Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 26 mai 2014.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, possession d’une substance inscrite à l’annexe II (art. 4(1) LRCDAS).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Pollett, 2014 CM 4002

 

Date : 20140526

Dossier : 201401

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes (BFC) Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Caporal-chef A.D. Pollett, contrevenant

 

- et -

 

Sa Majesté la Reine

 

 

 

 

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

 


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Caporal-chef Pollett, vous avez été déclaré coupable de la première et seule accusation se trouvant sur l'acte d'accusation d'après les aveux présentés par votre avocat à la suite du rejet d'une requête soumise dans le but de protéger de possibles droits d'appel sur une question juridique systémique qui pourrait éventuellement être tranchée par la Cour suprême. 

[2]               Mon devoir, à titre de juge militaire, est maintenant de déterminer la peine.

[3]                Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour assurer le respect de la discipline, une composante essentielle de l’activité militaire, dans les Forces canadiennes.  Ce système vise à promouvoir la bonne conduite par la sanction adéquate de l’inconduite.  C’est grâce à la discipline que les Forces canadiennes s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité.  Ce faisant, elles s’assurent aussi que l’intérêt public lié à la promotion du respect des lois du Canada est servi par la sanction des personnes assujetties au Code de discipline militaire.

[4]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux Forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes.  Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait constituer l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire.  Ce principe renvoie aussi directement à l’obligation de la cour de prononcer « une sentence proportionnée à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant », comme le prévoit l’alinéa 112.48(2)b) des Ordonnances et règlements royaux (ORFC).

[5]               En l’espèce, les procureurs de la poursuite et vos avocats ont présenté une recommandation conjointe quant à la peine devant être infligée.  Ils ont recommandé que la présente cour vous inflige un blâme et vous impose une amende de 1 000 $ afin de satisfaire aux exigences de la justice.  Bien que la cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire.  Ces raisons concernent notamment les cas où la peine est inadéquate, déraisonnable, va à l’encontre de l’intérêt public ou a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice.  C'est ce qu'a décidé la Cour d'appel de la cour martiale dans l'arrêt R c Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21. 

[6]               Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Généreux, [1992] 3 CSC 259, à la page 293 : 

[...] Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

La Cour a souligné à la même page que, dans le contexte particulier de la justice militaire :

[...] Les manquements à la justice militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui irait au-delà de ce qu’exigent les circonstances de l’affaire.  En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal, qu’il soit civil ou militaire, doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines qui répondent à au moins l’un des objectifs suivants :

(a)                protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

(b)               dénoncer le comportement illégal;

(c)                dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

(d)               isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

(e)                favoriser la réadaptation et la réforme des contrevenants.

[8]               Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

(a)                la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

(b)               la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

(c)                la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions semblables commises dans des circonstances semblables;

(d)               le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances.  En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour d’appel de la cour martiale et la Cour suprême du Canada;

(e)                finalement, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

[9]               J'en suis arrivé à la conclusion que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, la peine devrait être axée sur les objectifs de la dénonciation et de la dissuasion générale.

[10]           En l'espèce, la cour a affaire à une infraction de possession de cannabis (marijuana), c’est-à-dire à une violation du droit canadien consistant en des activités liées aux drogues et relevant du Programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues, dont il est question au chapitre 20 des ORFC.  Il s’agit donc de la violation d’un important principe du service dans les Forces canadiennes.

[11]           En effet, le 22 mars 2013, le caporal-chef Pollett s'est rendu à une habitation de Dartmouth et a acheté du cannabis d'un autre membre des Forces canadiennes.  Il avait obtenu les coordonnées du membre des FC résidant à cette adresse d'une connaissance, pendant qu'il se trouvait dans l'aire pour fumeurs de la BFC Halifax à Stadacona.  Il ignorait que les membres de l’Équipe nationale de lutte antidrogue (ENLA) qui relève du Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) surveillaient cette habitation depuis février 2013, habitation suspectée d’être utilisée par un membre des Forces canadiennes pour vendre des drogues.  On a vu le caporal-chef Pollett entrer dans l'habitation et en ressortir environ une minute plus tard.  On l'a ensuite vu mettre un objet dans sa poche droite, monter dans son véhicule et quitter les lieux.  Il a été intercepté par des membres du SNEFC environ 15 minutes plus tard, il a été fouillé, et une certaine quantité de marijuana a été saisie dans son véhicule.

[12]           Interrogé par le SNEFC le 7 août 2013, le caporal-chef Pollett a déclaré qu'il avait acheté du cannabis du membre des FC résidant à l'habitation ciblée à deux occasions, dont le 22 mars 2013, date où il a été arrêté par les membres de l'ENLA du SNEFC.  Il a déclaré avoir payé environ 10 $ par gramme et avoir chaque fois planifié son achat avec le membre des FC résidant à l'habitation ciblée par messages texte.  Une accusation a été portée le 11 septembre 2013. 

[13]           Pour parvenir à ce que la cour considère comme une peine juste et appropriée, la cour a tenu compte de la gravité objective de l'infraction qui, comme le prévoit le paragraphe 4(5) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, est punissable sur déclaration de culpabilité par une amende maximale de mille dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines. 

[14]           La cour a aussi tenu compte des facteurs atténuants et aggravants suivants.

[15]           Parmi les facteurs aggravants, la gravité subjective de l'infraction, visible dans deux aspects liés aux circonstances :

(a)                le premier aspect aggravant, d'un point de vue subjectif, est le fait que l'infraction a un réel lien militaire, puisque le cannabis a été acheté d'un membre des FC dont les coordonnées ont été obtenues à l'intérieur de la base à la BFC Halifax; et

(b)               le deuxième aspect aggravant est la préméditation et le fait que l'achat du 22 mars 2013 était le deuxième achat effectué par le caporal-chef Pollett auprès du même membre des FC.

[16]           Autre facteur aggravant : le grade du contrevenant et la position de responsabilité qui en découle à bord de son navire et comme chef de quatre autres membres de l'équipage, comme l'ont mis en évidence les propos de son officier divisionnaire dans la lettre figurant à la pièce 8.

[17]           La cour a aussi considéré les facteurs atténuants suivants :

(a)                d'abord et avant tout, votre admission des faits devant la cour, ce qui, aux fins de la détermination de la peine, est l'équivalent d'un plaidoyer de culpabilité.  Compte tenu des faits présentés en l'espèce, la cour considère votre admission comme un signe authentique de remords, que vous assumez l'entière responsabilité de vos actes et que vous désirez rester un membre valide des Forces canadiennes;

(b)               le deuxième facteur atténuant est le fait que votre fiche de conduite ne comporte aucune mention et que vous n'avez pas de casier judiciaire; et

(c)                vos états de service dans les Forces canadiennes.  Il ressort des preuves produites devant la cour qu'au moins depuis juillet 2013, vous avez été un membre très productif et très apprécié de l'équipage de votre navire et que, par votre dévouement et vos compétences à titre de chef et de leader, vous avez contribué au maintien d'un moral élevé.  Vos compétences en matière de planification et d'organisation font de vous un atout important pour votre navire qui est passé à un état de préparation plus élevé au sein de la flotte.  Malgré l'accusation, vous avez été en mesure de maintenir un bon rendement, ce qui démontre que le mauvais choix que vous avez fait en commettant cette infraction peut être corrigé, compte tenu de votre âge et de votre expérience de la vie. 

[18]           Contrairement à ce qu'a soutenu la poursuite, je ne considère pas que le fait d'être soumis à une cour martiale ne puisse jamais constituer un facteur atténuant en ce qui a trait à la détermination de la peine.  Cependant, dans la présente affaire, le caporal-chef Pollett a été surpris en train de contrevenir à la loi dans le cadre de ce qui semble être une opération tout à fait légitime de la police militaire visant à faire cesser le trafic de drogues impliquant des membres des FC.  En ce sens, le fait que des accusations aient été portées et amenées devant un tribunal militaire tel que cette cour est tout à fait normal.  La cour accorde beaucoup plus d'importance, comme facteur atténuant, au fait que le caporal-chef Pollett a collaboré avec la police en admettant sa participation comme acheteur de drogues, comme en témoignent ses aveux devant cette cour. 

[19]           En ce qui concerne le temps qui s'est écoulé depuis la perpétration de l'infraction, la cour n'a pas suffisamment d'information pour considérer la période de plus de 14 mois qui s'est écoulée depuis la perpétration de l'infraction comme possédant les qualités requises pour en faire un important facteur atténuant.  En effet, il ne semble y avoir eu aucun retard important dans l'enquête ou le traitement du dossier par le système de justice militaire.  Bien sûr, l'affaire aurait pu aller plus vite, mais en l'absence de preuve de retard déraisonnable ou de préjudice extraordinaire pour le contrevenant, la cour ne fera pas de spéculation et ne reconnaîtra pas le retard comme un facteur atténuant. 

[20]           Dans cette affaire, compte tenu de la nature de l'infraction, des circonstances dans lesquelles elle a été commise, des principes applicables en matière de détermination de la peine, y compris les peines imposées par des tribunaux militaires à d'autres contrevenants pour des infractions comparables dans des circonstances analogues ainsi que des facteurs aggravants et atténuants que j'ai mentionnés précédemment, je conclus qu'un blâme et une amende de 1 000 $, peine proposée conjointement par les avocats, seraient une peine appropriée en l'espèce.  La cour accepte la recommandation conjointe des avocats, étant donné que cette peine n’est pas contraire à l’intérêt public et qu’elle ne risque pas de déconsidérer l’administration de la justice.

[21]           Caporal-chef Pollett, vous occupez un poste très important à bord de votre navire, en dépit de tout ce qui peut être dit à propos des systèmes d'armement. Plusieurs fois par jour, en mer, l'équipage de votre navire compte sur l'équipement qui vous est confié et l'équipe que vous dirigez pour répondre à ses besoins alimentaires de base.  Comme en témoignent les propos de votre officier divisionnaire dans la lettre figurant à la pièce 8, vous pouvez être un modèle à bord pour les cuisiniers subalternes. Malheureusement, le 22 mars 2013, vous étiez beaucoup moins que cela.  Depuis, par contre, vous avez été en mesure de maintenir un niveau de rendement qui vous a permis de regagner la confiance de votre chaîne de commandement, ce qui est rare.  Beaucoup de personnes faisant face à des accusations liées à la drogue se présentent devant la cour martiale vêtues d'un complet, parce qu'elles ne sont plus membres des Forces canadiennes.  Vous êtes très chanceux d'avoir obtenu une deuxième chance.  Je suis persuadé que vous agirez de manière à conserver cette confiance que vous avez regagnée de la part de votre chaîne de commandement et que vous demeurerez un membre productif des Forces armées canadiennes. 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[22]      VOUS CONDAMNE à un blâme et à une amende de 1 000 $, payable sur‑le‑champ.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du caporal-chef A.D. Pollett

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