Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 11 mars 2013.

Endroit : NCSM PREVOST, 19 rue Becher, London (ON).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 125 LDN, dans l’intention d’induire en erreur, a altéré un document établi à des fins militaires.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 125 LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel établit par lui.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable. Chef d’accusation 3 : Coupable. Chef d’accusation 4 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 200 $.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R c Gardiner, 2013 CM 3009

Date : 20130312

Dossier : 201271

Cour martiale permanente

NCSM PRÉVOST

London (Ontario), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Maître de 1re classe J.T. Gardiner, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Maître de 1re classe Gardiner, après avoir accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement au troisième chef d'accusation figurant sur l'acte d'accusation, la Cour vous déclare à présent coupable de cette infraction. Étant donné que le quatrième chef d'accusation est subsidiaire au troisième, la Cour ordonne, conformément à l'alinéa 112.05(8)a) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, la suspension de l'instance qui s'y rapporte. Par ailleurs, vous n'avez pas été reconnu coupable des premier et deuxième chefs d'accusation, la poursuite ayant décidé de ne pas présenter d'éléments de preuve à cet égard, la Cour n'a donc plus aucune autre accusation à examiner.

[2]               Il m'incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la peine.

[3]               Comme il est une dimension essentielle de l'activité militaire, le système de justice militaire peut être considéré comme l'ultime recours pour faire respecter la discipline. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d'une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C'est grâce à la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système assure également le maintien de l'ordre public et veille à ce que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l'objectif d'un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l'efficacité et du moral des Forces canadiennes (voir R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, devrait constituer l'intervention minimale appropriée dans les circonstances particulières.

[5]               En l'espèce, le procureur a recommandé que la Cour vous condamne à une réprimande assortie d'une amende de 2 500 $ à 3 500 $, pour répondre aux exigences de la justice. L'avocat qui assure votre défense a laissé entendre qu'une amende de 200 $ à 500 $ remplirait le même objectif.

[6]               L'imposition d'une peine peut être une tâche difficile pour le juge, surtout dans un cas comme celui-ci. Comme l'a reconnu la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Généreux, dans l'ordre :

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

Elle souligne que dans le contexte particulier de la justice militaire :

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une peine qui irait au-delà de ce qu'exigent les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être adaptée au contrevenant visé et représenter l'intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de détermination de la peine au Canada.

[7]               L'objet fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d'assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline, par l'infliction de sanctions répondant à au moins l'un des objectifs suivants :

a.       protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

b.      dénoncer le comportement illégal;

c.       dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

d.      isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

e.       favoriser la réadaptation et la réforme du contrevenant.

[8]               Lorsqu'il impose une peine, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

a.       la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction;

b.      la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

c.       la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions semblables commises dans des circonstances analogues;

d.      le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort, comme l'ont reconnu la Cour d'appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e.       finalement, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

[9]               J'en suis arrivé à la conclusion que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la peine devrait être axée sur les objectifs de la dissuasion générale et spécifique. Il est important de préciser que la dissuasion générale vise à faire en sorte que la peine infligée dissuade non seulement le contrevenant de récidiver, mais aussi toute autre personne se trouvant dans une situation semblable et qui, pour quelque raison que ce soit, serait tentée de se livrer aux mêmes actes illicites.

[10]           En l'espèce, la Cour a affaire à l'infraction militaire qui consiste à faire volontairement une fausse déclaration dans un document établi à des fins officielles.

[11]           Les 17 et 18 mars 2012, le maître de 1re classe Gardiner agissait comme officier de sécurité du tir et chef de l'instruction du personnel du NCSM PRÉVOST. Il devait, dans le cadre de ces fonctions, mener les exercices de qualifications sur le fusil C7A au champ de tir de Cedar Spring, à London (Ontario). Le matelot de 1re classe Renaud, qui appartenait à la même unité que le contrevenant, était présent au champ de tir pour les exercices du 17 mars 2012, mais pas pour ceux du lendemain.

[12]           Le 17 mars 2012, le maître de 1re classe Gardiner a déclaré au matelot de 1re classe Renaud qu'il s'arrangerait pour qu'elle obtienne ses qualifications à une date ultérieure, condition indispensable pour qu'elle puisse assister à la partie interne du cours de qualification élémentaire en leadership.

[13]           Le 21 mars, le maître de 1re classe Gardiner a transmis par courriel au lieutenant de vaisseau Barrette, l'officier chargé de l'instruction sur le NCSM PRÉVOST, la liste des scores obtenus par le personnel le 18 mars sur le champ de tir, sur laquelle figurait le nom du matelot de 1re classe Renaud.

[14]           Le lieutenant de vaisseau Barrette devait se servir de ce document à des fins officielles, à savoir saisir les scores de tous les membres dont le nom figurait sur le document dans le Système de gestion des dossiers et de l'information de la Marine. Il savait lui-même que le matelot de 1re classe Renaud ne s'était pas présentée au champ de tir le 18 mars. Il avait pris des renseignements sur d'autres membres du personnel présents sur place.

[15]           Le 21 mars, le maître de 1re classe Gardiner a approché le matelot de 1re classe Renaud à la fenêtre du bureau du navire et lui a indiqué qu'elle avait passé ses qualifications et qu'elle n'avait pas à s'inquiéter.

[16]           Le 22 mars, le lieutenant de vaisseau Barrette a avisé par courriel le maître de 1re classe Gardiner qu'à sa connaissance, le matelot de 1re classe Renaud n'était pas retournée sur le champ de tir le dimanche. Il lui a demandé des explications à ce sujet. Le maître de 1re classe Gardiner n'a pas répondu à ce courriel, mais a rencontré le lieutenant de vaisseau Barrette le 26 mars. Lorsque ce dernier l'a interrogé sur la disparité entre le courriel et ce qu'il avait appris, le maître de 1re classe Gardiner a reconnu que le matelot de 1re classe Renaud ne s'était pas présentée au champ de tir pour les exercices de qualifications du 18 mars.

[17]           Ce type d'infraction est directement lié à certaines obligations d'ordre éthique auxquels sont soumis les membres des Forces canadiennes, comme l'intégrité, la loyauté et l'honnêteté. Pour que les tâches ou les missions d'une force armée soient accomplies, il est plus qu'essentiel que les officiers autant que les militaires du rang soient toujours fiables, quels que soient leurs rôles ou leurs fonctions.

[18]           Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances atténuantes et des facteurs aggravants suivants :

a.       la Cour considère la gravité objective de l'infraction comme un facteur aggravant. L'accusation dont vous faites l'objet a été portée conformément à l'article 125 de la Loi sur la défense nationale : elle est punissable d'une peine d'emprisonnement d'une durée maximale de trois ans;

b.      en deuxième lieu, la gravité subjective de l'infraction, qui concerne deux éléments :

                                                  i.      le premier facteur aggravant d'un point de vue subjectif a trait à l'abus de confiance que trahit votre conduite. Pour quelqu'un de votre rang doté d'une expérience aussi considérable, vous avez connu, durant votre carrière militaire, de multiples situations qui auraient dû vous préparer à faire mieux. Vos collaborateurs ont été déçus par votre conduite et attendaient mieux de votre part, tout comme la population générale espère davantage de ses marins, aviateurs et soldats. À titre de militaire de rang supérieur, vous devez répondre à de très grandes attentes et, lorsque quelqu'un comme vous agit de la sorte, la déception est également très amère;

                                                ii.      vos actes révèlent également une certaine préméditation, ce qui est un facteur aggravant dont la Cour doit tenir compte. Vous avez dit au matelot de 1re classe Renaud qu'elle avait réussi les qualifications, ce que vous avez confirmé dans un courriel qui a été utilisé à des fins officielles. Vous avez ensuite sciemment et délibérément voulu transmettre à votre chaîne de commandement de fausses informations devant servir à des fins officielles concernant les qualifications au maniement des armes d'un membre des Forces canadiennes.

[19]           J'ai également tenu compte de circonstances atténuantes :

a.       votre plaidoyer de culpabilité. Eu égard aux faits présentés en l'espèce, la Cour doit considérer votre aveu de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir très sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes et pour la société en général. Ce plaidoyer révèle aussi que vous assumez la pleine responsabilité de vos actes;

b.      l'absence d'annotation sur votre fiche de conduite. Rien n'indique que vous ayez déjà commis une semblable infraction, militaire ou criminelle, qu'elle soit liée ou non aux événements survenus;

c.       votre performance durant le service militaire et votre potentiel. Ce que vous avez accompli jusqu'à présent dans votre carrière militaire mérite assurément un grand respect. Vos états de service le démontrent avec éloquence et la Cour doit en tenir compte. Vous êtes respecté dans votre domaine et reconnu comme un expert sur de nombreux sujets;

d.      le fait qu'il s'agisse d'un incident isolé et d'un comportement qui ne vous ressemble pas. Quelles que soient les raisons pour lesquelles vous avez agi comme vous l'avez fait, il est manifestement inhabituel pour quelqu'un comme vous d'adopter une telle conduite, d'autant que vous n'aviez rien à y gagner d'un point de vue personnel;

e.       le fait que vous ayez eu à comparaitre devant cette cour martiale, dans le cadre d'une audience annoncée et ouverte au public qui s'est déroulée en présence de certains de vos collègues et de vos pairs, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous comme sur eux. Le message étant que ce type de conduite ne sera toléré d'aucune manière et qu'il sera réprimé en conséquence.

[20]           La gamme appropriée de peines pour des infractions de cette nature et dans un tel contexte va généralement d'un blâme à une réprimande assortie d'une amende, ou une amende seulement dans certains cas.

[21]           La Cour tient à rappeler qu'une réprimande constitue une peine sérieuse dans un contexte militaire. Comme l'indique l'Oxford Dictionary, c'est une expression formelle de désapprobation vis-à-vis de la conduite ou des actes d'une personne. Elle est supérieure dans l'échelle des peines à une amende, quel qu'en soit le montant. Elle reflète le doute qu'a suscité l'engagement du militaire au moment où l'infraction a été commise, et la gravité attribuée à l'infraction, mais aussi l'espoir réel de réhabilitation du contrevenant.

[22]           Les faits en présence démontrent que votre inconduite était assez grave. Vous avez enfreint les normes professionnelles d'intégrité auxquelles sont soumises les personnes de votre rang et de votre expérience dans les Forces canadiennes. Vous avez induit en erreur une subalterne quant à ses qualifications et fait de fausses déclarations dans le même sens par écrit à un officier.

[23]           Les circonstances de la présente affaire me convainquent qu'il est indiqué d'imposer une réprimande au contrevenant, eu égard à la nature même de cette peine. En fait, si l'on tient compte de la nature de l'infraction, des principes de détermination de la peine applicables, notamment celui des peines infligées par des tribunaux militaires à des contrevenants comparables pour des infractions analogues commises dans des circonstances semblables, et des facteurs aggravants et atténuants exposés ci-dessus, je suis d'avis qu'une réprimande assortie d'une amende semble constituer la peine la moins sévère indiquée et nécessaire en l'espèce.

[24]           Pour ce qui est du montant de l'amende, la Cour ne pense pas que l'imposition d'un gros montant, comme celui que propose la poursuite, serait réellement une peine proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant, particulièrement dans le contexte d'une amende combinée à une réprimande. La Cour conclut qu'une amende de 200 $ représenterait plus fidèlement la portée réelle de ce principe. Comme le notent souvent les juges militaires qui prononcent une sentence, une peine juste et équitable doit tenir compte de la gravité de l'infraction et de la responsabilité du contrevenant dans le contexte précis de l'affaire. De l'avis de la Cour, une réprimande assortie d'une amende de 200 $ constitue une peine minimale appropriée et adaptée à l'infraction.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[25]           VOUS DÉCLARE coupable du troisième chef d'accusation, soit d'une infraction aux termes de l'article 125 de la Loi sur la défense nationale.

[26]           ORDONNE la suspension de l'instance relativement au quatrième chef d'accusation.

[27]           Vous CONDAMNE à une réprimande assortie d'une amende de 200 $, à payer immédiatement.


 

Avocats :

Major T.E.K. Fitzgerald, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major S.L. Collins, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat du Maître de 1re classe J.T. Gardiner

 

 

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