Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 7 février 2012

Endroit : BFC Esquimalt, Édifice PM1 Ronald H. Guilderson, N-50, Victoria (CB)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

 

Référence :  R c Whitten, 2012 CM 4004

 

Date :  20120207

Dossier :  201143

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-matelot-chef T.R.F. Whitten, contrevenant

 

Devant :  Lieutenant-Colonel J-G Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Ex‑matelot‑chef Whitten, après avoir accepté et consigné vos aveux de culpabilité à l’égard des chefs d’accusation 1 et 2, la cour vous déclare à présent coupable de ces chefs. Vous vous êtes reconnu coupable d’avoir maltraité un matelot de 3e classe et un matelot de 2e classe. La cour doit maintenant rendre une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               Le sommaire des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits y énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l’infraction.

 

[3]               Au moment des infractions, l’ex-matelot-chef Whitten était en poste à l’École navale des Forces canadiennes à la base Esquimalt. Un cours d’opérateur de sonar NQ3 s’y est donné du mois d’avril au mois de décembre 2009. L’ex-matelot-chef Whitten était instructeur pour ce cours.

 

[4]               Le matelot de 3e classe mentionné au chef d’accusation 1 était l’un des candidats inscrits au cours. Au début du cours, l’ex-matelot-chef Whitten, enjambant le dossier de la chaise du matelot, s’est assis à califourchon derrière lui et s’est collé sur lui en se frottant le bas‑ventre contre son dos d’une manière suggestive.

 

[5]               Ayant lu le dossier personnel du matelot de 3e classe, l’ex-matelot-chef Whitten a fait des remarques en classe au sujet de renseignements personnels qui y étaient consignés, notamment qu’il venait de Mount-Uniacke et qu’il avait habité dans un parc de maisons mobiles. Il a aussi dit que le matelot était une merde de la Nouvelle‑Écosse et que les gens de cette province étaient tous gais. Il a aussi eu des propos au sujet de la mère du matelot de 3e classe, disant qu’il sortirait avec elle.

 

[6]               Pendant le cours, l’ex-matelot-chef Whitten a dit en classe qu’il souhaitait aller en mer avec le matelot de 3e classe, qui serait sa femelle. Il a dit qu’il prendrait un manche à balai, qu’il lui enfilerait un condom et qu’il le lui mettrait dans le cul.

 

[7]               Au mois d’août 2009, le matelot de 3e classe s’est blessé à la jambe et s’est fait prescrire le port d’une attelle pneumatique par le médecin. L’ex-matelot-chef Whitten a refusé de croire que le matelot était blessé et a exigé qu’il retire son attelle pour lui démontrer qu’il l’était. Une autre fois, le matelot a été victime d’un empoisonnement alimentaire, et l’ex-matelot-chef Whitten l’a obligé à obtenir un billet de l’hôpital de la base indiquant qu’il pouvait se rendre aux toilettes au besoin.

 

[8]               Le cours comportait une phase en mer, du 30 novembre au 11 décembre 2009.  Pendant cette période, l’ex-matelot-chef Whitten a provoqué une querelle avec le matelot de 3e classe en le poussant et en menaçant de l’étrangler.

 

[9]               Le matelot de 2e classe mentionné au chef d’accusation 2, était lui aussi l’un des candidats inscrit au cours. Pendant la phase en mer, l’ex-matelot-chef Whitten a frappé ce matelot aux mollets avec un manche à balai, lui laissant deux marques rouges.

 

[10]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins, et c’est l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doive remplir (voir R c Tupper 2009 CACM 5, paragraphe 13).

 

[11]           La Cour d’appel de la cour martiale a statué que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine énoncés au Code criminel du Canada[1] s’appliquent au système de justice militaire et que le juge militaire doit en tenir compte au moment de décider de la peine à infliger (voir R c Tupper, paragraphe 30). La détermination de la peine a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader le délinquant et toute autre personne de commettre des infractions;

 

c.                   isoler au besoin le délinquant du reste de la société;

 

d.                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e.                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f.                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

 

[12]           La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces facteurs.

 

[13]           Les dispositions du Code criminel en matière de détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, établissent un processus individualisé au cours duquel la cour doit tenir compte, en plus des circonstances de l’infraction, de la situation particulière du contrevenant (voir R c Angelillo 2006 CSC 55, paragraphe 22). La peine doit également être semblable aux autres peines appliquées en de semblables circonstances (voir R c L.M. 2008 CSC 31, paragraphe 17). Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak 2010 CSC 6, paragraphe 41). La Cour suprême du Canada y indique que le principe de proportionnalité exige que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[14]           La cour doit également infliger une peine qui soit la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. La peine vise essentiellement à rétablir la discipline chez le délinquant et dans la collectivité militaire, car la discipline est une condition fondamentale de l’efficacité opérationnelle de toute force armée.

 

[15]           La poursuite et votre avocat ont tous deux proposé que vous soyez condamné à un blâme et à une amende de 3 000 $ payable à compter du 1er mai à raison de versements mensuels de 200 $. La Cour d’appel de la cour martiale a expressément statué que le juge appelé à prononcer une peine ne doit s’écarter de la recommandation conjointe des avocats que si la peine proposée est de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas dans l’intérêt public.

 

[16]           J’exposerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes que j’ai prises en compte dans la détermination de la sentence appropriée en l’espèce. J’estime que les circonstances suivantes sont de nature aggravante.

 

a.                   Il ressort des faits décrits au sommaire des circonstances que vous éprouviez de l’antipathie pour le matelot de 3e classe qui a été victime des mauvais traitements visés au chef d’accusation 1. Autrement, pourquoi l’auriez-vous traité comme vous l’avez fait? Hormis une remarque intempestive du matelot de 3e classe au sujet de votre conjointe, je ne dispose d’aucun renseignement sur la cause possible de cette animosité. Pendant environ huit mois, vous lui avez fait subir des violences physiques et verbales en classe et en mer. Ces nombreux incidents au cours d’une période aussi longue constituent une circonstance aggravante importante.

 

b.                  De plus, bien que vous n’ayez maltraité qu’une fois le matelot de 2e classe, vous l’avez frappé avec assez de force pour lui laisser des marques sur les mollets. Vous étiez instructeur et matelot‑chef au moment des infractions. Vous avez maltraité des étudiants. Nous ne pouvons accepter ce type de comportement des chefs de la Marine royale ou des Forces canadiennes.

 

[17]           Pour ce qui est des circonstances atténuantes, je relève ce qui suit.

 

a.                   Vous n’avez pas de fiche de conduite. Il s’agit de votre première infraction.

 

b.                  Vous avez reconnu votre culpabilité aux deux chefs d’accusation, et un plaidoyer de culpabilité est généralement considéré comme une circonstance atténuante. De façon générale, on considère que cette interprétation n’est pas en contradiction avec le droit au silence de l’accusé ni avec son droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre lui, mais constitue plutôt un moyen pour les tribunaux d’infliger une peine plus clémente, l’aveu de culpabilité signifiant habituellement qu’il n’y aura pas de témoins à assigner, ce qui réduit de beaucoup les coûts associés aux procédures judiciaires. L’aveu est généralement vu aussi comme un signe que l’accusé est disposé à assumer la responsabilité des actes illicites et du tort qui en a résulté et, après vous avoir observé au cours de ce bref procès, j’estime que vous semblez véritablement éprouver du remords.

 

c.                   J’ai pris connaissance des deux rapports d’appréciation du personnel établis pour les années 2009–2010 et 2010–2011 et classés à l’onglet 8 de la pièce 7. Votre rendement y est qualifié de supérieur à la norme, et votre potentiel de promotion, de supérieur à la moyenne. Vous y êtes décrit comme un instructeur exceptionnel suscitant chez ses étudiants la volonté de s’améliorer. On peut y lire que vous êtes [traduction] « prêt à accepter la responsabilité de [vos] actes et de ceux de [vos] subalternes ».

 

d.                  Le maître de 2e classe Strong, qui vous connaît depuis trois ans, a témoigné en votre faveur, disant que vous aviez l’estime de vos étudiants comme de vos pairs et que ce qu’il a entendu dire de vous au moment où l’on vous a retiré du cours ne vous ressemblait pas du tout.

 

e.                   Il semble, compte tenu du témoignage du maître de 2e classe Strong et de vos rapports d’appréciation, que les actes reprochés aient été inhabituels pour vous. Il est toutefois permis de se demander pourquoi vous avez persécuté ce matelot de 3e classe pendant si longtemps. La preuve soumise n’explique pas ce comportement.

 

f.                   Votre avocat a tout à fait raison de dire que vous avez terni votre dossier. Vous étiez un opérateur de sonar compétent et un bon instructeur. Vous paraissiez avoir jusqu’alors du succès dans votre carrière. Votre appui à la GRC en tant que gendarme auxiliaire, votre participation au Groupe consultatif des Autochtones de la Défense et les lettres d’appréciation produites dans la pièce 7 démontrent que vous avez été un membre apprécié de la collectivité civile comme de la collectivité militaire. La preuve soumise ne me permet pas de bien comprendre ce qui a motivé vos gestes à l’endroit de ces subalternes, mais il semble effectivement que ce comportement ne vous ressemble pas du tout.

 

[18]           Je partage l’avis de la poursuite que les principes à appliquer en l’espèce en matière de peine sont ceux de la dénonciation et de la dissuasion générale. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, la jurisprudence et les observations soumises par la poursuite et par votre avocat, j’en viens à la conclusion que la peine proposée est appropriée comte tenu du grade et du poste occupé au moment des infractions et des circonstances particulières de celles‑ci. J’estime donc que cette peine ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle sert l’intérêt public. En conséquence, je souscris à la recommandation conjointe de la poursuite et de votre avocat.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[19]           vous DÉCLARE, ex-matelot-chef Whitten, coupable des deux chefs d’accusation fondés sur l’article 95 de la Loi sur la défense nationale,

 

[20]           vous CONDAMNE à un blâme et à une amende de 3 000 $ payable à raison de versements mensuels de 200 $ à compter du 1 mai 2012.

 

 


 

Avocats :

 

Major J.E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

M. M. Hunt, Dinning Hunter Lambert & Jackson Barristers and Solicitors

Avocat de l’ex-matelot-chef T.R.F. Whitten



[1] L.R. 1985, ch. C-46

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