Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 2 avril 2012

Endroit : Régiment de Maisonneuve, 691 rue Cathcart, Montréal (QC) et Garnison Saint-Jean, Richelain (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2, 3, 4, 6 : Art. 130 LDN, un abus de confiance par un fonctionnaire public.
•Chefs d'accusation 5, 7 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 3, 5, 6 : Coupable. Chefs d'accusation 4, 7 : Non coupable.
•SENTENCE : Une rétrogradation au grade de caporal.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Boudreau, 2012 CM 4008

 

Date : 20120413

Dossier : 201155

 

Cour martiale permanente

 

Garnison Saint-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu, Québec, Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent J.J.C. Boudreau, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

[1]               Sergent Boudreau, suite à un procès complet la cour vous a trouvé coupable de quatre chefs d'accusation déposés en vertu de l'article 130 de la Loi sur la défense nationale, soit des abus de confiance par un fonctionnaire contrairement à l'article 122 du Code criminel du Canada, et d'un chef d'accusation déposé en vertu de l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Je dois maintenant imposer une peine appropriée et cette peine se doit d'être la peine minimale requise dans les circonstances pour assurer les fins de la discipline.

 

[2]               La Cour d'appel de la cour martiale du Canada (CACM) nous indique aux paragraphes 30 à 33 de l'arrêt  Soldat R.J. Tupper c R, 2009 CACM 5, qu'un juge militaire doit tenir compte des objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui figurent aux articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-46 (le C.cr.). La peine doit aussi être « proportionnelle à la gravité de l'infraction et au degré de responsabilité du délinquant » (voir l'article 718.1 du C.cr.) et elle doit être « semblable à celles infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables » (voir alinéa 718.2b du C.cr.). Un délinquant ne devrait pas être privé de sa liberté lorsque les circonstances justifient l'imposition de sanctions moins contraignantes.

 

[3]               L'article 718 du Code criminel se lit comme suit :

 

Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer, parallèlement à d'autres initiatives de prévention du crime, au respect de la loi et au maintien d'une société juste, paisible et sûre par l'infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)                   dénoncer le comportement illégal;

 

b)                   dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

c)                   isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

d)                   favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

e)                   assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; [et]

 

f)                    susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[4]               Le procureur de la poursuite suggère que la sentence minimale et appropriée pour ces infractions est une période d'emprisonnement de 60 jours. Il suggère que les principes de détermination de la peine les plus importants sont la dénonciation et la dissuasion spécifique et la dissuasion générale. Votre avocat, pour sa part, affirme que la sentence appropriée pour ces infractions consiste d'un blâme et d'une amende de 3,000 à 5,000 dollars. Pour déterminer ce qui constitue en l'espèce la sentence appropriée, j'ai pris en compte les circonstances qui ont entourées la commission de l'infraction telles que révélées par la preuve qui a été déposée durant le procès, votre témoignage et celui du major Voyer au cours de l'audition sur sentence, la jurisprudence et les plaidoiries des avocats. J'ai analysé ces divers éléments à la lumière des objectifs et des principes applicables en matière de la détermination de la peine.

 

[5]               Au moment des infractions, vous étiez un technicien médical employé au Centre de recrutement des Forces canadiennes à Montréal, et ceci de 2003 à 2009, et vous deviez faire des examens médicaux de recrutement aux postulants et postulantes. Les postulants et les postulantes devaient pouvoir se dévêtir et se revêtir en toute intimité et ceci pouvait se faire en utilisant un rideau ou en l'absence de l'examinateur. On devait rappeler au postulant ou postulante au début de l'examen qu'il ou elle pouvait demander la présence d'un chaperon. Les postulants et postulantes devaient porter leurs sous-vêtements en tout temps, c’est-à-dire le soutien-gorge et les petites culottes pour les postulantes. Les postulants et postulantes devaient porter des shorts durant l'examen. Les postulantes devaient porter un t-shirt ou une jaquette.

 

[6]               La première victime s'est présentée à son examen médical le 26 juin 2007 vêtue de jeans, d'un t-shirt, d'un soutien-gorge et de petites culottes. Elle demanda au sergent Boudreau si elle devait enlever sa brassière et il lui répondit oui. Le rideau était ouvert. Lors de l'examen médical, le sergent Boudreau souleva sa jaquette à quatre ou cinq reprises et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait des push-ups, il était placé devant elle, regardait dans son décolleté et il pouvait voir ses seins. La deuxième victime s'est présentée à son examen médical le 26 août 2008 vêtue de jeans, d'un t-shirt, d'un soutien-gorge et de petites culottes. Elle demanda au sergent Boudreau pourquoi elle devait enlever son soutien-gorge et il lui répondit qu'elle devait l'enlever car elle avait répondu qu'elle avait eu une chirurgie au sein. Elle ferma le rideau. Lors de l'examen médical, le sergent Boudreau souleva sa jaquette et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait des push-ups, il était placé devant elle et il pouvait voir ses seins. La troisième victime s'est présentée pour son examen médical le 9 octobre 2008. Elle demanda au sergent Boudreau si elle devait enlever son soutien-gorge et il lui répondit oui. Elle ne se souvient pas d'un rideau. Lors de l'examen médical, le sergent Boudreau souleva sa jaquette au moins à deux reprises et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait les push-ups, il était placé devant elle et il pouvait voir ses seins.

 

[7]               La quatrième victime s'est présentée pour son examen médical le 17 août 2009. Elle portait un soutien-gorge, des petites culottes et une jaquette lors de son examen médical. Elle s'était changée sans utiliser le rideau et le sergent Boudreau était assis à son bureau et prenait des notes. Elle se sentait mal à l'aise d'avoir à se changer devant lui. La cinquième victime s'est présentée pour son examen médical le 3 septembre 2009 vêtue de jeans, d'une chemise à manche courte, d'un soutien-gorge et de petites culottes. Elle demanda au sergent Boudreau si elle devait enlever son soutien-gorge et il lui répondit oui. Elle demanda de nouveau si c'était nécessaire car le document lui disait qu'elle pouvait garder ses sous-vêtements et il lui dit oui de nouveau. Elle se tourna le dos au sergent Boudreau pour se changer. Elle ne se souvient pas d'avoir vu un rideau. Lors de l'examen médical, il souleva sa jaquette et il regarda sous la jaquette. Il pouvait voir ses seins. Alors qu'elle faisait les push-ups, il était placé devant elle, regardait dans son décolleté et il pouvait voir ses seins. Ces cinq victimes étaient vêtues d'une jaquette lors de leur examen médical.

 

[8]               Ayant résumé les principaux faits de cette cause, je vais maintenant me concentrer sur la détermination de la peine. Donc, en considérant quelle sentence serait appropriée, j'ai pris en considération les facteurs aggravants et les facteurs atténuants suivants. Je débute avec les facteurs qui atténuent la peine :

 

a)                  Bien que vous n'ayez pas avoué votre culpabilité, vous avez témoigné au cours du procès et durant la phase de la détermination de la peine et vous avez admis avoir dit aux victimes d'enlever leur soutien-gorge pour ainsi voir leurs seins. Vous aviez aussi admis ceci lors de votre entrevue avec l'enquêteur du Service national des enquêtes. Habituellement, un aveu de culpabilité ou une collaboration avec les enquêteurs démontre un certain remords. Votre avocat soumet que vous avez choisi de subir un procès pour laisser la cour décider si vos actes constituent un écart marqué de la norme et donc sont criminels au lieu de simplement être un manquement de nature administrative;

 

b)                  Je vais accepter cette explication mais jusqu'à un certain point. Vous semblez ressentir un certain remords. Vous semblez avoir des regrets. Mais votre témoignage et celui des victimes m'indiquent que vous n'aviez pas de tels sentiments durant la période où vous travailliez au centre de recrutement. Le respect de l'intimité des postulantes et des postulants est un élément fondamental de tout examen médical et vous étiez pleinement conscient de ceci. Vous ne faisiez aucun effort pour respecter l'intimité des postulantes. Vous ne tiriez pas le rideau et vous ne leur disiez pas de tirer le rideau contrairement à la formation que vous aviez reçu et aux directives. Alors j'accepte qu'aujourd'hui vous avez des regrets mais ce facteur n'a pas autant de poids qu'un plaidoyer de culpabilité;

 

c)                  Vous vous êtes excusé auprès des victimes au cours de votre témoignage. Ceci fut noté par le procureur et il s'engage d'en faire part aux victimes;

 

d)                 Vous n'avez pas de fiche de conduite;

 

e)                  Il appert du témoignage de votre commandant que vous allez bientôt être libéré des Forces canadiennes. Présentement il s'agit d'une libération médicale, soit le motif 3B. Par contre, suite à ce procès, votre commandant va recommander que vous soyez libéré sous le motif 2A suite à une révision administrative. Ceci ne signifie pas que votre motif de libération sera nécessairement modifié, les autorités compétentes à Ottawa ont le dernier mot et décident du motif de libération;

 

f)                   Les procédures disciplinaires, ce procès, ainsi que la médiatisation des accusations en janvier 2011 ont sûrement un certain effet de dissuasion comme dans tout autre dossier médiatisé;

 

g)                  Votre rendement fut qualifié de bon par votre commandant et vous semblez avoir donné le rendement acceptable mais minimal. Votre anxiété, votre stress et manque de sommeil sont probablement les causes de ce rendement minimal; et

 

h)                  Il y a bien peu de chances de récidive au sein des Forces canadiennes. Il semble que vous ne chercherai pas un emploi dans le domaine de la santé suite à votre libération. Alors, bien que peu de preuve fut présentée à ce sujet, je vais considérer que le risque de récidive est bas.

 

[9]               Je vais maintenant discuter des facteurs aggravants :

 

a)                  La nature de l'infraction et la peine prévue par le législateur. La peine maximale pour l'accusation d'abus de confiance par un fonctionnaire consiste de l'emprisonnement de cinq ans et de la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté en ce qui a trait à l'accusation portée sous l'article 129 de la Loi sur la défense nationale, soit de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Objectivement, ces infractions sont sérieuses;

 

b)                  Ces infractions étaient préméditées et s'étendent sur une période de 26 mois. Vous aviez l'habitude de sélectionner les postulantes; ceci au point où votre superviseur a dû vous ordonner formellement de cesser cette pratique lors d'une deuxième rencontre à ce sujet. Bien que vous avez témoigné que vous vous questionniez suite à ces infractions, vous n'avez fait aucun effort pour vous contrôler et cesser d'abuser de votre poste;

 

c)                  En plus d'avoir abusé de votre poste pour satisfaire vos désirs, vous avez abusé de la confiance de ces victimes. Elles étaient prêtes à tout faire pour joindre les Forces canadiennes; vous l'avez même dit lors de votre témoignage. Vous avez pris avantage d'une situation où les victimes étaient vulnérables;

 

d)                 Madame L-G, la quatrième victime, était âgée de 17 ans au moment de l'infraction. Le Code criminel indique qu'une infraction qui constitue un mauvais traitement à l'égard d'une personne âgée de moins de 18 ans est considérée comme une circonstance aggravante dans la détermination de la peine. Ceci dit, je note qu'elle portait un soutien-gorge, des petites culottes et une jaquette lors de son examen médical et que ses seins n'étaient jamais nus. Il s'agit aussi de l'incident pour lequel vous avez été trouvé coupable du chef d'accusation de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Objectivement, compte tenu de sa peine maximale, cette infraction est moins sérieuse que l'abus de confiance d'un fonctionnaire. De plus, subjectivement, cette infraction est moins sérieuse que les quatre autres, puisque vous n'avez pas regardé les seins nus de cette victime. Alors, bien que je considère ce facteur comme aggravant, je ne lui donne pas aussi de poids pour ces raisons.

 

[10]           Le procureur a présenté la cause de l'ex-maître de 2e classe Wilks et il utilise cette cause pour argumenter que la peine dans la présente cause doit s'harmoniser avec celle dans Wilks. Il indique qu'aucune autre cause d'abus de confiance d'un fonctionnaire ne possède les faits similaires pour assister la cour dans l'imposition de la sentence. L'avocat de la défense argumente que Wilks doit être distingué de la présente cause car l'ex-maître de 2e classe Wilks fut trouvé coupable d'un chef d'agression sexuelle et de quatre chefs d'abus de confiance d'un fonctionnaire. En plus, il plaide que les faits dans Wilks sont bien plus graves car l'ex-maître de 2e classe Wilks avait touché les seins des victimes.

 

[11]           L'ex-maître de 2e classe Wilks avait examiné par palpation les seins nus d'une de ses victimes à deux reprises, il avait examiné par palpation les seins d'une autre victime alors qu'elle portait sa brassière et il avait regardé les seins nus des trois victimes. De plus, il s'était placé à l'arrière d'une victime et lui avait dit de se pencher vers l'avant alors qu'elle ne portait qu'une petite culotte de genre string. Les faits de l'affaire Wilks sont bien plus graves que les faits dans la présente cause. Le sergent Boudreau n'a pas touché les seins des victimes. Il a vu les seins nus de quatre de ses cinq victimes. Bien que ses actions ont causé des tords à ces victimes, elles ne semblent pas avoir eu les mêmes effets dévastateurs que l'on retrouve dans l'affaire Wilks. L'ex-maître de 2e classe Wilks fut trouvé coupable d'agression sexuelle; la peine maximale pour cette infraction consiste de l'emprisonnement de dix ans. Objectivement parlant, cette cause était bien plus sérieuse que la présente cause.

 

[12]           Je suis en accord avec l'avocat de la défense. Bien que la majorité des infractions sont les mêmes, la cause du sergent Boudreau peut être distinguée de celle de l'ex-maître de 2e classe Wilks. Les faits dans Wilks sont bien plus graves en plus de la condamnation pour agression sexuelle.

 

[13]           Compte tenu des facteurs aggravants et atténuants et du besoin de dénoncer le comportement du contrevenant ainsi que de dissuader au sein des Forces canadiennes ce genre d'activités illégales, je vais imposer une sentence qui donnera, à vous et aux autres membres des Forces canadiennes, le message que ce genre de comportement est inacceptable et comporte des conséquences importantes.

 

[14]           Compte tenu des faits particuliers de cette cause, je considère que la peine que je vais maintenant prononcer incorpore adéquatement les principes de détermination de la peine, soit la dénonciation et la dissuasion générale et qu'elle constitue la sentence la plus minimale pour assurer la protection du public et le maintien de la discipline.

 

[15]           Tous les autres techniciens médicaux qui ont témoignés au cours du procès, soit du grade de caporal-chef au grade d'adjudant-maître, ont clairement décrit l'importance de respecter l'intimité d'une personne lors d'un examen médical. Les procédures pour assurer ce respect étaient bien connues de tous, dont vous. Ces procédures sont enseignées lors de votre cours de base de technicien médical ainsi que tout au long de votre carrière. Vous avez consciemment décidé de mettre de côté votre entraînement ainsi que les directives précises pour satisfaire à vos besoins personnels. Vous n'avez pas agi en sous-officier sénior et en technicien médical sénior compétent et consciencieux. Vous n'avez pas démontré que vous méritez ces titres.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[16]           CONDAMNE le sergent Boudreau à une rétrogradation au grade de caporal.

 

[17]           Les procédures de cette cour martiale relativement au caporal Boudreau sont terminées.


 

Avocats :

 

Major P. Doucet et Major P. Rawal, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de la poursuivante

 

Capitaine H. Bernatchez, Service d'avocats de la défense

Avocat pour le sergent J.J.C. Boudreau

 

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