Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 3 mai 2012

Endroit : Centre Asticou, bloc 2600, pièce 2601, salle d’audience, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.
•Chef d’accusation 5 : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chef d’accusation 6 : Art. 101.1 LDN, a omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 3, 4, 5 : Coupable. Chefs d’accusation 2, 6 : Retirés.
•SENTENCE : Détention pour une période de 11 jours.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Sevker, 2012 CM 4012

 

Date :  20120503

Dossier :  201222

 

Cour martiale permanente

 

Salle d’audience du Centre Asticou

Gatineau (Québec) Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal S. Sevker, contrevenant

 

 

Devant : Lieutenant‑colonel J-G Perron, J.M.

 


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Caporal Sevker, ayant accepté et inscrit vos plaidoyers de culpabilité à l’égard des premier, troisième, quatrième et cinquième chefs d’accusation, la cour vous déclare coupable de ces infractions. 

 

[2]        Vous avez plaidé coupable d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur, soit le premier chef d’accusation, de s’être absenté sans permission, soit les troisième et quatrième chefs d’accusations, et d’ivresse, soit le cinquième chef d’accusation. La poursuite a retiré deux chefs d’accusation, soit le deuxième chef d’accusation, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline, et le sixième chef d’accusation, avoir omis de se conformer à une condition imposée sous le régime de la section 3. La poursuite a retiré ces chefs d’accusation avec l’autorisation de la cour. La cour doit maintenant rendre une sentence juste et appropriée en l’espèce. 

 

[3]        Le sommaire des circonstances, dont vous avez formellement reconnu les faits en tant que preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la cour les circonstances entourant la perpétration des infractions en cause.

 

[4]        Au moment des infractions, vous étiez membre du Centre d’opérations des réseaux des Forces canadiennes à la Station des Forces canadiennes Leitrim, à Ottawa, en Ontario. Vous avez été impliqué dans deux accidents de voiture, le 5 et le 6 février 2012. Le 11 février 2012, vous avez été impliqué dans un troisième accident de voiture dans la ville d’Ottawa. Vous avez ensuite été arrêté par le Service de police d’Ottawa et accusé de conduite dangereuse et de possession d’une substance désignée. Vous avez été mis en liberté sur promesse de comparaître et un engagement. Une comparution devant un tribunal civil a été fixée au 7 mars 2012.

 

[5]        Le 27 février 2012, votre unité a décidé que vous ne pouviez plus travailler sur l’étage des opérations au Centre d’opérations des réseaux des Forces canadiennes, et a décidé de vous assigner à la section de l’approvisionnement de la SFC Leitrim.

 

[6]        Le 5 mars 2012, vous ne vous êtes pas présenté au poste à la section de l’approvisionnement de la SFC Leitrim et vous êtes demeuré absent jusqu’à votre arrestation, le 15 mars 2012. Sachant que vous deviez comparaître devant le tribunal civil le 7 mars 2012, deux de vos supérieurs, le Lieutenant Dion et l’Adjudant‑maître Favreau, se sont présentés au Palais de justice d’Ottawa dans l’espoir de vous trouver. L’Adjudant‑maître Favreau vous a ordonné de vous présenter au poste à la SFC Leitrim ce jour‑là. Vous lui avez dit que vous vouliez vous rendre à l’hôpital Montfort pour consulter votre psychologue. Le Lieutenant Dion vous a offert de vous y conduire, mais vous avez refusé. L’Adjudant‑maître Favreau vous a ordonné de lui envoyer par télécopieur tout document reçus de l’hôpital ou de lui téléphoner et de lui faire part du résultat de la visite chez le médecin. Vous ne vous êtes pas présenté au poste le 7 mars 2012 et n’avez pas téléphoné à l’Adjudant‑maître Favreau ni ne lui avez envoyé de document.

 

[7]        Le 9 mars 2012, votre commandant, le Lieutenant‑colonel Tupper, a délivré un mandat d’arrestation. Le 11 mars 2012, après de nombreuses tentatives, l’Adjudant‑maître Favreau a réussi à vous joindre par téléphone. Il vous a ordonné de vous présenter au poste le 12 mars 2012, mais vous ne l’avez pas fait. 

 

[8]        Le 15 mars 2012, vous avez été mis sous garde par la police de Gatineau. Vous avez été remis entre les mains de la police militaire, qui vous a gardé en détention et vous a par la suite remis à votre unité, à la SFC Leitrim. Le 15 mars, un officier réviseur vous a mis en liberté. À 7 h 39 le même jour, vous avez reçu signification d’un registre de procédure disciplinaire et vous avez été informé de votre droit de choisir d’être jugé devant une cour martiale. On vous a demandé de revenir pour faire votre choix le 16 mars 2012, à 8 h.

 

[9]        Le 16 mars vous ne vous êtes pas présenté au poste et n’avez pas fait votre choix. Votre commandant a délivré un autre mandat d’arrestation contre vous. Vous vous êtes absenté jusqu’à votre arrestation, le 2 avril 2012. Ce jour‑là, le  Service de police d’Ottawa a été dépêché au terminus d’autobus d’Ottawa parce qu’on avait signalé la présence d’un homme inconscient à cet endroit. Découvrant que vous étiez visé par un mandat d’arrestation non exécuté, le Service de police d’Ottawa vous a arrêté et a contacté la police militaire. Lors de votre arrestation, vous étiez en possession d’un billet d’autobus pour Niagara Falls, en Ontario.

 

[10]      Le 2 avril, à 10 h 15, le Caporal Lefebvre de la police militaire est arrivé au poste du Service de police d’Ottawa situé sur la rue Elgin pour vous prendre sous sa garde. On a dû vous soutenir lorsque vous avez marché vers la voiture puisque vous ne pouviez pas vous déplacer normalement et que vous trébuchiez. Vous n’étiez pas cohérent et vous aviez de la difficulté à parler. Vous étiez sous l’influence d’une drogue.

 

[11]      À 11 h 50 le même jour, vous avez été placé sous la garde du Caporal Russell, policier militaire de la BFC Petawawa. À l’arrivée à Petawawa, le Caporal Russell vous a fouillé et a trouvé soixante‑quinze pilules de 10 milligrammes de témazépam, substance figurant à l’annexe IV de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. Le Caporal Russell a découvert aussi 67 sachets qui sont utilisés couramment dans le trafic de la drogue. Le Caporal Russell vous a arrêté de nouveau sur la base d’une dénonciation civile pour possession de drogue dans le but d’en faire le trafic et omission de se conformer aux conditions d’un engagement. En ce qui concerne les accusations criminelles civiles, le Caporal Russell vous a mis en liberté sur promesse de comparaître et un engagement. Vous avez été maintenu sous garde relativement au mandat d’arrestation parce qu’on estimait que vous continueriez de vous absenter sans permission.

 

[12]      Le 3 avril, à 16 h 30, un officier réviseur a déterminé que vous devriez être maintenu sous garde. Le 5 avril, vous avez été mis en liberté par un juge militaire après avoir signé un engagement.

 

[13]      Comme l’a souligné la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé au cours duquel le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins. C’est sans doute l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir.

 

[14]      La Cour d’appel de la cour martiale a clairement affirmé que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine, qui sont énoncés dans le Code criminel du Canada s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire, et le juge militaire doit tenir compte de ces objectifs lorsqu’il détermine la peine.

 

[15]      Le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, ce qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant l’un ou plusieurs des objectifs suivants : dénoncer le comportement illégal, dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions, isoler au besoin les délinquants du reste de la société, favoriser l’insertion sociale, assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité, susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité. La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces facteurs.

 

[16]      Les dispositions relatives à la détermination de la peine qui sont énoncées aux articles 718 à 718.2 du Code criminel prévoient un processus individualisé au cours duquel la cour doit prendre en compte non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du délinquant. La peine doit également être semblable aux autres peines imposées dans des circonstances similaires. Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine. La proportionnalité requiert que la sanction n’excède pas ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction. La cour doit également infliger une peine qui soit la sanction minimale nécessaire pour maintenir la discipline. L’infliction d’une peine dans le contexte militaire vise essentiellement le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs de la société militaire. La discipline constitue l’une des conditions fondamentales de l’efficacité opérationnelle de toute force armée.

 

[17]      La poursuite et la défense ont proposé comme peine à infliger une détention de 11 jours. Elles ont suggéré qu’une période de 15 jours serait appropriée, mais ont déduit les quatre jours de détention avant procès que vous avez déjà purgés. La poursuite recommande que vous purgiez cette peine à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes, et vous ne vous y opposez pas. La Cour d’appel de la cour martiale a clairement indiqué que le juge appelé à prononcer une peine ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats, à moins que la peine proposée ne soit de nature à déconsidérer l’administration de la justice ou qu’elle ne soit pas dans l’intérêt public.

 

[18]      J’énoncerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont j’ai tenu compte en déterminant la peine appropriée en l’espèce. Je considère les circonstances suivantes comme aggravantes :

 

a)         Objectivement, la désobéissance à un ordre légitime constitue l’une des infractions les plus graves du code de discipline militaire puisque la peine maximale prévue est l’emprisonnement à perpétuité. L’article 19.015 des Ordonnances et règlements royaux prévoit ce qui suit :

 

« Tout officier et militaire du rang doit obéir aux commandements et aux ordres légitimes d’un supérieur »;

 

b)         La discipline est l’assise de toute force militaire. La « discipline » est ainsi définie dans le Oxford Dictionary :

 

[traduction] « La règle de conduite commune aux membres d’un corps, d’une collectivité et destinée à y faire régner le bon ordre »;

 

c)         Objectivement, il s’agit également d’une infraction grave. Vous avez désobéi à un ordre très clair et simple d’un adjudant‑maître qui vous demandait de vous présenter au poste. Vous vous êtes aussi absenté sans permission au moment où a été donné l’ordre en question;

 

            d)         Vous vous êtes absenté sans permission du 5 au 15 mars 2012 et du 16 mars au 2 avril 2012. Dans les deux cas, on a mis fin à ces absences sans permission seulement parce que vous avez été arrêté par la police;

 

e)         Vos absences ont eu une incidence négative sur votre unité. Des membres de votre unité ont dû vous remplacer et vos supérieurs ont dû ainsi ajuster l’horaire de travail d’autres quarts. Vos absences ont eu une incidence négative sur vos collègues de quart ainsi que sur d’autres membres de votre unité qui effectuaient d’autres quarts;

 

f)         Votre ivresse a été causée par les drogues non par l’alcool. Bien qu’elles ne tolèrent pas l’affaiblissement des facultés causé par l’abus d’alcool, les Forces canadiennes adoptent une approche beaucoup plus rigoureuse quant à la consommation de drogues illicites. En d’autres termes, aucune consommation de drogues illicites n’est tolérée par les Forces canadiennes, et cette conduite est punie plus sévèrement que par une cour criminelle au Canada.

 

[19]      Pour ce qui est des circonstances atténuantes, je note ce qui suit :

 

a)         Vous n’avez pas de fiche de conduite. Il s’agit de votre première infraction;

 

b)         Vous avez reconnu votre culpabilité aux quatre chefs d’accusation, et un plaidoyer de culpabilité est généralement considéré comme une circonstance atténuante. De façon générale, on considère que cette interprétation n’est pas en contradiction avec le droit au silence de l’accusé ni avec son droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre lui, mais constitue plutôt un moyen pour les tribunaux d’infliger une peine plus clémente, le plaidoyer de culpabilité signifiant habituellement qu’il n’y aura pas de témoins à assigner, ce qui réduit de beaucoup les coûts associés aux procédures judiciaires. De plus, on interprète généralement le plaidoyer de culpabilité comme une reconnaissance du fait que l’accusé entend assumer la responsabilité de ses actes illégaux et du préjudice qui en a découlé;

 

c)         J’ai examiné les deux rapports d’appréciation du personnel pour les années 2009-2010 et 2010-2011, figurant aux pièces 9 et 10, et les deux rapports de cours figurant aux pièces 7 et 8. Votre rapport d’appréciation du personnel pour l’année 2010-2011 indique que vous êtes prêt pour être promu au grade de caporal‑chef. Il ressort de cet élément de preuve, ainsi que du témoignage de l’Adjudant‑chef Bastien, l’adjudant‑chef de votre unité, que vous avez fourni un excellent rendement jusqu’à la fin de 2011. Vous avez été nommé le militaire du trimestre en septembre et octobre 2011 et vous avez été considéré comme fiable et dévoué jusqu’en février 2012. L’adjudant‑chef Bastien a dit que vous pourriez travailler au sein de l’unité, mais qu’on ne vous assignera pas un poste qui requiert une cote de sécurité;

 

d)         Vous avez également participé activement aux activités sociales de votre unité (voir pièce 11);

 

e)         Puisque vous avez été accusé d’infractions liées à la drogue, un examen administratif de votre carrière est en cours. Il semble que votre commandant pense que vous pouvez toujours être un membre productif des Forces canadiennes, vu qu’il a recommandé que vous soyez placé en mise en garde et surveillance plutôt que vous soyez  libéré des Forces canadiennes;

 

f)         La pièce 5, les droits de solde, montre que vous n’avez pas été rémunéré pour le mois de mai 2012. Par conséquent, vous n’avez pas été rémunéré pour la période au cours de laquelle vous vous êtes absenté sans permission.

 

[20]      Caporal Sevker, vous sembliez avoir une carrière très prometteuse jusqu’au début de 2012. Il semble que vous avez commencé à consommer de la drogue. On ne m’a pas expliqué ce changement apparemment radical de comportement. Je ne dispose d’aucun renseignement concernant les efforts, s’il en est, que vous déployez pour faire face à vos problèmes et retrouver une vie et une carrière fructueuses. Votre commandant et votre chaîne de commandement vous connaissent beaucoup mieux que moi. Il semble que, selon votre commandant, votre état peut s’améliorer avec de l’aide et vous pouvez de nouveau accomplir, au sein de l’unité et des Forces canadiennes, le travail et les résultats excellents que vous avez réalisés dans le passé.

 

[21]      Je crois que la peine que je suis sur le point de vous infliger vous aidera à tirer des leçons et à retrouver les habitudes acquises au départ, lorsque vous vous êtes enrôlé dans les Forces canadiennes. Le reste du travail vous revient. Si vous réalisez que vous avez besoin d’aide et si vous êtes disposé à accepter l’aide que votre unité et les Forces canadiennes sont prêtes à vous fournir, vous serez peut‑être en mesure de surmonter les obstacles et nous montrer qui vous êtes vraiment. 

 

[22]      Je conviens avec la poursuite que les principes à appliquer en l’espèce en matière de peine sont ceux de la dénonciation et de la dissuasion générale. Après avoir examiné la preuve dans son ensemble, la jurisprudence et les observations soumises par la poursuite et par la défense, j’arrive à la conclusion que la peine proposée est appropriée compte tenu du grade et du poste occupé au moment des infractions et des circonstances particulières de celles‑ci. J’estime donc que cette peine ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle sert l’intérêt public. Par conséquent, je souscris à la recommandation conjointe de la poursuite et de la défense.

 

[23]      Caporal Sevker,

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[24]      Vous DÉCLARE coupable de l’infraction visée à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale, soit d’avoir désobéi à un ordre légitime d’un supérieur, des infractions visées à l’article 90 de la Loi sur la défense nationale, soit pour vous être absenté sans autorisation, et de l’infraction visée à l’article 97 de la Loi sur la défense nationale, soit pour ivresse, et

 

[25]      Vous CONDAMNE à une détention de 11 jours à purger à la Caserne de détention et prison militaire des Forces canadiennes à Edmonton, en Alberta.

 



Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major S. Collins et Major A. Reed, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du Caporal S. Sevker

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.