Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 22 août 2013.

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, usage négligent d’une arme à feu (art. 86 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Retiré. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Ouellet, 2013 CM 3019

 

Date : 20130822

Dossier : 201321

 

Cour martiale permanente

 

Salle d'audience Centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant-colonel J.L.M. Ouellet, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel L.-V. d'Auteuil, J.M.


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Lieutenant-colonel Ouellet, la cour accepte et enregistre votre plaidoyer de culpabilité relativement au deuxième chef d'accusation figurant sur l'acte d'accusation, et par le fait même, elle vous trouve et vous déclare aujourd'hui coupable de cette infraction. Concernant le premier chef d'accusation qui a été retiré, il n'est pas considéré par la cour.

 

[2]               Maintenant il m'incombe à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale de déterminer la peine à infliger.

 

[3]                Le système de justice militaire constitue l'ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l'activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir l'inconduite ou d'une façon plus positive à promouvoir la bonne conduite. C'est grâce à la discipline que les Forces armées s'assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, de manière fiable et confiante. Le système veille également au maintien de l'ordre public et assure que les personnes assujetties au Code de discipline militaire sont punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada. Dans l’arrêt R c Généreux, [1992] 1 RCS 259, à la page 293, la Cour suprême du Canada a reconnu ce qui suit :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

 

Elle a aussi souligné que dans le contexte particulier de la justice militaire :

 

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. 

 

[4]               Or le droit ne permet pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l'affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par le tribunal doit être individualisée et représenter l'intervention minimale requise puisque la modération est le principe fondamental des théories modernes de la détermination de la peine au Canada.

 

[5]               En l'espèce le procureur de la poursuite et l'avocat du contrevenant ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine devant être infligée. Ils ont recommandé que la cour impose une amende de 1,000 dollars afin de répondre aux exigences de la justice. Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s'en écarter que lorsqu'il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons peuvent notamment découlées du fait que la peine n'est pas adéquate, qu'elle est déraisonnable, qu'elle va à l'encontre de l'intérêt public, ou qu'elle a pour effet de jeter le discrédit sur l'administration de la justice. À cet effet, voir R c Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21.

 

[6]               L'objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d'assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline par l'infliction de peines visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                  protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b)                  dénoncer le comportement illégal;

 

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d)                 isoler, au besoin, les contrevenants du reste de la société; et

 

e)                  réadapter et réformer les contrevenants.

 

[7]               Les peines infligées qui composent la sentence imposée par un tribunal militaire doivent également prendre en compte les principes suivants :

 

a)                  la proportionnalité par rapport à la gravité de l'infraction;

 

b)                  la responsabilité du contrevenant et les antécédents de celui-ci ;

 

c)                  l'harmonisation des peines, c'est-à-dire l'infliction de peines semblables à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances similaires;

 

d)                 le cas échéant, le contrevenant ne doit pas être privé de liberté si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances, en bref la cour ne devrait avoir recours à une peine d'emprisonnement ou de détention qu'en dernier ressort, comme l'ont établi la Cour d'appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada; et

 

e)                  enfin, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions et à la situation du contrevenant.

 

[8]               Je conclus que dans les circonstances particulières de l'espèce, la peine doit viser surtout les objectifs de dénonciation et de dissuasion générale.

 

[9]               La présente affaire réfère à une situation où il y a eu un maniement inapproprié d'une arme à feu. Le 12 décembre 2012, le lieutenant-colonel Ouellet se trouvait au Camp Alamo à Kaboul, en Afghanistan et il était au début de son déploiement à cet endroit. Il était allé effectuer des exercices de tirs au pistolet faisant partie des procédures administratives d'arrivée en théâtre. Un pistolet 9mm avait été assigné au lieutenant-colonel Ouellet pour la durée de son déploiement. Le matin du 12 décembre 2012, un groupe, dont faisait partie le lieutenant-colonel Ouellet, a reçu l'instruction sur le maniement du pistolet 9mm avant de procéder au tir des armes à feu sur le champ de tir.

 

[10]           Une fois la séance de tir complétée, les instructeurs ont inspecté les armes des participants, incluant celle du lieutenant-colonel Ouellet, afin de s'assurer qu'elles étaient déchargées. Ensuite les participants retournaient à une zone d'attente sur le champ de tir et ils devaient ré-adopter le niveau de sécurité AMBER pour leurs armes personnelles. Le niveau AMBER signifie qu'un chargeur contenant de la munition réelle est inséré sur l'arme mais qu'aucune balle ne doit se trouver dans la chambre de l'arme à feu. Pour arriver à cette étape, le lieutenant-colonel Ouellet devait décharger son arme en amenant la glissière du pistolet complètement à l'arrière et inspecter la chambre de l'arme afin de s'assurer qu'aucune balle ne s'y trouvait. Il devait ensuite glisser les parties vers l'avant ou laisser la glissière retourner vers l'avant et insérer un chargeur contenant de la munition réelle sur l'arme puis, finalement appuyer sur la détente afin que le chien de l'arme revienne à sa position initiale.

 

[11]           Le lieutenant-colonel a amené la glissière de son pistolet complètement vers l'arrière, par contre au lieu d'inspecter et de ramener sa glissière vers l'avant, il a inséré un chargeur contenant de la munition réelle puis a laissé la glissière retourner vers l'avant insérant ainsi une balle dans la chambre de l'arme. Lorsqu'il a appuyé sur la détente, alors qu'il pointait vers le sol, cela a provoqué l'éjection d'une balle, un coup a été tiré. Malgré le fait que plusieurs personnes se trouvaient dans la zone d'attente du champ de tir, personne n'a été blessé par le projectile. Le pistolet 9mm du lieutenant-colonel Ouellet a fait l'objet d'une inspection par un technicien en armement qui a déterminé qu'il fonctionnait normalement.

 

[12]           Il est bon de rappeler que ce type d'infraction est directement lié à certaines obligations d'ordre éthique des membres des Forces canadiennes comme la responsabilité. Dans le cas d'un officier, tout comme pour un militaire du rang, être digne de foi et fiable en tout temps est plus qu'essentiel pour l'exécution de toute tâche ou mission au sein des Forces armées peu importe la fonction ou le rôle dont il doit s'acquitter surtout lors de la manipulation d'une arme.

 

[13]           Pour en arriver à ce qu'elle estime être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des facteurs aggravants suivants :

 

a)                  Tout d'abord la gravité objective de l'infraction. L'infraction dont vous avez été accusé est prévue à l'article 129 de la Loi sur la défense nationale et punissable, comme je vous l'ai mentionné auparavant dans mes explications, de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté ou d'une peine moindre.

 

b)                  Il y a aussi la gravité subjective de l'infraction;

 

                                            i.            Tout d'abord, je dois rappeler qu'en raison de votre grade et de votre expérience, vous n'auriez pas dû vous retrouver dans une telle situation, évidemment, m'adressant à quelqu'un qui a cette expérience-là, je pense que c'est quelque chose qui va de soi que vous ayez réalisé que ce n'était pas quelque chose qui aurait dû normalement arrivé. Évidemment, vous avez inversé certaines étapes et ce qui a causé l'éjection de la balle c'est-à-dire le tir, et dans les circonstances ce n'était pas la première fois que vous manipuliez ce type d'arme durant votre longue carrière et ça constitue un facteur aggravant dans le sens que c'est quelque chose que vous auriez normalement dû savoir. Ça ne veut pas dire qu'on est à l'abri des erreurs, mais c'est quelque chose que vous auriez dû savoir,

 

                                          ii.            Le deuxième facteur aggravant d'une perspective subjective, pour la cour, est le fait que vous avez reçu ce qu'on appelle une mise à niveau juste avant l'incident. On vous a rappelé les étapes à suivre, vous avez aussi passé à travers le champ de tir avec succès, donc ceci dans les circonstances constitue un facteur aggravant. On vous avait rappelé à ce moment-là, de façon très récente, les principes de base quant à la manipulation de l'arme.

 

 

[14]           Évidemment, la cour a aussi retenu les facteurs atténuants qui sont les suivants :

 

a)                  D'abord votre plaidoyer de culpabilité. Compte tenu des faits présentés en l'espèce, la cour considère votre aveu de culpabilité comme un signe clair, authentique de remords témoignant de votre désir sincère de demeurer un atout pour les Forces canadiennes et aussi pour la société en général. Ça révèle essentiellement que vous assumez la pleine responsabilité de l'acte que vous avez commis;

 

b)                  Il y a aussi le fait qu'il y a une absence d'annotation sur votre fiche de conduite de nature négative ou de même nature. Rien n'indique que vous avez commis dans le passé une infraction militaire ou en matière criminelle et qui soit de nature identique, qui semble identique ou non, et qui est liée aux évènements qui sont devant la cour;

 

c)                  La cour retient aussi comme facteur atténuant votre efficacité au sein des Forces canadiennes. Vous avez effectué votre service militaire jusqu'à ce jour sans incident, vous avez acquis beaucoup d'expérience, vous méritez beaucoup de respect pour ce que vous avez fait durant votre carrière militaire jusqu'à maintenant. Vos états de service, rapports d'appréciation, lettres d'appréciation, ainsi que le sommaire des dossiers personnels des militaires (SDPM), démontrent clairement ce fait-là et la cour doit en tenir compte;

 

d)                 Il y a aussi le fait que vous avez dû vous présenter devant la présente cour martiale qui, de l'opinion de la cour, a déjà eu un certain effet dissuasif sur vous mais aussi sur les autres membres de la communauté militaire; et

 

e)                  Il faut rappeler aussi qu'il s'agit d'un incident isolé et d'un comportement qui est totalement inhabituel, quand on s'attarde à regarder votre expérience, et ça n'a aussi entraîné aucune conséquence particulière.

 

[15]           L'examen de la jurisprudence rappelle à la cour qu'une infraction de cette nature, nécessite une peine allant habituellement d'un blâme à une réprimande assortie d'une amende ou uniquement une amende. Dans les circonstances de la présente affaire, la peine proposée conjointement par les deux avocats se situe très manifestement à l'intérieur de cette fourchette. De plus, si la cour accepte la suggestion des avocats, cette peine apparaîtra sur votre fiche de conduite et vous aurez aussi un casier judiciaire qui ne disparaîtra qu'une fois qu'une réhabilitation vous sera donnée suite à une demande de pardon. Dans les faits, votre condamnation entraîne une conséquence qui est souvent ignorée c'est-à-dire que vous aurez désormais un casier judiciaire, ce qui n'est pas négligeable.

 

[16]           Comme l'a souligné votre avocat, la cour martiale ne constitue pas la plus heureuse des circonstances, particulièrement à la lumière de la carrière que vous avez connue jusqu'à ce jour. Ça fait partie du système de discipline militaire et les autorités ont décidé qu'il n'y aurait aucune exception et elles ont amené ça devant la cour. Vous avez décidé aujourd'hui de plaider coupable, ça vous honore dans les circonstances, mais ça ne jette pas de discrédit sur la carrière que vous avez connu et j'espère que vous allez quand même reconnaître, malgré que ça pourrait pour vous être une tache à votre dossier, ça ne peut pas effacer tous les aspects positifs l'expérience que vous avez connu au cours des dernières années. Alors je suis sûr et certain que vous saurez faire de cette expérience une leçon de vie, peut-être pas particulièrement pour vous, mais particulièrement pour les autres que vous rencontrerez.

 

[17]           Par conséquent la cour accepte la recommandation conjointe des avocats quant à la peine et vous condamne à une amende de 1,000 dollars, et étant donné que cette peine ne va pas à l'encontre de l'intérêt public et n'est pas susceptible de déconsidérer l'administration de la justice.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[18]           DÉCLARE lieutenant-colonel Ouellet coupable de l'infraction visée au deuxième chef d'accusation qui constitue une infraction prévue à l'article 129 de la Loi sur la défense nationale.

 

[19]           CONDAMNE le contrevenant à une amende de 1,000 dollars payable immédiatement.


Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des Poursuites militaires

Avocat de la poursuivante

 

Major E. Thomas, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le Lieutenant-colonel J.L.M. Ouellet

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