Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 19 juillet 2005.
Endroit : Garnison Valcartier, édifice 534, l’Académie, Courcelette (QC).
Chefs d’accusation:
• Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, une fraude (art. 380(1) C. cr.).
• Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 117 LDN, a commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale.
• Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 125 LDN, a fait volontairement une fausse inscription dans un document officiel établi par lui.
• Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 5 (subsidiaire au chef d’accusation 6) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
• Chef d’accusation 6 (subsidiaire au chef d’accusation 5) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
• Chefs d’accusation 7, 8 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
• Chef d’accusation 9 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
Résultats:
• VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Une suspension d’instance. Chefs d’accusation 2, 7, 9 : Coupable. Chefs d’accusation 3, 4, 5, 6 : Retirés. Chef d’accusation 8 : Non coupable.
• SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1200$.

Contenu de la décision

Citation : R. c. Capitaine J.C.B. Gagnon,2005CM34

 

Dossier : S200534

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

UNITÉ DE SOUTIEN DE SECTEUR VALCARTIER

 

Date : 19 juillet 2005

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

CAPITAINE J.C.B. GAGNON

(Accusé)

 

SENTENCE

(Oralement)

 

 

[1]                    Capitaine Gagnon, la Cour ayant accepté et enregistré votre aveu de culpabilité aux 2e, 7e et 9e chefs d'accusation, la Cour vous trouve maintenant coupable des 2e, 7e et 9e chefs d'accusation et elle ordonne une suspension d'instance à l'égard du 1er chef d'accusation.

 

[2]                    Le capitaine Gagnon a reconnu sa culpabilité à une accusation portée aux termes de l'alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale ainsi qu'à deux accusations portées aux termes de l'article 129 de cette même loi pour d'une part, un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit d'avoir harcelé le cadet R.C., contrairement à l'Ordonnance d'administration et d'instruction des cadets 13-24; et d'autre part, pour un acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, soit d'avoir consommé des boissons alcoolisées alors qu'il était en contact direct avec les cadets contrairement à l'Ordonnance d'administration et d'instruction des cadets 13-23.

 


[3]                    La Cour suprême du Canada a reconnu dans l'arrêt R. c. Généreux que « pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. » La Cour suprême a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire, les manquements à la discipline devaient être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Ces directives de la Cour suprême ne permettent toutefois pas à un tribunal militaire d'imposer une sentence composée d'une ou plusieurs peines qui seraient au-delà de ce qui est requis dans les circonstances d'une affaire. En d'autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu'il soit civil ou militaire, doit toujours représenter l'intervention minimale requise.

 

[4]                    Capitaine Gagnon, en déterminant la sentence qu'elle considère être appropriée et minimale dans les circonstances, la Cour a considéré les faits et les circonstances entourant la commission des infractions telles que révélées par le sommaire des circonstances, dont vous avez accepté la véracité. La Cour a considéré également la preuve documentaire déposée devant la cour, les plaidoiries des avocats et les principes applicables en matière de détermination de la sentence.

 

[5]                    Lorsqu'il s'agit de donner une sentence appropriée à un accusé pour les fautes qu'il a commises et à l'égard des infractions dont il est coupable, certains objectifs sont visés à la lumière des principes applicables en matière de détermination de la sentence quoique ces principes et ces objectifs varient légèrement d'un cas à l'autre. L'importance qui leur est attribuée doit toutefois être adaptée aux circonstances de l'affaire, mais également aux circonstances particulières du contrevenant. Pour contribuer à l'un des objectifs essentiels de la discipline militaire, soit le maintien d'une force armée professionnelle et disciplinée, opérationnelle et efficace, ces objectifs et ces principes s'énoncent généralement comme suit :

 

premièrement, la protection du public et le public inclut ici les Forces canadiennes, et dans le contexte particulier de cette cause, les organisations de cadets qui utilisent des membres de la force de réserve;

 

deuxièmement, la punition et la dénonciation du contrevenant;

 

troisièmement, la dissuasion du contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

quatrièmement, la réhabilitation et la réforme du contrevenant;

 

cinquièmement, la proportionnalité et la gravité des infractions et le degré de responsabilité du contrevenant;

 

sixièmement, l'harmonisation des peines; et

 


finalement, la Cour prendra en compte les circonstances aggravantes et atténuantes qui sont liées aux circonstances de l'affaire, mais qui sont également liées à la situation du contrevenant.

 

Dans la présente cause, la protection du public sera atteinte par une sentence qui mettra l'emphase sur la dissuasion tant collective qu'individuelle ainsi que la punition et la dénonciation des gestes du contrevenant.

 

[6]                    En considérant quelle sentence serait appropriée, la Cour a pris en considération les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants. Et je commencerai par les facteurs qui aggravent la peine. La Cour considère comme aggravants les facteurs suivants :

 

Premièrement, la nature des infractions et les peines prévues par le législateur. Dans le cas du 2e chef d'accusation, une infraction punissable aux termes de l'alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale, elle est passible d'une peine maximale d'emprisonnement de moins de deux ans. En ce qui a trait aux infractions portées aux termes de l'article 129 de la même Loi, la peine maximale est la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Ce sont des infractions qui sont objectivement sérieuses.

 

Deuxièmement, le fait que vous étiez un officier de la force de la réserve pour le Cadre des Instructeurs des Cadets occupant les fonctions de commandant et que vous avez abusé de votre situation privilégiée en minant ou en abusant de la confiance dont vous faisiez l'objet. D'une part, en ce qui a trait à l'infraction d'avoir commis un acte à caractère frauduleux, vous étiez, à titre de commandant du corps de cadets, responsable de gérer et d'autoriser les journées payées pour chacun des membres du Corps de cadets. Vous en avez profité pour autoriser frauduleusement le paiement d'une somme de 610 $ à une personne qui n'y avait pas droit, par surcroît votre ex-conjointe. Il s'agit d'un manque d'honnêteté et d'intégrité sérieux en raison des fonctions que vous occupiez, et ce peu importe le fait que vous n'y avez tiré aucun bénéfice personnel. Dans l'arrêt La Reine c. St-Jean, une décision de la Cour d'appel de la cour martiale rapportée au CACM 2000, no 2, une décision rendue dans la langue anglaise, l'honorable juge Létourneau mettait en lumière l'impact des actes à caractères frauduleux à l'intérieur des organisations publiques telles que les Forces canadiennes. Au paragraphe 22, il précisait et je cite :

 


After a review of the sentence imposed, the principles applicable and the jurisprudence of this Court, I cannot say that the sentencing President erred or acted unreasonably when he asserted the need to emphasize deterrence. In a large and complex public organization such as the Canadian Forces which possesses a very substantial budget, manages an enormous quantity of material and Crown assets and operates a multiplicity of diversified programs, the management must inevitably rely upon the assistance and integrity of its employees. No control system, however efficient it may be, can be a valid substitute for the integrity of the staff in which the management puts its faith and confidence. A breach of that faith by way of fraud is often very difficult to detect and costly to investigate. It undermines public respect for the institution and results in losses of public funds. Military offenders convicted of fraud, and other military personnel who might be tempted to imitate them, should know that they expose themselves to a sanction that will unequivocally denounce their behaviour and their abuse of the faith and confidence vested in them by their employer as well as the public and that will discourage them from embarking upon this kind of conduct.

 

Même si les organisations de cadets ne font pas partie des Forces canadiennes aux termes du paragraphe 46(3) de la Loi sur la défense nationale, la Cour est d'avis que ces savants propos de la Cour d'appel de la cour martiale sont pertinents dans cette affaire. En ce qui a trait aux accusations portées aux termes de l'article 129 de la Loi, le fait que vous étiez le commandant de ce corps de cadets est particulièrement aggravant. Relativement au harcèlement auquel vous avez soumis le jeune cadet R.C., même s'il ne s'agit que d'une blague de mauvais goût et d'un sérieux manque de jugement de votre part, vous aviez la tâche et la responsabilité de guider de jeunes adolescents vers la vie adulte en favorisant un milieu de vie empreint de civisme et de respect d'autrui pour les préparer, entre autres, à devenir de jeunes citoyens responsables. Le traitement auquel vous avez soumis le jeune cadet, même s'il ne s'agit pas d'une situation objectivement aussi sérieuse que les cas de harcèlement sexuel répétés, est non seulement de nature à miner sérieusement le respect que ces jeunes devraient avoir envers l'autorité, mais il est de nature à leur faire perdre la confiance qu'ils doivent avoir envers les adultes responsables qui sont chargés de leur paver la voie vers la vie adulte. Pis encore, ces jeunes personnes ou celles qui les observent risquent ainsi de calquer ce genre de comportement envers d'autres jeunes lorsqu'ils seront eux-mêmes en position d'autorité. Bref, une simple blague de mauvais goût peut laisser des traces profondes dans le développement de ceux et celles qui vous sont confiés. La consommation d'alcool en présence de cadets, quant à elle, peut avoir un effet similaire sur les jeunes qui retiendront que le commandant lui-même ne respecte pas les règles.

 

[7]                    Quant aux facteurs atténuants, la Cour retient les éléments suivants :

 


Premièrement, vos aveux de culpabilité devant cette cour et le fait que la Cour considère que ces aveux de culpabilité, dans les circonstances, sont sincères et qu'ils témoignent des remords qui vous habitent relativement à ces incidents et que vous avez ainsi évité la tenue d'un long procès.

 

Deuxièmement, vos états de service au sein de la force de réserve en tant que membre du Cadre des Instructeurs de Cadets depuis plus de 10 ans. Selon la preuve déposée devant cette cour, il semble qu'il s'agit d'un cas isolé et qui résulte d'un manque de jugement en ce qui a trait à l'acte frauduleux et que votre comportement répréhensible lors du repas de Noël soit un acte tout aussi isolé.

 

Troisièmement, le fait que votre situation financière soit à tout le moins précaire tel qu'en fait foi la preuve déposée devant la cour. À titre indicatif, il suffit de constater que votre revenu annuel total pour l'année d'impositi­on 2003 était inférieur à 16,000 $, alors qu'il se chiffrait à  moins 12,000 $ l'année dernière.

 

Quatrièmement, le délai écoulé depuis la commission des infractions pour une affaire qui, somme toute, était peu complexe. D'une part, il faut prendre en compte votre aveu aux enquêteurs dès le mois d'avril 2004, en ce qui concerne l'acte frauduleux; et d'autre part, il faut reconnaître la simplicité des faits relativement aux incidents de décembre 2003 qui ont fait l'objet d'une plainte, quant à eux, dès janvier 2004.

 

[8]                    La Cour rejette les prétentions de la poursuite relativement à la pertinence des décisions de Birt et de Brake dans la détermination de la sentence, sauf dans la mesure où elles mettent en lumière l'importance des conséquences des actes à caractères frauduleux à l'intérieur des organisations publiques telles que les Forces canadiennes comme l'a indiqué la Cour d'appel de la cour martiale. Les faits et les circonstances de ces causes, y compris les circonstances propres aux contrevenants, ne permettent toutefois pas à cette cour de s'en servir de guide pour la détermination du quantum de l'amende ou du choix entre un blâme ou une réprimande, le cas échéant.

 


[9]                    Dans les circonstances de la présente affaire, la Cour est d'avis qu'un blâme est justifié tant pour l'acte à caractère frauduleux que pour votre acte et votre comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Vous étiez le commandant du corps de cadets et vous étiez non seulement responsable de gérer des fonds mais de prêcher par l'exemple envers toutes les personnes sous vos ordres, ainsi qu'envers les jeunes cadets. La Cour partage l'opinion exprimée par les procureurs à l'effet qu'une amende est également nécessaire pour les fins de la justice et le maintien de la discipline. La Poursuite n'a soumis aucune preuve qui justifierait une amende de l'ampleur de celle qu'elle recommande, soit 2500 $. Considérant votre situation financière précaire, une telle amende serait nettement exagérée et elle ne servirait pas l'intérêt de la justice. La Cour croit néanmoins que l'amende doit être substantielle pour promouvoir les facteurs de dissuasion générale, individuelle et la dénonciation des comportements qui ont fait l'objet des 2e, 7e et 9e chefs d'accusation.

 

[10]                  En conséquence, Capitaine Gagnon, la Cour vous impose un blâme auquel est assortie une amende de 1200 $. L'amende sera payable par versements consécutifs égaux de 100 $ par mois pour une période de 12 mois à compter d'aujourd'hu­i. Ces versements seront faits au moyen de chèques visés ou certifiés, mandats bancaires ou mandats-poste. Si vous étiez libéré des Forces canadiennes avant le paiement complet de l'amende infligée par cette cour, le solde de cette amende deviendra exigible immédiatement avant la date de votre libération. Le procureur de la poursuite vous indiquera l'adresse exacte du destinataire où vous devrez vous acquitter de l'amende aussitôt que les procédures de cette cour martiale seront terminées.

 

[11]                  Cette sentence a été prononcé à 14 h 50 le 19 juillet 2005.

 

 

LIEUTENANT-COLONEL M. DUTIL, J.M.

 

Avocats :

 

Major G. Roy, Procureur régional, région de l'Est

Avocat de la poursuivante

Major C.E. Thomas, Directeur du Service d'avocats de la défense

Avocat du capitaine J.C.B. Gagnon

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