Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 16 avril 2007.
Endroit : BFC Shilo, aménagements pour lectures d’entraînement, Shilo (MB).
Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Arrêts des procédures.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Adjudant A.S. Laity, 2007 CM 3011
Dossier : 200686
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
MANITOBA
BASE DES FORCES CANADIENNES SHILO
Date : 17 avril 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT‑COLONEL L.‑V. D'AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
ADJUDANT A.S. LAITY
(Accusé)
DÉCISION RELATIVE À LA FIN DE NON-RECEVOIR PRÉSENTÉE AUX TERMES DE L'ALINÉA 112.05(5)b) DES ORDONNANCES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES INVOQUANT QUE LA COUR N'AURAIT PAS LA COMPÉTENCE DE JUGER L'ACCUSÉ.
(Prononcée de vive voix)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] L’Adjudant Laity est accusé de deux infractions de désobéissance à un ordre légitime, contrevenant ainsi à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale.
[2] À l’ouverture de son procès devant la cour martiale permanente le 16 avril 2007, avant que ne soit inscrit son plaidoyer, mais après qu’il a prêté serment, l’Adjudant Laity a présenté une demande, dont le Bureau de l’administrateur de la cour martiale a reçu préavis le 10 avril 2007, afin de s’opposer à l’instruction du procès parce que les accusations portées en l’espèce étaient nulles ab initio.
[3] La requête préliminaire a été présentée au moyen d’une demande formulée aux termes de l’alinéa 112.05(5)b) des Ordonnances et règlements royaux (ORFC) et invoque une fin de non-recevoir parce que la cour n’aurait pas la compétence de juger l’accusé.
[4] La preuve étayant cette demande se compose des éléments suivants :
a. Le témoignage de l’Adjudant‑maître Barnes.
b. La pièce PP1-1, l’avis de demande. Ce document a été produit en preuve sur consentement.
c. La pièce PP1-2, une copie du procès‑verbal de procédure disciplinaire concernant l’Adjudant A.S. Laity. Ce document a aussi été produit en preuve sur consentement.
d. Les faits en litige dont la cour prend judiciairement connaissance conformément à la règle 15 des Règles militaires de la preuve.
[5] À une date inconnue, trois accusations ont été portées contre l’Adjudant Laity, l’accusé devant la présente cour martiale, par l’Adjudant-chef Vigneault, une personne autorisée à porter des accusations selon le témoignage de l’Adjudant-maître Barnes. Le Capitaine Hart a été nommé par le commandant d’unité à titre d’officier assistant désigné pour l’accusé. Le 15 mai 2006, l’Adjudant-chef Vigneault a communiqué des renseignements à l’accusé comme l’exige l’article 108.15 des ORFC. Le même jour, l’accusé a été informé de son droit de choisir d’être jugé par une cour martiale. Le 19 mai 2006, l’accusé a choisi d’être jugé par une cour martiale et a informé l’Adjudant-chef Vigneault de sa décision. Tous ces renseignements sont tirés d’une photocopie du procès‑verbal de procédure disciplinaire produit sur consentement par l’accusé en tant que preuve pour étayer sa demande.
[6] Comme l’a déclaré l’Adjudant-maître Barnes au cours de son témoignage devant la cour, il ressort de certains documents qu’il détenait relativement à cette affaire que les accusations ont été transmises afin d’être tranchées par une cour martiale au moyen d’une demande à cet effet faite par le commandant de l’unité de l’accusé à l’autorité de renvoi, qui est le commandant du Secteur de l’Ouest de la Force terrestre.
[7] Le 10 août 2006, le Capitaine Bussey a signé un acte d’accusation visant deux infractions, en tant qu’officier autorisé à le faire conformément à l’article 165.15 de la Loi sur la défense nationale. On présume qu’une mise en accusation a été prononcée et un ordre de convocation a été délivré le 20 mars 2007 par l’administrateur de la cour martiale qui a convoqué la présente cour martiale permanente et ordonné à l’accusé de comparaître devant cette cour martiale permanente le 16 avril 2007 à 10 h, ce qu’il a fait.
[8] Dans sa demande, l’Adjudant Laity soulève le fait qu’il n’a jamais été accusé d’une infraction militaire parce que le procès-verbal de procédure disciplinaire n’a pas été signé comme l’exige l’article 107.015 des ORFC. C’est pourquoi, il demande que la présente cour martiale mette fin au procès parce qu’elle n’a pas la compétence voulue pour le juger.
[9] Afin de trancher la présente demande, la cour doit décider si les accusations ont été portées ou non. Si elles n’ont pas été portées, la cour doit se demander si l’acte d’accusation rédigé par le Directeur des poursuites militaires comble cette lacune dans le contexte de la présente affaire, comme le soutient le poursuivant.
[10] Dans le système de justice militaire canadien, le début d’une poursuite est régi par l’article 161 de la Loi sur la défense nationale. Cet article est ainsi rédigé :
161. La poursuite contre une personne à qui il est reproché d’avoir commis une infraction d’ordre militaire est entamée par une accusation portée conformément aux règlements du gouverneur en conseil.
[11] Ainsi, pour entamer toute poursuite militaire dans le système de justice militaire canadien il faut qu’une accusation soit portée. Qu’est-ce qu’une accusation et quand une accusation est-elle portée?
[12] L’article 107.015 des ORFC donne la réponse :
107.015 - SENS D’« ACCUSATION »
(1) Aux fins des poursuites intentées aux termes du code de discipline militaire, « accusation » s’entend d’une accusation formelle selon laquelle une personne justiciable de ce code a commis une infraction d’ordre militaire.
(2) Une accusation est portée contre une personne lorsqu’elle est consignée par écrit à la partie 1 (État de mise en accusation) du procès‑verbal de procédure disciplinaire (voir l’article 107.07 – Formule du procès‑verbal de procédure disciplinaire) et signée par une personne autorisée à porter des accusations.
(G) (C.P. 1999‑1305 du 8 juillet 1999 en vigueur le 1er septembre 1999)
[13] L’article énoncé ci-dessus est un règlement pris par le gouverneur en conseil, comme l’indique la lettre « G » imprimée entre parenthèses (voir l’article 1.24(2) de ORFC pour cette interprétation).
[14] J’avancerais qu’être officiellement accusé d’une infraction militaire, en l’espèce, d’une désobéissance à un ordre légitime d’un officier supérieur, est une chose très grave, surtout si vous faites face objectivement à un emprisonnement à perpétuité si vous êtes déclaré coupable de cette infraction.
[15] C’est probablement l’importance de la procédure qui explique pourquoi le pouvoir de porter une accusation dans le cadre du système de justice militaire a été limité à certaines catégories de personnes qui sont, comme le prévoit l’article 107.02 des ORFC, un commandant, un officier ou militaire du rang autorisé par un commandant à porter des accusations ou un enquêteur au sein du Service national d'enquêtes des Forces canadiennes.
[16] Comme l’exige le paragraphe 107.015(2) des ORFC, une accusation est portée lorsqu’elle est consignée par écrit sur le formulaire indiqué et qu’elle est signée par une personne autorisée à le faire. Dans le cadre de la présente demande, le seul procès-verbal de procédure disciplinaire produit en preuve sur lequel la cour peut s’appuyer est celui déposé par l’accusé et sur lequel on peut voir que la partie 1 (État de mise en accusation) n’a pas été signé par une personne autorisée à porter une accusation, ni daté. Le poursuivant a été incapable de produire l’original et aucune explication n’a été fournie au sujet du fait qu’on ne trouve pas cet original. Il ressort clairement du procès-verbal de procédure disciplinaire que le nom de la personne portant l’accusation a été dactylographié, mais cette personne n’a pas témoigné au sujet du fait que sa signature n’apparaît pas sur le procès-verbal de procédure disciplinaire. Selon le témoignage de l’Adjudant-maître Barnes, cette personne a été autorisée par le commandant de l’unité à porter les accusations.
[17] Il est évident pour la présente cour martiale que les accusations n’ont jamais été portées. L’absence de la signature de la personne autorisée à porter les accusations dépasse l’erreur de forme. Il est vrai que l’accusé a le droit de savoir qui l’accuse. Toutefois, le fait d’exiger la signature de la personne qui porte l’accusation signifie encore plus que cela. Une signature est une façon distinctive et personnelle de donner son identité. Comme l’a précisé le juge McGillivray dans Regina c. Welsford, (1967) 2 O.R. 496, à la fin de la décision :
[TRADUCTION] Une signature porte des caractéristiques qui l’identifie de telle manière que la personne qui signe peut difficilement nier qu’il s’agit de la sienne.
[18] Comme l’indique la note de l’article 107.02 de ORFC, la personne qui porte une accusation doit croire véritablement et raisonnablement que l’accusé a commis l’infraction qui lui est reprochée. En outre, en l’espèce, la personne ayant le pouvoir de porter les accusations a l’obligation d’obtenir l’avis d’un avocat militaire avant de le faire, et ce, en raison du rang de l’accusé, comme l’exige l’alinéa 107.03(1)b) de ORFC. Cette disposition montre bien à quel point l’étape du dépôt d’une accusation est grave et importante dans le contexte de la discipline militaire.
[19] Le dépôt des accusations, dans le système de justice militaire canadien, est plus qu’une étape de nature administrative. Il constitue la manière officielle et la seule manière légale d’entamer des procédures disciplinaires. Si une accusation n’est pas portée, alors la procédure disciplinaire n’est pas entamée. La présente cour décide que la procédure disciplinaire contre l’Adjudant Laity n’a jamais été entamée parce qu’aucune accusation n’a été portée comme la cour l’a expliqué précédemment.
[20] Les articles 101.06 et 101.07 des ORFC n’aident pas à conclure autrement. La présente cour estime que la signature qui manque sur le procès verbal de la procédure disciplinaire ne tient pas d’un défaut technique ou d’un écart de forme prescrit par règlement.
[21] Toutefois, la présente cour martiale se penche sur un acte d’accusation et non sur le procès-verbal de la procédure disciplinaire. L’acte d’accusation a été présenté à la présente cour martiale par le Directeur des poursuites militaires et un ordre de convocation a été signé par l’administrateur de la Cour martiale.
[22] Comme le prévoit l’article 165 de la Loi sur la défense nationale :
165. (1) La cour martiale ne peut juger une personne sans une mise en accusation formelle de celle‑ci par le directeur des poursuites militaires.
(2) Pour l’application de la présente loi, la mise en accusation est prononcée lorsque est déposé auprès de l’administrateur de la cour martiale un acte d’accusation signé par le directeur des poursuites militaires ou un officier dûment autorisé par lui à le faire.
[23] Même si cela n’était pas prouvé, il est facile de conclure que, en raison de l’existence de l’acte d’accusation et de l’ordre de convocation, le Directeur des poursuites militaires a décidé de prononcer la mise en accusation pour les deux accusations reprochées dans l’acte d’accusation. Toutefois, dans le contexte décrit ci-dessus, il serait difficile pour la présente cour martiale de conclure que les accusations de l’acte d’accusation ont fait l’objet d’une mise en accusation puisqu’elles n’ont pas été portées, c’est-à-dire qu’il n’existait légalement aucune accusation au moment où le Directeur des poursuites militaires a décidé de prononcer la mise en accusation. Alors, la présente cour martiale ne peut avoir la compétence voulue pour juger l’accusé en l’absence d’accusation à instruire.
[24] Le poursuivant, en l’espèce, a laissé entendre qu’en décidant de prononcer la mise en accusation, le Directeur des poursuites militaires a remédié à l’irrégularité que présentait le procès-verbal de procédure disciplinaire. Il a conclu en soutenant qu’étant donné que l’acte d’accusation est un document valide sur lequel une cour martiale peut se fonder, la présente cour martiale a compétence pour juger cet accusé et peut instruire l’affaire.
[25] Pour étayer son argument, le poursuivant invoque deux décisions de la Cour suprême. Premièrement, l’arrêt R. c. Barbeau, (1992) 2 R.C.S. 845. Dans cette décision, l’accusé avait été inculpé d’une infraction qui n’existait pas au moment où les prétendues infractions auraient été commises. Toutefois, la question n’avait été soulevée par l’accusé que quelque temps avant le procès, ce qui signifie que la dénonciation avait été faite, qu’une enquête préliminaire avait été tenue et qu’une ordonnance de renvoi à procès avait été délivrée auparavant. Le ministère public a alors décidé de présenter un nouvel acte d’accusation. Le procès s’est déroulé sur le fondement du nouvel acte d’accusation et l’accusé a été déclaré coupable de certaines accusations.
[26] La deuxième décision de la Cour suprême présentée par le poursuivant est l’arrêt R. c. Chabot, (1980) 2 R.C.S.. 985. Dans cette affaire, à la suite d’une enquête préliminaire pour meurtre au deuxième degré, le juge de la Cour provinciale a renvoyé l’accusé à procès pour l’infraction de meurtre au premier degré. Ensuite, le substitut du procureur général a signé un acte d’accusation en conséquence. L’accusé a contesté le renvoi à procès au moyen d’une demande d’habeas corpus assortie d’un certiorari. Le juge Dickson a prononcé l’arrêt de la Cour suprême. Il a confirmé que l’acte d’accusation devient le document opérant et qu’il n’est plus possible pour l’accusé d’attaquer la régularité du renvoi à procès. Il a aussi confirmé « qu’un juge qui mène une enquête préliminaire ne peut renvoyer à procès que sur l’inculpation formulée dans la dénonciation ou les dénonciations ». Ainsi, la Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d’appel de renvoyer l’affaire au juge de la Cour provinciale pour qu’il renvoie à procès sur l’accusation de meurtre au deuxième degré, s’il le jugeait à‑propos.
[27] Il est très intéressant de noter que ces deux décisions ont été rendues dans un contexte où il existe une enquête préliminaire. Une telle procédure judiciaire n’existe plus dans le système de justice militaire du Canada. Comme l’a mentionné le Colonel Jim Fay, dans l’article intitulé “Canadian Military Criminal Law; an Examination of Military Justice”, (1975) 23 Chitty's L.J. 195 - 216, aux pages 205 et 206, avant l’édiction de la première Loi sur la défense nationale, la procédure disciplinaire britannique utilisée par les Forces armées canadiennes comprenait une enquête préliminaire complète. Avec l’édiction de la première Loi sur la défense nationale, l’enquête préliminaire a été réduite à une procédure écrite dans laquelle un résumé écrit de la preuve accompagnait les accusations proposées à l’autorité convocatrice et à laquelle l’accusé avait l’occasion de fournir ses observations écrites à l’autorité convocatrice. Avec les modifications importantes apportées à la Loi sur la défense nationale en 1998, la procédure de confirmation des accusations à instruire par la cour martiale a été complètement éliminée, laissant aux mains du Directeur des poursuites militaires la tâche d’examiner l’affaire au moyen de la procédure de prononciation de la mise en accusation.
[28] L’existence de l’enquête préliminaire, dans laquelle une enquête est menée au sujet de la preuve étayant une accusation et où une décision judiciaire est prononcée au sujet du caractère suffisant de cette preuve et en vue de renvoyer un accusé à procès, est au coeur des deux décisions de la Cour suprême invoquées par le poursuivant. Il est intéressant, parfois, de faire un parallèle entre le système de justice pénale canadien et le système de justice militaire canadien. En l’espèce, ce parallèle n’aide aucunement à régler la question. La présente cour martiale estime que la prononciation d’une mise en accusation par le Directeur des poursuites militaires dans le système de justice militaire, bien qu’elle ressemble à une mise en accusation signée par un substitut du procureur général dans le système de justice pénale canadien, n’a pas le même effet parce que les contextes d’ordre procédural qui existent sont différents.
[29] Le système de justice militaire canadien est une procédure disciplinaire comportant des conséquences pénales, ce qui en fait un système très particulier. Il a une procédure particulière, autonome.
[30] Rappelons, qu’il est très clair pour la présente cour martiale qu’aucune accusation n’a été portée contre l’Adjudant Laity parce que la formule intitulée « procès‑verbal de procédure disciplinaire » n’a pas été signée par une personne autorisée à porter des accusations, comme l’exige le règlement. Ainsi, la procédure disciplinaire engagée contre l’accusé n’a pas véritablement été entamée et la mise en accusation prononcée par le Directeur des poursuites militaire ne peut remédier à ce vice fondamental. La cour martiale ne peut connaître de l’affaire de l’Adjudant Laity si, légalement, il n’existe aucune accusation.
[31] La demande présentée par l’accusé conformément à l’alinéa 112.05(5)b) des ORFC est accueillie relativement à toutes les infractions. L’instance de la présente cour martiale relative à l’Adjudant Laity est terminée.
LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, J.M.
AVOCATS :
Capitaine D. Curliss, Direction des poursuites militaires
Procureur de Sa Majesté la Reine
Capitaine de corvette J.C.P. Lévesque, Direction du service d’avocats de la défense
Capitaine A.M.W. Reed, Direction juridique / Opérations
Avocat de l’Adjudant A.S. Laity