Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 17 juin 2013.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, entrave à la justice (art. 139 C. cr.).
•Chefs d’accusation 2, 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chefs d’accusation 2, 3 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 500$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Grondines, 2013 CM 3016

 

Date : 20130617

Dossier : 201315

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-matelot de 3e classe M.R.J. Grondines, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

(Prononcés de vive voix)

[1]               Matelot de 3e classe Grondines, après avoir accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement aux deuxième et troisième chefs d'accusation figurant sur l'acte d'accusation, la Cour vous déclare à présent coupable de ces infractions. Comme vous n'avez pas été reconnu coupable du premier chef d'accusation, la poursuite ayant décidé de ne pas présenter de preuve à cet égard, la Cour n'a pas d'autre accusation à examiner.

[2]               Il m'incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la peine.

[3]               Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d'une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C'est grâce à la discipline que les forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Le système veille également au maintien de l'ordre public et fait en sorte que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l'objectif d'un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l'efficacité et du moral au sein des Forces canadiennes (voir R c Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu'il soit militaire ou civil, devrait être la moins sévère au regard des circonstances particulières de l'affaire.

[5]               S'agissant de la peine à infliger en l'espèce, le procureur et l'avocat de la défense ont conjointement recommandé que la Cour vous condamne à une réprimande assortie d'une amende de 500 $, pour répondre aux exigences de la justice. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu, comme l'a souligné le procureur, que le juge qui prononce la peine ne devrait s'en écarter que lorsqu'il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons concernent notamment les cas où la peine serait inadaptée, déraisonnable, où elle jetterait le discrédit sur l'administration de la justice, ou irait à l'encontre de l'intérêt public (voir R c Taylor, 2008 CACM, au paragraphe 21).

[6]               L'objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d'assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l'imposition de peines obéissant à au moins l'un des objectifs suivants :

a.       protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

b.      dénoncer le comportement illégal;

c.       dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

d.      isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

e.       favoriser la réadaptation et la réforme du contrevenant.

[7]               Lorsqu'il impose une peine, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

a.       la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction;

b.      la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

c.       la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions comparables commises dans des circonstances analogues;

d.      le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort, comme l'ont reconnu la Cour d'appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e.       finalement, toute peine devrait être adaptée aux facteurs aggravants ou atténuants liés à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

[8]               J'en suis arrivé à la conclusion que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la peine devrait être axée sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale.

[9]               La Cour a ici affaire à ce qu'on appelle une infraction strictement militaire, c'est-à-dire qualifiée comme telle par le Code de discipline militaire et qui ne se rencontre pas couramment dans le monde civil.

[10]           En juin 2011, le matelot de 3e classe Grondines participait à un cours offert par l'École du génie naval des Forces canadiennes et résidait dans le bloc « A » de la Base des Forces canadiennes Halifax, sur un étage réservé aux hommes. Son camarade de chambrée était le matelot de 3e classe K.R. McConnell. Le matelot de 3e classe Grondines savait qu'il était assujetti aux règlements actuels du MDN concernant les logements.

[11]           Le soir du 11 juin 2011, le matelot de 3e classe Grondines s'est rendu dans un certain nombre de bars de Halifax et il a consommé de l'alcool. Durant la soirée, il a rencontré une femme, K.V.P. Ils ont bu de bon gré, et sont devenus très ivres.

[12]           Le 12 juin 2011 vers 3 h, ils se sont rendus ensemble dans la chambre du matelot de 3e classe Grondines. Au cours de l'heure qui a suivi, le matelot de 3e classe McConnell et lui ont eu des rapports sexuels consensuels avec K.V.P.

[13]           Plus tard ce matin-là, ou tôt dans la matinée du 12 juin 2012, K.V.P. a perdu connaissance, sans qu'il soit possible de la réveiller. Les matelots de 3e classe Grondines et McConnell l'ont alors secrètement transportée, toujours inconsciente, dans la chambre du matelot de 3e classe Podesta, un autre marin occupant un logement adjacent. Lorsqu'il a regagné sa chambre, ce dernier a découvert K.V.P. à demi dévêtue et évanouie dans son lit. Le personnel présent n'ayant pas été en mesure de la réanimer, a prévenu les autorités militaires. K.V.P. a été transportée en ambulance à l'hôpital où elle a repris connaissance.

[14]           Le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) a enquêté immédiatement, sans réussir à éclaircir les circonstances entourant la découverte de K.V.P. dans la chambre du matelot de 3e classe Podesta. Plus de deux semaines après, ce dernier a approché les enquêteurs du SNEFC, pour leur rapporter ces propos que lui ont tenus les matelots de 3e classe Grondines et McConnell : [traduction] « On a entendu que tu racontais des trucs au sujet de l'agression sexuelle parce que les gens en parlent. Ne dis rien sur nous et ne nous implique pas », ou quelque chose dans ce genre. Le matelot de 3e classe Podesta s'est senti menacé après cette conversation.

[15]           Le 6 février 2012, les enquêteurs du SNEFC ont interviewé le matelot de 3e classe Grondines, qui a fini par admettre tous les faits. Il a été arrêté après son entrevue et remis en liberté sous réserve de certaines conditions.

[16]           Le 20 février 2012, le matelot de 3e classe Grondines a fourni aux enquêteurs du SNEFC des lettres d'excuses adressées à K.V.P. et au matelot de 3e classe Podesta.

[17]           Le 19 juin 2012, il a été accusé par un enquêteur du SNEFC. En décembre suivant, l'unité confiait l'affaire à l'autorité de renvoi, qui l'a déférée presque immédiatement au Directeur des poursuites militaires. Une proposition de résolution a ensuite été transmise à l'avocat de la défense et ce n'est qu'en mai 2013, après qu'un avis de demande a été présenté pour obtenir une date de procès, que l'affaire a suivi son cours. En substance, un juge a fixé au 17 juin 2013 l'audience relative à la présente affaire.

[18]           Comme l'a souligné le procureur, ces deux infractions se rapportent directement à certaines obligations éthiques des membres des Forces canadiennes, comme la responsabilité et l'intégrité; en effet, pour que les tâches ou les missions d'une force armée soient accomplies, il est plus qu'essentiel que les officiers autant que les militaires du rang soient toujours fiables, quels que soient leurs rôles ou leurs fonctions, surtout lorsqu'il s'agit, comme ici, du respect des règlements ayant trait au logement.

[19]           Pour en arriver à ce qu'elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte des circonstances atténuantes et des facteurs aggravants suivants :

a.       la Cour estime que la gravité objective de l'infraction constitue un facteur aggravant. Les infractions dont vous avez été accusé ont été portées en vertu de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, et sont punissables de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d'une moindre peine;

b.      la Cour considère la gravité subjective des infractions, qui concerne deux éléments :

                                                  i.      premièrement, les infractions ont été commises dans un établissement du MDN dont le règlement interdit très clairement la présence de femmes dans vos quartiers à certaines heures. Vous avez complètement ignoré le règlement alors en vigueur. En fait, vous vous êtes montré égoïste, n'avez pensé qu'à vous-même et n'avez pas du tout pris garde aux règles applicables;

                                                ii.      deuxièmement, votre fiche de conduite. Elle révèle bien entendu des événements postérieurs à ces incidents, mais surtout en dit long sur votre attitude à l'égard de la discipline. Je crois que les incidents qui vous valent d'être devant la Cour aujourd'hui montrent que vous avez beaucoup de mal à comprendre ce qu'est la discipline. Ils émaillent tout votre parcours, jusqu'à votre libération des Forces canadiennes, il s'agit donc pour la Cour d'un autre facteur aggravant.

[20]           J'ai tenu compte, d'autre part, des circonstances atténuantes suivantes :

a.       premièrement, votre plaidoyer de culpabilité. Eu égard aux faits présentés en l'espèce, la Cour ne peut que considérer votre plaidoyer de culpabilité comme un signe authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour la société canadienne. Ce plaidoyer montre aussi que vous assumez la pleine responsabilité de vos actes;

b.      j'ai également tenu compte de la coopération dont vous avez fait preuve. Une fois mis en présence des faits, vous avez pleinement reconnu ce que vous aviez fait devant l'enquêteur de la police, et avez d'ailleurs fourni des lettres d'excuses qui montrent que vous regrettiez clairement vos actes;

c.       le fait que vous ayez dû comparaître devant notre cour martiale. Malgré ce qu'a déclaré le procureur, la comparution forcée devant une cour martiale a très souvent un effet dissuasif sur les intéressés; vous n'avez pas choisi d'être ici aujourd'hui. C'est la poursuite qui a décidé de porter des accusations et cette affaire devant la Cour; en fait, il est rare qu'une unité voie l'un de ses membres traîné en cour martiale. Vous m'avez entendu dire que je tiendrai compte de l'objectif de dissuasion générale pour déterminer la peine appropriée, et je crois qu'une comparution devant la Cour peut avoir cet effet, pas seulement pour vous, mais pour les autres personnes qui se trouvent dans cette salle d'audience, et d'autres encore qui entendront parler de ce jugement de cour martiale;

d.      vous devez aussi vous rappeler que la peine qui sera imposée aujourd'hui demeurera sur votre fiche de conduite, et même si vous avez été libéré des Forces canadiennes, vous devez obtenir un pardon puisque vous avez à présent un casier judiciaire et que ces infractions prolongeront le délai à partir duquel vous pourrez réclamer un pardon pour vous en débarrasser. Cette peine aura donc un impact sur vous : ces conséquences sont parfois négligées, mais elles sont quand même importantes;

e.       il y a également l'instruction tardive de l'affaire. La Cour ne veut blâmer personne, car les renseignements dont elle dispose en l'espèce sont insuffisants, mais il faut garder à l'esprit que plus une affaire disciplinaire sérieuse sera instruite rapidement, plus la peine imposée sera appropriée et efficace au regard des objectifs envisagés par la Cour et de l'effet sur le moral et la cohésion des membres de l'unité. Le temps écoulé depuis que l'incident est survenu est l'un des facteurs qui diminuent la pertinence d'une peine plus sévère qui se veut dissuasive;

f.       enfin, il y a votre âge. À 21 ans, vous avez encore beaucoup à apporter à la société. J'espère que cet événement servira à vous réveiller et à vous aider à trouver votre voie. Vous venez de trouver un endroit où loger, vous cherchez un travail, et si vous voulez contribuer à cette société et devenir un atout pour elle, je vous conseille de poursuivre dans cette voie, car votre expérience au sein de l'armée n'a pas été exemplaire, ce qui ne veut pas dire que vous n'avez rien de bon à offrir. Prenez donc ceci comme une leçon, en espérant que cela vous permettra d'accomplir de meilleures choses dans notre société.

[21]           En conséquence, la Cour accepte la recommandation conjointe des avocats quant à la peine et vous inflige une réprimande assortie d'une amende de 500 $, attendu que cette sanction n'est pas contraire à l'intérêt public et qu'elle ne jettera pas le discrédit sur l'administration de la justice.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[22]           VOUS DÉCLARE coupable des deuxième et troisième chefs d'accusation inscrits sur l'acte d'accusation.

[23]           VOUS CONDAMNE à une réprimande assortie d'une amende de 500 $, payable en versements mensuels de 50 $, à compter du 1er juillet 2013 et pendant les neuf mois suivants.

 


 

Avocats :

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

Major C.E. Thomas, Direction du service d'avocats de la défense

Avocat de l'ex-matelot de 3e classe M.R.J. Grondines

 

 

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