Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 11 juin 2012

Endroit : BFC Edmonton, aménagements pour des lectures d'entraînement, édifice 407, chemin Korea, Edmonton (AB)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, agression armée (art. 267a) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, a braqué une arme à feu (art. 87 C. cr.).
•Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, a proféré des menaces (art. 264.1(1)a) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux. Chefs d'accusation 2, 3 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Courneyea, 2012 CM 4013

 

Date : 20120618

Dossier : 201153

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Edmonton

Edmonton (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal J.H. Courneyea, accusé

 

 

En présence du Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Le caporal Courneyea est accusé d’avoir commis une agression armée, d’avoir braqué une arme à feu en direction d’une personne et d’avoir proféré des menaces. L’avocat de la défense soutient que trois questions sont au coeur du présent litige : en premier lieu, la question de savoir si le caporal Courneyea a agi de façon volontaire lors des infractions reprochées; en deuxième lieu, dans l’affirmative, la question de savoir s’il a effectivement braqué une arme à feu en direction du caporal Kehler et, en dernier lieu, s’il a agi volontairement lors des infractions reprochées, la question de savoir s’il avait l’intention coupable requise pour les accusations 1 et 3. L’avocat de la défense fait valoir que le caporal Courneyea devrait être déclaré non coupable de l’accusation no 2 et non criminellement responsable en raison de troubles mentaux des accusations nos 1 et 3.

 

[2]        La procureure de la poursuite a fait valoir que chaque élément des infractions susmentionnées avait été clairement établi par la preuve. À son avis, la preuve ne montre pas que le caporal Courneyea était incapable de comprendre les conséquences de ses actes ou de ses omissions lors des infractions reprochées. La procureure a admis également que l’accusé devrait être déclaré non criminellement responsable en raison de troubles mentaux si la cour décide que la conduite du caporal Courneyea était involontaire.

 

[3]        Avant que la cour procède à son analyse de la preuve, des questions à trancher et des accusations, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont bien connus des avocats, mais peut‑être pas des autres personnes qui se trouvent dans la salle d’audience.

 

[4]        Il est juste de dire que la présomption d’innocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui relèvent du Code de discipline militaire comme dans celles qui relèvent du droit pénal canadien, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que la poursuite ne prouve pas sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver qu’il est innocent. C’est à la poursuite qu’il incombe de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction. Un accusé est présumé innocent tout au long de son procès, jusqu’à ce qu’un verdict soit rendu par le juge des faits.

 

[5]        La norme de la preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve ou aux différentes parties de la preuve présentés par la poursuite, mais plutôt à l’ensemble de la preuve sur laquelle cette dernière s’appuie pour établir la culpabilité de l’accusé. Le fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite, jamais à l’accusé.

 

[6]        Le tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il a un doute raisonnable quant à sa culpabilité après avoir considéré l’ensemble de la preuve.

 

[7]        Dans l’arrêt R c Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes établis dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres arrêts de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute farfelu ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été accusée n’est pas une indication de sa culpabilité.

 

[8]        Au paragraphe 242 de l’arrêt R c Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême du Canada a statué que :

 

[...] une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

 

[9]        Par contre, il faut se rappeler qu’il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. D’ailleurs, la poursuite n’a aucune obligation en ce sens. La certitude absolue n’est pas une norme de preuve en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le caporal Courneyea, hors de tout doute raisonnable. Pour mettre les choses en perspective, si la cour est convaincue que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l’acquitter, car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[10]      La preuve peut comprendre des témoignages sous serment ou des déclarations solennelles faits devant la cour par des personnes appelées à témoigner sur ce qu’elles ont vu ou fait. Elle peut consister en des documents, des photographies, des cartes ou d’autres éléments de preuve matérielle présentés par les témoins, en des témoignages d’experts, des aveux judiciaires quant aux faits par la poursuite ou la défense ou des éléments dont la cour prend judiciairement connaissance.

 

[11]      Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un fait. La cour doit déterminer quels éléments de preuve sont crédibles.

 

[12]      La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Quelque chose en particulier a-t-il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il ou elle a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants, ou plutôt relativement anodins et, par conséquent, naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner.

 

[13]      Le tribunal n’est pas tenu d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, il jugera un témoignage digne de foi, à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[14]      La preuve présentée en l’espèce est formée essentiellement d’éléments dont la cour a pris judiciairement connaissance, de pièces et de témoignages. La cour a pris judiciairement connaissance des éléments mentionnés à l’article 15 des Règles militaires de la preuve. La poursuite a produit une pièce et la défense, deux. La poursuite a présenté trois témoins au cours du procès, soit le caporal Kehler, le caporal Pinard et le caporal La Bastille. Pour sa part, l’avocat de la défense a fait témoigner le caporal Courneyea, le caporal Geernaert, le sergent McGarity, l’adjudant Connauton, le caporal-chef Ellis et la Dre Girvin.

 

[15]      Il appert clairement de la preuve que le caporal Courneyea, le caporal Kehler, le caporal Pinard et le caporal La Bastille étaient membres de l’Unité de clôture de mission à l’aérodrome de Kandahar lors des infractions reprochées. Le 15 juillet 2011, les membres du personnel de cette unité sont allés dîner à l’une des salles à manger du camp. Ils attendaient l’autobus après le repas lorsque l’incident s’est produit. Le caporal Kehler envoyait du sable sur ses bottes avec ses pieds afin de couvrir une flaque d’huile, créant ainsi un nuage de poussière. Le caporal Pinard et le caporal Courneyea auraient dit au caporal Kehler d’arrêter d’envoyer du sable ou auraient prononcé des mots en ce sens, comme « Way to go » (manière d’agir), mais le caporal Kehler aurait continué. Le caporal Courneyea lui aurait alors dit : [traduction] « Arrête ou je vais tirer sur toi » ou [traduction] « arrête ou je vais te tuer ». Le caporal Kehler aurait ensuite envoyé du sable avec ses pieds en direction du caporal Courneyea qui aurait inséré un chargeur dans son C7, armé son fusil et tenu celui-ci en pointant le canon vers le sol, aux pieds du caporal Kehler. Le caporal Pinard a déclaré au cours de son témoignage que le caporal Courneyea n’avait pas le doigt sur la gâchette. Le caporal Kehler a crié en direction du caporal Courneyea, qui a alors déchargé son arme. Selon le caporal Kehler, le caporal Courneyea avait un regard vide et semblait hébété. Quant au caporal La Bastille, il a souligné qu’il ne pouvait dire si le caporal Courneyea était en colère ou s’il rigolait, parce qu’il avait un visage impassible, mais il a précisé que le caporal Courneyea [traduction] « n’agissait pas de la façon habituelle ». Il n’a pas considéré le caporal Courneyea comme une menace à ce moment-là. Après l’incident, tous ont pris l’autobus pour retourner au travail.

 

[16]      La première accusation était ainsi libellée : [traduction] « Vers le 15 juillet 2011, à l’aérodrome ou à proximité de l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan, l’accusé a commis une agression à l’endroit du caporal Kehler, A.R., en utilisant une arme, soit un fusil C7 ». La poursuite allègue que le caporal Courneyea a commis l’agression en menaçant d’employer la force contre le caporal Kehler et qu’il avait la capacité voulue pour employer la force. La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de cette infraction :

 

a)                  l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que la date et le lieu allégués dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que le caporal Courneyea a menacé d’employer la force contre le caporal Kehler;

 

c)                  le fait que le caporal Courneyea était en mesure de donner suite à la menace;

 

d)                  le fait que le caporal Kehler n’a pas consenti à ce que le caporal Courneyea emploie ou tente d’employer la force contre lui;

 

e)                  le fait que le caporal Courneyea savait que le caporal Kehler n’avait pas consenti;

 

f)                    le fait que le caporal Courneyea portait ou utilisait une arme.

 

[17]      L’avocat de la défense ne conteste pas l’identité du contrevenant ni la date et le lieu des infractions. Il n’est pas contesté que le fusil C7 est une arme à feu. La preuve présentée à la cour en l’espèce établit également ces éléments des infractions hors de tout doute raisonnable.

 

[18]      Le caporal Courneyea a-t-il menacé d’employer la force contre le caporal Kehler? Le caporal Courneyea a inséré un chargeur dans son C7, armé son fusil et pointé celui-ci vers le sol devant le caporal Kehler. Il a agi ainsi après avoir dit au caporal Kehler qu’il tirerait sur lui ou le tuerait s’il n’arrêtait pas d’envoyer de la poussière avec ses pieds et après que celui-ci lui eut envoyé de la poussière avec ses pieds.

 

[19]      Selon un principe fondamental de notre droit criminel, une personne n’est pas criminellement responsable de ses actes, sauf si ceux-ci étaient volontaires. Ainsi, lorsque l’état de conscience d’une personne est diminué au point où elle était incapable d’agir de son plein gré, cette personne ne pourra être tenue criminellement responsable de sa conduite.

 

[20]      La loi présume que les personnes agissent de leur plein gré. Lorsqu’un accusé soutient que ses actes étaient involontaires parce que son état de conscience était diminué au moment où il a agi, la loi l’oblige à prouver selon la prépondérance des probabilités que ses actes étaient effectivement involontaires. La « preuve selon la prépondérance des probabilités » signifie qu’il est plus probable que non que les gestes qu’a faits le caporal Courneyea lorsqu’il a menacé d’employer la force étaient involontaires. Si la cour conclut que ces actes étaient involontaires, le caporal Courneyea ne pourra être déclaré coupable de l’infraction susmentionnée.

 

[21]      Le caporal Courneyea a présenté des éléments de preuve qui soulèvent le moyen de défense de l’automatisme. À cet égard, il doit convaincre la cour selon la prépondérance des probabilités qu’il était dans un état d’automatisme lors de l’incident. L’automatisme est un état de conscience diminué dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actes. En d’autres termes, le comportement se produit à l’insu de la conscience de la personne.

 

[22]      Pour décider si le caporal Courneyea a établi selon la prépondérance des probabilités que ses actes étaient involontaires parce que son état de conscience était diminué lors des événements, la cour doit conserver à l’esprit deux facteurs généraux. D’abord, il est relativement aisé pour un accusé de soutenir qu’il souffrait de dissociation lors de l’infraction reprochée; en second lieu, la crédibilité de notre système de justice criminelle sera mise à mal si les accusés sont régulièrement acquittés sur la foi d’une allégation selon laquelle ils se trouvaient en état d’automatisme lors de leurs actes. Cependant, malgré ces préoccupations, si la cour est convaincue selon la prépondérance des probabilités, à la lumière de la preuve qu’elle a acceptée, que la conduite du caporal Courneyea était involontaire en raison d’un état de conscience diminué, elle ne doit pas le déclarer coupable.

 

[23]      Le caporal Courneyea a déclaré au cours de son témoignage qu’il n’a aucun souvenir de l’incident; il affirme donc en réalité qu’il n’a pas chargé et armé volontairement son fusil C7. L’incident en question est survenu au cours du deuxième déploiement du caporal Courneyea en Afghanistan.

 

[24]      Au cours de sa première affectation de six mois en Afghanistan en 2009, le caporal Courneyea était conducteur de char. Le conducteur est assis à l’arrière du char, seul. Au cours de cette affectation, son char a frappé un engin explosif improvisé (EEI) à deux occasions différentes, soit le 29 avril et le 4 août 2009. Le caporal Courneyea a décrit ces deux incidents. Son char de 70 tonnes a été soulevé du sol d’environ quatre ou cinq pieds. Bien qu’il n’ait pas été blessé gravement, il souffre aujourd’hui d’un trouble de stress post-traumatique (PSPT) par suite de ces deux incidents. Le caporal Courneyea a décrit le chaos qui a suivi ces attaques et, plus précisément, comment il a été envahi par la fumée, la poussière et le gaz Halon. Il a également décrit les blessures qu’ont subies ses collègues; certains ont eu une jambe fracturée, un poumon affaissé et une vertèbre compressée. L’adjudant Connauton, le sergent McGarity et le caporal Geernaert ont décrit eux aussi les attaques à l’EEI. Le caporal Geernaert a confirmé que l’air était très poussiéreux après l’attaque et qu’il était difficile de respirer. Le sergent McGarity a également affirmé que le char était plein de fumée, de poussière et de sable après l’attaque. Pour sa part, l’adjudant Connauton a mentionné que le char était rempli de poussière et de gaz Halon après l’attaque et que cette poussière empêchait de voir quoi que ce soit.

 

[25]      Après son retour au Canada en 2009, le caporal Courneyea a éprouvé des problèmes de sommeil, il n’a pas fréquenté les gens qu’il voyait auparavant, a cherché à éviter les bains de foule et s’est senti plus angoissé. Il ne voulait pas conduire un char et est donc devenu conducteur de véhicule blindé de dépannage. Il n’a pas signalé ces problèmes après son premier déploiement et n’a pas été traité.

 

[26]      Le caporal Courneyea a expliqué qu’il s’est senti frustré au cours des quelques jours qui ont précédé l’incident du 15 juillet, parce qu’il travaillait de longues heures dans la saleté, la poussière et la chaleur. Son sommeil était interrompu et il ne dormait que quatre à six heures par nuit. Il se sentait fatigué le 15 juillet 2011. Le caporal Pinard a également mentionné que l’attitude du caporal Courneyea a changé quelques jours avant l’incident. Il a précisé que celui-ci paraissait fatigué, frustré et en colère et qu’il ne semblait pas bien aller le jour du 15 juillet.

 

[27]      Le caporal Courneyea a précisé qu’il était fâché contre le caporal Kehler, parce que celui-ci faisait trop de poussière. Le temps était venteux et il recevait la poussière. Il ne se souvient pas d’avoir dit ou fait quoi que ce soit après que le caporal Kehler se fut déplacé vers lui. Il ne se rappelle pas avoir eu le moindre « flash-back ». Il était effrayé et angoissé après l’incident. Il a dit avoir eu des pertes de mémoire à trois occasions avant l’incident du 15 juillet.

 

[28]      La Dre Girvin est psychiatre et a témoigné en qualité de témoin expert dans le domaine du PSPT. Elle était la psychiatre du caporal Courneyea au cours de la période allant de septembre 2011 à mars 2012. Lorsqu’elle a rencontré le caporal Courneyea pour la première fois le 29 septembre 2011, elle a diagnostiqué un PSPT léger et chronique chez lui ainsi que des symptômes mineurs d’un épisode dépressif majeur. Le PSPT dont l’accusé souffre a été causé par les attaques à l’EEI survenues en 2009. De l’avis de la Dre Girvin, le caporal Courneyea souffrait d’un PSPT lors de l’incident du 15 juillet.

 

[29]      La Dre Girvin a expliqué que, lorsqu’elle a rencontré le caporal Courneyea le 29 septembre, elle n’a pas cru qu’il disait la vérité lorsqu’il affirmait qu’il ne pouvait se souvenir de l’incident du 15 juillet. Elle n’a pas cru qu’il ne pouvait se rappeler avoir prononcé les mots, de sorte qu’elle doutait qu’il ait été franc lorsqu’il a affirmé ne pas se souvenir d’avoir chargé son C7.

 

[30]      Elle a expliqué qu’à son avis, il était plus probable que non que le caporal Courneyea ne souffrait pas de dissociation lorsqu’il a proféré les menaces et elle estimait qu’il était peu probable, quoique possible, qu’il ait été dans un état de dissociation lorsqu’il a chargé et armé son fusil C7. Elle a expliqué qu’elle en était arrivée à ces conclusions en se fondant sur le processus mental plus complexe que nécessite la prononciation de mots comparativement au processus mental plus simple qui sous‑tend l’exécution d’une tâche routinière.

 

[31]      Elle a exprimé des doutes au sujet de son opinion concernant l’état de dissociation dans lequel le caporal Courneyea se serait trouvé lorsqu’il a manipulé le fusil C7 et a précisé qu’elle aurait besoin de renseignements plus détaillés sur la façon dont le caporal Courneyea a paru et agi d’après les personnes qui étaient présentes lors de l’incident. À son avis, il est possible qu’il ait souffert de dissociation.

 

[32]      Elle a dit qu’elle n’avait aucune raison de ne pas croire le caporal Courneyea lorsqu’il a décrit ses symptômes et les pertes de mémoire qu’il a eues avant l’incident du 15 juillet et elle a expliqué pourquoi elle le croyait. Elle a précisé qu’elle ne croyait pas qu’il souffrait de dissociation lors de l’incident, parce qu’il n’avait pas signalé d’angoisse aiguë ni le moindre « flash-back » ou souvenir dérangeant. Elle a également fondé son opinion sur le fait que l’incident du 15 juillet était différent des trois incidents précédents.

 

[33]      Elle a convenu qu’il n’était pas nécessaire d’être très angoissé pour souffrir de dissociation et qu’il était possible d’avoir un « flash-back » ou un souvenir dérangeant sans en avoir de souvenir. Un élément déclencheur peut provoquer un « flash-back » ou un souvenir dérangeant et la poussière a pu être à l’origine d’un souvenir dérangeant chez le caporal Courneyea. Elle a également admis qu’une poussière abondante pouvait avoir provoqué un épisode de dissociation en rappelant au caporal Courneyea l’attaque à l’EEI. Elle a souligné que le caporal Courneyea avait été intimidé lorsqu’il était plus jeune et qu’il était possible que le comportement du caporal Kehler ait précipité un épisode de dissociation. Elle a convenu que les épisodes de dissociation n’étaient pas nécessairement semblables et que les épisodes de dissociation précédents pouvaient augmenter le risque de connaître d’autres épisodes de cette nature. À son avis, le PSPT était à l’origine du comportement du caporal Courneyea. Combinés aux menaces causées par le PSPT, le manque de sommeil et l’hypervigilance pouvaient déclencher l’irritabilité ou l’angoisse. Il est possible que le manque de sommeil ait rendu l’accusé plus irritable et que le PSPT l’ait incité à réagir de façon impulsive, parce qu’il se sentait davantage menacé.

 

[34]      Le caporal Kehler était la personne qui se trouvait le plus près du caporal Courneyea lors de l’incident. Il a dit que celui-ci semblait hébété et avait un regard vide. Le caporal La Bastille n’a pu dire si le caporal Courneyea était en colère ou s’il rigolait, parce que son visage était impassible. Cet incident concernant le maniement du C7 n’a duré que quelques secondes.

 

[35]      Le juge du procès doit d’abord conclure qu’il existe des éléments de preuve établissant un fondement suffisant au soutien de la défense d’automatisme. Il doit examiner les éléments de preuve psychiatriques ou psychologiques et s’interroger sur le fondement et la nature des opinions d’experts. Il examinera également tous les autres éléments de preuve disponibles. Les facteurs pertinents peuvent comprendre l’intensité de l’élément déclencheur, le témoignage corroborant d’observateurs, les antécédents médicaux corroborants d’états de dissociation apparentés à l’automatisme, la question de savoir s’il y a preuve de l’existence d’un mobile du crime et celle de savoir si la personne qui aurait déclenché l’état d’automatisme est également la victime de la violence qui en a résulté. Aucun facteur n’est déterminant à lui seul [voir R c Stone, [1999] 2 RCS 290, au paragraphe 192].

 

[36]      L’avis d’expert de la Dre Girvin est utile, mais il ne permet pas de décider de façon concluante si le caporal Courneyea souffrait de dissociation lorsqu’il a chargé son arme. La Dre Girvin a en effet mentionné qu’elle avait besoin de renseignements plus détaillés pour se former une opinion au sujet du comportement du caporal Courneyea lorsqu’il a manipulé l’arme et elle a admis qu’il était possible qu’il ait souffert de dissociation lors de l’infraction.

 

[37]      Il est indéniable que les deux attaques à l’EEI ont eu un effet dévastateur sur le caporal Courneyea. Le fait d’envoyer avec les pieds une grande quantité de poussière peut représenter un élément déclencheur important pour celui-ci. La Dre Girvin a convenu qu’une grande quantité de poussière pouvait avoir été à l’origine d’un épisode de dissociation en rappelant au caporal Courneyea l’incident de l’attaque à l’EEI. Selon le caporal Kehler, le caporal Courneyea se trouvait dans un état d’hébétude lorsqu’il tenait son fusil C7. Le caporal Courneyea a vécu des épisodes de dissociation dans le passé. Bien que les événements du 15 juillet semblent être assez différents de ces expériences antérieures, la Dre Girvin n’a pas affirmé en toutes lettres que les épisodes de dissociation devaient être semblables.

 

[38]      Aucun mobile n’explique les gestes en question. Le caporal Courneyea s’entendait bien avec le caporal Kehler avant l’incident. L’humeur générale du groupe était amicale. Un acte gratuit confère généralement une plausibilité à une allégation de caractère involontaire. La Cour suprême du Canada s’est fondée à cet égard sur le fait que, puisque l’esprit et le corps d’une personne en état de dissociation sont séparés, on pourrait s’attendre à ce qu’il n’y ait habituellement aucun lien entre les actes involontaires accomplis en état d’automatisme et le contexte social qui les a précédés immédiatement [voir R c Stone, au paragraphe 191].

 

[39]      Le caporal Kehler est la victime présumée de l’infraction. C’est également lui qui envoyait la poussière. Lorsqu’une même personne est à la fois l’élément déclencheur de l’automatisme allégué et la victime de la violence qui en a résulté, il y a lieu de mettre en doute l’allégation de caractère involontaire. Par ailleurs, si l’acte involontaire est accompli au hasard et sans motif, l’allégation d’automatisme sera davantage plausible. Le juge du procès doit donc se demander si le crime en cause peut s’expliquer indépendamment de l’automatisme allégué. S’il est possible de répondre à cette question par la négative, la plausibilité de l’allégation de caractère involontaire sera accrue. Ce serait le cas, par exemple, lorsqu’aucune autre raison n’expliquerait pourquoi l’accusé a attaqué la victime avec qui il était par ailleurs en bons termes. Par contre, s’il est possible de répondre à la question par l’affirmative, l’allégation de caractère involontaire sera moins plausible [voir à nouveau R c Stone, au paragraphe 191].

 

[40]      La conduite du caporal Courneyea à l’endroit du caporal Kehler est-elle logique, lorsqu’il est tenu compte des événements entourant les actes en question ainsi que du comportement précédent du caporal Courneyea et de la relation qu’il avait avec le caporal Kehler? Chaque témoin a déclaré que les actes du caporal Courneyea ne lui ressemblaient nullement. La réaction extrême du caporal Courneyea est accompagnée d’une expression faciale vide. Sa réaction est démesurée par rapport à la conduite du caporal Kehler. Les actes du caporal Courneyea semblent être une réaction impulsive à un élément déclencheur important, en l’occurrence, la poussière qui rappelle l’attaque à l’EEI. Combinés aux menaces apparentes causées par le PSPT, le manque de sommeil et l’hypervigilance ont également pu précipiter un épisode de dissociation lorsque le caporal Kehler a fait les gestes qui ont semblé agressifs aux yeux du caporal Courneyea.

 

[41]      Après avoir examiné les facteurs susmentionnés et l’ensemble de la preuve, la cour en est arrivée à la conclusion que le caporal Courneyea l’avait convaincue selon la prépondérance des probabilités que son état de conscience était diminué au point où il n’avait aucune maîtrise de ses actes lorsqu’il a chargé et armé son fusil C7.

 

[42]      La deuxième accusation est ainsi libellée : [traduction] Vers le 15 juillet 2011, à l’aérodrome ou à proximité de l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan, l’accusé a braqué sans excuse légitime une arme à feu, soit un fusil C7, sur le caporal Kehler, A.R. La poursuite devait établir les éléments essentiels suivants de l’infraction hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que la date et le lieu de l’infraction allégués dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que le caporal Courneyea a braqué une arme à feu;

 

c)                  le fait que le caporal Courneyea a braqué l’arme à feu sur le caporal Kehler;

 

d)                  le fait que le caporal Courneyea n’avait aucune excuse légitime pour braquer l’arme à feu.

 

[43]      Il appert clairement de la preuve présentée par les témoins de la poursuite que le caporal Courneyea n’a jamais braqué son fusil C7 directement sur le caporal Kehler. Le caporal Courneyea a toujours braqué son arme vers le sol, devant le caporal Kehler, lorsqu’il a chargé et armé le fusil. Selon le Concise Oxford Dictionary, le verbe « point » (braquer) signifie : [traduction] « attirer l’attention d’une personne dans une direction donnée à l’aide du doigt » et [traduction] « diriger ou viser (quelque chose) ». Même si la preuve montre que l’arme était dirigée vers le sol devant le caporal Kehler, elle montre aussi clairement que le caporal Courneyea n’a pas dirigé son arme sur le caporal Kehler. En conséquence, la cour conclut que la poursuite n’a pas prouvé cet élément de l’infraction hors de tout doute raisonnable.

 

[44]      La troisième infraction est ainsi libellée : [traduction] Vers le 15 juillet 2011, à l’aérodrome ou à proximité de l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan, l’accusé a sciemment proféré des menaces à l’endroit du caporal Kehler, A.R., c’est-à-dire qu’il a menacé de le tuer. La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants de cette infraction :

 

a)                  l’identité de l’accusé à titre de contrevenant ainsi que la date et le lieu de l’infraction allégués dans l’acte d’accusation;

 

b)                  le fait que le caporal Courneyea a menacé de causer la mort du caporal Kehler ou de lui causer des lésions corporelles;

 

c)                  le fait que le caporal Courneyea a sciemment proféré la menace.

 

[45]      Aux paragraphes 24 à 27 de l’arrêt R c McCraw, [1991] 3 RCS 72, la Cour suprême du Canada a décrit le but de la création de l’infraction de proférer des menaces et le raisonnement que doivent suivre les tribunaux à ce sujet :

 

le but et l’objet de l’article sont d’assurer une protection contre la crainte et l’intimidation.

 

Une menace est un moyen d’intimidation visant à susciter un sentiment de crainte chez son destinataire. Il n’est pas nécessaire que la menace soit exécutée; l’infraction est complète lorsque la menace est proférée. L’intention d’exécuter la menace n’est pas pertinente pour déterminer si l’infraction a été commise. C’est l’élément de crainte insufflé à la victime par la personne qui profère la menace qui constitue l’actus reus de cette infraction.

 

[46]      Les caporaux Courneyea, Kehler, Pinard et La Bastille avaient travaillé ensemble pendant quelque temps avant l’incident. Ils s’entendaient tous très bien et étaient allés manger ensemble. Le caporal Pinard et le caporal Courneyea avaient dit au caporal Kehler de cesser d’envoyer du sable avec ses pieds, mais le caporal Kehler a continué à le faire.

 

[47]      Le caporal Courneyea affirme qu’il ne se rappelle pas avoir dit au caporal Kehler qu’il tirerait sur lui ou qu’il le tuerait s’il n’arrêtait pas d’envoyer de la poussière avec ses pieds. Le caporal Kehler a affirmé que le caporal lui a dit qu’il tirerait sur lui s’il n’arrêtait pas et le caporal La Bastille n’était pas certain d’avoir entendu le caporal Courneyea prononcer ces mots. Quant au caporal Pinard, il a déclaré qu’il croyait avoir entendu le caporal Courneyea dire les mots « Don’t even », mais il n’a pu être plus précis et il a avoué ne pas avoir entendu le caporal Courneyea proférer des menaces à l’endroit du caporal Kehler.

 

[48]      Le caporal Kehler a souligné qu’il n’y avait pas d’animosité entre le caporal Cornouyea et lui-même avant l’incident du 15 juillet. Le caporal Pinard et le caporal La Bastille ont déclaré quant à eux qu’ils n’avaient jamais vu de confrontation physique mettant en cause le caporal Courneyea ni n’avaient observé d’attitude agressive de la part de celui-ci à l’endroit de qui que ce soit avant l’incident. Le caporal Kehler a déclaré qu’il croyait que le caporal Courneyea badinait lorsqu’il a dit qu’il l’abattrait. Il a dit qu’il ne s’est pas senti menacé par le caporal Courneyea et ne croyait pas que celui-ci voulait qu’il le prenne au sérieux. Il a marché pour rigoler en direction du caporal Courneyea et a envoyé du sable sur les bottes de celui-ci, parce qu’il ne croyait pas que le caporal Courneyea était sérieux ou intimidant ou qu’il tentait de lui faire peur.

 

[49]      Le caporal Kehler ne s’est pas senti menacé et aucun des témoins n’a dit qu’il croyait que le caporal Courneyea proférait des menaces à l’endroit du caporal Kehler en prononçant ces mots. Après avoir examiné ces paroles dans le contexte des conversations et des événements survenus et tenu compte de la situation du destinataire de la menace en question, la cour conclut que la preuve n’établit pas hors de tout doute raisonnable qu’examinés objectivement, ces mots ont transmis une menace de causer la mort du caporal Kehler ou de lui infliger de graves lésions corporelles.

 

[50]      Le caporal Courneyea n’a donné à la cour aucune explication concernant ces mots, puisqu’il déclare ne pas se rappeler les avoir prononcés. Il a expliqué qu’il était fâché contre le caporal Kehler en raison de la poussière que celui‑ci faisait en envoyant du sable avec ses pieds. Eu égard à la preuve décrivant le comportement du caporal Courneyea et la relation qu’il entretenait avec le caporal Kehler avant l’incident ainsi qu’à la preuve des événements qui ont mené à celui‑ci, la cour conclut qu’il n’a pas été établi hors de tout doute raisonnable que le caporal Courneyea a prononcé ces mots dans l’intention d’intimider ou d’être pris au sérieux.

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS CI-DESSUS, LA COUR :

 

[51]      DÉCLARE le caporal Courneyea non criminellement responsable de l’accusation numéro 1 en raison de troubles mentaux et déclare le caporal Courneyea non coupable des accusations numéros 2 et 3.


 

Avocats :

 

Capitaine de corvette S. Torani, Service canadien des poursuites militaires,

Procureure de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette B.G. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat du caporal J.H. Courneyea

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.