Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 4 février 2013.

Endroit : BFC Edmonton, édifice 141, chemin Korea, Edmonton (AB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, trafic (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, trafic (art. 5(1) LRCDAS).

Résultats
•Chefs d’accusation 1, 2 : Le juge militaire a accordé une suspension d’instance.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Hiebert, 2013 CM 3006

 

Date : 20130206

Dossier : 201236

 

Cour martiale permanente

 

Garnison d’Edmonton           

Edmonton (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldat B. M. Hiebert, requérant

 

 

Devant : Le Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS CONCERNANT LA REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR L’ACCUSÉ AUX TERMES DU PARAGRAPHE 24(1) ET DE L’ALINÉA 11b) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le Soldat Hiebert est accusé d’avoir commis deux infractions punissables aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale : trafic de cocaïne le 11 novembre 2010 ou aux alentours de cette date, en violation du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, et trafic d’une substance présumée être de la cocaïne le 11 novembre 2010, en violation du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 

[2]               À l’ouverture du procès devant la Cour martiale permanente le 4 février 2013, par l’entremise d’une requête présentée aux termes du sous-alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), pour laquelle un avis écrit a été reçu par le Cabinet du juge militaire en chef le 12 décembre 2012, le Soldat Hiebert a indiqué qu’il souhaitait que le juge militaire président émette une ordonnance de suspension d’instance aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après la Charte) pour violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable, lequel est garanti par l’alinéa 11b) de la Charte.

 

[3]               Le requérant fait principalement valoir que le délai inhabituel et inexplicable de 26 mois avant le dépôt des accusations devant la cour martiale, accusations portées en décembre 2010, est déraisonnable, surtout compte tenu du temps qu’il a fallu à la chaîne de commandement pour renvoyer l’affaire au directeur des poursuites militaires afin qu’il détermine s’il fallait ou non prononcer la mise en accusation pour les accusations portées contre lui le 7 décembre 2010, ce qui a causé un préjudice à la sécurité du requérant et à son droit de subir un procès équitable.

 

[4]               Les éléments de preuve présentés dans le cadre de la requête consistaient en une soumission conjointe des faits et en un ensemble de 29 documents différents.

           

[5]               Le 11 novembre 2010, un membre des Forces canadiennes, le Caporal-chef Webber, a vu le Soldat Hiebert vendre de la cocaïne à un civil dans un bar de Brandon, au Manitoba. Il a signalé cet incident à son unité le 15 novembre 2010, et une plainte a été présentée le même jour au Service national d’enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC), région de l’Ouest.

 

[6]               Le 16 novembre 2010, un enquêteur a été chargé d’examiner l’affaire. Il a rencontré le témoin et a interviewé le Soldat Hiebert, qui a avoué avoir vendu de la drogue. Par la suite, des photographies du bar ont été prises, et, le 6 décembre 2010, l’enquête a été conclue.

 

[7]               Le 7 décembre 2010, deux accusations ont été portées contre le Soldat Hiebert par un enquêteur du SNEFC pour avoir fait le trafic de cocaïne. Le lendemain, le SNEFC, région de l’Ouest, a demandé que les accusations portées soient entrées dans la base de données du Centre d’information de la police canadienne, ce qui a été fait.

 

[8]   Le 5 janvier 2011, le Soldat Hiebert a volontairement quitté les Forces canadiennes aux termes du numéro 4b) du tableau de l’article 15.01 des ORFC, lequel porte sur l’expiration d’une période déterminée de service. Sa libération n’avait pas trait aux accusations portées contre lui ni à sa conduite concernant le trafic de drogues. Il a fourni aux Forces canadiennes l’adresse de ses parents à St. Albert (Alberta), à proximité d’Edmonton, où il séjournerait brièvement. Il s’est également assuré que les Forces canadiennes avaient son numéro de téléphone cellulaire.

 

[9]               Plus tard en janvier 2011, le Soldat Hiebert a emménagé dans sa résidence actuelle à Edmonton (Alberta). Il n’a pas fourni aux Forces canadiennes sa nouvelle adresse et parlait régulièrement avec ses parents. Aucun membre des Forces canadiennes n’a jamais tenté de communiquer avec lui à la résidence de ses parents au sujet des accusations.

 

[10]           Le 4 février 2011, le Soldat Hiebert a terminé avec succès un programme de traitement de la toxicomanie offert par Alberta Health Services.

 

[11]           Le 30 août 2011, le Soldat Hiebert a changé de numéro de téléphone cellulaire quand le contrat qu’il avait a pris fin. Il n’a pas donné son nouveau numéro aux Forces canadiennes.

 

[12]           En conformité avec le chapitre 109 des ORFC, le commandant du Soldat Hiebert a consigné, par l’entremise d’une lettre datée du 13 septembre 2011, les deux accusations dans le procès-verbal de procédure disciplinaire (PVPD). Cette lettre était destinée au commandant du Secteur de l’Ouest de la Force terrestre (SOFT), l’autorité de renvoi pour cette affaire. Le Quartier général du SOFT a reçu la lettre le 27 septembre 2011. La lettre indiquait l’adresse des parents du Soldat Hiebert à St. Albert (Alberta), où il pouvait être joint, ainsi que son ancien numéro de téléphone cellulaire. Une copie de la lettre a également été envoyée à l’adjoint au Juge‑avocat général (AJAG) de la région des Prairies.

 

[13]           En vertu de son obligation établie à l’alinéa 109.04(3) des ORFC, le commandant du requérant a avisé le directeur du service d’avocats de la défense (DSAD) du nom de l’avocat choisi par le Soldat Hiebert en envoyant par télécopieur le 10 décembre 2011 un formulaire daté du 2 décembre 2011 sur lequel figurait le nom de la Major Sara Collins.

 

[14]           Le 17 janvier 2012, le directeur adjoint du service d’avocats de la défense a nommé la Major Collins avocate du Soldat Hiebert et, la même journée, une demande de divulgation a été envoyée au directeur des poursuites militaires (DPM).

 

[15]           Le 29 février 2012, la Major Collins a envoyé à la Lieutenant-colonel Marylène Trudel, directrice adjointe des poursuites militaires, Ouest (DAPM, Ouest), un courriel lui indiquant qu’environ 15 mois s’étaient écoulés depuis que les accusations avaient été portées contre son client et lui demander si un procureur serait affecté à l’affaire. La Major Collins a également informé la DAPM, Ouest, que, selon elle, l’affaire avait causé une grande détresse émotionnelle et physique au Soldat Hiebert et qu’un autre retard inutile aggraverait probablement son état.

 

[16]           Le 5 mars 2012, la Major Collins a reçu par courriel une réponse de la lieutenant-colonel, qui la remerciait d’avoir porté l’affaire à son attention et indiquait qu’elle présenterait l’affaire à l’AJAG chargé d’avertir la chaîne de commandement et qu’elle tiendrait la Major Collins informée.

 

[17]           Dans une lettre datée du 3 mai 2012, les accusations portées contre le Soldat Hiebert ont été renvoyées par l’autorité en la matière, soit le commandant du SOFT, au DPM. Le bureau du DPM a reçu la lettre le 15 mai 2012. Une copie de la lettre a également été envoyée à l’AJAG, région de l’Ouest.

 

[18]           Le 16 mai 2012, la DAPM, Ouest, a chargé un procureur d’effectuer un examen à la suite des accusations portées et de mener la poursuite en cas de mise en accusation.

 

[19]           Le 31 mai 2012, la Capitaine de corvette Leonard a envoyé un courriel à la Major Collins pour lui indiquer qu’elle avait été nommée procureure dans l’affaire du Soldat Hiebert et qu’elle s’attendait à pouvoir prononcer la mise en accusation la semaine suivante. Le courriel de la procureure comportait un bref résumé des accusations prévues, une offre de règlement et les dates auxquelles elle était disponible pour un procès complet, soit en août et en septembre 2012. Elle a expliqué qu’elle pourrait également être disponible plus tôt en cas de plaidoyer de culpabilité.

 

[20]           En réponse au courriel de la procureure, la Major Collins a envoyé un courriel à la Capitaine de corvette Leonard le 4 juin 2012 pour lui indiquer que, selon elle, la période d’un an et demi qui s’était écoulée depuis que les accusations avaient été portées en l’espèce était inacceptable. Elle a indiqué qu’elle demanderait à son client s’il souhaitait présenter une requête aux termes de l’alinéa 11b). Si l’affaire était instruite malgré le délai, la Major Collins a demandé que la mise en accusation soit prononcée et qu’elle en soit informée immédiatement.

 

[21]           La même journée, la procureure a signé un acte d’accusation. Comme il est indiqué dans l’ordre de convocation, ces deux accusations ont été déposées le 13 juin 2012.

 

[22]           Le 22 juin 2012, le DSAD a reçu le matériel à divulguer pour l’affaire, qui a été envoyé le 13 juin 2012. Ce matériel consistait en un enregistrement audiovisuel de l’entrevue menée par le SNEFC auprès du Soldat Hiebert, un enregistrement audiovisuel de l’entrevue menée par le SNEFC auprès du Caporal-chef Webber, des transcriptions de ces entrevues sur 194 pages et 174 autres pages de documents supplémentaires.

 

[23]           Le 29 juin 2012, la Capitaine de corvette Leonard et la Major Collins ont eu un entretien par téléphone. La procureure a répété qu’elle était disponible pendant les mois d’août et de septembre 2012 pour entreprendre le procès. Les deux avocates ont convenu qu’elles n’étaient pas disponibles pour mener un procès complet avant la fin du mois d’août 2012.

 

[24]           Le 23 juillet 2012, la Major Collins a envoyé un courriel à la procureure pour lui demander si l’acte d’accusation avait été signifié au Soldat Hiebert. La procureure lui a répondu plus tard le même jour : l’acte d’accusation n’avait pas encore été signifié au Soldat Hiebert, mais elle s’attendait à ce que cela se fasse dans un avenir rapproché. L’acte d’accusation a en fait été signifié au Soldat Hiebert le 28 août 2012 par la police militaire de la Base des Forces canadiennes Edmonton. La PM a appelé le Soldat Hiebert et lui a demandé de se rendre au 1er Peloton de police militaire de la BFC Edmonton pour lui remettre l’acte d’accusation.

 

[25]           Le 29 août 2012, la procureure a informé l’avocate de la défense que son client avait reçu l’acte d’accusation la veille.

 

[26]           Du 10 septembre au 2 octobre 2012, la procureure et l’avocate de la défense ont eu des entretiens afin d’établir la date du procès; cependant, la Major Collins a perdu la trace de son client et a demandé à la procureure de la poursuite de l’aider à le retrouver. En réalité, le Soldat Hiebert a obtenu un emploi civil à Gateway Entertainment Centre du 20 septembre au 4 novembre 2012. La procureure de la poursuite a fourni à la Major Collins trois numéros de téléphone où elle pouvait joindre son client, ce qu’elle n’a pu faire.

 

[27]           Dans le cadre de ces discussions, la procureure a suggéré d’entreprendre le procès le 5 novembre 2012, mais l’avocate de la défense lui a mentionné qu’elle n’était pas disponible cette semaine-là.

 

[28]           Le 6 novembre 2012, la Major Collins a envoyé un courriel à la Capitaine de corvette Leonard pour confirmer qu’elle avait parlé avec son client par téléphone la veille. Cependant, l’avocate de la défense a également confirmé que la procureure chargée de l’affaire était désormais dans l’impossibilité de mener un procès avant de partir en congé de maternité pour un an en décembre 2012. Ensuite, la Major Collins a à nouveau souligné que, selon elle, le délai pour traduire l’affaire en justice était excessif et demandé qu’un autre procureur soit nommé immédiatement.

 

[29]           Le 13 novembre 2012, le Soldat Hiebert, par l’entremise de son avocate, a présenté un avis écrit initial de requête préliminaire, alléguant que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable, garanti à l’alinéa 11b) de la Charte, avait été violé et continuait de l’être. La même journée, l’avocate de la défense a envoyé un courriel au Lieutenant-colonel Steven Richards, le DAPM, Ouest, pour se plaindre du délai. Elle lui a indiqué qu’elle pouvait prendre part à un procès pendant la semaine du 10 décembre 2012, mais que cela était assujetti à un avis de sommaire des dépositions présenté par la poursuite.

 

[30]           Le 14 novembre 2012, le Lieutenant-colonel Richards a informé la Major Collins que l’affaire avait été réaffectée au Major Curliss, qui assumait le rôle de procureur militaire. Le 15 novembre 2012, elle a communiqué avec le Major Curliss par courriel pour lui demander quand il pourrait fournir le sommaire des dépositions de la poursuite et pour établir une date de procès pour l’affaire. Le 19 novembre 2012, le Major Curliss a appelé l’administrateur des cours martiales (ACM) pour lui indiquer qu’il était maintenant chargé de l’affaire.

 

[31]           Le 20 novembre 2012, l’ACM a communiqué avec l’avocate pour accuser réception de l’avis écrit de requête préliminaire du requérant daté du 13 novembre 2012 et l’a informée du fait que le juge militaire en chef (JMC) avait offert de tenir une téléconférence avec les deux avocats dès le 21 novembre 2012 afin d’établir une date de procès pour l’affaire. Le 20 novembre 2012, la Major Collins a reçu par courriel le sommaire des dépositions de la poursuite en l’espèce.

 

[32]           La conférence téléphonique entre le JMC et les deux avocats a eu lieu le 21 novembre 2012 à 9 h 30 afin d’établir la date du procès, qui a été fixée au 4 février 2013. Les deux avocats pouvaient prendre part à un procès pendant la semaine du 10 décembre 2012, mais le JMC ne pouvait pas établir de date pendant cette semaine-là. La date suivante où les deux avocats étaient disponibles était le 28 janvier 2013, mais le Soldat Hiebert préférait le 4 février 2013, car il prévoyait travailler dans le Nord pour son employeur civil pendant la semaine du 28 janvier.

 

[33]           Le 10 décembre 2012, le Soldat Hiebert a retiré son avis écrit initial de requête préliminaire daté du 13 novembre 2012, puis, le 12 décembre 2012, il a présenté l’avis écrit actuel de requête préliminaire, alléguant que ses droits aux termes de l’alinéa 11b) de la Charte avaient été violés.

 

[34]           De septembre 2011 à avril 2012, le Soldat Hiebert a suivi des cours à la Faculté d’éducation physique et de loisirs de l’Université de l’Alberta (campus d’Edmonton) et il a obtenu l’emploi civil qu’il occupe actuellement à temps plein à Petrospec Engineering le 5 novembre 2012.

 

[35]           Voici un extrait de l’alinéa 11b) de la Charte :

 

11. Tout inculpé a le droit

 

b) d’être jugé dans un délai raisonnable;

 

[36]           Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans R. c. Morin (1992) 1 RCS 771, à la page 786, l’alinéa 11b) de la Charte a pour objet de protéger certains droits individuels, soit le droit à la sécurité, le droit à la liberté et le droit à un procès équitable. À cet égard, dans R. c. Godin, 2009 CSC 26, la Cour suprême du Canada a ajouté les commentaires suivants au paragraphe 30 :

 

Dans le présent contexte, la question du préjudice est liée aux trois intérêts de l’accusé que l’al. 11b) est destiné à protéger : sa liberté, en ce qui touche sa détention avant procès ou ses conditions de mise en liberté sous caution; la sécurité de sa personne, c’est‑à‑dire ne pas avoir à subir le stress et le climat de suspicion que suscite une accusation criminelle; et le droit de présenter une défense pleine et entière, dans la mesure où les délais écoulés peuvent compromettre sa capacité de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins ou de se défendre autrement. Voir Morin, p. 801‑803.

 

[37]           Parallèlement, la Cour suprême du Canada a clairement mentionné dans l’arrêt Morin qu’il fallait évaluer ces droits en fonction d’un intérêt de la société dans son ensemble à « s’assurer que ceux qui transgressent la loi [sont] traduits en justice et traités selon la loi » (voir la page 789 de l’arrêt Morin). Cet intérêt social prend un sens unique lorsque l’on tient compte de l’objet du système de justice militaire. Comme l’a mentionné le Lieutenant-colonel Cloutier dans sa thèse intitulée L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale dans le système de justice militaire canadien, thèse de maîtrise, Ottawa, Faculté des études supérieures, Université d’Ottawa, 2003, à la page 17 :

 

« En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, [le système de justice militaire] doit être en mesure d’administrer la discipline afin de contrôler les inconduites. »

 

[38]           Il importe de mentionner que l’accusé doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, que son droit d’être jugé dans un délai raisonnable a été violé.

 

[39]           Par ailleurs, l’article 162 de la LDN impose aux intervenants du système de justice militaire, une fois que des accusations sont portées, l’obligation de traiter l’affaire avec toute la célérité « que les circonstances permettent ». Essentiellement, comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a indiqué au paragraphe 14 de l’affaire R. c. Langlois, 2001 CACM 3, cet article « ne répète qu’à sa façon l’alinéa 11b) de la Charte ».

 

[40]           Dans R. c. Grant, 2007 CACM 2, la Cour d’appel de la cour martiale va plus loin en déclarant aux paragraphes 26 et 27 ce qui suit :

 

[26]         Les arguments de l’appelant reposent sur l’article 162 de la Loi, qui prévoit qu’« une accusation aux termes du code de discipline militaire est traitée avec toute la célérité que les circonstances permettent ». Cette obligation, comme l’ont décidé les tribunaux militaires, incombe non seulement à la police militaire, mais aussi aux autorités militaires, quel que soit leur grade. Elle est fondée sur la nécessité de maintenir la discipline dans les Forces et, par conséquent, la célérité est vue comme étant l’essence du processus : voir Caporal F. Vincent, Cour martiale permanente, Sherbrooke, 13 octobre 2000, page 25.

 

[27]         Dans R. c. Ex-Caporal S.C. Chisholm, 2006 CM 07, où le délai avant le procès totalisait 14 mois après le dépôt de deux accusations pour désobéissance à un ordre légitime, le commandant Lamont M.J. a fait valoir, aux paragraphes 14 et 15 de ses motifs, l’importance de l’article 162, dans les termes suivants :

 

Dans le système de justice militaire, outre la revendication du droit du public à la justice, le maintien de la discipline individuelle et collective revêt une importance capitale. Les autorités militaires, quel que soit leur grade, sont tenues, conformément à l’article 162 de la Loi sur la défense nationale, de traiter une accusation aux termes du code de discipline militaire « avec toute la célérité que les circonstances permettent ».

 

Le délai inutile entre la perpétration de l’infraction et la peine imposée à la suite d’un procès diminue l’effet disciplinaire qui peut être obtenu seulement par le règlement rapide et efficace des accusations. C’est ce qui distingue le système de justice militaire du système de justice criminel civil où il n’existe aucun objectif en matière de discipline, et où il n’y a aucune obligation légale de la part des acteurs de procéder avec célérité à toutes les étapes de la poursuite. [Non souligné dans l’original.]

 

[41]           En réalité, cela reflète simplement ce qui a déjà été dit par la Cour suprême du Canada dans R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293 :

 

La sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d’une armée, composée de femmes et d’hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire.  Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[42]           Qu’entend-on par l’expression « délai raisonnable » à l’alinéa 11b) de la Charte? La Cour suprême du Canada a établi le cadre analytique à cet égard dans Morin. Il existe quatre facteurs principaux que la cour doit examiner et prendre en considération pour déterminer si, dans une affaire donnée, le délai qui s’est écoulé avant d’entreprendre le procès était déraisonnable ou non. Le recours à ces facteurs par une cour martiale a été confirmé par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire R. c. LeGresley, 2008 CACM 2. Voici ces facteurs :

 

            a.         la longueur du délai entre le moment où les accusations sont portées et la fin du procès;

 

            b.         la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul;

 

            c.         les raisons du délai;

 

            d.         le préjudice subi par l’accusé.

 

[43]           En examinant les raisons du délai, la cour doit tenir compte des éléments suivants :

 

            a.         les délais inhérents à la nature de l’affaire;

 

            b.         les actes de l’accusé et de la partie poursuivante;

 

            c.         les limites des ressources institutionnelles;

 

            d.         les autres raisons du délai.

 

[44]           Comme l’a déclaré le juge Lamont dans l’affaire R. c. Caporal Wolfe, 2005 CM 48 aux paragraphes 14 et 15 :

 

[14] Ces facteurs guident le tribunal dans sa décision, mais ils ne sont pas appliqués de façon mécanique et ne devraient pas non plus être considérés comme immuables ou inflexibles; sinon, cette disposition de la Charte deviendrait simplement une loi sur la prescription des poursuites imposée par le pouvoir judiciaire.

 

[15] Ce ne sont pas seulement les délais qui préoccupent le tribunal, mais plutôt leur effet sur les intérêts que l’alinéa 11b) est censé protéger. Dans l’évaluation des incidences du délai, il est important de se souvenir que la question à trancher en fin de compte est celle du caractère raisonnable du délai global qui s’est écoulé entre le dépôt de l’accusation et la conclusion du procès.

 

[45]           Cela dit, la cour procédera maintenant à l’analyse de la requête.

 

[46]           Le premier facteur qu’il faut examiner est la durée du délai. Comme il est indiqué dans Morin à la page 789, afin de faire cette détermination, la cour doit considérer la durée de la période entre le moment où les accusations sont portées en conformité avec l’alinéa 107.015(2) des ORFC et la fin du procès. Comme le montrent les éléments de preuve à ma disposition, les accusations ont été portées contre le Soldat Hiebert le 7 décembre 2010. La fin du procès peut être établie à la fin de la semaine en cours, soit le 8 février 2013. Ainsi, la longueur du délai est de 26 mois, ce qui est suffisant pour soulever la question du caractère raisonnable. En fait, la durée de ce délai montre que l’on n’a pas traité avec célérité les accusations, comme l’exige le système de justice militaire canadien.

 

[47]           Par ailleurs, le procureur a reconnu que la longueur du délai exigeait un examen minutieux de la cour.

 

[48]           Le deuxième facteur que la cour doit prendre en considération est la renonciation à invoquer certaines périodes par l’accusé. La cour ne considère pas que l’accusé a renoncé à invoquer certaines périodes pendant le délai de 26 mois. Comme il est indiqué à la page 790 dans Morin, la renonciation « doit être claire et sans équivoque ». L’analyse du délai montre clairement que le requérant n’a pas renoncé à invoquer certaines périodes. Cependant, la conduite de l’accusé une fois qu’il a été informé de l’acte d’accusation le 28 août 2012 peut soulever certaines préoccupations. La cour considère que cela mérite une analyse approfondie dans le cadre du prochain facteur concernant les raisons du délai, plus précisément en ce qui a trait aux actes de l’accusé. La cour est d’avis que ces actes ne constituent en rien une renonciation.

 

[49]           Le troisième facteur de l’analyse concerne les raisons du délai. Comme il a été énoncé précédemment, cela consiste en cinq raisons précises que la cour doit considérer. Il importe de mentionner qu’il est inévitable qu’il y ait un certain délai pour le traitement d’une accusation dans n’importe quel système de justice, y compris le système de justice militaire. Il est normal qu’il faille du temps pour préparer une affaire. C’est pourquoi il est important d’analyser de façon approfondie les raisons du délai afin de pouvoir déterminer si ce dernier est raisonnable.

 

[50]           Comme l’a reconnu la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire LeGresley aux paragraphes 40 et 41, il y a des délais inhérents au système de justice militaire pour le traitement d’une accusation afin que l’accusé puisse comparaître devant une cour martiale. Comme il est indiqué au chapitre 107 des ORFC, la chaîne de commandement doit respecter certaines exigences réglementaires aussitôt qu’une accusation est portée contre un de ses membres. Le commandant doit décider s’il y aura ou non une poursuite judiciaire intentée; cependant, avant de prendre cette décision, il doit obtenir un avis juridique. L’autorité de renvoi, une fois qu’elle a reçu la demande du commandant visant à connaître les accusations, doit envoyer la demande, accompagnée de ses recommandations, au directeur des poursuites militaires. Par la suite, il faut quelque temps pour que le procureur de la poursuite prenne une décision concernant la mise en accusation puisqu’il doit rencontrer les témoins et analyser les documents. La divulgation du matériel, la préparation du procès et la disponibilité de l’avocat de la défense et du procureur doivent également être considérées avant qu’une affaire puisse être instruite par la cour martiale. Il faut également tenir compte de la complexité de l’affaire.

 

[51]           En l’espèce, il est intéressant de noter que, même si cela ne peut être pris en compte dans la durée du délai, il a fallu exactement trois semaines à l’enquêteur de la police, une fois qu’il a été chargé d’enquêter, pour terminer l’enquête et porter les accusations. Au total, 26 jours se sont écoulés entre l’incident et le dépôt des accusations. Cela indique clairement que l’affaire n’est pas complexe.

 

[52]           Par ailleurs, il a fallu 19 jours à la procureure pour effectuer l’examen à la suite des accusations portées, soit du moment où elle a été affectée à l’affaire jusqu’à ce qu’elle signe l’acte d’accusation. Cela montre clairement que l’affaire est simple et pas du tout complexe.

 

[53]           Enfin, le matériel à divulguer est composé de deux témoignages enregistrés sur vidéo, y compris la confession de l’accusé, et d’autres documents. Cela montre encore une fois que la cour peut considérer l’affaire comme étant simple à traiter.

 

[54]           Dans le cadre de la procédure, il faut également tenir compte de la nature des infractions afin de comprendre le délai inhérent au traitement des accusations. Essentiellement, selon la réglementation, le trafic d’une substance est une infraction qui ne peut faire l’objet d’un procès sommaire, car tout officier ayant la compétence de présider un procès sommaire serait forclos de poursuivre une personne accusée de telles infractions, car il n’aurait pas compétence à ce chapitre.

 

[55]           Ensuite, il est clair que la décision principale a été prise par le commandant du requérant, qui a dû déterminer s’il y aurait ou non une poursuite judiciaire intentée. Une fois cette décision prise, les accusations ont été renvoyées directement à l’autorité de renvoi conformément au chapitre 109 des ORFC afin qu’elles soient présentées au directeur des poursuites militaires pour qu’il décide si l’affaire devait être instruite par une cour martiale.

 

[56]           Il a fallu neuf mois au commandant pour décider qu’il y aurait une poursuite judiciaire et huit autres mois pour que l’autorité de renvoi présente l’affaire au directeur des poursuites militaires. Ensuite, il a fallu 17 mois pour que la chaîne de commandement présente l’affaire aux autorités des poursuites, même si on savait que les accusations ne pouvaient être traitées que par une cour martiale.

 

[57]           On aurait pu s’attendre à ce que ces étapes prennent jusqu’à deux mois avant que la chaîne de commandement remette le dossier au directeur des poursuites militaires, compte tenu du fait qu’il s’agissait d’une affaire non complexe.

 

[58]           Comme le montrent les éléments de preuve, il a fallu un mois pour que la poursuite prononce la mise en accusation. Quant à l’établissement de la date du procès, il est raisonnable de croire que le procès aurait dû commencer en moins de trois mois, compte tenu des discussions tenues et de la disponibilité de tous les intervenants.

 

[59]           Ensuite, en l’espèce, une période de six mois pourrait être considérée comme un délai inhérent, ou une ligne directrice, afin d’évaluer le délai moyen pour qu’une affaire soit instruite après le dépôt des accusations.

 

[60]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire LeGresley aux paragraphes 45 et 46, il appartient à la poursuite d’expliquer pourquoi le délai de 17 mois est nécessairement inhérent au système de justice militaire, puisqu’elle est en meilleure position pour expliquer la structure administrative et ses exigences. Même si l’on reconnaît qu’un tel délai est inacceptable, aucun élément de preuve n’a été présenté par la poursuite afin d’expliquer pourquoi il a fallu autant de temps d’un point de vue administratif ou procédural. Les éléments de preuve n’indiquent pas de quelle façon la chaîne de commandement aurait dû procéder pour prendre les bonnes décisions, et rien n’a été présenté concernant l’avis juridique que la chaîne de commandement aurait dû obtenir pour prendre de telles décisions.

 

[61]           Comme la poursuite n’a présenté aucun élément de preuve, la cour peut considérer qu’une période de six mois, comme l’a suggéré le requérant, est le délai inhérent en l’espèce et la ligne directrice permettant d’évaluer la situation.

 

[62]           En ce qui concerne les actes de l’accusé, pendant la période de 26 mois étudiée par la cour, le requérant n’a pas fait preuve de diligence à un certain moment, soit après la mise en accusation. Il savait que des accusations avaient été portées contre lui par la poursuite le 28 août 2012, mais il n’a pas communiqué avec son avocate pour en discuter. Au contraire, c’est l’avocate de la défense, avec l’aide de la procureure de la poursuite, qui a tenté de le joindre afin de discuter de la situation et d’établir une date de procès et elle a finalement réussi à lui parler le 5 novembre 2012. Il a été impossible d’établir une date de procès en août ou en septembre 2012 en raison de l’attitude du requérant, qui a eu une claire incidence sur la capacité du système de justice militaire d’établir la première date possible. Par conséquent, un délai de trois mois, du mois d’août au mois d’octobre 2012, doit être considéré comme l’entière responsabilité du requérant.

 

[63]           Par contre, il est clair que 15 des 17 mois qu’il a fallu à la chaîne de commandement pour renvoyer l’affaire au DPM, qui représentent une grande partie du délai, doivent être considérés comme l’entière responsabilité de la poursuite. La poursuite n’a fourni aucune explication concernant ce délai.

 

[64]           Cependant, il est clair que, une fois le dossier reçu par le DPM, aucun délai ne peut être attribué à la procureure de la poursuite, qui a fait preuve de diligence pour prononcer la mise en accusation et qui a été disponible le plus tôt possible pour entreprendre le procès. Le changement de procureur n’a pas eu d’effet sur le délai non plus, car la date de procès a été établie une semaine après l’affectation d’un nouveau procureur au dossier.

 

[65]           Selon les éléments de preuve, il n’y a pas eu de limites imposées par les ressources institutionnelles. Sauf pour une semaine en décembre 2012, rien n’indique que des ressources judiciaires ou liées à la poursuite ont imposé des limites à l’affaire ou ont retardé la tenue du procès dans un délai raisonnable. La durée nécessaire pour établir une date ne semble pas excessive, compte tenu du fait que, sauf pour une période de trois mois attribuable au requérant, tous les intervenants étaient actifs et que la première date possible a été utilisée selon la disponibilité des personnes concernées.

 

[66]           Ensuite, parmi les 26 mois nécessaires pour faire instruire l’affaire en cour martiale à partir du moment où les accusations ont été portées contre le requérant, une période de trois mois est entièrement la responsabilité de ce dernier. Par ailleurs, parmi les 23 mois restants, une période de huit mois semble être le délai inhérent requis par les autorités pour s’occuper de l’affaire, y compris le délai pour établir une date, ce qui semble raisonnable en l’espèce. Enfin, il reste une période inexplicable de 15 mois qui a prolongé sans raison la durée du traitement de l’affaire.

 

[67]           La cour ne voit aucune autre raison pour le délai. Par conséquent, elle se penchera maintenant sur le préjudice subi par le requérant.

 

[68]           Par l’entremise de son avocate, le requérant a demandé que l’affaire soit traitée rapidement afin, tout d’abord, qu’une décision soit rendue sur la mise en accusation pour qu’il sache s’il sera poursuivi ou non devant une cour martiale, puis que l’on tienne compte du contexte entourant l’établissement de la date de procès la plus rapprochée.

 

[69]           En ce qui concerne le contexte, le Soldat Hiebert avait mis un terme à sa carrière militaire et avait commencé une nouvelle vie dans le monde civil. Il a terminé un programme de traitement de la toxicomanie, est retourné à l’école et a trouvé un nouvel emploi. La seule chose qui le rattachait au monde militaire était les accusations portées, dont le traitement pourrait avoir une incidence sur sa vie civile. En gros, il voulait tourner la page sur son passage dans les forces armées et mener tranquillement sa vie civile, mais cela lui était impossible avant le traitement des accusations.

 

[70]           Même s’il a averti les autorités des poursuites que, après 14 mois, on ne lui avait rien dit sur les accusations et que l’attente lui causait de la détresse émotionnelle et physique, rien ne s’est passé pendant trois mois. Ce n’est qu’une fois que l’affaire a été renvoyée à la procureure de la poursuite que les choses ont commencé à bouger. Cependant, le requérant a immédiatement indiqué à la procureure que le délai pour traiter l’affaire constituait un problème et que, si le DPM prononçait la mise en accusation, ce problème serait signalé à la cour martiale par l’entremise d’un avis écrit de requête. Cette attitude a clairement contribué au traitement rapide de l’affaire par les autorités. Par ailleurs, comme le requérant a présenté son avis écrit à la procureure de la poursuite et à l’administrateur des cours martiales, même si aucune date de procès n’avait été établie, les autorités ont voulu agir rapidement. Une date a été fixée dans la semaine suivant l’affectation d’un nouveau procureur dans l’affaire en novembre 2012.

 

[71]           Par la suite, le requérant a pris certaines mesures qui ont fait que le système de justice militaire a tenu compte de son point de vue, sauf pendant que le dossier était entre les mains de la chaîne de commandement.

 

[72]           Comme l’a déclaré la Cour d’appel de la cour martiale au paragraphe 55 dans l’affaire LeGresley :

 

On peut déduire que l’accusé a subi un préjudice en raison de la longueur du délai. Plus le délai est long, plus il est vraisemblable qu’on pourra faire une telle déduction.

 

[73]           En l’espèce, les actions de la chaîne de commandement ont fait en sorte que le requérant a dû attendre inutilement pendant 15 mois pour que des accusations soient portées contre lui, accusations qui auraient dû être traitées dans un délai raisonnable.

 

[74]           Ce délai a eu une incidence sur le droit du requérant de subir un procès équitable, car la preuve de la poursuite s’appuie, entre autres, sur un témoin qui doit décrire ce qu’il a vu, entendu et fait par rapport à l’infraction commise par le requérant. Le fait de témoigner 26 mois plutôt que 11 mois après l’incident peut clairement avoir un effet sur les souvenirs d’un témoin et sur la capacité d’un accusé de se défendre et de contester les éléments de preuve présentés par la poursuite. L’ajout d’une période de 15 mois a rendu plus probable le fait que le contre-interrogatoire du requérant en tant que témoin clé soit moins efficace dans les circonstances.

 

[75]           De plus, l’inaction de la chaîne de commandement a eu une incidence sur le droit à la sécurité du requérant. Comme le requérant a été sous le coup d’accusations pendant une période plus longue que prévu, en raison de l’inaction de la chaîne de commandement, il a subi beaucoup de stress et de torts, alors que l’affaire aurait pu être traitée 15 mois plus tôt dans le cadre de sa nouvelle vie civile.

 

[76]           En ce qui concerne la preuve d’un préjudice réel, je dois dire que le fait que les accusations portées ont été entrées dans la base de données du CIPC n’est pas suffisant pour prouver que le requérant a subi un préjudice. Par ailleurs, aucun autre élément de preuve ne montre qu’il y a eu un préjudice réel.

 

[77]           Je conclus que le requérant a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a subi un préjudice concernant son droit de subir un procès équitable et son droit à la sécurité en raison du délai excessif de 26 mois causé par un retard inutile de 15 mois découlant du fait que l’affaire a été entre les mains de la chaîne de commandement pendant cette période. En réalité, à cause de l’inaction de la chaîne de commandement, le délai global a excédé toute ligne directrice raisonnable; par conséquent, la cour détermine que, en raison de ce délai prolongé, le requérant a subi un préjudice.

 

[78]           Cependant, il faut également tenir compte de l’intérêt de la société à s’assurer que ceux qui transgressent le Code de discipline militaire sont traduits en justice et traités en conséquence afin d’assurer la discipline et le respect de la loi.

 

[79]           Comme elle l’a mentionné dans sa lettre, l’autorité de renvoi a clairement indiqué que, compte tenu de la nature et des circonstances des infractions, et malgré le fait que le requérant a été libéré des Forces canadiennes depuis que les accusations ont été portées, la communauté militaire a tout de même un intérêt légitime à ce qu’une telle conduite soit dénoncée, peu importe le statut actuel du requérant. Il est vrai que, objectivement, les accusations sont très graves.

 

[80]           Cependant, l’inaction de la chaîne de commandement, y compris celle de l’autorité de renvoi, montre plutôt le contraire. En prolongeant de 15 mois le délai habituel pour renvoyer une affaire simple à la poursuite, sans explication valide ou raison apparente, la chaîne de commandement, par cette attitude, indique réellement qu’il n’était pas si important de traiter l’affaire, du point de vue de l’intérêt public.

 

[81]           Je conclus que le traitement de l’affaire a tellement été retardé que cela a violé le droit du requérant d’être jugé dans un délai raisonnable. Comme l’a mentionné le juge Juriansz de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire R. c. Bruce, 2010 ONCA 689 au paragraphe 23 :

 

            [Traduction]

Il est dans l’intérêt du public que les accusations soient traitées selon leur bien-fondé. Il est également dans l’intérêt du public que les accusations graves soient traitées en temps opportun.

                                                                                                                          

[82]           Compte tenu de la conclusion de la cour concernant la violation du droit constitutionnel du requérant d’être jugé dans un délai raisonnable, la cour n’a d’autre choix que d’ordonner la suspension de l’instance, en tant que recours minimal.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[83]           ACCUEILLE la requête du requérant.

 

[84]           DÉCLARE que le droit du requérant d’être jugé dans un délai raisonnable, énoncé à l’alinéa 11b) de la Charte, a été violé en ce qui concerne les accusations figurant sur l’acte d’accusation.

 

[85]           ORDONNE, conformément au paragraphe 24(1) de la Charte, que l’instance de la cour martiale permanente soit suspendue dans l’affaire du Soldat Hiebert.

 


 

Avocats

 

Major D. Curliss, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocate de l’ex-Soldat B.M. Hiebert

 

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