Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 8 février 2012

Endroit : BFC Esquimalt, Édifice PM1 Ronald H. Guilderson, N-50, Victoria (CB)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, capacité de conduite affaiblie d’un véhicule à moteur (art. 253(1)a) C. cr.).
•Chef d’accusation 4 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4 : Retirés. Chef d’accusation 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 2000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Richard, 2012 CM 4005

 

Date :  20120208

Dossier :  201148

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Ex-matelot de 2e classe J.S.L. Richard, contrevenant

 

Devant :  Lieutenant-Colonel J-G Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Ex-matelot de 2e classe Richard, vous avez initialement été accusé de l’infraction de voies de fait énoncée à l’article 266 du Code criminel du Canada, de l’infraction d’ivresse énoncée à l’article 97 de la Loi sur la défense nationale, de l’infraction de conduite d’un véhicule à moteur avec capacité affaiblie énoncée à l’alinéa 253(1)a) du Code criminel du Canada et l’infraction de défaut de respecter une condition imposée sous le régime de la section 3, énoncée la Loi sur la défense nationale. Sur consentement de la cour, la poursuite a abandonné trois de ces accusations. Après avoir accepté et consigné votre aveu de culpabilité au deuxième chef d’accusation – ivresse – la cour vous déclare à présent coupable de cette infraction, et elle doit rendre une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               Le sommaire des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits y énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l’infraction.

 

 

[3]               Au cours de la soirée du 13 novembre 2010, l’ex-matelot de 2e classe Richard était dans sa chambre au troisième étage du Bernay’s Block, à la base Esquimalt des Forces armées canadiennes, en compagnie de sa petite amie, qui venait de l’extérieur de la ville et qui devait passer la nuit à sa chambre. L’ex-matelot de 2e classe Richard a consommé cinq « grosses » bières dans sa chambre puis il a quitté l’immeuble avec sa petite amie vers 22 h. Il a conduit sa voiture pour se rendre au Tudor House, un débit de boisson du voisinage. Ils y ont passé entre trois et quatre heures, et encore plus d’alcool y a été consommé. L’ex-matelot de 2e classe Richard a bu au moins deux bouteilles de bière, plusieurs grands verres de bière en fût et au moins un verre de tequila. Il était alors en état d’ébriété et il s’est disputé avec son amie au sujet de sa capacité de conduire pour retourner à sa chambre. Il l’a convaincue qu’il pouvait conduire et elle est montée avec lui dans la voiture.

 

[4]               Pendant le trajet du retour, l’ex-matelot de 2e classe Richard avait beaucoup de mal à conduire. À un certain moment, son amie a dû saisir le volant et diriger l’auto pour éviter une collision avec des véhicules garés en bordure de la route. Ils ont fini par arriver au Bernay’s Block sans autre incident.

 

[5]               Arrivés à la chambre, ils se sont disputés parce qu’il avait conduit après avoir consommé de l’alcool, puis la dispute a rapidement gagné en intensité, au point où l’ex‑matelot de 2e classe Richard a sommé son amie de s’en aller. Elle a refusé parce qu’elle n’avait nulle part où aller dormir, et il a alors commencé à rassembler ses effets et à les mettre dans sa valise. Elle lui a opposé de la résistance, et il y a eu des contacts physiques mineurs entre eux pendant qu’il emplissait la valise. Il a ensuite voulu ouvrir la porte pour sortir la valise de la chambre, mais elle a refermé la porte. Cela s’est répété plusieurs fois au cours de sa tentative de chasser son amie hors de sa chambre avec ses bagages.

 

[6]               Puis, l’ex-matelot de 2e classe Richard l’a poussée et elle est tombée à la renverse sur le lit. Il s’en est ensuite approché, lui a enserré la gorge puis lui a maintenu les poignets. Elle s’est défendue en le poussant, en l’attrapant par le cou et en le jetant au sol tout en lui disant de se clamer. Elle ne s’est pas sentie en danger, mais elle s’est sentie désemparée et impuissante par moment. Après l’avoir immobilisé, elle a décidé qu’il valait mieux partir de la chambre. C’est alors qu’il a changé d’avis et a voulu qu’elle reste. Elle a tenté plusieurs fois d’ouvrir la porte, mais il la refermait en lui disant de rester et en lui rappelant qu’elle n’avait nulle part ailleurs où aller dormir. La discussion s’est poursuivie. Vers 2 h 45, elle a réussi à ouvrir la porte et à avancer dans le couloir; l’ex-matelot de 2e classe Richard l’a saisie par le bras et a tenté de la convaincre de rester.

 

[7]               Le bruit a réveillé un voisin qui dormait dans une chambre voisine. Entendant une porte s’ouvrir et se fermer rapidement, des éclats de voix et des pleurs de femme, il a pensé que quelqu’un était en danger et a communiqué avec les services d’urgence. La police militaire a donné suite à l’appel, et le maître de 2e classe Tucker s’est rendu au troisième étage de l’immeuble où il a aperçu l’ex-matelot de 2e classe Richard tenant le bras de sa petite amie bouleversée et en larmes, qui criait [traduction] « lâche-moi, lâche-moi ». Le maître de 2e classe a maîtrisé l’ex-matelot de 2e classe Richard au moyen d’un dispositif d’immobilisation mécanique et l’a installé sur la banquette arrière de la voiture de patrouille.

 

[8]               Pendant sa détention, cette nuit-là, l’ex-matelot de 2e classe Richard a continué d’agir de façon agressive et agitée, abreuvant les agents de la police militaire de jurons et refusant d’obéir aux directives du personnel du poste de garde. Ce comportement s’est poursuivi pendant plusieurs heures jusqu’à ce qu’il s’endorme.

 

[9]               Son amie n’a pas été blessée pendant l’incident, mais en recourant à la force pour se défendre elle a infligé plusieurs ecchymoses au cou et à la poitrine de l’ex‑matelot de 2e classe Richard.

 

[10]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins, lorsqu’il y en a, et c’est l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doive remplir (voir R c Tupper 2009 CACM 5, paragraphe 13).

 

[11]           La Cour d’appel de la cour martiale a indiqué que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine énoncés au Code criminel du Canada[1] s’appliquent au système de justice militaire et que le juge militaire doit en tenir compte au moment de décider de la peine à infliger (voir R c Tupper, paragraphe 30). La détermination de la peine a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a.                   dénoncer le comportement illégal;

 

b.                  dissuader le délinquant et toute autre personne de commettre des infractions;

 

c.                   isoler au besoin le délinquant du reste de la société;

 

d.                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e.                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f.                   susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[12]           La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces facteurs.

 

[13]           Les dispositions du Code criminel en matière de détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, établissent un processus individualisé au cours duquel la cour doit tenir compte, en plus des circonstances de l’infraction, de la situation particulière du contrevenant (voir R c Angelillo 2006 CSC 55, paragraphe 22). La peine doit également être semblable aux autres peines appliquées en de semblables circonstances (voir R c L.M. 2008 CSC 31, paragraphe 17). Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak 2010 CSC 6, paragraphe 41). La Cour suprême du Canada y indique que le principe de proportionnalité exige que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[14]           La cour doit également infliger une peine qui soit la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. La peine vise essentiellement à rétablir la discipline chez le délinquant et dans la collectivité militaire, car la discipline est une condition fondamentale de l’efficacité opérationnelle de toute force armée.

 

[15]           La poursuite et votre avocat ont tous deux proposé que vous soyez condamné à une réprimande et à une amende de 2 000 $. La Cour d’appel de la cour martiale a expressément statué que le juge appelé à prononcer une peine ne doit s’écarter de la recommandation conjointe des avocats que si la peine proposée est de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas dans l’intérêt public.

 

[16]           J’exposerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes que j’ai prises en compte dans la détermination de la sentence appropriée en l’espèce. J’estime que les circonstances suivantes sont de nature aggravante.

 

 

a.                   Vous avez une fiche de conduite. Vous vous êtes absenté sans permission les 15 et 23 mars 2011. À l’issue d’un procès sommaire tenu le 14 avril 2011, vous avez été condamné à une amende de 400 $. L’alcool était en cause dans ces absences.

 

b.                  Vous avez fait preuve d’irresponsabilité et vous avez constitué un danger pour autrui en conduisant votre véhicule du Tudor House au Bernay’s Block. Vous vous êtes montré violent et, bien qu’il semble que vous ayez subi plus de blessures que vous n’en avez infligé à votre amie, vous l’avez agressée. Sans approuver d’aucune façon votre comportement à l’endroit de votre amie, je suis d’avis que la preuve soumise au procès ne me permet pas de conclure que cette situation relève de la définition de violence en milieu familial au sens de la DOAD 5044-4. Vous avez continué à vous montrer violent envers la police militaire et vous avez manqué de respect envers vos gardiens jusqu’à ce que vous vous endormiez.

 

[17]           Pour ce qui est des circonstances atténuantes, je relève ce qui suit.

 

a.                   Je conviens avec votre avocat qu’objectivement cette infraction est l’une des moins graves que prévoit le Code de discipline militaire. Vous avez reconnu votre culpabilité, et un plaidoyer de culpabilité est généralement considéré comme une circonstance atténuante. De façon générale, on considère que cette interprétation n’est pas en contradiction avec le droit au silence de l’accusé ni avec son droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre lui, mais constitue plutôt un moyen pour les tribunaux d’infliger une peine plus clémente, l’aveu de culpabilité signifiant habituellement qu’il n’y aura pas de témoins à assigner, ce qui réduit de beaucoup les coûts associés aux procédures judiciaires. L’aveu est généralement vu aussi comme un signe que l’accusé est disposé à assumer la responsabilité des actes illicites et du tort qui en a résulté.

 

b.                  Vous avez volontairement suivi un programme pour trouble lié à la toxicomanie au centre Edgewood, et je vois dans les rapports déposés comme pièces 11 et 12 que vous avez commencé à consommer pendant votre adolescence. Vous avez toute une côte à remonter. Il est à espérer que vous comprenez à présent dans quelle situation néfaste vous vous trouvez et que vous consentirez les efforts nécessaires pour vivre une vie libérée de la dépendance à l’alcool ou la drogue. Vous avez déposé devant la Cour un engagement de sobriété (voir la pièce 13). Un tel engagement ne vaut pas l’encre ayant servi à l’écrire si vous n’avez pas la volonté d’améliorer votre existence.

 

c.                   Vous avez été libéré pour le motif énoncé au numéro 5f, et votre problème de dépendance est la cause de cette mesure de libération administrative.

 

d.                  Bien que la question du temps mis à vous traduire en justice n’ait été abordée par aucun des avocats, la cour la leur a signalée. La poursuite a fourni quelques explications à ce sujet. De longs délais nuisent autant aux fins disciplinaires qu’aux fins de la justice militaire. Ils ont souvent, en outre, un effet négatif sur le délinquant. Puisque la question n’a été soulevée par aucun des avocats, je ne considérerai pas le délai comme une circonstance atténuante.

 

[18]           Je partage l’avis de la poursuite que les principes à appliquer en l’espèce en matière de peine sont ceux de la dénonciation et de la dissuasion. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, la jurisprudence et les observations soumises par la poursuite et par votre avocat, j’en viens à la conclusion que la peine proposée ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle sert l’intérêt public En conséquence, je souscris à la recommandation conjointe de la poursuite et de votre avocat.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

 

[19]           vous DÉCLARE, ex-matelot de 2e classe Richard, coupable du deuxième chef d’accusation, fondé sur l’article 97 de la Loi sur la défense nationale,

 

[20]           vous CONDAMNE à une réprimande et à une amende de 2 000 $.


Avocats :

 

Capitaine de corvette D. Reeves, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette M.P. Létourneau, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de l’ex-matelot de 2e classe J.S.L. Richard



[1] L.R. 1985, ch. C-46

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