Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 10 janvier 2012

Endroit : BFC Gagetown, Édifice F-1, Oromocto, NB

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 129(2)b) LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 129(2)c) LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chef d’accusation 1 : Non coupable. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une amende au montant de 200$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Hunter, 2012 CM 4002

 

Date :  20120131

Dossier :  201130

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Gagetown

Gagetown (Nouveau‑Brunswick), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal D.D. Hunter, accusé

 

 

En présence du Lieutenant‑colonel  J-G Perron, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Le Caporal Hunter est accusé d’avoir utilisé un ordinateur appartenant au ministère de la Défense nationale, contrairement aux Directives et ordonnances administratives de la Défense 6001-1 ou, à titre subsidiaire, d’avoir utilisé un système d’information de la Force terrestre pour s’acquitter d’une tâche non autorisée, contrairement à l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre. Il est accusé en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, c’est‑à‑dire de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

LE DROIT APPLICABLE

 

[2]               Avant que la cour ne procède à l’analyse de la preuve et des accusations, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[3]               Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut‑être le principe le plus fondamental de notre loi canadienne et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. L’accusé n’a pas à prouver son innocence. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. L’accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[4]               La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[5]               La cour doit déclarer l’accusé non coupable si elle a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve. L’expression « hors de tout doute raisonnable » est employée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions juridiques.

 

[6]               Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 SCR 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes établis dans cet arrêt ont été appliqués dans de nombreux arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas.  Le fait qu’une personne ait été accusée ne constitue nullement une indication de sa culpabilité.

 

[7]               Dans l’arrêt R c Starr, [2000] 2 SCR 144, au paragraphe 242, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Caporal Hunter, hors de tout doute raisonnable.  Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[8]               La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faites devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photographies, des cartes ou d’autres éléments de preuve présentés par les témoins, en des témoignages d’experts, des aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[9]               Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[10]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l’évaluation que la cour fait de la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer ou les raisons d’un témoin de se souvenir. Quelque chose en particulier a‑t‑il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il a décrit? Les événements étaient‑ils remarquables, inhabituels et frappants ou plutôt relativement anodins et, par conséquent, naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a‑t‑il un intérêt dans l’issue du procès? En d’autres termes, a‑t‑il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est‑il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[11]           L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour apprécier sa crédibilité : le témoin était‑il réceptif aux questions, honnête et franc dans ses réponses, ou évasif et hésitant? Argumentait‑il sans cesse? Enfin, son témoignage était‑il cohérent en lui‑même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés?

 

[12]           De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent innocemment, ne signifient pas nécessairement qu’il y a lieu d’écarter un témoignage. Il en va tout autrement, par contre, d’un mensonge délibéré. Un tel mensonge est toujours grave, et il pourrait bien vicier l’ensemble du témoignage.

 

[13]           La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[14]           La cour doit porter son attention sur le critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c W.(D.), [1991] 1 RCS 742. Ce critère est le suivant :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l’accusé, manifestement vous devez prononcer l’acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l’accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l’acquittement.

 

Troisièmement, même si n’avez pas de doute à la suite de la déposition de l’accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l’accusé.

 

[15]           Ayant procédé à cet exposé sur le fardeau de la preuve et sur la norme de preuve, j’examinerai maintenant les questions en litige. La preuve soumise à la cour est formée essentiellement d’éléments dont la cour a pris judiciairement connaissance, de pièces et de témoignages. La cour a pris judiciairement connaissance des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve. Dix pièces ont été produites par la poursuite et deux par l’avocat de la défense. Les pièces 3 et 4 comportent les aveux. Durant le procès, la poursuite a appelé huit témoins. M. Kemp et M. Cooper étaient des commissionnaires employés par le 3e Peloton de PM au moment des infractions reprochées. Le Caporal‑chef Sheppard était technicien en informatique affecté à la BFC Gagetown au moment des infractions reprochées. Le Caporal Stewart, le Caporal‑chef Calleja, le Matelot de 1re classe Smith et le Caporal McDougall étaient membres du 3e Peloton de PM au moment des infractions reprochées. Le Sergent Shannon était membre du détachement du Service national des enquêtes des Forces canadiennes – Région de l’Atlantique au moment des infractions reprochées. L’Adjudant‑maître (à la retraite) Murphy, le Sergent‑major du 3e Peloton de PM au moment des infractions reprochées, le Caporal Hunter, l’Adjudant (à la retraite) Cochrane, membre du 3e Peloton de PM au moment des infractions reprochées, et Mme Hunter ont été appelés à témoigner par l’avocat de la défense. L’Adjudant‑maître  (à la retraite) Murphy, l’Adjudant (à la retraite) Cochrane, le Caporal Hunter ont témoigné dans le cadre de la requête pour fin de non‑recevoir et leurs témoignages sont prises en compte lors du procès, à la demande de l’avocat de la défense à laquelle a souscrit la poursuite. Les témoins militaires, à l’exception du Caporal‑chef  Sheppard, sont ou ont été des policiers militaires.

 

[16]           Le premier chef d’accusation énonce ce qui suit :

 

[traduction] Entre janvier et mars 2010, ou vers cette période, à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, ou à proximité de celle‑ci, l’accusé a utilisé un ordinateur appartenant au ministère de la Défense nationale, contrairement aux Directives et ordonnances administratives de la Défense 6001-1.

 

Le premier chef d’accusation est subsidiaire au deuxième chef d’accusation et celui‑ci est subsidiaire au premier chef d’accusation. La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants relativement à l’infraction visée par le premier chef d’accusation :

 

a)           l’identité de l’accusé comme contrevenant et les date et lieu allégués dans   

           l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que le Caporal Hunter a utilisé un ordinateur;

 

c)                  le fait que l’ordinateur appartenait au ministère de la Défense nationale;

 

d)                 la norme de conduite applicable, particulièrement la DOAD 6001-1;

 

e)                  le fait que le Caporal Hunter connaissait ou aurait dû connaître la norme de conduite applicable;

 

f)                   le fait que l’utilisation de l’ordinateur par le Caporal Hunter constitue une violation de la norme de conduite applicable;

 

g)                  le fait que la conduite était intentionnelle;

 

h)                  la conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[17]           Le deuxième chef d’accusation énonce ce qui suit :

 

[traduction] Entre janvier et mars 2010, ou vers cette période, à la Base des Forces canadiennes Gagetown, au Nouveau‑Brunswick, ou à proximité de celle‑ci, l’accusé a utilisé un bien se rattachant aux systèmes d’information de la Force terrestre pour s’acquitter d’une tâche non autorisée, contrairement à l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre, daté du 13 décembre 2002.

 

La poursuite devait établir hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants relativement à cette infraction :

 

a)                  l’identité de l’accusé comme contrevenant et les date et lieu allégués dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que le Caporal Hunter a utilisé un bien se rattachant aux systèmes d’information de la Force terrestre;

 

c)                  la norme de conduite applicable, particulièrement l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre, datée du 13 décembre 2002;

 

d)                 le fait que le Caporal Hunter connaissait ou aurait dû connaître la norme de conduite applicable;

 

e)                  le fait que l’utilisation par le Caporal Hunter d’un bien se rattachant aux systèmes d’information de la Force terrestre pour s’acquitter d’une tâche non autorisée constitue une violation de la norme de conduite applicable;

 

f)                   le fait que la conduite était intentionnelle;

 

g)                  la conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[18]           L’identité du contrevenant au moment et à l’endroit ou les deux infractions sont survenues n’est pas contestée par l’avocat de la défense. Le fait que le Caporal Hunter a délibérément utilisé un ordinateur appartenant au ministère de la Défense nationale pour effectuer une recherche dans la base de données pour les véhicules automobiles du Nouveau‑Brunswick afin d’obtenir certains renseignements sur des numéros de plaque d’immatriculation n’est pas contesté. L’ordinateur en question est également un bien se rattachant aux systèmes d’information de la Force terrestre. La preuve soumise à la cour établit hors de tout doute raisonnable ces éléments des infractions.

 

[19]           L’avocat de la défense ne conteste pas non plus le fait que le Caporal Hunter a obtenu les renseignements en question pour le compte de son futur beau‑père et que cette activité n’a pas été exécutée dans le cadre des fonctions officielles de la police militaire. La preuve démontre clairement ces faits.

 

[20]           Quelle est la norme de conduite applicable dans le cas du Caporal Hunter?  Le procureur de la poursuite soutient que la recherche de renseignements personnels effectuée par le Caporal Hunter dans la base de données pour les véhicules automobiles contrevenait à la DOAD 6001-1 puisqu’il s’agissait d’une utilisation non autorisée susceptible de jeter le discrédit sur le ministère de la Défense nationale ou les Forces canadiennes. Il a ajouté qu’il s’agissait d’une utilisation interdite aux termes de la DOAD puisqu’elle contrevenait à une loi provinciale, particulièrement au paragraphe 6(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Nouveau‑Brunswick. Le procureur de la poursuite fait également valoir que l’utilisation de l’ordinateur contrevient à l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre parce que, selon le paragraphe 3 de l’annexe, les utilisateurs des systèmes d’information de la Force terrestre et des biens connexes n’y ont accès que pour s’acquitter de tâches autorisées.

 

[21]           Le Caporal Hunter connaissait-il ou aurait-il dû connaître la norme de conduite applicable? Le Caporal Hunter connaissait le contenu de la DOAD 6001-1. Le 7 avril 2008, il a rempli et signé l’annexe B du formulaire 2100-1 (O Ops B) du 29 juin 2006, de l’Entente d’accès utilisateur aux systèmes d’information/réseaux électroniques de la BFC Borden (voir la pièce 5). Dans ce formulaire, il admettait qu’il connaissait et comprenait les définitions d’utilisation autorisée, d’utilisation officielle, d’utilisation non autorisée et d’utilisation interdite énoncées dans la DOAD 6001-1. Il est également prévu dans ce formulaire que les systèmes d’information/réseaux électroniques du ministère de la Défense sont exclusivement réservés à une [traduction] « utilisation officielle et/ou autorisée ». Le Caporal Hunter a également apposé ses initiales à ces rubriques du formulaire.

 

[22]           La pièce 6 consiste en une copie de l’annexe B du règlement sur la sécurité des SI AT. Le Caporal Hunter a signé ce formulaire le 20 octobre 2008. Il a admis qu’il avait lu et compris les principes du Règlement sur la sécurité des SI AT énumérés dans l’annexe et qu’il connaissait ses obligations à titre d’utilisateur des SI AT.

 

[23]           Le comportement du Caporal Hunter constitue‑t‑il une violation de la norme de conduite applicable? Avant d’examiner ce point, je souligne que la preuve établit hors de tout doute raisonnable que le Caporal Hunter connaissait ou aurait dû connaître la norme de conduite applicable relativement au premier et au deuxième chefs d’accusation.

 

[24]           Le comportement du Caporal Hunter constitue‑t‑il une violation de la norme de conduite applicable? M. Peters, le futur beau‑père du Caporal Hunter, fournissait des services de reprise de véhicules. M. Peters a fourni au Caporal Hunter quatre numéros de plaque d’immatriculation du Nouveau‑Brunswick et celui‑ci a vérifié les adresses qui y étaient associées. Le Caporal Hunter a effectué des recherches dans la base de données pour les véhicules automobiles pour aider M. Peters à trouver les véhicules concernés (voir la pièce 3).

 

[25]           Chacun des témoins membres de la police militaire qui a comparu devant la cour, dont le Caporal Hunter, semble avoir bien compris l’utilisation du SISEPM et du CIPC. Ils ont tous fait référence aux documents contenant les instructions sur l’utilisation du SISEPM et du CIPC. La base de données pour les véhicules automobiles est également un outil utilisé par les policiers militaires dans l’exercice de leurs fonctions. Les témoins policiers militaires ont décrit la façon dont ils se servent de cette base de données pour recueillir de l’information sur un véhicule ou sur une personne au cours d’un contrôle routier ou d’une enquête.

 

[26]           La pièce 11 est constituée du formulaire Reconnaissance des restrictions liées à la manipulation du matériel, des dossiers et des renseignements du terminal de la base de données pour les véhicules automobiles du Nouveau‑Brunswick. Ce document a été rédigé à la suite de l’incident lié au Caporal Hunter. Il vise à préciser l’utilisation autorisée de ce système. Il indique que les renseignements de la base de données pour les véhicules automobiles ne seront pas communiqués à une personne non autorisée, mais il ne précise pas qui est autorisé à recevoir de tels renseignements. Fait intéressant, il n’est pas énoncé clairement dans ce document que l’utilisation de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles est réservée aux fins du travail de la police militaire. Comme c’est souvent le cas, les procédures ou les directives mises en place visent à éviter qu’un incident ne se reproduise et à permettre aux autorités de répondre efficacement à un tel incident.

 

[27]           La pièce 10 est constituée d’un courriel concernant les recherches effectuées dans le SISEPM et le CIPC ainsi que dans la base de données pour les véhicules automobiles qui a été envoyé à tous les membres du poste de garde de la BFC Gagetown à la suite de la rencontre du Caporal Hunter avec l’Adjudant‑maître Murphy. Il énonce ce qui suit :

 

[traduction] Attention troupes! On m’a informé que certains membres effectuent des recherches qui n’ont aucun rapport avec les activités policières. Vous connaissez tous la politique concernant [...] je n’en ai pas à en dire plus. Ne recourez pas à ces moyens aux fins personnelles.

 

Bien qu’il ne soit pas le meilleur exemple d’un ordre clair et précis donné aux subordonnés (voir les expressions « vous connaissez tous » et « je n’en ai pas à en dire plus »), selon les témoignages du Caporal‑chef Calleja et du Matelot de 1re classe Smith, il était entendu que les membres du poste de garde ne pouvaient pas effectuer des recherches personnelles dans les bases de données ou qu’ils risquaient de se faire prendre à effectuer de telles recherches.

 

[28]           Il semble que, puisque le bon sens et l’expérience varient d’une personne à l’autre, il était nécessaire de donner des directives explicites aux membres du poste de garde pour établir une norme d’utilisation de la base de données pour les véhicules automobiles.

 

[29]           Le Caporal Hunter a témoigné dans le cadre de la requête pour fin de non‑recevoir. Il a déclaré avoir dit à l’Adjudant Cochrane qu’il avait appelé un commissionnaire pour lui demander des renseignements sur les plaques d’immatriculation du Nouveau‑Brunswick. Le Caporal Hunter a été interrogé par le Sergent Shannon, enquêteur du SNEFC, le 21 avril 2010 (voir la pièce 12), environ 10 semaines après sa rencontre avec l’Adjudant‑maître Murphy. Il a déclaré qu’il s’était rendu au bureau de répartition, qu’il a effectué la recherche lui‑même et que le répartiteur était présent. Le Caporal Hunter a donc donné aux autorités deux versions différentes des faits et la cour ne dispose d’aucune preuve permettant d’expliquer l’existence de ces versions différentes.

 

[30]           Le Caporal Hunter a également déclaré lors de son entrevue avec le Sergent Shannon qu’il voulait aider son futur beau‑père et qu’il ne l’aurait pas fait pour « quelqu’un dans la rue ». Il a dit avoir réalisé par la suite qu’il aurait commis un acte répréhensible. Lorsque le Sergent Shannon l’a informé que les renseignements se trouvant dans l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles étaient protégés, tout comme les renseignements du terminal du CIPC, le Caporal Hunter a dit qu’il ne le savait pas à l’époque et qu’il ne considère toujours pas que tel était le cas. Il a ajouté qu’il n’avait aucun problème avec l’approche adoptée par le l’Adjudant‑maître  Murphy parce qu’il savait qu’il avait commis un acte répréhensible.

 

[31]           J’estime que le Caporal Hunter n’est pas crédible. Bien qu’il soit vrai qu’il n’a pas essayé de dissimuler ses actes, il n’est pas nécessaire qu’une personne dissimule ses actes pour qu’elle soit déclarée coupable d’une infraction. Il ressort clairement du témoignage de chaque témoin que l’utilisation de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles est strictement réservée à l’exercice des fonctions de la police militaire. Contrairement au point de vue de l’avocat de la défense, j’estime que la conduite du Caporal Hunter n’est pas exemplaire. Le Caporal Hunter a contacté l’Adjudant Cochrane parce qu’il se sentait obligé, après sa conversation avec deux de ses camarades caporaux à l’époque, soit le Caporal Calleja et le Matelot de 1re classe Smith. Le Caporal Hunter savait qu’il avait eu tort d’obtenir des renseignements de la base de données pour les véhicules automobiles à des fins non officielles. Il savait qu’il avait commis un acte répréhensible avant de rencontrer l’Adjudant‑maître Murphy, mais il ne voulait tout simplement pas l’admettre.

 

[32]           Pour condamner un accusé, la cour doit déterminer si le procureur de la poursuite a prouvé les éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable. En l’espèce, le procureur de la poursuite fait valoir que l’utilisation par le Caporal Hunter de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles a contrevenu à la DOAD 6001-1 de deux façons. Premièrement, il s’agissait d’une utilisation non autorisée puisqu’elle était susceptible de jeter le discrédit sur le ministère de la Défense ou sur les Forces canadiennes. Deuxièmement, l’utilisation en cause était interdite parce qu’elle contrevenait à une loi provinciale, particulièrement au paragraphe 6(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Nouveau‑Brunswick.

 

[33]           Le procureur de la poursuite a déclaré qu’il n’existe aucun élément de preuve concret établissant que le Caporal Hunter a été payé pour les renseignements fournis et que la question de la rémunération n’est pas pertinente et ne constitue pas un élément de l’infraction. Par conséquent, je ne tiendrai compte d’aucune rémunération possible à titre de question pertinente pour déterminer si le Caporal Hunter est coupable ou non d’une infraction.

 

[34]           Selon le Concise Oxford Dictionary, 10e édition, « discrédit » signifie [traduction] « perte ou manque de réputation ». La cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve au regard de la perte de réputation subie par le ministère de la Défense nationale ou  les FC en conséquence de la recherche non autorisée que le Caporal Huntera a effectuée dans la base de données pour les véhicules automobiles. Bien que la preuve indique que le nom d’utilisateur du terminal de la base de données pour les véhicules automobiles correspond au poste de garde de la BFC Gagetown, la simple mention de cet élément ne suffit pas à elle seule.

 

[35]           Il ne s’agit pas d’un policier qui obtient des renseignements au profit d’une organisation criminelle ou d’une organisation terroriste. Il ne s’agit pas non plus d’un policier qui utilise systématiquement une base de données officielle pour en tirer un avantage personnel. Il s’agit d’un membre junior de la police militaire qui fait un mauvais usage d’une base de données officielle et de la réaction immédiate de ses pairs et ses supérieurs.

 

[36]           Je conclus que le procureur de la poursuite n’a pas fourni à la cour des éléments de preuve établissant hors de tout doute raisonnable que l’utilisation non autorisée de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles par le Caporal Hunter a jeté le discrédit sur le ministère de la Défense ou sur les Forces canadiennes. Je conclus également qu’une personne raisonnable bien informée de tous les faits conclurait que la chaîne de commandement du Caporal Hunter a pris les mesures nécessaires pour protéger la réputation des Forces canadiennes.

 

[37]           Le procureur de la poursuite fait également valoir qu’il s’agit d’une utilisation interdite puisqu’elle contrevient à une loi provinciale, plus précisément au paragraphe 6(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels du Nouveau‑Brunswick. Le paragraphe 6(2) prévoit ce qui suit :

 

Commet une infraction punissable en vertu de la Partie II de la Loi sur la procédure relative aux infractions provinciales à titre d’infraction de la classe F, toute personne à qui un organisme public divulgue des renseignements personnels à des conditions qui limitent l’usage ou la divulgation ultérieurs des renseignements et qui délibérément contrevient à ces conditions.

 

[38]           Le procureur de la poursuite a fourni à la cour une copie de cette loi provinciale qui semble avoir été imprimée le 21 avril 2010 et qui indique que la loi a été refondue au 31 mars 2001. La cour n’a été saisie d’aucun élément de preuve indiquant que le service des véhicules automobiles du Nouveau‑Brunswick (New‑Brunswick Department of Motor Vehicles), s’il s’agit du nom correct de cet organisme, est un organisme public au sens de l’article 1 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[39]           Le procureur de la poursuite fait valoir que la cour peut accepter le témoignage des policiers militaires portant qu’une personne ne peut utiliser l’ordinateur en question qu’à des fins officielles, comme il est énoncé par les conditions qui limitent son utilisation. Le procureur de la poursuite voudrait que la cour conclue que l’utilisation par le Caporal Hunter de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles contrevient au paragraphe 6(2) de la Loi sur la protection des renseignements personnels.

 

[40]           Rien n’indique que le Caporal Hunter a été déclaré coupable d’une infraction en application du Code criminel du Canada, de toute autre loi ou règlement fédéral ou de la Loi sur la protection des renseignements personnels relativement à l’utilisation de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles. Le procureur de la poursuite n’a présenté aucun élément de preuve concernant les « conditions qui limitent l’usage ou la divulgation ultérieurs des renseignements » fournis par le terminal de la base de données pour les véhicules automobiles qui auraient pu provenir du service des véhicules automobiles du Nouveau‑Brunswick. Compte tenu de la preuve présentée à la cour, je conclus que le procureur de la poursuite n’a pas prouvé hors de tout doute raisonnable que l’utilisation par le Caporal Hunter de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles constitue une utilisation interdite aux termes de la DOAD 6001-1.

 

[41]           J’examinerai maintenant la question de savoir si l’utilisation de l’ordinateur contrevient à l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre. Le procureur de la poursuite a longuement plaidé que les paragraphes 2, 5, 6, 12 et 15 du chapitre 1 du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre appuient manifestement le principe selon lequel les l’utilisation des ordinateurs de la Force terrestre est réservées aux tâches autorisées.

 

[42]           Le paragraphe 2 du chapitre 1 prévoit que « [l]es utilisateurs sont tenus de lire seulement l’annexe B – Information sur la sécurité SI à l’intention des utilisateurs / Déclaration officielle et engagement ». La cour ne dispose d’aucun élément de preuve établissant que la pièce 13, Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre, a été diffusée par le commandant du Caporal Hunter ou qu’elle a été portée à l’attention du Caporal Hunter (voir l’art. 4.26 des ORFC). De plus, il semble que le procureur de la poursuite n’ait obtenu une copie de ce document que la veille du dernier jour d’audience. Par conséquent, la cour conclut que toute mention du contenu de la pièce 13 n’est absolument pas pertinente en l’espèce.

 

[43]           La cour a permis à la défense de rouvrir sa preuve et de présenter un rapport de résultats à la suite d’une vérification en ligne que le Caporal Hunter a obtenu à partir du site Web du Canada atlantique (voir la pièce 14). Après avoir payé des frais de neuf dollars, le Caporal Hunter a inscrit le numéro d’identification du véhicule (NIV) de son véhicule et a obtenu certains renseignements liés à ce NIV, c’est‑à‑dire le dossier d’immatriculation du véhicule ainsi que le nom, l’adresse et la date de naissance du débiteur. Le terminal de la base de données pour les véhicules automobiles qui se trouve au poste de garde fournit de plus amples renseignements sur un véhicule ou son propriétaire que le site Web du Canada atlantique. Le Caporal‑chef  Calleja and M. Cooper a témoigné que ce terminal fournit des renseignements sur le permis de conduire, s’il est suspendu ou échu, ainsi que l’historique des infractions au code routier. Ils ont déclaré que seules les personnes autorisées, les membres de la police militaire et les commissionnaires pouvaient avoir accès au terminal et seulement pour des fins officielles liées au travail de la police militaire. Il est évident que le site Web du Canada atlantique fournit un service aux citoyens, mais cela ne change pas le fonctionnement du terminal de la base de données pour les véhicules automobiles et son objectif compte tenu des renseignements fournis et des personnes autorisées qui ont accès à ces renseignements.

 

[44]           Selon le paragraphe 3 de l’annexe B « [le]s utilisateurs des SI AT et des biens connexes n’y ont accès que pour s’acquitter de tâches autorisées » (voir la pièce 6). Le Caporal Hunter a vérifié les numéros des plaques d’immatriculation fournis par son beau‑père afin d’aider celui‑ci. Cette vérification n’avait aucun rapport avec ses fonctions de membre de la police militaire. Il a abusé de sa position privilégiée d’agent de paix pour accéder à une banque de données gouvernementale au profit d’un particulier. Une personne raisonnable qui se fonde sur son bon sens peut manifestement arriver à cette conclusion sans avoir besoin d’un document particulier sur cette question. L’Adjudant‑maître Murphy, l’Adjudant Cochrane, le Caporal‑chef Calleja, le Matelot de 1re classe Smith, le Caporal Stewart et le Sergent Shannon sont tous parvenus à cette conclusion. Le Caporal Hunter voudrait que la cour estime qu’il ne l’a pas réalisé qu’à la suite de sa rencontre avec l’Adjudant‑maître Murphy. Comme il a été mentionné précédemment, la cour ne croit pas que le Caporal Hunter ignorait qu’il commettait un acte répréhensible lorsqu’il a obtenu les renseignements en cause.

 

[45]           Compte tenu de la preuve soumise à la cour, je conclus que le procureur de la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que l’utilisation par le Caporal Hunter de l’ordinateur de la base de données pour les véhicules automobiles constitue une violation de l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre.

 

[46]           Quel est le préjudice au bon ordre et à la discipline causé par le comportement?  Le paragraphe 129(2) de la Loi sur la défense nationale est ainsi libellé :

 

Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

 

a)                   une disposition de la présente loi;

 

b)                   des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

 

c)                   des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[47]           L’article 129 énonce clairement que la violation d’une directive publiée pour la gouverne générale des Forces canadiennes est réputée préjudiciable au bon ordre et à la discipline. La poursuite doit seulement prouver la violation pour établir le préjudice au bon ordre et à la discipline. L’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre est une directive publiée pour la gouverne générale de l’Armée de terre. La cour a déjà conclu que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le Caporal Hunter a contrevenu à l’annexe B du Règlement sur la sécurité des systèmes d’information – Force terrestre.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[48]           DÉCLARE le Caporal Hunter non coupable du premier chef d’accusation.

 

ET

 

[49]           DÉCLARE le Caporal Hunter coupable du deuxième chef d’accusation.


 

Avocats :

 

Major P. Rawal et Lieutenant de vaisseau C.J. Colwell, Direction des poursuites militaires

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

M. D. Bright, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du Caporal D.D. Hunter

 

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