ce concept fait en sorte que la balle est absorbée. Certains barils disposent d’un tube de façon à guider l’arme en son intérieur. Il a convenu avec l’avocat de la défense que l’endroit le plus sécuritaire pour exécuter la manœuvre de nettoyage au sein du Camp Eggers se trouvait dans la baie sécurisée. Il a également convenu que cette baie sécurisée était conçue pour absorber de façon sécuritaire une balle en cas d’erreur, ce qui constituerait une conséquence normale découlant de ce geste.

 

[19]           Le Colonel Smith a dit à la cour que le Chapitre 338 de l’OPT de la CCMF-A n’était pas affiché, mais qu’il était possible d’y avoir accès au moyen d’un système informatique. Il ne connaissait toutefois pas le niveau d’accessibilité à des systèmes informatiques dont disposaient les membres des Forces canadiennes au Camp Eggers. Il a également ajouté qu’il aurait été possible au Lieutenant-colonel Nauss de demander à l’officier supérieur du camp d’avoir une copie du Chapitre 338 de l’OPT  de la CCMF-A s’il avait voulu se familiariser avec ces ordres permanents. Il a tenu pour acquis que le Lieutenant-colonel Nauss avait été informé du Chapitre 338 de l’OPT de la CCMF-A étant donné que cela devait être fait par ses subordonnés à l’égard de quiconque se trouvait sur un théâtre d’opérations, mais il ne savait pas si le Lieutenant-colonel Nauss l’avait été. Il a admis qu’il était possible que le Lieutenant-colonel Nauss n’ait pas lu le Chapitre 338 de l’OPT de la CCMF-A.

 

[20]           Il a reconnu qu’il n’avait pas demandé à quiconque se trouvant sous son commandement de se familiariser ou de lire le manuel d’instructions des Forces canadiennes portant sur le fusil C7 et la carabine C8. Il a dit à la cour qu’il s’attendait à ce que des séances de formation et d’appoint portant sur le fusil C7 soient données conformément au manuel, mais qu’il ne pouvait affirmer que tel était le cas.

 

[21]           Avant que la cour procède à son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est inextricablement liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Naturellement, ces principes sont bien connus des avocats, mais les autres personnes présentes dans la salle d’audience les connaissent peut-être moins.

 

[22]           Il est juste de dire que la présomption d'innocence est le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et que le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d'une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n'a pas à prouver qu'il est innocent. C'est à la poursuite qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction.

 

[23]           La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentées par la poursuite, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l'accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé, mais jamais à l'accusé de prouver son innocence.

 

[24]           Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s'il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité, après avoir examiné l'ensemble de la preuve. L'expression «  hors de tout doute raisonnable «  est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques. Dans l’arrêt R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives concernant le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des tribunaux d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. L’accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité, et j’ajouterai que les seules accusations dont doit répondre un accusé sont celles qui figurent sur l’acte d’accusation déposé à la cour.

 

[25]           Dans l’arrêt R c Star, [2000] 2 RCS, 144, au paragraphe 242, la Cour suprême a statué que :

 

[...]  une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[26]           Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’est pas tenue de le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si le tribunal est convaincu que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable. 

 

[27]           Qu’entend-t-on par la preuve? La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de cartes ou autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, de témoignages d’experts, de faits admis devant le tribunal par la poursuite ou la défense ou de questions dont le tribunal a pris connaissance d’office.

 

[28]           Il n’est pas rare que les éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu’il juge crédibles.

 

[29]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que le tribunal fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, le tribunal évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer ou les raisons qu’il a de se souvenir. Il se demandera, par exemple, si une chose en particulier a aidé le témoin à se souvenir des détails d’un évènement qu’il a décrit, si les faits étaient remarquables, inhabituels et frappants ou au contraire, insignifiants et par conséquent, tout naturellement plus difficiles à se remémorer. Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[30]           Un autre élément permet de déterminer la crédibilité : la capacité apparente du témoin à se souvenir. On peut observer l’attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité : il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives, ou encore hésitantes, s’il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés.

 

[31]           Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires, mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l’écarter. Il en va autrement d’un mensonge, qui constitue toujours un acte grave et peut entacher le témoignage en tout ou en partie.

 

[32]           Le tribunal n’est pas tenu d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[33]           L’article 129 de la Loi sur la défense nationale se lit, en partie, comme suit :

(1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction passible au maximum, sur déclaration de culpabilité, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté.

(2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

a) une disposition de la présente loi;

b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

c) des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[34]           Les éléments essentiels de l’infraction de négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline aux termes de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale sont : 

 

a.                   l’identité de l’accusé en tant que contrevenant;

 

b.                  la date et lieu de l’infraction;

 

c.                   le fait que l’omission alléguée dans l’acte d’accusation a  réellement eu lieu;

 

d.                  le fait que l’omission constituait une négligence blâmable; la preuve devant ainsi être faite que :

 

                                                  i.                  l’accusé devait respecter une norme de diligence;

 

                                                ii.                  l’omission reprochée à l’accusé concernait la norme de diligence à respecter;

 

                                              iii.                  l’omission reprochée à l’accusée constituait un manquement à la norme de diligence;

 

                                              iv.                  l’omission reprochée à l’accusé constituait une négligence, ce qui signifie que les actes ou omissions reprochés à l’accusé ont constitué un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue.

 

e.                   le préjudice causé au bon ordre et à la discipline, ce qui exige de prouver :

 

                                                  i.      la norme de comportement exigée;

 

                                                ii.      le fait que l’accusé savait ou aurait dû savoir quel était le comportement attendu de lui;

 

                                              iii.      le fait que l’omission reprochée à l’accusé constituait une contravention à la norme de comportement.

 

[35]           En ce qui a trait à l’élément essentiel de la négligence, la cour doit décider si la poursuite a présenté des éléments de preuve au sujet du comportement de l’accusé en soi, qui constitue l’actus reus, et au sujet de l’élément mental requis, soit la mens rea.

                                                                                                

[36]           D’abord, le concept de négligence visé à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale doit être considéré comme un concept pénal comme je l’ai déjà formulé dans la décision R c Gardiner, 2008 CM 3021. En général, un comportement constituant un écart par rapport à la norme à laquelle on s’attendrait à voir se conformer une personne raisonnablement prudente forme la base tant de la négligence civile que de la négligence pénale. Cependant, contrairement à la négligence civile, qui s’intéresse à la répartition de la perte, la négligence pénale vise à sanctionner un comportement blâmable. Suivant les principes fondamentaux de la justice militaire, les règles relatives à la négligence pénale doivent tenir compte non seulement du comportement dérogeant à la norme, mais également de l’état mental de l’auteur de l’infraction. Selon les commentaires formulés au paragraphe 7 de l’arrêt R. c. Beatty, 2008 CSC 5, le critère objectif modifié établi dans R. c. Hundal, [1993] 1 R.C.S. 867, reste le critère approprié pour déterminer la mens rea requise dans le cas des infractions militaires fondées sur la négligence qui sont prévues au Code de discipline militaire. L’actus reus doit être défini en fonction de la norme applicable et du fait que le comportement de l’accusé dérogeait à cette norme.

 

[37]           En ce qui a trait à la mens rea applicable à la négligence en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, les remarques que la Cour suprême du Canada a formulées aux paragraphes 48 et 49 de l’arrêt Beatty, ci-dessus, sont très pertinentes en l’espèce. Après avoir relu ces paragraphes, j’en arrive toujours à la conclusion, comme ce fut le cas dans Gardiner, que pour prouver une infraction de négligence au sens de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, il suffit d’établir la présence d’une mens rea objective et qu’il n’est pas nécessaire de prouver une mens rea subjective.

 

[38]           En ce qui concerne les deux infractions reprochées, l’identité ainsi que la date et le lieu ne sont pas contestés.

 

[39]           En ce qui concerne le préjudice causé au bon ordre et à la discipline, la poursuite est d’avis que la cour peut déduire de la preuve soumise relativement à la façon dont l’accusé s’est comporté lorsqu’il a rapporté l’incident, au fait qu’il aurait suivi un entraînement avant son déploiement et au fait qu’il ait admis être pleinement qualifié et avoir reçu une formation d’appoint portant sur le maniement d’un fusil C7A2, qu’il savait ou aurait dû savoir la norme de conduite applicable et qu’en conséquence, compte tenu des autres éléments de preuve présentés par la poursuite, le préjudice subi au bon ordre et à la discipline avait été prouvé hors de tout doute raisonnable.   

 

[40]           En ce qui concerne la négligence, en raison du fait que l’accusé n’avait pas déchargé son arme de façon appropriée comme il était tenu de le faire selon la norme applicable, la poursuite a soutenu qu’il n’avait pas manipulé son fusil C7 d’une façon prudente et qu’il avait donc été négligent.

 

[41]           L’accusé soutient que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable le préjudice causé au bon ordre et à la discipline parce qu’elle n’a pas établi qu’il avait connaissance ou qu’il aurait dû avoir connaissance des instructions et des ordres auxquels les deux chefs d’accusation font référence.

 

[42]           De plus, l’accusé fait valoir que même s’il ne s’est pas conformé à la procédure appropriée lorsqu’il a déchargé son arme, il l’a fait de façon sécuritaire en la pointant dans le puits de décharge ce qui soulève ainsi un doute raisonnable à l’égard des deux accusations.

 

[43]           En ce qui concerne le préjudice causé au bon ordre et à la discipline, il est évident que la poursuite ne s’est pas acquittée, à l’égard des deux chefs d’accusation, du fardeau qui lui incombait de prouver hors de tout doute raisonnable cet élément essentiel de l’infraction reprochée.

 

[44]           Un accusé est réputé avoir pris connaissance de la teneur d’un ordre ou d’une directive auquel fait référence une accusation portée au titre des alinéas 129(2)b) et c) de la Loi sur la défense nationale s’ils ont été publiés et régulièrement notifiés conformément aux dispositions des articles 1.21 et 4.26 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Cela signifie donc que les ordres et les directives doivent être reçus à la base, l’unité ou l’élément où l’accusé est en service et que le commandant de cette base, unité ou élément a pris des mesures afin que ces ordres et directives soient portés à l’attention de l’accusé et lui soient rendus accessibles. 

 

[45]           À l’égard de chacune des deux accusations, la poursuite ne s’est pas acquittée de son fardeau de prouver cet élément essentiel de l’infraction. En ce qui concerne l’OPT de la CCMF-A, il est vrai que le Colonel Smith a affirmé lors de son témoignage qu’en général les militaires déployés en Afghanistan placés sous son commandement étaient informés de l’existence de ces ordres lors d’un exposé fait à leur arrivée sur les lieux du  théâtre des opérations. Rien n’indique cependant qu’un exposé de cette nature a eu lieu lorsque l’accusé est arrivé dans le théâtre le 3 mars 2012, ou ultérieurement, et, si tel avait été le cas, quelle était la teneur de cet exposé.

 

[46]           De plus, rien ne prouve que ces ordres ont été reçus au Camp Eggers et, si tel avait été le cas, s’ils étaient accessibles à ceux qui s’y trouvaient. La seule preuve présentée est qu’il était possible aux membres des Forces canadiennes présents au Camp Eggers de demander une copie de ces ordres à l’officier supérieur du camp, ce qui ne constitue pas la preuve hors de tout doute raisonnable que ces ordres ont été reçus au camp et qu’ils étaient accessibles à cet endroit.

 

[47]           L’accusé n’ayant pas rapporté l’incident sur lequel les deux accusations sont fondées à sa chaîne de commandement, ni avisé cette dernière, le procureur de la poursuite souhaiterait faire reconnaître à la cour que ce fait tendrait à prouver que l’accusé avait connaissance des ordres applicables en cause. On ne peut tirer cette conclusion, particulièrement si on considère que la preuve présentée par la poursuite ne correspond pas exactement à cette situation. Il est vrai que l’incident a été rapporté, mais rien dans la preuve n’indique qu’il l’a été en application d’un ordre, directive ou politique. L’arme a été remise par l’accusé à quelqu’un d’autre, mais n’a pas été confisquée et la preuve révèle qu’en fait c’était toujours l’accusé qui en diverses occasions remettait son arme à différentes personnes. Rien ne permettrait cependant à la cour de conclure qu’un tel comportement était directement lié à l’exécution d’un OPT portant spécifiquement sur cette question. 

 

[48]           Le résultat est pire en ce qui concerne le manuel d’instruction des Forces canadiennes portant sur le fusil C7 et la carabine C8. Aucune preuve ne démontre que ces instructions ont été reçues au Camp Eggers et rendues accessibles. De plus, rien ne prouve que des mesures aient été prises pour attirer l’attention des membres des Forces canadiennes au camp sur ces instructions. La preuve présentée par la poursuite établit qu’il n’a pas été demandé aux militaires de lire cette publication et que personne ne s’attendait à ce qu’ils le fassent.

 

[49]           Aucune preuve n’étaye le fait que l’accusé connaissait personnellement ces ordres et cette directive. La poursuite souhaiterait que la cour conclut à ce qui serait une indication claire que l’accusé avait personnellement connaissance de cette instruction du fait qu’il a reconnu posséder toutes les qualifications requises pour le maniement d’un fusil C7A2 et avoir reçu une formation d’appoint portant sur cette arme. Bien que le Colonel Smith semble indiquer à la cour par son témoignage qu’il soit possible que l’accusé ait pu prendre connaissance de cette directive dans le cadre de cours ou de séances d’appoint, il n’existe aucun élément de preuve qui permet à la cour de conclure hors de tout doute raisonnable que c’est bien le cas en l’espèce. 

 

[50]           Par conséquent, au vu de l’ensemble de la preuve présentée quant à cet élément essentiel de l’infraction, la présente cour conclut donc que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable le préjudice causé au bon ordre et à la discipline pour les deux accusations.

 

[51]           Il y a cependant plus que cela. En ce qui concerne la première accusation, il est évident que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable le préjudice causé au bon ordre et à la discipline parce qu’elle n’a pas démontré que le manquement de l’accusé dérogeait à la norme de conduite attendue. En réalité, le Chapitre 301 de l’OPT  de la CCMF-A vise à ce que soit signalé un incident, et à ce qu’une enquête soit instituée à cet égard, relatif à la décharge d’une arme effectuée à la suite de son maniement prétendument inapproprié, que cette décharge se soit produite de façon accidentelle, intentionnelle ou à la suite d’une négligence quelconque. Comme l’a déclaré le Colonel Smith, ce qui est désigné comme étant une « décharge négligente », selon les termes de ces ordres, correspond à l’exécution inappropriée d’un exercice d’entraînement portant sur des armes permettant la mise à feu de l’arme alors que ce coup de feu n’était pas attendu ou qu’il n’était pas autorisé.  

 

[52]           Ainsi, comme l’indique cet ordre, il a été donné afin d’empêcher que de tels incidents ne surviennent. Cependant, comme l’a souligné le témoin de la poursuite et l’ont confirmé les deux avocats, le Chapitre 301 de l’OPT de la CCMF-A ne contient aucune disposition faisant du maniement prétendument inapproprié d’une arme un manquement à cet ordre.

 

[53]           Au vu de la preuve considérée dans son ensemble au regard de cet élément essentiel de l’infraction reprochée dans le premier chef d’accusation, la cour conclut que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable le préjudice causé au bon ordre et à la discipline parce que le manquement de l’accusé ne dérogeait pas à la norme de conduite attendue.  

 

[54]           L’autre élément essentiel que la cour souhaiterait maintenant commenter concerne la négligence alléguée dans les deux chefs d’accusation. Essentiellement, la poursuite a particularisé les deux infractions, en référant à la notion de sécurité, lorsqu’elle a utilisé l’expression « de façon sécuritaire » pour qualifier le maniement du fusil C7. En agissant de la sorte, elle renvoie à la norme de diligence pour déterminer s’il y a eu négligence en se fondant non pas sur le fait que le fusil a été manipulé de façon appropriée, mais bien sur la question de savoir s’il l’a été de façon sécuritaire. 

 

[55]           En examinant le manuel sur les armes des Forces canadiennes portant sur le fusil C7 et la carabine C8, il est intéressant de noter que la notion de maniement sécuritaire d’un fusil C7 renvoie au contrôle exercé sur l’arme et à la façon de la manier en évitant d’exposer quiconque à un danger ou à un risque, comme en pointant la bouche du canon dans une direction sécuritaire, en plaçant le levier sélecteur en position de sécurité, en prenant certaines mesures lorsque l’arme est remise à quelqu’un d’autre et en évitant de la pointer vers quiconque pour plaisanter (à titre d’exemple, voir la section 209 du manuel, au paragraphe 17).

 

[56]           Le maniement de façon appropriée une arme lors de son déchargement apparaît à la présente cour non pas comme une norme de diligence, mais bien comme une norme de conduite sur laquelle la cour ne peut se fonder pour déterminer s’il y a eu négligence en l’espèce. Comme je l’ai déjà souligné, la notion de négligence renvoie au concept de la norme de diligence qui est différente de la norme de conduite. Telle qu’établie par la poursuite dans les détails concernant les accusations, la norme de diligence en l’instance est fondée sur le maniement d’un fusil C7 fait de façon sécuritaire, et non sur celui exécuté de façon correcte ou appropriée. Il est cependant vrai qu’en certaines circonstances le maniement d’une arme exécuté de façon incorrecte ou inappropriée peut mener au maniement non sécuritaire de cette arme, ce qui n’est pas le cas en l’instance.   

 

[57]           Je suis entièrement d’accord avec l’avocat de la défense lorsqu’il affirme qu’en pointant son fusil C7A2 dans le puits de décharge, le 25 octobre 2012, au Camp Eggers, le Lieutenant-colonel Nauss a manipulé son arme de la façon la plus sécuritaire possible, comme la preuve l’a démontré. En fait, il n’a pas déchargé son fusil de façon appropriée, avec le résultat qu’une balle a été tirée dans le puits de décharge. En plaçant son arme dans cette position, il n’a cependant pas, comme prévu, mis en danger ni exposé quiconque à un risque.

 

 

[58]           Au vu de la preuve considérée dans son ensemble au regard de cet élément essentiel de l’infraction, la cour conclut que la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable, pour les deux chefs d’accusation, que le manquement constituait une négligence blâmable. 

 

[59]           J’aimerais ajouter que du point de vue de la cour, l’exécution inappropriée d’un exercice portant sur les armes et occasionnant un coup de feu imprévu ou non autorisé ne constitue pas de façon automatique une infraction de négligence pénale au sens de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[60]           Il est indéniable qu’on s’attend à ce que les soldats respectent une norme élevée de prudence dans le maniement de leurs armes. Toutefois, l’allégation d’avoir manqué de diligence doit être considérée comme étant suffisamment importante par les personnes autorisées à porter des accusations ainsi que par les autorités militaires chargées des poursuites pour constituer un écart marqué par rapport à la norme de diligence attendue.

 

[61]           Par conséquent, au vu de la preuve considérée dans son ensemble, la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable, en ce qui concerne les deux chefs d’accusation et comme elle était tenue de le faire, tous les éléments essentiels de l’omission de manier de façon sécuritaire un fusil C7.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[62]           DÉCLARE le Lieutenant-colonel Nauss non coupable de la première et de la deuxième accusation énoncée dans l’acte d’accusation.

 


 

Avocats :

 

Major P. Rawal, Service canadien des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Major S.L. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Lieutenant-colonel D.C. Nauss

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