Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 3 juin 2013.

Endroit : BFC Borden, Centre de formation des services de santé des Forces canadiennes, édifice O-166, 30 chemin Ortona, Borden (ON).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 130 LDN, trafic de substances (art. 5(1) LRCDAS).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 4 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de six mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R. c Vezina, 2013 CM 3015

 

Date : 20130614

Dossier : 201264

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Borden

Borden (Ontario), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Soldate A.L. Vezina, contrevenante

 

 

Devant : Le Lieutenant-colonel L.-V. d’Auteuil, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               La présente cour martiale a déclaré la Soldate Vezina coupable de deux infractions d’ordre militaire punissables aux termes de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour avoir fait le trafic de cocaïne les 20 et 26 avril 2012, en violation du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 

[2]               Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

 

[3]               Dans le contexte particulier d’une force armée, le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à prévenir toute inconduite ou, d’une façon plus positive, à promouvoir la bonne conduite. C’est grâce à la discipline que les forces armées s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès en toute confiance et fiabilité. Le système assure également le maintien de l’ordre public et veille à ce que les personnes assujetties au Code de discipline militaire soient punies de la même façon que toute autre personne vivant au Canada.

 

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système de justice ou de tribunaux militaires distinct est de permettre aux forces armées de s’occuper des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes (voir R. c. Généreux [1992] 1 RCS 259, à la page 293). 

 

[5]               La Cour suprême du Canada a également reconnu ce qui suit au paragraphe 31 du même arrêt :

 

Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

 

Cela dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être la peine la moins sévère selon les circonstances particulières de l’affaire.

 

[6]               En l’espèce, le procureur suggère d’imposer une peine d’emprisonnement de 12 mois à la contrevenante. L’avocat de la Soldate Vezina recommande lui aussi une peine d’emprisonnement, mais pour une période de 30 jours. Il a également suggéré que la cour suspende la peine pour vous imposer plutôt une punition mineure, soit la consignation au quartier pour une période de 21 jours.

 

[7]               L’imposition d’une sentence représente la tâche la plus difficile que le juge doit accomplir. Comme la Cour suprême du Canada l’a reconnu dans l’arrêt Généreux, à la page 293 :

 

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

 

Elle a souligné que dans le contexte particulier de la discipline militaire :

 

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

 

Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui se situerait au-delà de ce qui est requis dans les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

 

[8]               L’objet fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline, par l’imposition de sanctions visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.       protéger le public, y compris les Forces canadiennes;

 

b.      dénoncer le comportement illégal;

 

c.       dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

 

d.      isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

 

e.       favoriser la réadaptation et la réforme du contrevenant.

 

[9]               Lorsqu’il impose une peine, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

 

a.       la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

 

b.      la peine doit être proportionnelle à la responsabilité du contrevenant et aux antécédents de celui-ci;

 

c.       la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

 

d.      le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour suprême du Canada et la Cour d’appel de la cour martiale;

 

e.       enfin, toute peine qui compose une sentence devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

 

[10]           La cour est d’avis que l’imposition d’une peine à la contrevenante dans la présente affaire doit mettre l’accent sur les objectifs liés à la dénonciation et à l’effet dissuasif général et spécifique. Il est important de retenir que le principe de dissuasion générale signifie que la peine infligée devrait non seulement dissuader le contrevenant de récidiver mais aussi dissuader toute autre personne qui se trouve dans une situation analogue de se livrer aux mêmes actes illicites.

 

[11]           En l’espèce, la cour doit rendre une décision concernant une infraction d’ordre militaire de trafic de cocaïne commise à deux occasions, soit les 20 et 26 avril 2012, en violation du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 

[12]           La Cour d’appel de la cour martiale a bien expliqué les raisons pour lesquelles la présence de stupéfiants dans le milieu militaire doit être considérée comme une question très sérieuse. Dans son arrêt R. c. MacEachern, (1986) 24 CCC (3d) 439, à la page 444, rendu en 1985, la Cour a déclaré :

 

À cause des tâches particulièrement importantes et dangereuses que les militaires peuvent, en tout temps et à bref délai, être tenus d’exécuter et du travail d’équipe qu’exige l’accomplissement de ces tâches, lesquelles nécessitent souvent l’utilisation d’armes et d’instruments hautement techniques et potentiellement dangereux, il ne fait aucun doute que les autorités militaires sont tout à fait justifiées d’attacher une très grande importance à ce qu’aucun stupéfiant ne se trouve ni ne soit utilisé dans les établissements ou les formations militaires ni à bord des navires ou des aéronefs. Les autorités militaires ont peut-être davantage intérêt que les autorités civiles à ce qu’aucun membre des forces armées n’utilise ni ne distribue de stupéfiants et, en fin de compte, à en empêcher tout usage. 

 

[13]           En substance, la Cour d’appel de la cour martiale nous indique que le trafic de drogues dans l’armée est une infraction grave, ce à quoi la présente cour souscrit entièrement. Dans R. c. Lee, 2010 CACM 5, la Cour a indiqué ce qui suit aux paragraphes 26 et 27.

 

(26)         Il est clair que le trafic de stupéfiants au sein des forces militaires est une infraction grave et que les déclarations de culpabilité entraînent habituellement des peines d’emprisonnement. Quand vient le temps de déterminer la peine appropriée, le principal objectif est d’en dissuader d’autres à commettre la même infraction. Comme l’a déclaré la Cour dans Dominie c. La Reine, 2002 CACM 8, « [l]orsqu’il s’agit de militaires, la dissuasion exige clairement la pleine conscience qu’ils seront emprisonnés s’ils font le trafic du crack sur une base militaire » (paragraphe 5).

(27)         La même préoccupation a été exprimée dans une affaire où l’accusé avait commis une seule infraction de trafic d’une faible quantité de cocaïne (Taylor c. La Reine, 2008 CACM 1). La Cour a maintenu la peine de 40 jours d’emprisonnement imposée par le juge militaire. Ce dernier avait justifié la peine en signalant que « l’usage et le trafic de drogues constituent une menace directe à l’efficacité opérationnelle de nos forces ainsi qu’à la sécurité de notre personnel et de notre équipement » (paragraphe 27).

 

[14]           Le CFCR est un peloton de la Base des Forces canadiennes Borden où les candidats qui ont suivi la formation de base attendent de prendre part à leurs cours de formation professionnelle. La Maître de 2e classe Clowe, agente d’infiltration, est arrivée à la Base des Forces canadiennes Borden le 15 avril 2012. Elle a obtenu une chambre dans le bâtiment A‑79 le même jour. Certains membres du CFCR jouaient le rôle de mentors dans le cadre du programme de mentorat autochtone, programme préalable au recrutement utilisé pour familiariser les Autochtones intéressés par une carrière militaire avec les exigences de base du programme de formation de base. Certains membres des Forces canadiennes au CFCR étaient chargés d’aider les Autochtones et d’agir en tant que mentors pour eux dans le cadre de ce programme. C’était le cas de la Soldate Vezina, de la Maître de 2e classe Clowe, dans le cadre de l’opération d’infiltration, et du Soldat Samson. Les deux faisaient donc partie du même peloton et du même environnement de travail.

 

[15]           Le matin du 20 avril 2012, la Maître de 2e classe Clowe a reçu un appel de la Soldate Vezina. Elles ont convenu d’un point de rencontre. Un échange d’argent a eu lieu pendant l’heure du dîner dans le véhicule de la Soldate Vezina devant la salle de mess de la Base des Forces canadiennes Borden. La Maître de 2e classe Clowe voulait obtenir un gramme de cocaïne. Elle avait préalablement versé 80 $ (quatre fois 20 $) à la Soldate Vezina.

 

[16]           Le même jour, pendant la soirée, la Soldate Vezina s’est rendue à la base pour livrer la drogue. Elle a envoyé un message texte à l’agente d’infiltration pour savoir où elle pouvait la rencontrer. La Maître de 2e classe Clowe a ensuite organisé l’échange de drogue, qui a eu lieu dans le stationnement du bâtiment T‑115 de la Base des Forces canadiennes Borden, où elle travaillait. La Soldate Vezina était dans sa voiture en compagnie d’une autre femme, assise du côté passager. La Maître de 2e classe Clowe est allée du côté conducteur, où la vitre était à moitié baissée. Elle a remis 20 $ à la Soldate Vezina pour les frais d’essence, ce qui avait été convenu avant l’échange, et la Soldate Vezina lui a remis un petit sac contenant de la poudre blanche. La Maître de 2e classe Clowe a discuté brièvement avec la Soldate Vezina et est retournée au travail, puis la Soldate Vezina est partie.

 

[17]           Le 24 avril 2012, la Maître de 2e classe Clowe, toujours à titre d’agente d’infiltration, a remis 100 $ à la Soldate Vezina, soit 80 $ pour la cocaïne et 20 $ pour la livraison. L’échange d’argent a eu lieu vers 14 h dans les toilettes des femmes du bâtiment T‑83 de la Base des Forces canadiennes Borden.

 

[18]           Il a fallu quelque temps pour que la Soldate Vezina trouve un fournisseur de drogues, et la Maître de 2e classe Clowe lui parlait de temps à autre pour savoir quand elle pourrait obtenir la drogue. Enfin, un échange a eu lieu devant le logement des femmes, bâtiment A‑79, vers 23 h 30. La Maître de 2e classe Clowe est sortie du bâtiment et s’est présentée du côté conducteur de la voiture de la Soldate Vezina. Elles ont discuté brièvement, et la Soldate Vezina lui a remis un petit sac contenant de la poudre blanche. La Soldate Vezina, qui était seule à ce moment-là, est partie, et la Maître de 2e classe Clowe a regagné le bâtiment.

 

[19]           Dans le cadre du témoignage de la Dre Labonté, psychiatre que la Soldate Vezina consulte depuis deux ans, la cour a également appris ce qui suit :

 

a.       En février 2011, la Soldate Vezina a été aiguillée vers les Services de santé mentale aux fins d’une évaluation de la dépression après avoir déclaré à un ami qu’elle avait l’intention de s’automutiler.

 

b.      La Soldate Vezina a de nombreux antécédents de troubles psychiatriques, qui ont commencé alors qu’elle avait 13 ans. Elle a commencé toute jeune à consommer des substances intoxicantes, notamment de la cocaïne, de la marijuana et de l’alcool.

 

c.       La psychiatre a posé un diagnostic de toxicomanie et constaté certains symptômes résiduels d’un trouble de stress post-traumatique et des signes d’anxiété.

 

d.      La Soldate Vezina a rencontré un conseiller en toxicomanie, mais a mis fin aux consultations en novembre 2011.

 

e.       Il a été difficile de faire participer la Soldate Vezina à la thérapie, car sa motivation variait selon sa situation. Essentiellement, elle ne prend plus part aux séances quand elle commence à se sentir mieux, ce qui fait qu’il est difficile de travailler avec elle pour prévenir les rechutes et améliorer ses compétences d’adaptation.

 

f.       La Soldate Vezina ne prenait pas les médicaments qui lui avaient été prescrits.

 

g.      La Soldate Vezina est proche de sa famille, qui comprend sa partenaire et les enfants de celle-ci.

 

h.      La psychiatre recommande que la Soldate Vezina participe à un programme pour patients hospitalisés en vue de régler tout d’abord son problème de toxicomanie, puis de traiter ses symptômes de trouble de stress post-traumatique et ses signes d’anxiété.

 

i.        À la suite d’un incident survenu au début du mois de mai 2013, elle a ordonné l’hospitalisation de la Soldate Vezina contre son gré pour une période de 72 heures. Les autorités médicales ont ensuite gardé la Soldate Vezina contre son gré à l’hôpital de Barrie pour une période supplémentaire de 14 jours.

 

j.        Elle a appuyé une recommandation selon laquelle il fallait changer la catégorie médicale de la Soldate Vezina, ce qui entraînerait probablement sa libération des Forces canadiennes. Essentiellement, elle ne serait pas apte à servir dans les Forces canadiennes en raison de son état de santé mentale.

 

[20]           Pendant la procédure de détermination de la peine, la Soldate Vezina a également témoigné, indiquant ce qui suit à la cour :

 

a.       Elle a déclaré ouvertement les drogues qu’elle avait consommées par le passé quand elle s’est jointe aux Forces canadiennes.

 

b.      Elle ne consommait pas de drogues quand elle s’est jointe aux Forces canadiennes. Elle a commencé à consommer de la drogue à la suite d’une blessure au genou subie pendant le programme de formation de base. Elle a agi ainsi en raison de pressions exercées par des personnes malveillantes et elle a fait un mauvais choix.

 

c.       Après l’opération au genou qu’elle a subie et sa réadaptation, elle a arrêté de consommer de la drogue et a poursuivi le cours de formation de base. Elle a réussi le cours et a gagné le trophée de la meilleure athlète. Quelque temps après son arrivée à la Base des Forces canadiennes Borden, elle a recommencé à prendre de la drogue.

 

d.      Elle a rencontré sa partenaire pendant l’été 2011 et habite avec elle depuis ce moment-là. Les enfants de sa partenaire ont été retirés du foyer en novembre 2011. Elle avait cessé de prendre de la drogue deux mois avant cet événement et n’en a pas consommé pendant une période de dix mois. Elle a également arrêté de voir son travailleur social, car elle considérait qu’elle allait mieux.

 

e.       Elle a recommencé à consulter son travailleur social en mai 2012, à la suite d’accusations portées contre elle. Elle a fait une rechute et a recommencé à consommer de la drogue.

 

f.       Après certains problèmes familiaux survenus le 7 mai 2013 et impliquant sa partenaire et la mère de celle-ci, les enfants de sa partenaire ont été retirés à nouveau du foyer par la société d’aide à l’enfance. Les enfants vivent actuellement avec leur père biologique. Au même moment, sa partenaire est disparue, et cela a déclenché une série d’événements qui ont pris fin par l’hospitalisation de la contrevenante. On lui a fait passer des tests pour déterminer la cause, et elle a obtenu des résultats positifs en ce qui concerne la consommation de marijuana et de cocaïne.

 

g.      Elle est prête à participer à un programme de lutte contre la toxicomanie, puisque cela constituerait une étape lui permettant de ravoir la garde des enfants. L’agent médical doit approuver le programme afin qu’elle puisse y prendre part pendant les jours de travail. Elle a récemment fait l’objet de tests de dépistage de drogues, et les résultats ont été négatifs.

 

h.      Sa situation financière est précaire depuis longtemps.

 

i.        Sa partenaire a consommé de la drogue par le passé; la relation avec sa partenaire est très instable et incertaine. Elle se sent plutôt mal et elle est contrariée et en colère.

 

[21]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte des facteurs atténuants et aggravants suivants :

 

a.       La cour considère la gravité objective des infractions comme un facteur aggravant. Vous avez été accusée, conformément à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir fait le trafic d’une drogue en violation du paragraphe 5(1) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Ce type d’infraction est passible d’un emprisonnement à perpétuité ou d’une punition moins sévère s’il s’agit du trafic d’une substance inscrite à l’annexe I.

 

b.      Quant à la gravité subjective des infractions, la cour tient compte de quatre éléments :

 

                                                  i.      Le premier facteur aggravant est l’approche frivole que vous avez adoptée pour consommer et vendre de la drogue dans les Forces canadiennes, votre environnement social et professionnel. Vous avez facilité l’obtention de drogues pour d’autres personnes sans aucun remords. Par ailleurs, vous avez continuellement compromis votre capacité de remplir vos tâches, tout comme celle de vos pairs. L’exemple que vous avez donné aux autres membres en ne respectant absolument pas la politique de tolérance zéro concernant la consommation de drogues par les membres des Forces canadiennes est éloquent. Votre comportement, en ce qui touche à cette question très grave, était tout à fait inacceptable.

 

                                                ii.      Le deuxième facteur aggravant est la préméditation que révèlent les circonstances de la présente affaire. Les actes que vous avez posés étaient tout à fait planifiés et n’avaient rien d’une décision prise sur un coup de tête, sans y réfléchir au préalable. Il est clair que vous avez décidé d’aider une collègue à obtenir de la cocaïne et avez reçu de faibles avantages financiers personnels à chaque transaction.

 

                                              iii.      La nature de la drogue ayant fait l’objet de la transaction. Diverses cours du Canada, y compris la Cour suprême du Canada, ont clairement établi que la cocaïne est une drogue dangereuse qui cause d’innombrables torts à la société. La présente cour est du même avis, surtout dans le contexte militaire.

 

                                              iv.      De plus, la cour juge aggravant le fait que les infractions ont été commises à la Base des Forces canadiennes Borden, un établissement de défense.

 

[22]           J’ai également tenu compte des facteurs atténuants suivants :

 

a.       Votre âge et vos perspectives professionnelles en tant que membre de la collectivité canadienne : comme vous n’avez que 22 ans, vous disposez de nombreuses années devant vous pour contribuer positivement à la société canadienne.

 

b.      Le fait que vous avez eu à vous présenter devant la présente cour martiale, dans le cadre d’une audience annoncée et ouverte au public qui s’est déroulée en présence de certains de vos pairs, a certainement eu un effet dissuasif très important sur vous et sur eux. Une telle situation laisse savoir que le genre de conduite que vous avez eue ne sera toléré d’aucune manière et que ce genre de comportement sera réprimé en conséquence.

 

c.       Le fait qu’il s’agissait du trafic non commercial d’une petite quantité de drogue. Il est clair que vous ne faisiez pas partie d’un réseau de trafic majeur établi sur la base. Vous ne faisiez affaire qu’avec les personnes proches de vous et n’aviez pas adopté d’approche systémique pour vendre de la drogue.

 

d.      Vos troubles de santé mentale, votre famille et votre situation financière doivent être pris en considération, car ils aident la cour à comprendre pourquoi vous comparaissez devant elle. Ces facteurs ne constituent pas une excuse pour vos agissements, mais ils aident à expliquer et à comprendre ce qui vous a poussée à commettre ces infractions.

 

e.       Le fait qu’il n’y avait pas de note sur votre fiche de conduite et que vous n’avez aucun casier judiciaire pour des infractions de nature semblable.

 

[23]           En ce qui concerne l’imposition par la cour d’une peine d’incarcération à la Soldate Vezina, la Cour suprême du Canada a bien indiqué dans l’arrêt Gladue, [1999] 1 R.C.S. 688, aux paragraphes 38 et 40, que l’emprisonnement devrait être une sanction de dernier recours. La Cour suprême du Canada a aussi précisé que l’incarcération sous forme d’emprisonnement n’est justifiée que lorsqu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions n’est appropriée pour l’infraction et le contrevenant. La cour estime que ces principes sont pertinents dans un contexte de justice militaire, compte tenu des principales différences entre le régime des peines appliqué par un tribunal civil siégeant en matière pénale et celui que prévoit la Loi sur la défense nationale dans le cas d’un tribunal militaire. La Cour d’appel de la cour martiale a confirmé cette approche dans l’arrêt Baptista, 2006 CACM 1, aux paragraphes 5 et 6, en rappelant qu’une peine d’emprisonnement ne devrait être infligée qu’en dernier recours.

 

[24]           La Cour d’appel de la cour martiale a bien indiqué dans R. c. Dominie, 2002 CACM 8, au paragraphe 5, puis dans R. c. Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 27, que l’emprisonnement peut être la peine la moins sévère infligée aux militaires se livrant au trafic de cocaïne. Dans l’arrêt Dominie, la CACM a déclaré ce qui suit :

Le trafic répété du crack, même s’il est de nature non commerciale, doit généralement être sanctionné par l’emprisonnement, même pour les civils. Lorsqu’il s’agit de militaires, la dissuasion exige clairement la pleine conscience qu’ils seront emprisonnés s’ils font le trafic du crack sur une base militaire. On ne peut bénéficier d’une condamnation avec sursis, sauf dans les rares cas où il existe des circonstances atténuantes exceptionnelles.

[25]      En l’espèce, compte tenu de la nature purement criminelle des infractions, des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes de détermination de la peine applicables et des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, je conclus qu’aucune autre sanction ou combinaison de sanctions que l’incarcération ne semble appropriée.

 

[26]      À présent, quel type d’incarcération conviendrait le mieux en l’espèce? Le système de justice militaire dispose d’outils disciplinaires, comme la détention, qui visent à réhabiliter les détenus militaires et à leur redonner l’habitude d’obéir dans un cadre militaire structuré autour des valeurs et des compétences propres aux membres des Forces canadiennes. Lorsque l’acte visé par l’accusation dépasse le cadre disciplinaire et constitue une activité criminelle au sens strict, il est nécessaire d’examiner l’infraction, non seulement à la lumière des valeurs et des compétences particulières des membres des Forces canadiennes, mais également du point de vue d’une juridiction criminelle concurrente. 

 

[27]      Il paraît évident à la cour que l’incarcération sous la forme de l’emprisonnement est la seule sanction adéquate et qu’il n’existe aucune autre sanction ou combinaison de sanctions appropriée pour les infractions et la contrevenante. Par conséquent, la cour estime qu’une peine d’emprisonnement est nécessaire pour protéger le public et maintenir la discipline. 

 

[28]      La question qui se pose maintenant est de savoir quelle devrait être la durée d’une telle peine d’emprisonnement pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline. Le procureur a suggéré 12 mois, tandis que l’avocat de la défense a recommandé 30 jours.

 

[29]      Comme l’a mentionné la Cour d’appel de la cour martiale dans Lee, au paragraphe 29 :

 

Le juge militaire a signalé que le trafic de stupéfiants est une infraction grave dont la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité. Il a fait référence à divers précédents, notamment les arrêts Dominie et Taylor, précités, et a noté que certaines infractions entraînent des peines plus sévères au sein des forces militaires que dans la société canadienne dans son ensemble. Le trafic de stupéfiants en fait partie.

 

[30]      Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale dans Taylor, les peines pour trafic vont de 40 jours à 16 mois. Dans Ellis, la Cour d’appel de la cour martiale a confirmé une peine d’emprisonnement de neuf mois pour des infractions commises dans des circonstances semblables à la présente affaire. Dans Lee, même si le contrevenant était une partie secondaire à l’infraction de trafic de cocaïne, la Cour d’appel de la cour martiale a confirmé une peine d’emprisonnement de cinq mois. Dans l’affaire de la cour martiale R. c. Cheston, 2011 CM 1001, le juge Dutil a imposé une peine d’emprisonnement de neuf mois au contrevenant, qui avait plaidé coupable à trois chefs d’accusation de trafic de marijuana et à un chef d’accusation de trafic de cocaïne.

 

[31]      En raison de la nature des infractions et du fait que la présente cour les traitera plus sérieusement compte tenu du contexte militaire, des principes applicables en matière de détermination de la peine, notamment des peines imposées par les tribunaux civils et militaires à des contrevenants ayant commis des infractions semblables dans des circonstances semblables, et des facteurs aggravants et atténuants susmentionnés, je conclus qu’une peine d’emprisonnement de six mois est la peine minimale indiquée en l’espèce.

 

[32]      De plus, cette punition restera sur votre fiche de conduite à moins que vous ne bénéficiiez d’une réhabilitation suspendant le casier judiciaire qui vous est aujourd’hui attribué. Dans les faits, votre condamnation entraînera une conséquence qui est souvent négligée, c’est-à-dire que vous aurez désormais un casier judiciaire, ce qui n’est pas une mince affaire.

 

[33]      L’avocat de la défense a proposé à la cour de suspendre la peine d’emprisonnement en vertu du pouvoir qui lui est conféré par l’article 215 de la Loi sur la défense nationale. Il fait valoir qu’une telle mesure est justifiée compte tenu de la situation exceptionnelle de la contrevenante aujourd’hui invoquée.

 

[34]      L’article 215 de la Loi sur la défense nationale est ainsi libellé :

 

Le tribunal militaire peut suspendre l’exécution de la peine d’emprisonnement ou de détention à laquelle il a condamné le contrevenant.

 

[35]      Cette disposition figure à la section 8 du Code de discipline militaire de la Loi sur la défense nationale, qui contient les dispositions applicables à l’emprisonnement et à la détention. La suspension de l’exécution d’une peine d’emprisonnement est un pouvoir discrétionnaire et exceptionnel qui peut être exercé par un tribunal militaire, ce qui inclut une cour martiale. Il s’agit d’un pouvoir différent de celui prévu à l’article 731 du Code criminel, qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle de surseoir au prononcé d’une peine tout en soumettant un contrevenant à une probation, ou encore de celui prévu à l’article 742.1 du Code criminel relatif à l’emprisonnement avec sursis, qui permet à un tribunal civil de juridiction criminelle de condamner un contrevenant à purger une peine d’emprisonnement dans la collectivité.

 

[36] La Loi sur la défense nationale ne prévoit aucun critère particulier pour l’application de l’article 215. L’interprétation quant à son application par la cour martiale à ce jour est assez claire et cela a été établi par divers juges militaires dans différentes affaires. En tant que juge militaire, j’ai décrit mon approche concernant cette question dans l’affaire de la cour martiale R. c. Paradis, 2010 CM 3025, et l’ai répétée dans R. c. Masserey, 2012 CM 3004.

 

[37]      En substance, si la contrevenante démontre, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation particulière ou que les besoins opérationnels des Forces canadiennes justifient de suspendre la peine d’emprisonnement ou de détention, la cour rendra une ordonnance à cet effet. Par contre, avant d’agir ainsi, la cour se doit d’examiner, une fois qu’elle conclut qu’une telle ordonnance est appropriée, si la suspension de cette peine ne minerait pas la confiance du public dans le système de justice militaire, en tant qu’élément du système de justice canadien en général. Si elle conclut que non, alors la cour émettra l’ordonnance.

 

[38]      La Soldate Vezina a des problèmes de toxicomanie depuis son adolescence. Sa capacité de régler ce problème n’a jamais été stable, mais, en date d’aujourd’hui, elle a réussi. Sa vie personnelle a rendu difficile sa réussite, surtout si l’on tient compte du fait qu’elle a encore des troubles de santé mentale qui pourront être adéquatement traités seulement quand elle aura réglé son problème de toxicomanie.

 

[39]      À l’heure actuelle, elle éprouve encore des difficultés dans sa vie personnelle. Sa relation personnelle avec sa partenaire est difficile, et elle doit encore prendre certaines mesures pour convaincre les autorités qu’elle est suffisamment fiable pour s’occuper des enfants de sa partenaire.

 

[40]      Elle doit encore faire l’objet de diverses procédures de discipline militaire et procédures pénales au civil pour des événements passés, et ces questions ne sont toujours pas réglées.

 

[41]      De toute évidence, les choses n’ont pas vraiment changé récemment pour la Soldate Vezina afin qu’elle puisse reprendre sa vie en main. Il est vrai qu’elle s’est récemment rendu compte du fait que les choses devaient changer. Cependant, sa situation personnelle ne constitue pas un facteur atténuant suffisant pour justifier la suspension de la peine d’emprisonnement par la cour.

 

[42]      On ne peut admettre qu’il serait mieux pour la contrevenante de ne pas être incarcérée afin d’avoir accès au meilleur traitement possible. Comme le montre la période qu’elle a passée à l’hôpital avec de nouveaux thérapeutes, si elle peut avoir accès à un traitement et faire l’objet d’un suivi par des médecins consultants compétents pendant sa peine d’emprisonnement, cet objectif sera réalisé. Selon ce que je crois comprendre des services correctionnels civils et militaires, elle aura accès à un tel traitement et elle recevra du soutien. La psychiatre, le travailleur social et le conseiller en toxicomanie qui la traitent actuellement seront en mesure de fournir de l’information aux responsables de son traitement pendant son incarcération, comme cela a été le cas quand elle a récemment été hospitalisée contre son gré.

 

[43]      J’estime que la contrevenante n’a pas montré, selon la prépondérance des probabilités, que sa situation particulière justifiait la suspension de sa peine d’emprisonnement par la cour.

 

[44]      Je me suis également demandé s’il convenait en l’espèce de rendre une ordonnance d’interdiction de possession d’arme, comme le prévoit l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. Selon moi, une telle ordonnance est souhaitable et nécessaire pour assurer la sécurité de la contrevenante ou de toute autre personne; l’ordonnance doit s’appliquer pendant son service ou son emploi au sein des Forces canadiennes, surtout compte tenu des critères applicables aux termes de l’article 109 du Code criminel dans le contexte d’une infraction commise en violation de l’article 5 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Essentiellement, compte tenu de l’état de santé mentale de la contrevenante et du point de vue d’une juridiction criminelle concurrente sur cette question, il ne peut en être autrement. La cour a conclu qu’elle ne peut trouver aucun motif valable pour justifier des conditions et une durée différentes de celles qui auraient été obligatoirement imposées à la Soldate Vezina si elle avait été jugée par une cour de juridiction criminelle.

 

[45]      La cour rendra donc une ordonnance d’interdiction de possession d’arme pour une période de dix ans.

 

[46]      Le procureur a également demandé que la cour rende une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons de substances corporelles aux fins de l’analyse génétique aux termes du paragraphe 196.14(3) de la Loi sur la défense nationale. La cour ne peut rendre une ordonnance de cette nature que si elle est convaincue que cela sert au mieux l’administration de la justice militaire et elle doit motiver sa décision compte tenu de la nature de l’infraction et des circonstances entourant sa perpétration, de toute condamnation antérieure par un tribunal militaire ou civil, du fait que l’intéressé ait ou non déjà fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité pour cause de troubles mentaux à l’égard d’une infraction désignée et de tout effet qu’une telle ordonnance aurait sur la vie privée de l’accusé et sur la sécurité de sa personne.

 

[47]      Cette disposition précise ne constitue pas un fardeau pour la poursuite ou la défense. La poursuite qui sollicite l’ordonnance doit présenter suffisamment de renseignements pour soulever la question. La cour doit alors être convaincue, après pondération de tous les facteurs pertinents, que l’ordonnance devrait être rendue. Le trafic de stupéfiants, particulièrement de cocaïne, est une infraction très grave qui a un effet préjudiciable profond sur la société. Les circonstances entourant la perpétration des infractions commises par la Soldate Vezina ont été décrites rigoureusement par la cour et elles sont très graves. Cependant, l’ampleur du trafic était limitée et découlait directement de circonstances liées à l’état de santé mentale et à la situation financière de la contrevenante, ce qui, selon moi, ne justifierait pas une telle intrusion. Les circonstances en l’espèce ne correspondent pas aux intérêts importants servis par la banque de données de l’analyse génétique. Je conclus que ces circonstances ne l’emportent pas sur l’intérêt public à la faveur de sa vie privée et de sa sécurité; par conséquent, la cour ne rendra pas l’ordonnance.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[48]      Vous CONDAMNE à l’emprisonnement pour une période de six mois.

[49]      Vous INTERDIT, aux termes de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir en votre possession des armes à feu, arbalètes, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives, y compris les objets visés dans le cadre de vos fonctions comme membre des Forces canadiennes, et ce, pendant une période de dix ans.

 


 

Avocats

 

Major E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B.G. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de la Soldate A.L. Vezina

 

 

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