Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 2 avril 2012

Endroit : Régiment de Maisonneuve, 691 rue Cathcart, Montréal (QC) et Garnison Saint-Jean, Richelain (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 6 : Art. 130 LDN, un abus de confiance par un fonctionnaire public.
•Chefs d'accusation 5, 7 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 5, 6 : Coupable. Chefs d'accusation 4, 7 : Non coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de caporal.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Boudreau, 2012 CM 4007

 

Date : 20120412

Dossier : 201155

 

Cour martiale permanente

 

Garnison Saint-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.J.C. Boudreau, accusé

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

[1]               Sergent Boudreau, levez vous. Vous êtes accusé de cinq chefs d'accusation déposés en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, soit des abus de confiance par un fonctionnaire contrairement à l'article 122 du Code Criminel du Canada, et de deux chefs d'accusation déposés en vertu de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit des comportements préjudiciables au bon ordre et à la discipline. La poursuite n'ayant pas présenté de preuve quant au quatrième chef d'accusation, la cour vous déclare non coupable de ce chef d'accusation.

 

[2]               La preuve produite durant le présent procès se compose des faits et questions dont la cour a pris judiciairement connaissance selon l'article 15 des Règles militaires de la preuve, de 21 pièces et des témoignages du caporal-chef Proulx, de madame Guilbert, du matelot de 1re classe Brodeur, de madame Champagne, de madame Leger-Gallegos, du caporal-chef Paquet, du sergent Potvin, du sergent Méthot, de l'adjudant-maître Soucy, de l'adjudant Delage, du sous-lieutenant Lavoie et du sergent Boudreau.

 

[3]               Avant que la cour ne procède à l'analyse juridique des chefs d'accusation, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable, une norme de preuve qui est liée aux principes fondamentaux applicables à tous les procès criminels. Si ces principes sont bien connus des avocats, ils ne le sont peut-être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d'audience.

 

[4]               Il est juste de dire que la présomption d'innocence est le principe le plus fondamental de notre droit pénal et que le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d'innocence. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal, toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n'a pas à prouver qu'il est innocent, c'est à la poursuite qu'il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l'infraction. L'accusé est présumé innocent tout au long de son procès jusqu'à ce que le juge des faits rende un verdict.

 

[5]               La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s'applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentée par la poursuite, mais plutôt à l'ensemble de la preuve sur laquelle se fonde la poursuite pour établir la culpabilité de l'accusé. Il incombe à la poursuite de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l'accusé mais jamais à l'accusé de prouver son innocence. Un tribunal doit déclarer un accusé non coupable s'il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir examiné l'ensemble de la preuve. Essentiellement, un doute raisonnable n'est pas un doute imaginaire ou frivole, il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui surgit à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. L'accusation portée contre un individu ne préjuge en rien de sa culpabilité.

 

[6]                Dans l'arrêt R c Starr, [2000] 2 RCS 144, la Cour suprême a statué que:

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu'elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités....

 

[7]               Par contre, il faut se rappeler qu'il est pratiquement impossible de prouver quoique ce soit avec une certitude absolue. La poursuite n'est pas tenue de le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n'existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l'accusé hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si le tribunal est convaincu que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, il doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[8]               Qu'entendons-nous par la preuve? La preuve peut comprendre les témoignages sous serment ou des déclarations solennelles de personnes appelées à témoigner sur ce qu'elles ont vu ou fait. Il n'est pas rare que des éléments de preuve présentés au tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d'un fait et le tribunal doit déterminer quels sont les éléments qu'il juge crédibles. La crédibilité n'est pas synonyme de vérité et l'absence de crédibilité n'est pas synonyme de mensonge. De nombreux facteurs doivent être pris en compte dans l'évaluation que le tribunal fait de la crédibilité d'un témoin. Par exemple, le tribunal évaluera la possibilité qu'a eu le témoin d'observer ou les raisons qu'il a de se souvenir. Il se demandera par exemple si une chose en particulier a aidé le témoin à se souvenir des détails d'un événement qu'il a décrit, si les faits étaient remarquables, inhabituels, et frappants ou, au contraire, insignifiants et, par conséquent, tout naturellement plus difficile à se remémorer. Le témoin a-t-il un intérêt dans l'issue du procès, en d'autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense ou est-il impartial? Ce dernier facteur s'applique de manière quelque peu différente à l'accusé. Bien qu'il soit raisonnable de présumer que l'accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé mentira lorsqu'il décide de témoigner.

 

[9]               Un autre élément permet de déterminer la crédibilité, la capacité apparente du témoin à se souvenir. On peut observer l'attitude du témoin pendant sa déposition pour évaluer sa crédibilité. Il faut se demander si le témoin a répondu aux questions avec naturel, si ses réponses étaient précises ou évasives ou encore hésitantes, s'il argumentait, et enfin, si son témoignage était cohérent et compatible avec les faits non contestés. Un témoignage peut comporter, et en fait comporte toujours, des contradictions mineures et involontaires mais cela ne doit pas nécessairement conduire à l'écarter. Il en va autrement d'un mensonge qui constitue toujours un acte grave et peu entacher le témoignage en tout ou en partie. Le tribunal n'est pas tenu d'accepter le témoignage d'une personne à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible cependant il jugera un témoignage digne de foi à moins d'avoir une raison de ne pas le croire.

 

[10]           Les critères énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt R c W.(D.), [1991] 1 RCS 742, peuvent être appliqués dans leur intégralité puisque l'accusé, le sergent Boudreau, a témoigné. Dans cet arrêt, la Cour suprême a défini ces critères de la manière suivante :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

Troisièmement, même si vous n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

[11]           La preuve indique clairement que le sergent Boudreau était un technicien médical employé au Centre de recrutement des Forces canadiennes à Montréal de 2003 à 2009 et qu'il devait faire des examens médicaux de recrutement aux postulants et postulantes.

 

[12]           Le sergent Boudreau a estimé qu'il aurait examiné de 7,000 à 8,000 individus au Centre de recrutement entre 2003 et 2009 et qu'environ 10 à 15 pourcent de ces personnes étaient des femmes, donc il aurait examiné de 700 à 1,200 femmes au cours de cette période. Il a admis qu'il avait la tendance de choisir des candidates mais n'a fourni aucune explication à ce sujet. Il indiquait aux candidates de se dévêtir, de garder leurs sous-vêtements et de mettre une jaquette. Il admet qu'il indiquait à la candidate qu'elle devait enlever son soutien-gorge si celle-ci lui demandait si ceci était nécessaire. Il admet qu'il ne mentionnait pas l'utilisation du rideau et qu'il laissait à la guise du postulant ou de la postulante de tirer le rideau quand il ou elle se changeait. Il estime que moins de 10 pourcent des gens utilisaient le rideau. Il dit ne pas savoir pourquoi les gens n'utilisaient pas le rideau. Alors de 600 à 1,000 femmes se seraient déshabillées sans avoir utilisé le rideau alors qu'il était dans la salle d'examen.

 

[13]           Le sergent Boudreau affirme qu'il procède à l'examen médical de la même manière qu'il s'agisse d'une femme qui porte un soutien-gorge ou pas. Il n'offre pas de jaquette aux hommes et il demande qu'aux femmes si elles veulent un chaperon. Il indique que personne n'a demandé de chaperon.

 

[14]           Il témoigna qu'il demandait à la postulante de lever la jaquette jusqu'à la moitié du corps quand il examinait l'abdomen. Il levait la jaquette à quatre reprises et regardait où il allait poser son stéthoscope quand il auscultait le coeur. Il voyait donc les seins de la postulante si elle ne portait pas un soutien-gorge. Il passait toujours par le bas de la jaquette car il trouvait cette façon plus facile car le col de la jaquette était attaché et donc plus serré.

 

[15]           Il admet avoir fait l'examen médical de chaque plaignante bien qu'il ne se souvient pas de ces examens médicaux. Il ne reconnaît aucune plaignante. Il affirme que ces erreurs de jugement de sa part se limitent qu'au nombre de plaignantes. Ce comportement n'aurait débuté que le 26 juin 2007, soit l'examen médical de madame Guilbert. Il ne peut identifier un élément déclencheur pour ce comportement. Il avoue qu'il avait des remords après chaque incident et qu'il se demandait pourquoi il faisait cela. Il ne pense pas qu'il commettrait ces erreurs de jugement de nouveau compte tenu de ce qui s'est passé.

 

[16]           Bien qu'il témoigne qu'il ne se souvient pas d'avoir reçu la pièce 15, le courrier électronique de l'adjudant-maître Corriveau en date du 12 avril 2007, il admet qu'il l'a probablement reçu. Il comprend bien le courrier électronique du capitaine Zeindler qui est joint au courrier électronique de l'adjudant-maître Corriveau. Il confirme qu'il se souvient d'avoir reçu de l'information en ce qui a trait au courrier électronique du capitaine Zeindler.

 

[17]           Au cours de son contre-interrogatoire, le sergent Boudreau a confirmé qu'on n'avait jamais fait retirer un soutien-gorge et que le rideau était tiré lors de sa période de formation au centre de recrutement en 2003. Le sergent Geoffroy, celui qui l'entraînait en 2003, se plaçait devant la postulante lors des push-ups.

 

[18]           Il admet qu'une candidate doit conserver ses sous-vêtements lors de l'examen médical, que le respect de l'intimité de la personne fut abordé durant sa formation ainsi que le besoin d'utiliser le rideau ou de quitter la salle quand le postulant ou la postulante se changeait. Il confirme que l'intimité du patient est fondamentale et que ceci est enseigné lors de son cours de base de technicien médical. Bien qu'il indique que le choix d'utiliser le rideau était laissé à la postulante ou au postulant; il convient que le sergent Geoffroy l'utilisait et ne laissait pas ce choix au postulant ou à la postulante et que la politique ne laissait pas ce choix au postulant ou à la postulante.

 

[19]           Compte tenu de l'ensemble de la preuve, la cour est d'avis que le sergent Boudreau n'est pas un témoin crédible. Bien que la cour le croit quand il dit avoir des remords, la cour est d'avis qu'il cherche à minimiser ses actes. Il admet avoir fait la présélection de postulantes, au point où le caporal-chef Paquet et le sergent Méthot s'en sont rendues compte, mais il ne peut expliquer ce comportement et a même essayé durant son contre-interrogatoire de préciser que ceci ne se faisait que vers la fin et que ceci ne signifiait pas qu'il examinait plus de postulantes que les autres sergents.

 

[20]           Il fut en accord avec le procureur qu'il ne peut contredire les plaignantes puisqu'il ne se souvient pas de ces examens. Il est aussi en accord avec le procureur que sa pratique de lever la jaquette et de regarder où il place son stéthoscope et donc de voir les seins, bien que plus facile, n'assure pas l'intimité de la patiente. Il n'a jamais demandé à une postulante d'enlever son soutien-gorge alors qu'il était sous la supervision du sergent Geoffroy.

 

[21]           Il se dit daltonien, donc la raison qu'il ne se souvient pas de la couleur du rideau dans son bureau, mais il peut se souvenir de la couleur des murs en précisant qu'il y a une différence entre un mur et un rideau. Il indique aussi que le rideau n'est pas un souvenir important pour lui.

 

[22]           Il affirme qu'il n'y aurait pas d'autres situations où il aurait fait enlever le soutien-gorge mais comment peut-il affirmer ceci puisqu'il ne se souvient pas des plaignantes et que bien qu'il a avoué lors de son entrevue avec l'enquêteur du Service national des enquêtes que ce comportement n'avait débuté que lors de sa dernière année au centre de recrutement, soit de septembre 2008 à septembre 2009, le chef d'accusation numéro 1 est en date du 26 juin 2007. Le témoignage du sergent Boudreau ne soulève pas le doute raisonnable.

 

[23]           La question que la cour doit maintenant se poser est à savoir si la preuve acceptée par la cour lui occasionne un doute raisonnable quant à la culpabilité de l'accusé. Pour ce faire, la cour doit examiner les éléments essentiels de l'infraction.

 

[24]           La cour doit déterminer si la poursuite a prouvé tous les éléments essentiels de chaque infraction au-delà du doute raisonnable. Les éléments essentiels des chefs d'accusation 1, 2, 3, et 6 sont les suivants (voir para 58 de R c Boulanger, 2006 CSC 32) :

 

a)                  l'identité du contrevenant;

 

b)                  la date et le lieu de l'infraction;

 

c)                  que le sergent Boudreau était un fonctionnaire;

 

d)                 que le sergent Boudreau agissait dans l'exercice de ses fonctions;

 

e)                  que le sergent Boudreau a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi;

 

f)                   que la conduite du sergent Boudreau représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait ce poste de confiance; et

 

g)                  que le sergent Boudreau a agi dans l'intention d'user de sa charge ou de son emploi public à des fins autres que l'intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d'abus.

 

[25]           La preuve accepté par la cour et non contestée par l'accusé prouve hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l'identité du contrevenant, les dates et les lieux des infractions.

 

[26]           L'article 118 du Code criminel définit fonctionnaire ainsi « Personne qui, selon le cas : a) occupe une charge ou en emploi; b) est nommée ou élue pour remplir une fonction publique ». Cet article définit aussi les mots « charge » et « emploi » comme « une charge ou fonction sous l'autorité du gouvernement », « une commission civile ou militaire » et « un poste ou emploi dans un ministère public ». (aussi voir le para 5 de Boulanger)  Il est donc clair et non contesté que le sergent Boudreau était un fonctionnaire au moment des infractions alléguées.

 

[27]           Le sergent Boudreau agissait-il dans l'exercice des ses fonctions? La preuve acceptée par la cour et non contestée par l'accusé prouve hors de tout doute raisonnable que le sergent Boudreau agissait dans l'exercice de ses fonctions à titre de technicien médical au moment des infractions alléguées.

 

[28]           Est-ce que le sergent Boudreau a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge ou de son emploi? Quelles sont ces normes? La pièce 15, le courrier électronique de l'adjudant-maître Corriveau en date du 12 avril 2007 et d'un courrier du capitaine Zeindler en date du 11 avril 2007, indique que les postulants et les postulantes doivent pouvoir se dévêtir et se revêtir en toute intimité et que ceci peut se faire en utilisant un rideau ou en l'absence de l'examinateur. On doit rappeler au postulant ou postulante au début de l'examen qu'il ou elle peut demander la présence d'un chaperon. Les postulants et postulantes doivent porter leurs sous-vêtements en tout temps. Les postulants et postulantes doivent porter des shorts durant l'examen. Les postulantes doivent porter un t-shirt ou une jaquette. De plus ce document indique qu'un examen complet est important et possible en respectant la procédure décrite dans ce courrier électronique.

 

[29]           L'adjudant-maître Soucy témoigna que l'adjudant-maître Corriveau était l'adjudant-maître qui approuvait les examens médicaux et se trouvait être l'autorité sous le médecin chef recruteur, le capitaine Zeindler. Ce courrier électronique fut expédié à tous ceux responsables de faire des examens médicaux d'enrôlement. L'adjudant-maître Soucy témoigna qu'il n'y avait rien de nouveau dans ce courrier électronique et qu'il avait appris ces procédures en 2002. De plus, ces procédures étaient discutées lors des séminaires annuels. Le nom du sergent Boudreau se trouve sur la liste de distribution et il ne nie pas avoir reçu ce message. Le sergent Potvin témoigna que le contenu de la pièce 15 était connu de tous les examinateurs et qu'il s'est assuré que le sergent Boudreau et le sergent Méthot avaient pris note de ces directives. Le sergent Potvin déclara que ces politiques étaient établies depuis longue date et qu'elles ne contenaient rien de nouveau. L'adjudant Delage témoigna que les directives du médecin recruteur étaient transmises par téléphone ou par courrier électronique. Il y avait des courriers électroniques réguliers pour rafraîchir la mémoire ou prendre soin de situations précises. Ces procédures étaient les mêmes qu'il avait appris lors de son affectation au Centre de recrutement de Rimouski en 2001-2003. Le courrier électronique qui se trouve à la pièce 19 fut transmit suite à sa conversation avec madame Guilbert et sa conversation subséquente avec son superviseur à Ottawa, l'adjudant-maître Thibeault.

 

[30]           La preuve établit sans aucun doute que les postulants et postulantes devaient garder leurs sous-vêtements, c'est-à-dire leur soutien-gorge et leurs petites culottes, et devait pouvoir se changer de façon à préserver leur intimité. La pièce 15 et les témoignages de l'adjudant-maître Soucy, de l'adjudant Delage, du sergent Potvin, du sergent Méthot et du caporal-chef Paquet démontrent sans l'ombre d'un doute que l'intimité d'un postulant ou d'une postulante était primordiale et que ceci était enseigné lors des cours de base de technicien médical ainsi qu'au cours de la carrière d'un technicien médical. On pouvait assurer le respect de l'intimité de la personne en s'assurant que la personne se change derrière un rideau ou en quittant la salle et en s'assurant que la postulante garde son soutien-gorge et ses petites culottes.

 

[31]           Madame Guilbert a témoigné qu'elle s'est présentée à son examen médical vêtue de jeans, d'un t-shirt, d'un soutien-gorge et de petites culottes. Elle demanda au sergent Boudreau si elle devait enlever sa brassière et il lui répondit oui. Le rideau était ouvert. Lors de l'auscultation, il souleva sa jaquette à quatre ou cinq reprises et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait les push-ups, il était placé devant elle, regardait dans son décolleté et il pouvait voir ses seins. La cour conclut que madame Guilbert est un témoin crédible. La cour conclut que le sergent Boudreau a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge car il n'a pas obtempéré aux directives quant à l'habillement de cette postulante et au respect de son intimité.

 

[32]           Caporal-chef Proulx a témoigné qu'elle s'est présentée à son examen médical vêtue de jeans, d'un t-shirt, d'un soutien-gorge et de petites culottes. Elle demanda au sergent Boudreau pourquoi elle devait enlever son soutien-gorge et il lui répondit qu'elle devait enlever son soutien-gorge car elle avait répondu qu'elle avait eu une chirurgie au sein. Elle ferma le rideau. Lors de l'auscultation, il souleva sa jaquette et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait les push-ups, il était placé devant elle et il pouvait voir ses seins. La cour conclut que caporal-chef Proulx est un témoin crédible. La cour conclut aussi que le sergent Boudreau a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge car il n'a pas obtempéré aux directives quant à l'habillement de cette postulante et au respect de son intimité.

 

[33]           Sous-lieutenant Lavoie a témoigné qu'elle demanda au sergent Boudreau si elle devait enlever son soutien-gorge et il lui a répondu oui. Elle ne se souvient pas d'un rideau. Lors de l'auscultation, il souleva sa jaquette au moins à deux reprises et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait les push-ups, il était placé devant elle et il pouvait aussi voir ses seins. La cour conclut que sous-lieutenant Lavoie est un témoin crédible. La cour conclut que le sergent Boudreau a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge car il n'a pas obtempéré aux directives quant à l'habillement de cette postulante et au respect de son intimité.

 

[34]           Le matelot de 1re classe Brodeur a témoigné qu'elle s'est présentée à son examen médical vêtue de jeans, d'une chemise à manche courte, d'un soutien-gorge et de petites culottes. Elle demanda au sergent Boudreau si elle devait enlever son soutien-gorge et il lui répondit oui. Elle demanda de nouveau si c'était nécessaire car le document lui disait qu'elle pouvait garder ses sous-vêtements et il lui dit oui de nouveau. Elle se tourna le dos au sergent Boudreau pour se changer. Elle ne se souvient pas d'avoir vu un rideau. Lors de l'auscultation, il souleva sa jaquette et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait les push-ups, il était placé devant elle, regardait dans son décolleté et il pouvait voir ses seins. La cour conclut que le matelot de 1re classe Brodeur est un témoin crédible. La cour conclut que le sergent Boudreau a manqué aux normes de responsabilité et de conduite que lui impose la nature de sa charge car il n'a pas obtempéré aux directives quant à l'habillement de cette postulante et au respect de son intimité.

 

[35]           Est-ce que la conduite du sergent Boudreau représente un écart grave et marqué par rapport aux normes que serait censé observer quiconque occuperait ce poste de confiance? Tel qu'indiqué aux paragraphes 52 à 54 de l'arrêt Boulanger, les canadiens et canadiennes ont le droit de s'attendre à ce que les fonctionnaires s'acquittent de leurs fonctions pour le bien public. Les fonctionnaires sont donc appelés à répondre de leurs actions devant le public d'une façon qui ne s'impose pas toujours aux acteurs privés. Par contre, ceci ne signifie pas qu'ils sont tenus à la perfection et qu'ils seront déclarés coupables d'actes criminels pour de « simples erreurs » ou des « erreurs de jugement ». Le comportement fautif doit être suffisamment grave pour passer du domaine de la faute administrative à celui du comportement criminel. La gravité de ce comportement s'évalue en tenant compte des responsabilités de la charge, ou de l'emploi, et de son titulaire, de l'importance des fins publiques auxquelles elles s'attachent ainsi que de la nature et de la portée du manquement à ces responsabilités. La conduite doit donc s'écarter de façon « marquée » des normes auxquelles une personne placée dans un poste de confiance comme le sien est censée se conformer.

 

[36]           La norme visée est bien simple; soit s'assurer que l'intimité de la postulante est respectée. Comment? En s'assurant de respecter les directives qui indiquent que les postulantes doivent garder leur soutien-gorge et petites culottes, qu'elles portent leur vêtement ou une jaquette et qu'elles se changent derrière un rideau ou en l'absence de l'examinateur. Tous les témoins qui ont travaillé au Centre de recrutement de Montréal étaient pleinement au courant de cette norme. Le sergent Boudreau aussi.

 

[37]           Lors de l'auscultation de madame Guilbert, du caporal-chef Proulx, du sous-lieutenant Lavoie et du matelot de 1re classe Brodeur, le sergent Boudreau souleva leur jaquette à maintes reprises et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir leurs seins. Alors qu'elles faisaient des push-ups, il était placé devant elles, il regardait dans le décolleté et il pouvait voir leurs seins. Il a admis qu'il leur a volontairement dit d'enlever leur soutien-gorge car il voulait voir leurs seins. Il ne s'agit pas d'un accident ou d'une omission mais bien d'un acte voulu et prémédité. Il ne s'agit pas d'une simple erreur mais d'un comportement qui vise à satisfaire son désir de voir les seins des postulantes en démontrant un mépris complet pour le respect de l'intimité de la victime.

 

[38]           Le sergent Boudreau occupait une fonction importante au sein du processus d'enrôlement car il devait s'assurer que les postulantes et postulants étaient en santé et apte à répondre aux exigences physiques et psychologiques des Forces canadiennes. Les postulantes et postulants, tout comme le grand public canadien, ont le droit à s'attendre que le sergent Boudreau s'acquitte de ses fonctions pour le bien des Forces canadiennes et du Canada et non pour ses fins personnelles. Il occupait un poste de confiance et la cour en vient à la conclusion que la preuve prouve hors de tout doute raisonnable que son comportement envers chaque plaignante représente un écart « marqué » des normes auxquelles une personne placée dans un poste de confiance comme le sien est censée se conformer.

 

[39]           Est-ce que sergent Boudreau a agi dans l'intention d'user de sa charge ou de son emploi public à des fins autres que l'intérêt public, par exemple dans un objectif de malhonnêteté, de partialité, de corruption ou d'abus? La preuve démontre clairement que le sergent Boudreau a usé de sa charge à des fins personnelles. Il n'y avait aucun intérêt public à forcer les victimes à enlever leur soutien-gorge et puis regarder leurs seins durant l'examen médical. Il a abusé de la position d'autorité qu'il avait par rapport aux victimes pour satisfaire à ses besoins personnels.

 

[40]           Les éléments essentiels des chefs d'accusation 5 et 7 sont les suivants :

 

a)                  l'identité du contrevenant;

 

b)                  la date et le lieu de l'infraction;

 

c)                  l'acte ou l'omission alléguée, soit de ne pas avoir respecté le droit à l'intimité de madame Heide Leger-Gallegos pour l'accusation numéro 5 et de madame Josée Champagne pour l'accusation numéro 7 dans le cadre d'un examen médical d'enrôlement;

 

d)                 la norme de conduite exigée, soit les ordres généraux applicables dans les circonstances;

 

e)                  que vous sachiez ou aurait dû savoir la norme de conduite;

 

f)                   que l'acte constitue une violation de la norme de conduite exigée; et

 

g)                  que cette violation de la norme de conduite était préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

[41]           La preuve acceptée par la cour et non contestée par l'accusé prouve hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants : l'identité du contrevenant, les dates et les lieux des infractions.

 

[42]           Madame Leger-Gallegos témoigna qu'elle portait un soutien-gorge, des petites culottes et une jaquette lors de son examen médical. Elle s'était changée sans utiliser le rideau et le sergent Boudreau était assis à son bureau et prenait des notes. Elle se sentait mal à l'aise d'avoir à se changer devant lui. La cour conclut que madame Leger-Gallegos est un témoin crédible.

 

[43]           Madame Champagne témoigna qu'elle portait un soutien-gorge, des petites culottes, un short bleu jetable et une jaquette lors de son examen médical. Elle s'était changée derrière le rideau et le sergent Boudreau avait quitté la salle quand elle s'est changée. Elle a aussi témoigné que le sergent Boudreau aurait placé le pied de madame Champagne sur ses parties génitales alors qu'il examinait sa jambe et qu'il aurait regardé dans son short. Il aurait aussi glissé ses mains le long de ses mollets et de ses cuisses et aurait approché son visage près du sien durant cet examen des cuisses. Elle se sentait très mal à l'aise à ce moment. La cour conclut que madame Champagne est aussi un témoin crédible.

 

[44]           Quelle est la norme de conduite exigée, soit les ordres généraux applicables dans les circonstances? La pièce 15, le courrier électronique de l'adjudant-maître Corriveau en date du 12 avril 2007 et d'un courrier électronique du capitaine Zeindler en date du 11 avril 2007, indique que les postulants et les postulantes doivent pouvoir se dévêtir et se rhabiller en toute intimité et que ceci peut se faire en utilisant un rideau ou en l'absence du sergent examinateur. On doit rappeler au postulant ou postulante au début de l'examen qu'il ou elle peut demander la présence d'un chaperon. Les postulants et postulantes doivent porter leurs sous-vêtements en tout temps. Les postulants et postulantes doivent porter des shorts durant l'examen. Les postulantes doivent porter un t-shirt ou une jaquette. De plus ce document indique qu'un examen complet est important et possible en respectant la procédure décrite dans le courrier électronique.

 

[45]           L'adjudant-maître Soucy témoigna que l'adjudant-maître Corriveau était l'adjudant-maître qui approuvait les examens médicaux et se trouvait être l'autorité sous le médecin chef recruteur. L'adjudant Delage témoigna que les directives du médecin recruteur étaient transmises par téléphone ou par courrier électronique. La cour conclut que la preuve démontre hors de tout doute raisonnable que la norme de conduite exigée se trouve dans les courriers électroniques du capitaine Zeindler et de l'adjudant-maître Corriveau.

 

[46]           Est-ce que le sergent Boudreau savait ou aurait dû savoir la norme de conduite? L'adjudant-maître Soucy témoigna que ce courrier électronique fut expédié à tous ceux responsables de faire des examens médicaux d'enrôlement. De plus, ces procédures étaient discutées lors des séminaires annuels. Le nom du sergent Boudreau se trouve sur la liste de distribution et il ne nie pas avoir reçu ce message. Le sergent Potvin témoigna que le contenu de la pièce 15 était connu de tous les examinateurs et qu'il s'est assuré que le sergent Boudreau avait pris note de ces directives. La cour conclut que la preuve prouve hors de tout doute raisonnable que le sergent Boudreau était au courant de cette norme de conduite.

 

[47]           Est-ce que l'acte constitue une violation de la norme de conduite exigée? Le respect de l'intimité des postulantes et des postulants est un élément fondamental de tout examen médical et le sergent Boudreau était pleinement conscient de ceci. Le sergent Boudreau ne faisait aucun effort pour respecter l'intimité des postulantes. Il ne tirait pas le rideau et ne leur disait pas de tirer le rideau contrairement à la formation qu'il avait reçu et de la directive trouvée à la pièce 15. Le fait de ne pas avoir utilisé le rideau et de ne pas quitter la salle au moment où madame Leger-Gallegos s'est dévêtue constitue une violation de la norme de conduite exigée.

 

[48]           Bien que madame Champagne s'est senti mal à l'aise au cours de son examen médical tel qu'il fut décrit par madame Champagne, la preuve démontre que le sergent Boudreau a respecté les normes de conduite exigées.

 

[49]           Est-ce que cette violation de la norme de conduite était préjudiciable au bon ordre et à la discipline? Le paragraphe 2 de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale indique clairement que toute contravention à des ordres généraux est préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Le procureur de la poursuite n'a qu'à prouver la contravention pour ainsi prouver le préjudice causé au bon ordre et à la discipline. La cour en conclut donc que la preuve prouve hors de tout doute raisonnable que le comportement du sergent Boudreau au cours de son examen de madame Leger-Gallegos était préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[50]           PRONONCE un verdict de non culpabilité à l'égard du quatrième et septième chef d'accusation.

 

ET

 

[51]           PRONONCE un verdict de culpabilité à l'égard du premier, deuxième, troisième, cinquième et sixième chef d'accusation.


 

Avocats :

 

Major P. Doucet et Major P. Rawal, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de la poursuivante

 

Capitaine H. Bernatchez, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le sergent J.J.C. Boudreau

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