Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 20 juillet 2012

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 2 : Art. 112 LDN, s’est servi de véhicules à des fins non autorisées.
•Chef d’accusation 3 : Art. 97 LDN, ivresse.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chefs d'accusation 2, 3 : Retirés.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Katcharov, 2012 CM 4015

 

Date : 20120720

Dossier : 201238

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du centre Asticou

Gatineau (Québec), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal P. Katcharov, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Caporal Katcharov, la cour a accepté et inscrit votre aveu de culpabilité quant au chef d’accusation numéro 1 et elle vous déclare maintenant coupable de cette infraction. Il s’agit d’une accusation portée en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale et vous avez plaidé coupable d’avoir consommé une boisson alcoolisée tandis que vous portiez une arme à feu. La cour doit maintenant rendre une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]        Le sommaire des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits y énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration de l'infraction. Au moment de l’infraction, vous étiez employé à titre de membre de la police militaire à l’unité de police militaire à Ottawa. Vous étiez responsable du quart de travail « A » pendant la soirée du 18 et le matin du 19 novembre 2011. Vous remplaciez votre superviseur, un matelot‑chef, et vous étiez responsable de trois membres de la police militaire et de quatre commissionnaires.

 

[3]        À votre arrivée, vous êtes allé chercher votre arme, mais vous avez omis de signer le registre des armes. Au cours de la soirée, un commissionnaire a remarqué que vous vous rendiez souvent à la cuisine de l’unité. Il a aussi constaté que vous sentiez l’alcool et que, plus le temps passait, plus vous aviez du mal à articuler et à vous tenir debout. Deux autres commissionnaires ont également remarqué ces faits.

 

[4]        À un certain moment pendant la soirée, le commissionnaire s’est rendu à la cuisine et il vous a vu placer une canette verte dans l’armoire. Lorsque vous avez quitté la pièce, le commissionnaire a regardé dans l’armoire et il y a trouvé une canette de bière dans laquelle il restait encore un peu d’alcool. Le commissionnaire vous a alors demandé si vous étiez en train de boire de la bière pendant le quart. Vous lui avez dit que vous aviez bu une bière dans la cuisine, vous lui avez montré la bière, puis vous avez vidé le reste de la canette dans l’évier.

 

[5]        Le commissionnaire a alors communiqué avec le responsable adjoint du quart, un caporal, pour lui signaler que vous aviez consommé de l’alcool pendant le quart. Le responsable adjoint s’est rendu au poste de patrouille et il a également remarqué que vous manifestiez des signes d’ébriété. Il vous a demandé de lui remettre votre arme réglementaire, mais vous avez refusé en lui disant [traduction] « ne vous inquiétez pas, tout va bien » ou quelque chose du genre. Le responsable adjoint a alors appelé l’officier de service de la police militaire d’Ottawa afin de rapporter l’incident. L’officier de service lui a donné instruction de vous relever de vos fonctions, de mettre votre arme dans un endroit sûr et de vous conduire à votre résidence. Lorsque le responsable adjoint vous a informé des ordres reçus de l’officier de service de la police militaire, vous êtes devenu agité, vous l’avez fixé du regard jusqu’à ce qu’il baisse les yeux et vous lui avez répété quelques fois [traduction] « vous auriez pu choisir une autre voie » ou quelque chose d’équivalent. Votre arme et votre matériel de fonction ont été placés dans la chambre forte de la police militaire et on vous a ensuite conduit à votre résidence sans autre incident.

 

[6]        L’unité de police militaire à Ottawa a entrepris une enquête disciplinaire au sein de l’unité. Dans le cadre d’une entrevue après mise en garde, vous avez mentionné que, le 18 novembre, vous vous sentiez nerveux et vous avez admis avoir trouvé une bière dans votre sac et avoir bu celle‑ci pendant votre quart. Vous pensiez qu’une seule bière ne pouvait faire de mal à personne. Au cours de cette entrevue, vous avez également admis avoir [traduction] « fait une gaffe » et avoir abusé d’alcool pendant quelques mois avant cet incident parce que votre mère était morte et qu’on avait diagnostiqué chez votre sœur un cancer du cerveau à l’été 2011. Vous avez affirmé durant l’entrevue que vous aviez pris une décision stupide, que vous le regrettiez et que vous n’auriez pas dû agir ainsi. Vous avez en outre précisé que vous vous rendiez compte de la gravité de la situation et que vous aviez l’intention de demander de l’aide.

 

[7]        Comme l’a mentionné la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins, lorsqu’il y en a, et c’est l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R c Tupper, 2009 CACM 5, paragraphe 13).

 

[8] La Cour d’appel de la cour martiale a affirmé que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine énoncés au Code criminel du Canada[1] s'appliquent au système de justice militaire et que le juge militaire doit en tenir compte au moment de décider de la peine à infliger (voir R. c Tupper, paragraphe 30). Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

(a)               dénoncer le comportement illégal;

 

(b)               dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

(c)                isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

(d)               favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

 

(e)                assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; et

 

(f)                 susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces facteurs.

 

[9]        Les dispositions relatives à la détermination de la peine qui sont énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel prévoient un processus individualisé au cours duquel la cour doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du délinquant (voir R c Angelillo, 2006 CSC 55, au paragraphe 22). La peine doit également être semblable aux autres peines imposées dans des circonstances similaires (voir R c L.M., 2008 CSC 31, au paragraphe 17). Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (voir R c Nasogaluak, 2010 CSC 6, au paragraphe 41). La Cour suprême du Canada y indique que le principe de proportionnalité exige que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction.

 

[10]      La cour doit également infliger une peine qui soit la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. Le but ultime de la détermination de la peine réside dans le rétablissement de la discipline chez le délinquant et au sein de la collectivité militaire. La discipline constitue un préalable fondamental à l’efficacité opérationnelle de toute force armée.

 

[11]      La poursuite et votre avocat ont tous deux proposé que vous soyez condamné à une réprimande et à une amende de 1 500 $.

 

[12]      La Cour d’appel de la cour martiale a mentionné que le juge appelé à prononcer une peine ne doit s’écarter de la recommandation conjointe des avocats que si la peine proposée est de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou si elle n’est pas dans l’intérêt public.

 

[13]      J’exposerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont j’ai tenu compte dans la détermination de la sentence appropriée en l’espèce. J’estime que les circonstances suivantes sont de nature aggravante :

 

(a)        L’article 129 de la Loi sur la défense nationale constitue une infraction objectivement grave puisqu’elle est punissable par la destitution ignominieuse du service de Sa Majesté. Subjectivement, il s’agit aussi d’une infraction grave. Vous avez consommé de l’alcool dans l’exercice de vos fonctions à titre de superviseur de votre quart de patrouille de la police militaire. Vous portiez une arme. Vous avez été relevé de vos fonctions et conduit à votre résidence; vos subordonnés ont donc dû terminer le quart sans vous, le responsable adjoint du quart. Vous n’avez pas fait preuve des qualités de leadership que l’on attendait de vous à ce moment.

 

(b)        Même si vous ne comptiez que trois années de service à titre de membre de l’unité de police militaire, vous étiez âgé de 33 ans au moment de l’infraction et vous étiez assez mature pour savoir ce que l’on attendait de vous ou de quiconque dans votre situation. Des pouvoirs particuliers sont conférés aux membres de la police militaire. Les Forces canadiennes et le grand public s’attendent à juste titre à ce que les membres de la police militaire se conduisent d’une manière qui leur fasse honneur.

 

[14]      Pour ce qui est des circonstances atténuantes, je relève ce qui suit :

 

(a)               Vous n’avez pas de fiche de conduite et vous en êtes donc à votre première infraction; vous avez admis avoir bu de la bière lorsque le commissionnaire vous a initialement posé la question et vous avez fait la même admission dans le cadre de l’enquête disciplinaire; vous avez fait savoir à la première occasion que vous souhaitiez plaider coupable. Une telle collaboration à l’enquête disciplinaire et un aveu de culpabilité rapide sont habituellement considérés comme des facteurs atténuants. De façon générale, on considère que cette interprétation n’est pas en contradiction avec le droit au silence de l’accusé ni avec son droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre lui, mais constitue plutôt un moyen pour les tribunaux d’infliger une peine plus clémente, l’aveu de culpabilité signifiant habituellement qu’il n’y aura pas de témoins à assigner, ce qui réduit de beaucoup les coûts associés aux procédures judiciaires. L’aveu de culpabilité est aussi généralement interprété comme signifiant que l’accusé veut assumer la responsabilité de ses actes illégaux et du préjudice en découlant.

 

(b)               Vous demandez des soins médicaux depuis novembre 2011 afin de régler votre abus d’alcool. Vous vous êtes abstenu de consommer de l’alcool depuis ce temps. Votre conseillère en toxicomanie affirme que vous assumez la responsabilité de vos actes et de leurs conséquences. Elle ajoute que vous vous consacrez à votre rétablissement (voir la pièce 8). Il paraît clair que vous éprouvez de véritables remords.

 

[15]      J’ai en outre examiné les pièces 9 et 10, soit deux rapports d’appréciation du personnel, ainsi que les pièces 11 et 12, soit deux lettres attestant votre moralité. On y mentionne que vous avez le sens des responsabilités, que vous êtes digne de confiance et que vous êtes en voie d’obtenir votre prochaine promotion.

 

[16]      Cet incident a été considéré comme un abus d’alcool et a été déclaré au Directeur – Administration des carrières militaires, le DACM, en novembre 2011. On s’attend à ce que ce dernier examine votre cas une fois l’instance en cour martiale terminée. Votre chaîne de commandement a l’intention de recommander au DACM qu’on vous maintienne en service dans les Forces canadiennes et de vous faire rejoindre la patrouille.

 

[17]      La section des Normes professionnelles de la police militaire n’a jamais officiellement suspendu vos titres de créance. À l’issue de la présente instance en cour martiale, la section des Normes professionnelles entreprendra une enquête. On décidera à ce moment s’il est nécessaire de convoquer un comité d’examen des titres de créance de la police militaire. Votre chaîne de commandement a également l’intention de recommander que vous conserviez vos titres de créance.

 

[18]      Il semble que cet incident n’ait véritablement rien à voir avec votre comportement habituel. Votre chaîne de commandement estime manifestement que vous êtes une personne susceptible de contribuer favorablement au succès des Forces canadiennes.

 

[19]      Votre mère était morte et on avait diagnostiqué chez votre sœur un cancer au cours de l’été 2011. Vous avez subi un grand stress et, malheureusement, vous avez eu recours à l’alcool pour y faire face. Il ressort de votre témoignage devant le présent tribunal que vous vous rendez compte des erreurs que vous avez commises et que vous prenez les mesures nécessaires pour ne pas les répéter.

 

[20]      Je conclus que les principes suprêmes en matière de détermination de la peine devant être appliqués en l’espèce sont la dénonciation et la dissuasion générale, même si la réadaptation du contrevenant doit également être prise en compte. Vos actes depuis la perpétration de l’infraction montrent clairement que le principe de la dissuasion particulière ne s’applique pas en l’espèce. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, la jurisprudence et les observations soumises par la poursuite et par votre avocat, j’en viens à la conclusion que la peine proposée ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle sert l’intérêt public. En conséquence, je souscris à la recommandation conjointe de la poursuite et de votre avocat.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[21]      VOUS DÉCLARE coupable du premier chef d’accusation fondé sur l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour avoir consommé une boisson alcoolisée tandis que vous portiez une arme à feu.

 

[22]      VOUS CONDAMNE à une réprimande et à une amende de 1 500 $. L’amende doit être payée par versements mensuels de 300 $ qui débuteront le 15 août 2012.


 

 

 

Avocats

 

Major A.C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins et Major A. Reed, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du Caporal P. Katcharov



[1] L.R. 1985, ch. C-46.

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