Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 31 janvier 2013.

Endroit : BFC Petawawa, édifice L-106, Petawawa (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 88 LDN, a déserté.
•Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.
•Chef d’accusation 4 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chefs d’accusation 5, 6, 7 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de s’être absenté sans permission. Chefs d’accusation 2, 3, 6, 7 : Coupable. Chefs d’accusation 4, 5 : Retirés.
•SENTENCE : Destitution du service de Sa Majesté.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Heideman, 2013 CM 3004

 

Date : 20130131

Dossier : 201310

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Petawawa

Petawawa (Ontario), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Cavalier R.P. Heideman, contrevenant

 

 

Devant : Le Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Soldat Heideman, ayant accepté et enregistré un plaidoyer de culpabilité à l’égard du premier chef d’accusation, pas celui figurant dans l’acte d’accusation, mais pour une infraction moins grave prévue à l’article 133 de la Loi sur la défense nationale, soit absence sans permission, et des deuxième, troisième, sixième et septième chefs d’accusation figurant dans l’acte d’accusation, la cour vous déclare coupable de ces chefs d’accusation. Comme la poursuite a retiré les chefs d’accusation quatre et cinq, la cour n’a donc plus d’autres questions à examiner. Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

 

[2]        Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système assure également le maintien de l’ordre public et veille à ce que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada. 

 

[3]        Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (voir R. c. Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire qui est adéquate dans les circonstances particulières.

 

[4]        En l’espèce, le procureur de la poursuite et l’avocat de la défense ont formulé une recommandation conjointe au sujet de la peine à infliger. Ils ont recommandé que la cour vous condamne à être destitué du service de Sa Majesté. Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons peuvent notamment découler du fait que la peine n’est pas adéquate, qu’elle est déraisonnable, qu’elle va à l’encontre de l’intérêt public ou qu’elle a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice, comme il est énoncé dans la décision de la Cour d’appel de la cour martiale R. c. Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21.

 

[5]        L’imposition d’une peine est une des tâches les plus ardues qu’un juge doit remplir. Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans Généreux, « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace ». La Cour suprême du Canada a également souligné que, « dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devraient être réprimés promptement, et dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil ». Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au‑delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[6]        L’objet fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline, par l’imposition de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.       protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.      dénoncer le comportement illégal;

 

c.       dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d.      isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e.       favoriser la réadaptation et la réforme du contrevenant.

 

[7]        Lorsqu’il impose une peine, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a.       la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b.      la peine doit être proportionnelle à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

 

c.       la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d.      le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de la cour martiale;

 

e.       enfin, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

 

[8]        J’en suis arrivé à la conclusion que, eu égard aux circonstances particulières de la présente affaire, la peine devrait mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale. 

 

[9]        En l’espèce, la cour doit rendre une décision concernant trois infractions d’absence sans permission, en violation de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale, commises à trois périodes différentes : la première fois à la fin du mois de septembre et au début du mois d’octobre, ensuite à la fin du mois d’octobre, puis de la fin du mois d’octobre jusqu’à tout récemment, à la mi-janvier 2013. Par ailleurs, la cour doit rendre une décision concernant deux infractions de manquement à une condition imposée par un officier réviseur aux termes de la partie III, infractions commises le 23 et le 30 octobre 2012.

 

[10]      En gros, quand on vous a demandé d’expliquer pourquoi vous étiez allé à un rendez-vous ayant rapport avec votre voiture, vous avez pris la décision de ne pas vous présenter pour la première fois. Vous êtes revenu, avez été arrêté et des conditions vous ont été imposées à ce moment-là. Cependant, vous n’avez pas respecté ces conditions et avez également omis de vous présenter à un rendez-vous médical pour un suivi. Vous vous êtes ensuite absenté sans permission pour une deuxième fois. Vous avez encore été arrêté, vous avez comparu devant l’officier réviseur, qui vous a imposé d’autres conditions, puis, le lendemain, vous avez décidé encore une fois de ne pas vous présenter et de ne pas respecter certaines conditions qui vous avaient été imposées. Enfin, vous vous êtes absenté à nouveau sans permission, et il a fallu deux mois et demi, en vertu d’un mandat d’arrêt, pour que la police militaire vous trouve à l’endroit où vous travailliez depuis un certain temps. Vous avez été arrêté, avez fait l’objet d’un transfèrement vers Petawawa et avez comparu à nouveau devant l’officier réviseur, qui a décidé de ne pas vous libérer, puis devant un juge, dans le cadre d’une révision judiciaire du maintien sous garde, qui a aussi décidé de ne pas vous libérer.

 

[11]      Vous devez garder à l’esprit que l’absence sans permission et le manquement à une condition imposée après votre arrestation et votre détention sont des infractions graves aux termes de la Loi sur la défense nationale qui se rapportent aux principes des Forces canadiennes, comme obéir à l’autorité légale et l’appuyer, ainsi qu’aux obligations éthiques des Forces canadiennes, notamment l’intégrité, la loyauté et la responsabilité.

 

[12]      Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des facteurs atténuants et aggravants suivants :

 

            a.         La cour considère la gravité objective des infractions comme un facteur aggravant. Les infractions dont vous avez été accusé sont prévues aux articles 90 et 101.1 de la Loi sur la défense nationale. Elles sont passibles d’un emprisonnement maximal de trois ans ou d’une punition moindre.

 

            b.         Il y a aussi la gravité subjective de l’infraction, ce qui couvre trois aspects :

 

      (i)         Vous avez renoncé à vos responsabilités en tant que soldat pour une raison inconnue; aucun élément de preuve ne m’a été présenté. Vous avez décidé de faire passer vos intérêts avant tout, sans prêter attention aux conséquences de votre décision. Votre unité a subi les contrecoups de votre absence, et vous n’avez pas semblé éprouver de remords à cet égard. Vous aviez indiqué clairement que vous n’étiez pas fiable. N’oubliez pas que vous avez été arrêté trois fois et libéré deux fois, avec conditions. Malgré cela, vous avez décidé de vous absenter une troisième fois sans indiquer à quiconque ce que vous faisiez. En gros, il était très clair, comme l’a mentionné le procureur, que vous n’aviez pas l’intention de revenir, et cela est un facteur aggravant.

 

      (ii)        Il faut également tenir compte de la durée de votre absence. Elle montre que vous ne vous souciez pas des personnes dans votre organisation et dénote clairement une attitude irresponsable. La première fois, vous vous êtes absenté pendant une courte période; la deuxième fois, pendant une plus longue période; puis, la troisième fois, pendant une très longue période; vous avez laissé clairement entendre que vous ne souhaitiez pas revenir dans les Forces canadiennes. Il s’agit d’une circonstance aggravante.

 

      (iii)       Le troisième aspect, en tant que facteur aggravant, est la répétition de l’infraction. Vous avez manqué aux conditions deux fois et vous vous êtes absenté pendant une courte période. Considérez ceci : en quatre mois, vous vous êtes absenté sans permission trois fois. Il s’agit donc d’une infraction que vous avez commise à répétition. Je serais porté à croire que, d’une certaine façon, cela était prémédité, c’est‑à‑dire prévu, ce qui constitue également un facteur aggravant.

 

[13]      La cour considère ce qui suit comme étant des circonstances qui atténuent la peine :

 

            a.         Tout d’abord, votre plaidoyer de culpabilité. Aujourd’hui, à la lumière des faits présentés à la cour, vous avez clairement indiqué, par l’entremise de votre plaidoyer de culpabilité, que vous éprouviez réellement des remords et avez également déclaré à la cour que vous vouliez sincèrement continuer à jouer un rôle important dans la société canadienne. Aujourd’hui, vous assumez donc l’entière responsabilité de ce que vous avez fait.

 

            b.         Je dois également tenir compte de votre âge, 24 ans, et de votre potentiel en tant que membre de la société canadienne. Il vous reste encore beaucoup d’années pour faire une contribution positive.

 

            c.         Le fait que vous avez eu à vous présenter devant la présente cour martiale, dans le cadre d’une audience annoncée et ouverte au public qui s’est déroulée en présence de certains de vos pairs, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Une telle situation laisse savoir que le genre de conduite que vous avez eue ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.  

 

            d.         J’ai aussi tenu compte du temps que vous avez passé en détention. Ces 13 jours ont eu une incidence sur l’objectif et reflètent l’objectif lié à la dénonciation ainsi que le principe de dissuasion générale.

 

            e.         Qui plus est, si la cour accepte la suggestion des avocats, cette peine demeurera sur votre fiche de conduite, à moins que vous n’obteniez une suspension du casier judiciaire que vous aurez à partir d’aujourd’hui. Par ailleurs, vous avez été libéré des Forces canadiennes et avez une fiche de conduite; vous aurez dès aujourd’hui un casier judiciaire. Il s’agit d’une conséquence qui est souvent négligée, car les gens ne le remarqueront jamais, mais vous avez bel et bien un casier judiciaire. Pensez-y.

 

[14]      Par conséquent, la cour fera droit à la recommandation conjointe des avocats de vous destituer du service de Sa Majesté, étant donné que cette sentence n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle ne risque pas de déconsidérer l’administration de la justice.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[15]      vous DÉCLARE coupable des premier, deuxième, troisième, sixième et septième chefs d’accusation. En ce qui concerne le premier chef d’accusation, la cour vous déclare coupable de l’infraction moins grave prévue à l’article 133 de la Loi sur la défense nationale, soit absence sans permission.

 

[16]      vous DESTITUE du service de Sa Majesté.


 

Avocats

 

Major J.E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Cavalier R.P. Heideman

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.