Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 15 janvier 2013.

Endroit : Manège militaire Denison, 1 chemin Yukon, Toronto (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, vol dépassant la valeur de 5000 $ (art. 334 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 114 LDN, vol.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, vol dépassant la valeur de 5000 $ (art. 334 C. cr.).
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 114 LDN, vol.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4 : Retirés. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 30 jours et un blâme.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

Référence : R c Coulombe, 2013 CM 3001

Date : 20130115

Dossier : 201218

Cour martiale permanente

Manège militaire Denison

Toronto (Ontario), Canada

Entre :

Sa Majesté la Reine

- et -

Ex-caporal D.A. Coulombe, contrevenant

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Caporal Coulombe, après avoir accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement au deuxième chef d'accusation figurant sur l'acte d'accusation, la Cour vous déclare à présent coupable de cette infraction. Comme les premier, troisième et quatrième chefs d'accusation ont été retirés par la poursuite, la Cour n'a plus aucune autre accusation à examiner. Il m'incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

[2]               Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l'inconduite ou, d'une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C'est grâce à la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l'ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[3]               Il est reconnu depuis longtemps que l'objectif d'un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l'efficacité et du moral au sein des Forces canadiennes (voir R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, devrait constituer l'intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières.

[4]               S'agissant en l'espèce de la peine à infliger, le procureur et l'avocat de la défense ont conjointement recommandé que la Cour vous condamne à une peine d'emprisonnement de 30 jours et à un blâme, afin d'obéir aux exigences de la justice. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s'en écarter que lorsqu'il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons concernent notamment les cas où la peine est inadéquate, déraisonnable, où elle va à l'encontre de l'intérêt public ou a pour effet de jeter le discrédit sur l'administration de la justice (voir R c Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21).

[5]               L'imposition d'une sentence est l'une des tâches les plus difficiles dont doit s'acquitter le juge. Comme l'a reconnu la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Généreux, « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » Elle soulignait également que, « dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devraient être réprimés promptement, et dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. » Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence allant au-delà de ce que requièrent les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

[6]               L'objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d'assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines visant au moins l'un des objectifs suivants :

a.                   protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

b.                  dénoncer le comportement illégal;

c.                   dissuader le contrevenant et quiconque de commettre des infractions;

d.                  isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société;

e.                   réadapter et réformer les contrevenants.

[7]               Lorsqu'il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

a.                   la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction;

b.                  la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

c.                   la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions comparables commises dans des circonstances analogues;

d.                  le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort, comme l'ont reconnu la Cour d'appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e.                   finalement, toute peine devrait être adaptée aux facteurs aggravants ou circonstances atténuantes liées à l'infraction ou à la situation du contrevenant.

[8]               J'en suis arrivé à la conclusion que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la peine devrait mettre l'accent sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale et spécifique.

[9]               Dans la présente affaire, la Cour doit examiner une infraction militaire de vol de biens appartenant aux Forces canadiennes. Entre le 1er mai et le 1er septembre 2010, le caporal Coulombe a pris, sans autorité légitime, huit stators de bateau de construction de pont (BCP) dans un entrepôt situé dans la zone d'instruction des ingénieurs de Swan Lake (BFC Gagetown). Le BCP est un canot à hydrojet et le stator de BCP une turbine servant à le propulser. L'entrepôt servait à stocker, entre autres choses, des stators de BCP remis en état ou à réparer. Ces appareils pèsent environ 45 livres.

[10]           À différentes dates, le plus souvent durant la pause-déjeuner, le caporal Coulombe a pris un certain nombre de stators de BCP dans l'entrepôt et les a placés à l'arrière de la fourgonnette qui servait à convoyer les pilotes de bateau vers et depuis la zone d'instruction des ingénieurs de Swan Lake. Après le départ de ses collègues, il faisait passer les stators de BCP de la fourgonnette à sa propre voiture dans le parc de stationnement de l'EGMFC. Le caporal Coulombe vendait ces appareils 1 256,50 $ pièce, soit leur valeur en métal, à un ferrailleur civil de Fredericton (Nouveau-Brunswick). Les stators de BCP appartenaient au ministère de la Défense nationale et n'ont pas été récupérés.

[11]           Ce type d'infraction renvoie directement à certaines obligations éthiques auxquelles sont soumis les membres des Forces canadiennes, comme l'intégrité, la loyauté et l'honnêteté. Il est plus qu'essentiel que les militaires du rang comme les officiers se montrent toujours dignes de confiance pour pouvoir accomplir les tâches ou les missions des forces armées, quels que soient leurs rôles ou leurs fonctions.

[12]           Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances atténuantes et des facteurs aggravants suivants :

a.                   la Cour estime que la gravité objective de l'infraction constitue un facteur aggravant. L'accusation dont vous faites l'objet a été portée en vertu de l'article 114 de la Loi sur la défense nationale et elle est passible d'un emprisonnement maximal de sept ans;

b.                  en deuxième lieu, la gravité subjective des infractions, qui fait intervenir trois éléments :

(i)                 compte tenu de votre rang et de votre expérience au sein des Forces canadiennes, vous saviez que vous abusiez par votre conduite de la confiance de vos pairs et de vos supérieurs dans la chaîne de commandement. Vous ne serez pas surpris d'apprendre qu'ils se sentent trahis. Vos collaborateurs ont été déçus par votre conduite et attendaient mieux de votre part, tout comme la population générale espère davantage de ses soldats;

(ii)               les circonstances attestent que vos actes étaient délibérément planifiés et que vous ne vous êtes pas privé de recommencer pendant une certaine période. Ce comportement répété, continu et prémédité doit être considéré comme un facteur très aggravant dans les circonstances de la présente affaire;

(iii)             finalement, la disposition des biens volés constitue une perte sérieuse que les Forces canadiennes devront compenser si elles veulent réutiliser les moteurs. Par ailleurs, vous avez tiré un certain bénéfice de la disposition de ces biens sans rembourser quiconque.

[13]           J'ai également tenu compte des circonstances atténuantes suivantes :

a.                   tout d'abord, votre plaidoyer de culpabilité. Eu égard aux faits présentés en l'espèce, la Cour ne peut que considérer votre plaidoyer de culpabilité comme un signe clair et authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour la société canadienne. Ce plaidoyer montre également que vous assumez la pleine responsabilité de vos actions, puisque vous avez avoué votre crime et fait de même dans votre lettre d'excuses;

b.                  l'absence d'annotation sur votre fiche de conduite. Rien n'indique que vous ayez déjà commis une semblable infraction, militaire ou criminelle, qu'elle soit liée ou non aux événements survenus;

c.                   votre efficacité dans le service militaire. Vous étiez un soldat moyen faisant des progrès satisfaisants dans votre domaine, jusqu'au moment où vous avez avoué vos actes;

d.                  le fait que vous ayez eu à comparaitre devant cette cour martiale, dans le cadre d'une audience annoncée et ouverte au public qui s'est déroulée en présence de certains de vos collègues, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Le message étant que ce type de conduite ne sera toléré d'aucune manière et sera réprimé en conséquence;

e.                   il semble que vous imputiez votre situation actuelle à une espèce de dépendance au jeu. Je veux être très clair : nous ne disposons d'aucune autre preuve que cette raison personnelle que vous invoquez; par ailleurs, il ne m'a pas été démontré qu'il existe un rapport entre le crime et ce genre de dépendance, ni que vous prenez des mesures pour la maîtriser. À vrai dire, je peux concevoir que cette dépendance vous ait facilité la perpétration de l'infraction, mais en l'absence d'éclaircissements plus spécifiques, je ne peux attribuer beaucoup de poids à ce facteur;

f.                   le fait que cet état de fait ait entrainé des mesures administratives et votre libération des Forces canadiennes. Il ne s'agit pas en soi d'une peine, mais la perte de votre emploi du fait des actes qui vous ont amené devant la Cour aujourd'hui doit être considérée en l'espèce comme une circonstance atténuante. Votre exclusion des Forces canadiennes envoie un message clair de dissuasion à tous les membres qui savent maintenant que ce genre de comportement peut entraîner de telles conséquences.

[14]           Quant à l'opportunité d'imposer une peine d'emprisonnement au caporal Coulombe, comme l'a suggéré l'avocat, ce type de sentence ne doit être infligé qu'en dernier ressort. Le vol est une infraction grave et encore plus sérieuse dans un contexte militaire où chacun doit pouvoir faire confiance à son voisin. La perpétration d'une telle infraction risque fort de nuire directement au moral et à la cohésion d'un groupe de gens qui travaillent ensemble, et peut entraîner l'échec d'une mission. Comme l'a indiqué le superviseur du contrevenant qui a signé la partie relative à la performance du rapport d'évaluation du personnel soumis en preuve à la Cour : [traduction] « cependant, son incapacité personnelle à respecter les règlements des FC en volant et en revendant des biens des FC de grande valeur a créé un environnement de travail négatif et détruit le lien de confiance essentiel entre les FC et le membre. »

[15]           Compte tenu de la nature de l'infraction, des principes applicables de détermination de la peine, notamment celui des peines infligées par des tribunaux militaires à des contrevenants similaires pour des infractions comparables commises dans des circonstances analogues, compte tenu enfin des facteurs aggravants et atténuants exposés ci-dessus, je conclus qu'une peine d'emprisonnement semble constituer la sanction minimale nécessaire et appropriée en l'espèce.

[16]           À présent, quel type d'incarcération conviendrait le mieux en l'espèce? Le système de justice militaire dispose d'outils disciplinaires comme la détention, qui vise à réadapter les détenus militaires et à leur redonner l'habitude d'obéir dans un cadre militaire reposant sur les valeurs et les compétences propres aux membres des Forces canadiennes. Cependant, dans le cas de militaires déjà libérés des Forces canadiennes, les objectifs d'une peine de détention n'ont plus aucune pertinence, et seule l'autre forme d'incarcération prévue à l'échelle des peines qu'est l'emprisonnement doit être envisagée. Il paraît donc évident à la Cour que l'incarcération sous forme d'emprisonnement est la seule sanction adéquate, et qu'il n'existe aucune autre sanction ou combinaison de sanctions appropriées pour les infractions et le contrevenant.

[17]           Concernant la durée de la peine, la Cour estime que la présente situation justifie une détention de 30 jours. Par conséquent, j'estime que la recommandation conjointe des avocats pour que la Cour impose une peine d'emprisonnement de 30 jours est raisonnable compte tenu du contexte.

[18]           Les avocats suggèrent également d'assortir cette peine d'un blâme. Comme l'ont souvent noté les tribunaux militaires, une réprimande doit être considérée comme une peine sévère dans le contexte militaire : elle exprime la désapprobation à l'égard des actes ou de la conduite d'une personne. Les infractions liées à la propriété, comme le vol, appellent souvent ce genre de peine. D'après les avocats, cette sanction doit être combinée à la peine d'emprisonnement imposée par la Cour pour refléter le manque d'intégrité et d'honnêteté du contrevenant. De ce point de vue, je suis disposé à souscrire à leur suggestion.

[19]           En conséquence, la Cour fera droit à la recommandation conjointe des avocats de vous condamner à une peine d'emprisonnement de 30 jours et de vous imposer un blâme, attendu que cette peine n'est pas contraire à l'intérêt public et qu'elle ne risque pas de déconsidérer l'administration de la justice. Caporal Coulombe, veuillez vous lever.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[20]           VOUS DÉCLARE coupable du second chef d'accusation, soit une infraction à l'article 114 de la Loi sur la défense nationale.

[21]           VOUS CONDAMNE à une peine d'emprisonnement de 30 jours et à un blâme.


Avocats :

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Capitaine de corvette B.G. Walden, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat du caporal D.A. Coulombe

 

 

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