Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 13 février 2012

Endroit : BFC Edmonton, Édifice 407, Installation d’entraînement et d’apprentissage, chemin Korea, Edmonton (AB)

Chefs d'accusation
•Chefs d’accusation 1,2 : Art. 130 LDN, emploi d’un document contrefait (art. 368(1)a) C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable d’avoir commis un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux arts. 73 à 128 de la Loi sur la défense nationale, art. 117f) LDN, conformément à l’ORFC 112.25(2)d). Chef d’accusation 2 : Retiré.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 1000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Collins, 2012 CM 4006

 

Date:  20120213

Dossier:  201136

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes, Edmonton

Edmonton (Alberta), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent C.P. Collins, contrevenant

 

 

Devant :  Lieutenant-Colonel J-G Perron, J.M.

 


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Sergent Collins, vous avez initialement été accusé de deux chefs relatifs à l’infraction d’emploi d’un document contrefait énoncée à l’alinéa 368(1)a) du Code criminel du Canada. La poursuite a acquiescé au dépôt d’un aveu de culpabilité à une infraction moindre à l’égard de faits différant substantiellement de ceux qui sont allégués dans l’exposé des détails du chef d’accusation no 1. Sur consentement de la cour, la poursuite a retiré le chef d’accusation no 2.

 

[2]        Après avoir accepté et consigné votre aveu de culpabilité à l’égard du chef d’accusation no 1 fondé sur l’alinéa 117f) de la Loi sur la défense nationale , à savoir la perpétration d’un acte de caractère frauduleux non expressément visé aux articles 73 à 128, la cour vous déclare à présent coupable de cette infraction, et elle doit maintenant rendre une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[3]        Le sommaire des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits y énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l’infraction.

 

[4]        Le Sergent Collins était membre de la Force de réserve et il travaillait comme commis de soutien à la gestion des ressources (SGR), classe « B » – emploi à temps plein, à l’état‑major du 1 GSS à Edmonton. Suivant ses conditions d’emploi, il avait le grade de caporal bien que, dans les faits, il ait eu celui de caporal‑chef. Il était en poste à la base d’Edmonton, mais sa femme, qui était à sa charge, était demeurée à l’Île‑du‑Prince‑Édouard. 

 

[5]        En octobre 2008, le sergent Collins a présenté une demande pour que lui soit versé la différence entre l’indemnité de service temporaire qu’il touchait depuis les huit derniers mois et l’indemnité pour affectation temporaire plus élevée qu’il aurait dû recevoir. 

 

[6]        Le 3 octobre 2008, il a demandé une avance de fonds publics de 1 800 $ sur ce versement, qu’il a obtenue. Il a contrefait la signature du caporal Pelletier sur le formulaire de demande du 3 octobre 2008 (voir pièces 7 et 8). Il a présenté une autre demande d’avance de 1 800 $ le 9 octobre 2008; ce formulaire était signé par le caporal Pelletier (voir pièce 9). Le 28 octobre 2008, il a présenté une troisième demande d’avance, d’un montant de 1 200 $, et il l’a obtenue. Il avait encore une fois contrefait la signature du caporal Pelletier sur le formulaire en date du 28 octobre 2008 (voir pièces 7 et 10).

 

[7]        Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins, lorsqu’il y en a, et c’est l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doive remplir (voir R c Tupper 2009 CACM 5, paragraphe 13). 

 

[8]        La Cour d’appel de la cour martiale a statué que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine énoncés au Code criminel du Canada[1] s’appliquent au système de justice militaire et que le juge militaire doit en tenir compte au moment de décider de la peine à infliger (voir R c Tupper, paragraphe 30) :

Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants : 

 

a)                            dénoncer le comportement illégal;

 

b)            dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)                             isoler au besoin les délinquants du reste de la société;

 

d)                            favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e)                             assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

 

f)             susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[9]        La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces facteurs.

 

[10]      Les dispositions du Code criminel en matière de détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, établissent un processus individualisé au cours duquel la cour doit tenir compte, en plus des circonstances de l’infraction, de la situation particulière du contrevenant (voir R c Angelillo 2006 CSC 55, paragraphe 22). La peine doit également être semblable aux autres peines appliquées en de semblables circonstances (voir R c L.M. 2008 CSC 31, paragraphe 17). Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak 2010 CSC 6, paragraphe 41). La Cour suprême du Canada y indique que le principe de proportionnalité exige que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[11]      La cour doit également infliger une peine qui soit la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. La peine vise essentiellement à rétablir la discipline chez le délinquant et dans la collectivité militaire. 

 

[12]      La poursuite et votre avocat ont tous deux proposé que vous soyez condamné à un blâme et à une amende de 1 000 $, payable en 20 versements mensuels de 50 $.  La Cour d’appel de la cour martiale a statué que le juge appelé à prononcer une peine ne doit s’écarter de la recommandation conjointe des avocats que si la peine proposée est de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas dans l’intérêt public.

 

[13]      J’exposerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes que j’ai prises en compte dans la détermination de la sentence appropriée en l’espèce. J’estime que les circonstances suivantes sont de nature aggravante.

 

(a)                Vous avez servi dans la Force régulière de 1979 à 1995 comme commis SGR. Vous vous êtes enrôlé dans la Force de réserve en 1997 où vous avez travaillé comme commis, principalement de classe « B » ou « C », jusqu’en 2009. Vous n’êtes plus en service actif depuis 2009. La poursuite a tout à fait raison de dire que vous étiez bien placé pour savoir qu’il ne fallait pas agir ainsi. Vous êtes un commis SGR et vous savez comment il est important de remplir les formulaires avec honnêteté et intégrité, en particulier lorsque des fonds publics sont en jeu. Les Forces canadiennes ont mis en place de nombreuses mesures de contrôle pour faire en sorte que les fonds publics soient utilisés conformément aux lois, règlements et politiques applicables.

 

(b)               C’est pourquoi, tout acte de nature frauduleuse est habituellement considéré comme objectivement grave. J’estime que la décision Soldat M.J. St. Jean et Sa Majesté la Reine CMAC 429 de la Cour d’appel de la cour martiale, même si elle portait sur l’appel d’un verdict et d’une condamnation pour une infraction de fraude visée au paragraphe 380(1) du Code criminel, renferme, au paragraphe 22, des commentaires pertinents pour la présente espèce :

 

.... Dans un organisme public aussi grand et complexe que les Forces armées canadiennes, qui possède un budget considérable, qui gère une quantité énorme d'équipement et de biens de l'État et qui met en application une multitude de programmes divers, la direction doit inévitablement pouvoir compter sur le concours et l'intégrité de ses employés. Aucune méthode de contrôle, si efficace qu'elle puisse être, ne peut remplacer l'intégrité du personnel auquel la direction accorde toute sa confiance. Un abus de confiance telle la fraude est souvent très difficile à découvrir et les enquêtes qui y ont trait sont dispendieuses. Les abus de confiance minent le respect du public envers l'institution et ont pour résultat la perte de fonds publics. Les membres des Forces armées qui sont déclarés coupables de fraude, et les autres membres du personnel militaire qui pourraient être tentés de les imiter, devraient savoir qu'ils s'exposent à des sanctions qui dénonceront de façon non équivoque leur comportement et leur abus de la confiance que leur témoignaient leur employeur de même que le public et les dissuaderont de se lancer dans ce genre d'activités.

 

(c)                Il appert de la preuve soumise à la cour que vous aviez droit à une certaine somme, soit la différence entre l’indemnité de service temporaire que vous touchiez depuis huit mois et l’indemnité pour affectation temporaire plus élevée que vous auriez dû recevoir. Vous avez falsifié la signature du caporal Pelletier par deux fois pour toucher 3 000 $.

 

(d)               La preuve n’indique pas, en fait, si vous aviez droit ou non aux sommes que vous avez reçues. Elle n’indique pas non plus si vous avez déjà fraudé le ministère de la Défense nationale. Vous n’êtes pas coupable de fraude, mais vous l’êtes d’un acte de caractère frauduleux.

 

(e)                Le point important en l’espèce est que vous avez intentionnellement falsifié un document officiel pour obtenir des fonds publics. Vous avez ainsi abusé de la confiance et du crédit que les Forces canadiennes vous accordaient. Il s’agit d’une infraction objectivement grave, mais je ne puis souscrire à l’affirmation de la poursuite voulant qu’elle soit aussi subjectivement grave. Je ne dispose pas des éléments de preuve qui me permettraient d’établir clairement la gravité subjective de l’infraction.

 

[14]      La poursuite a également affirmé que la présente espèce est moins grave que les trois affaires qu’elle a citées à la cour. Je conviens que ces trois affaires – Matelot de 1re classe Merriam (Cour martiale permanente), Caporal-chef Louis (Cour martiale permanente) et Caporal Buck (Cour martiale permanente) – sont plus graves puisque les contrevenants avaient effectivement fraudé la Couronne de sommes substantielles (environ 9 100 $, 6 000 $ et 5 000 $, respectivement). Ces affaires renseignent la cour au sujet des faits et circonstances qui ont été pris en compte par les juges appelés à rendre une sentence dans d’autres affaires où il y a eu aveu de culpabilité à une infraction visée à l’alinéa 117f).

 

[15]      Je conviens avec la défense que la présente affaire diffère passablement des trois affaires susmentionnées du fait que la preuve n’établit pas qu’il y a eu détournement de fonds publics, mais uniquement qu’il y a eu falsification de deux formulaires de demande. La cour n’approuve pas la conduite du contrevenant, mais elle doit établir une peine en fonction de ce qu’il a fait, non de ce qu’il pourrait avoir fait.

 

[16]      Pour ce qui est des circonstances atténuantes, je relève ce qui suit.

 

(a)                Vous n’avez pas de fiche de conduite.

 

(b)               Il s’agit de votre première infraction.

 

(c)                Vous avez avoué avoir contrefait la signature du caporal Pelletier sur deux formulaires de demande d’avance comptable de fonds publics. 

 

[17]      Un plaidoyer de culpabilité est généralement considéré comme une circonstance atténuante. De façon générale, on considère que cette interprétation n’est pas en contradiction avec le droit au silence de l’accusé ni avec son droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre lui, mais constitue plutôt un moyen pour les tribunaux d’infliger une peine plus clémente, l’aveu de culpabilité signifiant habituellement qu’il n’y aura pas de témoins à assigner, ce qui réduit de beaucoup les coûts associés aux procédures judiciaires. L’aveu est généralement vu aussi comme un signe que l’accusé est disposé à assumer la responsabilité des actes illicites et du tort qui en a résulté.

 

[18]      Il appert que la présente affaire a demandé un enquête longue et complexe. La poursuite a indiqué à la cour que des irrégularités avaient été découvertes en 2009, que l’affaire était complexe et que l’enquête a été compliquée. L’avocat de la défense a parlé d’une vaste enquête. L’inculpation a eu lieu en novembre 2010 et l’acte d’accusation a été déposé en juin 2011. Le deuxième acte d’accusation a été déposé en janvier 2012. La poursuite a informé la cour qu’elle a tenu compte de ce délai lorsqu’elle s’est entendue avec la défense sur une recommandation conjointe.

 

[19]      L’avocat de la défense a informé la cour, avec le consentement de la poursuite, que l’épouse du sergent Collins souffre de dépression et que le délai a eu des effets négatifs pour cette dernière et pour le sergent. J’ai pris en compte les commentaires des avocats et je considérerai donc le délai comme une circonstance atténuante.

 

[20]      Vous travaillez à présent pour le Corps canadien des commissionnaires comme directeur régional adjoint. L’avocat de la défense a indiqué à la cour que vos dépenses mensuelles excèdent vos revenus nets en partie à cause des frais médicaux de votre épouse. Celle‑ci ne travaille pas pour le moment, mais vous espérez qu’elle sera bientôt en mesure de le faire.

 

[21]      Sergent Collins, je partage l’avis de la poursuite que les principes à appliquer en l’espèce en matière de peine sont ceux de la dénonciation et de la dissuasion générale. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, la jurisprudence et les observations soumises par la poursuite et par votre avocat, j’en viens à la conclusion que la peine proposée ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle sert l’intérêt public. En conséquence, je souscris à la recommandation conjointe de la poursuite et de votre avocat.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[22]      CONDAMNE le sergent Collins à un blâme et à une amende de 1 000 $, payable à raison de 20 versements mensuels de 50 $, à compter du 1er mars 2012.

 


 

Avocats :

 

Major J.E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Berntsen, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du sergent C.P. Collins



[1] L.R. 1985, ch. C-46

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