Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 4 juin 2014.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 85 LDN, s’est conduit d’une façon méprisante à l’endroit d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 95 LDN, a frappé une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 4 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.

Verdicts
•Chefs d’accusation 1, 2, 4 : Coupable.
•Chef d’accusation 3 : Retiré.

Sentence
•Une réprimande et une amende au montant de 800$.

Contenu de la décision

 

 

Référence : R c Benson, 2014 CM 4003

 

Date : 20140604

Dossier : 201397

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Colombie-Britannique, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Matelot de 1re classe T. Benson, contrevenant

 

 

Devant : Capitaine de frégate J.B.M. Pelletier, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Matelot de 1re classe Benson, après avoir accepté et inscrit un plaidoyer de culpabilité relativement aux premier, deuxième et quatrième chefs d’accusation figurant sur l’acte d’accusation, la Cour vous déclare à présent coupable de ces infractions. Il m’incombe maintenant, à titre de juge militaire présidant la présente Cour martiale permanente, de déterminer la sentence.

[2]               Le système de justice militaire constitue l’ultime recours pour faire respecter la discipline, qui est une dimension essentielle de l’activité militaire dans les Forces canadiennes. Ce système vise à promouvoir la bonne conduite par la sanction adéquate de l’inconduite. C’est grâce à la discipline que les Forces canadiennes s’assurent que leurs membres rempliront leurs missions avec succès, en toute confiance et fiabilité. Ce faisant, elles s’assurent aussi que l’intérêt public lié à la promotion du respect des lois du Canada est servi par la sanction des personnes assujetties au Code de discipline militaire.

[3]               Il est reconnu depuis longtemps que l’objectif d’un système distinct de justice ou de tribunaux militaires est de permettre aux Forces armées de se saisir des questions liées au respect du Code de discipline militaire et au maintien de l’efficacité et du moral des Forces canadiennes.

[4]               Cela étant dit, la peine infligée par un tribunal, qu’il soit militaire ou civil, devrait être l’intervention minimale nécessaire et appropriée dans les circonstances particulières de l’affaire. Ce principe renvoie aussi directement à l’obligation de la Cour d’imposer une peine proportionnelle à la gravité de l’infraction et aux antécédents du contrevenant, comme le prévoit l’alinéa 112.48(2)b) des Ordonnances et règlements royaux.

[5]               Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c Généreux, [1992] 3 CSC 259, à la page 293 :

Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace.

Elle souligne à la même page que, dans le contexte particulier de la justice militaire :

Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil.

[6]               Or, le droit ne permet pas à un tribunal militaire d’imposer une sentence qui irait au-delà de ce qu’exigent les circonstances de l’affaire. En d’autres mots, toute peine infligée par un tribunal doit être individualisée et représenter l’intervention minimale requise, puisque la modération est le principe fondamental de la théorie moderne de la détermination de la peine au Canada.

[7]               L’objectif fondamental de la détermination de la peine par une cour martiale est d’assurer le respect de la loi et le maintien de la discipline en infligeant des peines qui répondent à au moins l’un des objectifs suivants :

a)                  protéger le public, ce qui comprend les Forces canadiennes;

b)                  dénoncer le comportement illégal;

c)                  dissuader le contrevenant et quiconque de commettre les mêmes infractions;

d)                 isoler au besoin les contrevenants du reste de la société;

e)                  favoriser la réadaptation et la réforme des contrevenants.

[9]        Lorsqu’il détermine la peine à infliger, le tribunal militaire doit également tenir compte des principes suivants :

a)                  la peine doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction;

b)                  la peine doit être proportionnelle à la responsabilité et aux antécédents du contrevenant;

c)                  la peine doit être semblable aux peines imposées à des contrevenants similaires relativement à des infractions comparables commises dans des circonstances analogues;

d)                 le cas échéant, le contrevenant ne devrait pas être privé de sa liberté, si une peine moins contraignante peut être justifiée dans les circonstances. En bref, la Cour ne devrait avoir recours à une peine d’emprisonnement ou de détention qu’en dernier ressort, comme l’ont reconnu la Cour d’appel de la Cour martiale et la Cour suprême du Canada;

e)                  finalement, toute peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes liées à la perpétration des infractions ou à la situation du contrevenant.

[8]               J’en suis arrivé à la conclusion que, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la peine devrait mettre l’accent sur les objectifs de la dénonciation, de la dissuasion générale et de la réadaptation.

[9]               En l’espèce, la Cour a affaire à un contrevenant de 27 ans qui s’est enrôlé dans la Marine le 1er juin 2009. Il a été promu au rang de matelot de 1re classe le 28 juin 2013, et il est actuellement affecté au NCSM CALGARY en tant qu’ingénieur maritime. Le matelot de 1re classe Benson a plaidé coupable à trois infractions, dont deux sont connexes.

[10]           Les circonstances spécifiques se rapportant aux deux premières infractions sont les suivantes : le 18 avril 2013, le matelot de 1re classe Benson, alors matelot de 2e classe, était à bord du NCSM CALGARY et travaillait à la cafétéria des matelots-chefs et matelots. Ses fonctions l’amenaient notamment à travailler dans l’arrière-cuisine où il y avait environ un pouce d’eau sur le pont. À son arrivée dans la cafétéria, le matelot de 3e classe Trigg s’est aperçu qu’il y avait de l’eau sur le pont de l’arrière-cuisine. Il a alors fait remarquer, un peu en plaisantant, que le matelot de 2e classe Benson aurait à travailler là-bas pour résoudre la situation. Le matelot de 3e classe Trigg a tourné les talons pour s’en aller et c’est à ce moment-là que le matelot de 2e classe Benson lui a mis une tape derrière la tête avec le dos de la main. Le matelot de 3e classe Trigg a compris que ce coup se voulait une blague, mais a trouvé qu’il avait été donné avec assez de force pour qu’il le prenne comme un geste inamical et inutile.

[11]           Le lendemain, soit le 19 avril 2013, à 0855 heures, le NCSM CALGARY a accosté l’arsenal d’Esquimalt. Le maître de 2e classe Read, qui était le superviseur du matelot de 2e classe Benson, l’a interrogé vers 0915 heures sur les événements de la veille. Il lui a indiqué que son comportement du 18 avril 2013 était inacceptable et que l’incident serait porté à l’attention du capitaine d’armes. À ce moment-là, le matelot de 2e classe Benson (tel était son grade) a adopté une attitude très défensive et s’est mis nez à nez avec le maître de 2e classe Read. Il a levé la voix et s’est écrié qu’il devait descendre du navire et rester loin du matelot de 3e classe Trigg, faute de quoi [traduction] « putain… »; le maître de 2e classe Read l’a coupé et lui a ordonné de regagner son sang-froid, ce à quoi le matelot Benson a répondu [traduction] « on se croirait à l’école secondaire ».

[12]           Le matelot de 2e classe Benson a cru que son entrevue avec le maître de 2e classe Read était informelle, et qu’il pouvait exprimer sans risque la colère que la situation lui inspirait. Par ailleurs, il avait été soumis à beaucoup de stress au cours des semaines précédentes en raison de problèmes familiaux et d’inquiétudes concernant la santé de son grand-père.

[13]           Les circonstances de la troisième infraction sont les suivantes : le 27 août 2013, le NCSM CALGARY devait naviguer à haute vitesse de croisière. En août 2013, les permissions expiraient à 0750 heures les jours de service normal. Le 27 août, donc, les permissions prenaient fin à 0730 heures en raison de la croisière rapide prévue. Le matelot de 1re classe Benson était au courant de la vitesse de croisière prévue et savait à quelle heure les permissions expiraient. Il a traversé la passerelle d’embarquement et est monté à bord du NCSM CALGARY à 0742 heures, douze minutes après l’expiration de la permission. Le matelot de 1re classe Benson n’avait pas l’intention d’être en retard, mais il avait oublié l’heure de fin de permission parce qu’il était concentré sur un cours.

[14]           S’agissant de la peine à infliger, le procureur et l’avocat de la défense ont conjointement recommandé que la Cour vous condamne à une réprimande et à une amende de 800 $, pour répondre aux exigences de la justice. Bien que la Cour ne soit pas liée par cette recommandation conjointe, il est généralement reconnu que le juge qui prononce la peine ne devrait s’en écarter que lorsqu’il a des raisons impérieuses de le faire. Ces raisons concernent notamment les cas où la peine est inadéquate, déraisonnable, ou qu’elle va à l’encontre de l’intérêt public ou a pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice (voir R c Taylor, 2008 CACM 1, au paragraphe 21).

[15]           Pour en arriver à ce qu’elle croit être une peine juste et appropriée, la Cour a tenu compte de la gravité objective des infractions, établie par l’article 85 de la Loi sur la défense nationale, qui prévoit la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté, et les articles 95 et 90 de la même loi, qui prévoient tous deux une peine d’emprisonnement de moins de deux ans.

[16]           La Cour a également tenu compte des circonstances atténuantes et des facteurs aggravants. La gravité subjective de l’infraction est ici un facteur aggravant. Les infractions pour lesquelles vous avez plaidé coupable concernent en effet des aspects importants de la vie militaire : le respect de vos camarades de bord et de vos supérieurs, et celui des ordres commandant d’être présent à bord du navire pour le service à une heure spécifique. Les contacts physiques inamicaux, comme ceux que vous avez eus, ne peuvent être ni encouragés ni tolérés à bord du navire. De même, l’officier marinier qui discute d’une inconduite avec un matelot de 2e classe a droit au plus grand respect. Comme l’a déclaré votre avocat, nul membre des Forces canadiennes n’est dispensé de l’obligation de témoigner du respect à un supérieur, surtout durant un échange visant à résoudre des problèmes d’inconduite, comme c’était le cas ici.

[17]           Il a été suggéré que la présence sur la fiche de conduite du contrevenant d’une condamnation pour voies de fait atteste un mode de mauvaise conduite apparentée aux accusations un et deux, qu’il faut considérer comme une circonstance aggravante. Il est important de mentionner, cependant, que cette condamnation pour voies de fait a été prononcée le 31 juillet 2013, c’est-à-dire après que les infractions ayant donné lieu aux accusations un et deux ont été commises les 18 et 19 avril 2013. Comme l’a expliqué la Cour d’appel de la cour martiale dans l’arrêt R c Castillo, 2003 CACM 6, cette condamnation ne peut pas être tenue pour antérieure aux fins de la détermination de la peine puisqu’elle n’a pas été prononcée avant les infractions actuellement examinées. Elle reste toutefois pertinente en tant que condamnation ayant précédé l’accusation quatre et comme démonstration valide d’une inconduite postérieure à l’infraction.

[18]           Il existe néanmoins d’importantes circonstances atténuantes dont la Cour a tenu compte. D’abord et surtout, votre plaidoyer de culpabilité, que la Cour interprète comme un signe authentique de remords montrant que vous assumez la pleine responsabilité de vos actes et que vous voulez demeurer un atout valide pour la Marine et les Forces canadiennes. Cet aveu de responsabilité s’inscrivait dans le cadre d’une audience très publique de la présente cour martiale. Du point de vue de la gravité subjective, les infractions que vous avez commises, quoique graves, se situent, eu égard aux circonstances évoquées par les deux avocats, dans l’échelle inférieure. J’accepte les observations de votre avocat qui fait valoir, en s’appuyant sur les faits décrits dans le sommaire des circonstances, que le coup que vous avez donné au matelot de 3e classe Triggs avec le dos de la main était certainement déplacé, mais ne représentait pas en l’occurrence un abus de rang ou de pouvoir. De même, le mépris que vous avez témoigné au maître de 2e classe Reed peut être placé, comme l’a reconnu la poursuite, au bas de l’échelle de la gravité. Quant à l’infraction d’absence sans permission, les douze minutes pendant lesquelles vous n’étiez pas à bord sont le résultat de votre étourderie, qui porte néanmoins à conséquence puisqu’il est important d’être à son poste à l’heure requise.

[19]           Vos états de service dans les Forces canadiennes sont un autre facteur atténuant. Il ressort de la preuve soumise à la Cour que les incidents survenus en avril, juillet et août 2013 ne se sont pas reproduits. J’accepte les déclarations de l’avocat selon lesquelles vous avez suivi à la base, après les événements en question, une formation sur la gestion du stress et de la colère, quoique des détails concernant le programme et la preuve de votre présence à ces séances auraient été plus utiles à la Cour pour évaluer le poids qu’il convenait d’accorder à ces séances de formation. J’ai également tenu compte du fait que, depuis les événements, vous vous êtes montré un membre apparemment productif de l’équipage de votre navire.

[20]           J’ai examiné les deux décisions que m’ont soumises et qu’ont évoquées les avocats dans leurs observations. Il s’agit de précédents utiles, à ceci près, bien entendu, qu’il est toujours difficile de trouver des décisions parfaitement pertinentes, surtout lorsque la Cour est saisie de plusieurs accusations ne résultant pas nécessairement d’un incident unique. Cela étant dit, compte tenu de la nature des infractions, des circonstances dans lesquelles elles ont été commises, des principes applicables de détermination de la peine, notamment celui des peines infligées à des contrevenants pour des infractions comparables commises dans des circonstances analogues, compte tenu enfin des facteurs aggravants et des circonstances atténuantes exposés ci-dessus, ces décisions me convainquent que la peine incluant une réprimande et une amende de 800 $, conjointement proposée par les avocats, entre dans l’éventail des peines appropriées en l’espèce. La proposition conjointe des avocats ne va pas à l’encontre de l’intérêt public et ne jette pas le discrédit sur l’administration de la justice. Par conséquent, la Cour y souscrit.

[21]           La Cour n’a reçu aucune observation concernant une éventuelle ordonnance d’interdiction au titre de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale, ce qui m’amène à conclure que la poursuite a estimé que le contrevenant n’était pas ici reconnu coupable d’une infraction « perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre autrui ». Sans se prononcer, la Cour a examiné la question et conclu, compte tenu des circonstances de l’infraction prévue à l’article 95 de la Loi sur la défense nationale, et ayant consisté à frapper un subalterne, qu’il ne serait pas souhaitable de rendre une ordonnance d’interdiction. Par ailleurs, la poursuite n’a présenté aucune demande d’analyse génétique au titre de la section 6.1 de la Loi sur la défense nationale.

[22]           Matelot de 1re classe Benson, les accusations auxquelles vous avez plaidé coupable révèlent un comportement qui n’est acceptable ni dans la Marine ni dans les Forces canadiennes. Il semble toutefois que vous ayez depuis reconnu vos faiblesses en matière de gestion du stress et de la colère, et que vous ayez manifestement accompli vos tâches à un niveau qui vous permet de conserver le privilège d’être un membre de l’équipage du NCSM CALGARY. J’espère que vous vous comporterez de manière à mériter la confiance qui vous est accordée et que vous demeurerez un membre dynamique de la Marine et des Forces canadiennes.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[23]           VOUS DÉCLARE coupable de la première accusation au titre de l’article 85 de la Loi sur la défense nationale pour conduite méprisante à l’endroit d’un supérieur, de la deuxième accusation au titre de l’article 95 de la Loi sur la défense nationale pour avoir frappé un subordonné par le grade, et de la troisième accusation au titre de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale pour absence sans permission.

[24]           VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende s’élevant à 800 $, payable en deux versements mensuels consécutifs de 400 $ avant la mi-août 2014.


 

Avocats :

 

Major J.G. Simpson, Services canadiens des poursuites militaires

Avocat de Sa Majesté la Reine

 

Major E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du matelot de 1re classe Benson

 

 

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