Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l’ouverture du procès : 5 septembre 2007.
Endroit : Manège militaire Lieutenant-colonel George Taylor Denison III, 1 chemin Yukon, Toronto (ON)
Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, agression armée (art. 267a) C. cr.).
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 4) : Art. 93 LDN, comportement déshonorant.
•Chef d’accusation 4 (subsidiaire au chef d’accusation 3) : Art. 95 LDN, a maltraité une personne qui en raison de son grade lui était subordonnée.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Non coupable.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Sergent A.P.S. Quinn, 2007 CM 3017
Dossier : 200704
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ONTARIO
L. COL GEORGE TAYLOR DENNISON III ARMOURY, TORONTO
Date : le 7 septembre 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L-V. D’AUTEUIL, J.M.
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
SERGENT A.P.S. QUINN
(Accusé)
DÉCISION RELATIVEMENT À UNE DEMANDE EN VERTU DE L’ALINÉA 112.05(5)e) DES ORDONNANCES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES RELATIVEMENT À UNE VIOLATION DE L’ARTICLE 7 ET DE L’ALINÉA 11b) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Le sergent Quinn, réserviste militaire du Royal Regiment of Canada comptant 24 années de service au sein des Forces canadiennes, est accusé de deux infractions d’agression armée en contravention à l’article 267a) du Code Criminel du Canada, ce qui représente une infraction d’ordre militaire conformément à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale (la LDN), d’une infraction pour avoir eu un comportement déshonorant en contravention à l’article 93 de la LDN et, à titre subsidiaire, d’une infraction pour avoir maltraité un subordonné par le grade en contravention à l’article 95 de la LDN.
[2] À l’ouverture de ce procès devant la cour martiale permanente, le 5 septembre 2007, avant de soumettre son plaidoyer et après que les serments ont été prêtés, le sergent Quinn a fait une demande d’arrêt des procédures aux termes du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), dont l’administrateur de la cour martiale a été avisé le 30 août 2007; le sergent Quinn invoquait une atteinte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable que lui garantit l’alinéa 11b) de la Charte.
[3] L’avocat de la défense a aussi soulevé la question d’une atteinte au droit à la sécurité du demandeur, qui est garanti par l’article 7 de la Charte, du fait qu’il a été retiré de ses fonctions militaires par son commandant et qu’il s’est vu refuser le droit de présenter une réponse et défense pleine et entière en raison de son incapacité à assigner un témoin oculaire à comparaître. La cour a admis la preuve et les plaidoiries en ce sens, estimant que le procureur de la poursuite avait été dûment avisé verbalement de cette question en litige.
[4] La requête préliminaire a été présentée au moyen d’une demande formulée aux termes de l’alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC) en tant que question de droit ou question mixte de droit et de fait devant être tranchée par la cour.
[5] La preuve produite devant la présente cour martiale est formée essentiellement des faits suivants :
A. Les témoignages entendus, soit, dans l’ordre de comparution, celui du sergent Quinn, le demandeur en l’espèce, et celui du lieutenant-colonel Perchal, le commandant de l’accusé.
B. La pièce VD1-1, l’avis de demande.
C. La pièce VD1-2, l’exposé conjoint des faits.
D. La pièce VD1-3, la lettre du commandant du Royal Regiment of Canada datée du 27 septembre 2005, adressée au sergent Quinn au sujet de son retrait des fonctions militaires.
E. La pièce VD1-4, une note de service du commandant du Royal Regiment of Canada, en date du 22 juin 2006, adressée au sergent Quinn à titre de réponse du commandant à l’égard de son grief.
F. La pièce VD1-5, la fiche de conduite du sergent Quinn au sein des Forces canadiennes.
G. La pièce VD1-6, le rapport des données du fichier central de la solde du sergent Quinn pour la période entre décembre 2002 et août 2007.
H. La pièce VD1-7, le Registre des présences à l’unité - Force de réserve du sergent Quinn pour l’exercice 2003-2004.
I. La pièce VD1-8, le Registre des présences à l’unité - Force de réserve du sergent Quinn pour l’exercice 2004-2005.
J. La connaissance judiciaire prise par la Cour des éléments visés par l’article 15 des Règles militaires de la preuve.
[6] Les incidents qui constituent les fondements de l’ensemble des accusations auraient eu lieu entre le 20 et le 28 août 2005, au cours de l’exercice STALWART GUARDIAN 2005, à la Base des Forces canadiennes de Petawawa.
[7] À la suite d’une enquête de l’unité, le major Gidlow du Royal Regiment of Canada a signalé les incidents à la police militaire le 13 septembre 2005. Le Service national des enquêtes des Forces canadiennes (SNEFC) a entrepris son enquête sur la question le 15 septembre 2005.
[8] Pendant ce temps, le 22 septembre 2005, conformément à l’article 101.08 des ORFC, le commandant du Royal Regiment of Canada a, après avoir consulté l’enquêteur du CNEFC, ainsi qu’un avocat militaire, retiré le sergent Quinn de ses fonctions militaires. Comme en témoigne la lettre confirmant cette situation, la pièce VD1-3, le commandant a informé le sergent Quinn qu’il serait avisé advenant tout changement qui entraîne l’annulation de la décision. Il lui a aussi donné le nom d’une personne-ressource au sein de l’unité, à savoir le sergent-major régimentaire (le SMR), l’adjudant-chef Lowry.
[9] Le 16 novembre 2005, le CNEFC a terminé son enquête. Cependant, ce n’est que le 11 janvier 2006 que l’examen préalable à l’accusation a été déposé au bureau du procureur militaire régional (PMR) afin d'obtenir l'avis d'un avocat militaire, comme il est exigé conformément à l’alinéa 107.03(1)c) et au paragraphe (2) des ORFC, sachant que l'enquêteur du SNE dispose du pouvoir de porter des accusations, comme il est prévu à l'alinéa 107.02 c) des ORFC.
[10] Le 23 mars 2006, un l'enquêteur du SNE a porté sept accusations contre le sergent Quinn.
[11] À peu près à cette époque, le sergent Quinn a fait une demande à son commandant afin d'être représenté au dossier par un avocat militaire.
[12] Le 27 mars 2006, le commandant du Royal Regiment of Canada a transmis l’affaire à l’autorité de renvoi pour référer les accusations à la cour martiale.
[13] En plus de la demande de connaître d’une accusation qu’il a reçue de la part du commandant du Royal Regiment of Canada, l’autorité de renvoi, le commandant de la Force opérationnelle interarmées (Centre), a transmis, le 8 mai 2006, la demande au bureau du directeur des poursuites militaires (DPM).
[14] Le 31 mai 2006, le major Tamburro, le PMR de la Région du Centre, a été affecté au dossier et a reçu l’ordre d’effectuer la vérification postérieure à l’accusation.
[15] Le 13 octobre 2006, le Directeur du service d’avocats de la défense (DSAD) a nommé le capitaine de corvette McMunagle à titre d’avocat de la défense du sergent Quinn.
[16] L’avocat de la défense a demandé la communication de la preuve le 19 octobre 2006, et le procureur de la poursuite a produit sa preuve le 10 janvier 2007.
[17] Les accusations contre le sergent Quinn ont été déposées par le DPM le 15 janvier 2007. Après un échange continu de courriels, du mois de janvier jusqu’au mois de mars 2007, entre le procureur de la poursuite, l’avocat de la défense ainsi que l’administrateur adjoint de la cour martiale, au sujet de la disponibilité des avocats ainsi que de l’appareil judiciaire militaire, un ordre de convocation devant la cour martiale disciplinaire a été signé par l’administrateur de la cour martiale (ACM) le 26 avril 2007. Le 6 juillet 2007, après des mesures prises par la poursuite à la demande de l’avocat de la défense, l’ACM a signé un nouvel ordre de convocation devant la cour martiale permanente pour la même date de procès.
[18] L’alinéa 11b) de la Charte se lit comme suit :
11. Tout inculpé a le droit :
...
b) d’être jugé dans un délai raisonnable;...
[19] Comme l’a reconnu la Cour suprême du Canada au paragraphe 27 de l’arrêt R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, l’alinéa 11b) de la Charte vise à protéger les droits individuels particuliers que constituent le droit à la sécurité, le droit à la liberté et le droit à un procès équitable.
[20] De plus, dans le même arrêt, la Cour suprême du Canada a clairement mentionné que ces droits doivent être évalués dans le contexte de l’existence d’un intérêt de la société dans son ensemble :
... à s’assurer que ceux qui transgressent la loi soient traduits en justice et traités selon la loi.
Voir le paragraphe 30 de l’arrêt Morin. Cet intérêt social prend une dimension unique lorsque l’on prend en considération l’objectif du système de justice militaire :
... En bout de ligne, pour promouvoir au maximum les chances de succès de la mission, la chaîne de commandement doit être en mesure d'administrer la discipline afin de contrôler les inconduites qui mettent en péril le bon ordre, l'efficacité militaire et finalement la raison d'être de l'organisation, la sécurité nationale.
Cette citation est tirée de la thèse du major Jean-Bruno Cloutier, intitulée L’utilisation de l’article 129 de la Loi sur la défence nationale dans la système de justice militaire canadien (à la page 17).
[21] Il est important de noter que l’accusé doit faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, de la violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
[22] De plus, le législateur a adopté en 1999 l’article 162 de la LDN afin de réitérer que, dans le contexte militaire, il incombe toujours aux intervenants du système de justice militaire de traiter les accusations avec toute la célérité « que les circonstances permettent ». Contrairement à ce qui a été prétendu par l’avocat de la défense, cet article ne crée pas de nouvelle obligation en plus de celle déjà prévue aux termes de l’alinéa 11b) de la Charte. Comme l’a énoncé le juge Décary au paragraphe 14 de la décision R. c. Capitaine Langlois, (2001) CACM 3 de la Cour d’appel de la cour martiale :
Je ne crois pas que l’article 162 soit très utile, en ce qu’il ne répète qu’à sa façon l’alinéa 11b) de la Charte. L’alinéa 11b) a, bien sûr, priorité et l’article 162 ne saurait être interprété d’une manière qui réduise les droits que reconnaît l’alinéa 11b) à l’inculpé.
[23] Quel est le sens de l’expression « délai raisonnable »? La Cour suprême du Canada a établi le cadre d’analyse dans l’arrêt Morin. Il existe quatre grands facteurs que la Cour doit examiner et prendre en considération afin de déterminer si, dans une affaire en particulier, le délai pris pour instruire l’affaire est déraisonnable ou non, savoir :
A. La longueur du délai entre le moment où des accusations sont portées et la fin du procès;
B. La renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul;
C. Les raisons du délai;
D. Le préjudice subi par l’accusé.
[24] En examinant les raisons du délai, le tribunal doit tenir compte des éléments suivants :
A. Les délais inhérents à la nature de l’affaire;
B. Les actes de l’accusé et du poursuivant;
C. Les limites des ressources institutionnelles;
D. Les autres raisons du délai.
[25] Comme l’a déclaré le juge Lamont dans la décision R. c. Caporal Wolfe, 2005 CM 48, aux paragraphes 14 et 15 :
[14] Ces facteurs guident le tribunal dans sa décision, mais ils ne sont pas appliqués de façon mécanique et ne devraient pas non plus être considérés comme immuables ou inflexibles; sinon, cette disposition de la Charte deviendrait simplement une loi sur la prescription des poursuites imposée par le pouvoir judiciaire.
[15] Ce ne sont pas seulement les délais qui préoccupent le tribunal, mais plutôt leur effet sur les intérêts que l'alinéa 11b) est censé protéger. Dans l'évaluation des incidences du délai, il est important de se souvenir que la question à trancher en fin de compte est celle du caractère raisonnable du délai global qui s'est écoulé entre le dépôt de l'accusation et la conclusion du procès.
[26] Cela dit, la cour examine maintenant l’analyse relative à demande.
[27] Le premier facteur dont il faut tenir compte est la longueur du délai. Comme il a été dit au paragraphe 35 de l’arrêt Morin, pour la déterminer, la cour doit examiner la période écoulée entre le moment où des accusations sont portées, conformément à l’article 107.015(2) des ORFC, jusqu’à la fin du procès. Comme la preuve entendue par la cour en témoigne, les accusations contre le sergent Quinn ont été portées le 23 mars 2006. On peut considérer que ce procès s’est achevé à la fin de septembre 2007. Ainsi, la longueur du délai est de 18 mois, soit un délai suffisant pour soulever des doutes quant à son caractère raisonnable (Morin). En fait, ce délai montre effectivement que les accusations n’ont pas été traitées avec la célérité exigée par le système de justice militaire canadien.
[28] En ce qui concerne le délai antérieur au dépôt des accusations , il peut, dans certaines circonstances, avoir une influence sur la décision globale de savoir si le délai postérieur à l'accusation est déraisonnable, mais il n'entre pas comme tel dans le calcul de la longueur du délai. (Morin). La Cour suprême du Canada a confirmé un tel point de vue dans l’arrêt R. c. Finn (1997), 112 C.C.C. (3d) 288, dans lequel elle a déclaré souscrire à ce sujet aux motifs du juge Marshall de la Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador, publiés à 106 C.C.C. (3d) 43. La Cour d’appel de la cour martiale a reconnu ce principe dans les décisions Perrier et Larocque.
[29] Eu égard à l’ensemble de la preuve qui lui est présentée, la cour estime qu’en l’espèce, il ne faut pas tenir compte du délai antérieur au dépôt des accusations pour déterminer la longueur du délai postérieur au dépôt des accusations. En l’espèce, le délai antérieur au dépôt des accusations, qui représente la période entre la conclusion de l’enquête en novembre 2005 et le moment où les accusations ont été déposées, c’est-à-dire le 23 mars 2006, est de quatre mois. Même si l’avocat de la défense a essayé d’établir un parallèle entre la présente affaire et l’affaire Perrier, la cour statue que les circonstances des deux affaires sont trop différentes pour que cela ait une valeur. Dans l’affaire Perrier, le juge militaire a expliqué que, dans son calcul des 24 mois, il tenait compte des 17 mois s’étant écoulé de la fin de l’enquête de la police jusqu’au dépôt des accusations, auxquels il ajoutait les six mois postérieurs à la mise en accusation. De plus, il a déclaré qu’étant donné que Perrier avait été suspendu de ses fonctions militaires, une suspension qui ressemblait fort selon lui à une mise en accusation dans ces circonstances particulières, le délai initial devait courir à partir de la date de la suspension.
[30] En l’espèce, le délai entre le retrait des fonctions militaires et le dépôt des accusations est de six mois. Selon le juge militaire, dans l’affaire Perrier, les trois périodes dans leur ensemble constituaient une violation des droits garantis par l’article 7, et le juge militaire a ajouté une conclusion subsidiaire relativement à l’alinéa 11b) de la Charte. Il est important de noter que, dans Perrier, l’accusé, un membre de la Force de réserve en service de classe B , avait reconnu sa responsabilité dès le tout début de l’enquête et qu’il avait été suspendu de ses fonctions immédiatement après ses aveux, qu’il avait dû rendre ses uniformes et remplir les formalités de sortie de la base, faire rapport par téléphone à son supérieur au cours des trois premiers mois de sa suspension chaque fois qu’il quittait son domicile pendant plus de deux heures et n’avait reçu aucun salaire militaire pendant toute la période de suspension. En l’espèce, les faits n’étayent pas la proposition selon laquelle la situation antérieure au dépôt des accusations du sergent Quinn est comparable, de quelque manière ou forme que ce soit, à celle de l’affaire Perrier. Le délai antérieur au dépôt des accusations, à savoir quatre mois en l’espèce, n’a d’aucune façon aggravé le présumé préjudice infligé au demandeur, contrairement à ce qui s’est produit dans la décision Perrier. En fait, le sergent Quinn pouvait communiquer avec son adjudant-chef à son unité au cours du processus d’enquête et contacter directement ou indirectement l’enquêteur du CNEFC pour connaître les progrès de l’enquête jusqu’à sa conclusion. Il n’a jamais été mis aux arrêts ou mis en liberté sous caution.
[31] De la même manière, la cour n’estime pas qu’il devrait être tenu compte du délai postérieur au dépôt des accusations pour procéder à l’analyse de l’alinéa 11b) à la lumière de la décision de la CMCA dans R. c. Larocque. Dans l’affaire Larocque, le temps écoulé entre la conclusion de l’enquête et le dépôt des accusations était de 13 mois, ce qui est tout à fait différent en l’espèce. Comme il est énoncé dans l’exposé conjoint des faits, le délai entre la fin de l’enquête et le dépôt des accusations est de quatre mois dans la présente affaire. Là encore, une distinction doit être faite avec la présente affaire afin de déterminer si le délai antérieur au dépôt des accusations a eu une incidence sur la décision globale de savoir si le délai postérieur à l'accusation est déraisonnable.
[32] Le deuxième facteur que cette cour doit examiner est la renonciation de l’accusé à invoquer certaines périodes dans le calcul. La cour ne tient pas compte des périodes que le demandeur a renoncé à invoquer pour le calcul du délai postérieur au dépôt des accusations qui est de 18 mois. Comme il est dit au paragraphe 38 de l’arrêt Morin, la renonciation :
... doit être claire et sans équivoque...
Tel n’est pas le cas, en l’espèce, pour tout délai, y compris l’acceptation, le 26 mars 2007, par l’avocat de la défense, du 5 septembre 2007 comme date de procès. Il faut garder se souvenir que les actions ou les inactions de l’accusé ou de son avocat peuvent équivaloir à une renonciation ou encore être attribués au demandeur, dans l’examen des raisons du délai, ou finir par être évalués dans le contexte du préjudice subi par l’accusé. La cour estime que cette conduite mérite d’être étudiée ultérieurement sous la prochaine rubrique qui concerne les raisons du délai et, plus précisément, sous le thème des « actes de l’accusé ». Selon la cour, cette conduite ne constitue d’aucune façon une renonciation de la part de l’accusé.
[33] Il en découle que la cour doit examiner toute la période de 18 mois dans son analyse.
[34] Le troisième facteur pour les fins de l’analyse est la raison du délai. Comme il a été dit précédemment, il s’agit de cinq raisons précises que la présente cour doit examiner. Il est important de dire que, dans tout système de justice, y compris le système de justice militaire, il est inévitable qu’il y ait un certain délai pendant le traitement d’une accusation. Il est simplement normal qu’un certain temps soit nécessaire pour mettre une affaire en état d’être instruite. C’est pourquoi il est important d’effectuer une analyse approfondie des raisons entraînant le délai pour pouvoir en arriver à conclure sur son caractère raisonnable.
[35] Il existe des exigences particulières en matière de délai qui sont propres au système de justice militaire lorsqu’une accusation doit être traitée afin qu’un accusé soit traduit en cour martiale. Dans le système de justice militaire, le cadre législatif et réglementaire établit un certain nombre de vérifications et de contre-vérifications conçues essentiellement pour protéger l’intégrité du système.
[36] Comme les faits déposés en preuve l’ont montré, l’enquêteur du CNEFC, tout comme la chaîne de commandement, devaient se conformer à certaines exigences réglementaires dès lors qu’une accusation était portée contre un membre des Forces canadiennes. Le commandant doit décider s’il verra à ce que le procès soit instruit ou s’il ne donnera pas suite à l’accusation. Pour prendre sa décision, il aura avant cela besoin d’un avis juridique. Une fois que l’autorité de renvoi aura reçu la demande de connaître d’une accusation de la part du commandant, elle devra la transmettre, avec ses recommandations, au directeur des poursuites militaires. Puis, il faut un certain temps à la poursuite pour rencontrer les témoins et analyser les documents afin de prendre une décision sur le dépôt des accusations. Il faut aussi tenir compte de la communication de la preuve, de la préparation au procès, ainsi que de la disponibilité des avocats de la défense et de la poursuite avant qu’une affaire soit déclarée prête pour être entendue devant la cour martiale. La complexité d’une affaire doit aussi entrer en ligne de compte.
[37] La cour adopterait le point de vue du juge militaire en chef dans sa décision à la cour martiale dans l’affaire Corporal Gibbons, à savoir que le délai exigé pour ce type d’affaire devrait être de quatre à six mois, avec une légère augmentation pour les unités de la Réserve.
[38] En l’espèce, il est clair que les actes de la poursuite ont contribué au délai. Plus particulièrement, la période écoulée entre le moment où le procureur de la poursuite a été affecté au dossier, le 31 mai 2006, et le dépôt des accusations, le 15 janvier 2007, n’a pas été expliquée de façon satisfaisante par le procureur de la poursuite . Le fait que deux témoins aient été interrogés par les enquêteurs du CNEFC pendant cette période ne permet pas à la cour de conclure que le procureur de la poursuite n’a pas été en mesure de procéder à sa vérification postérieure à l’accusation.
[39] Cependant, comme il a été soulevé par le procureur de la poursuite, bien que le sergent Quinn ait demandé en mars 2007 à son commandant d’être représenté par un avocat militaire, ce n’est pas avant octobre 2007 que le Directeur du service d'avocats de la défense a nommé un avocat pour le défendre. La cour n’a été saisie d’aucune preuve pouvant expliquer de façon raisonnable pour quelle raison aucun membre de la Direction du service d'avocats de la défense n’a communiqué avec le sergent Quinn, malgré sa demande initiale faite en mars 2007. Il est inacceptable qu’en l’absence d’explication raisonnable en l’espèce, une personne pour laquelle il a été décidé qu’elle serait représentée par un avocat dans le cadre du régime spécial d’aide juridique prévu au chapitre 101 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes, soit laissée sans la possibilité d’être représentée pendant une période de sept mois. Cette situation atténue certainement et diminue clairement l’incidence du retard attribué à la poursuite. Bien que le procureur de la poursuite ait été affecté au dossier, comment aurait-il été possible pour la poursuite de communiquer la preuve et de discuter de toute question liée à l’affaire, notamment d’une date de procès, s’il n’y avait aucun avocat de la défense avec qui s’entretenir pendant une période de cinq mois?
[40] Enfin, il est important de dire que, compte tenu de la nature et de la gravité des accusations, cette affaire n’est pas considérée comme étant excessivement complexe.
[41] À partir du moment où le sergent Quinn a été inculpé jusqu’au moment du présent procès, l’accusé a fait certaines choses qui ont contribué au délai. Le délai entre le 26 mars et septembre 2007, causé directement par la conduite de l’avocat du demandeur au moment d’en venir à une attente sur la date de procès, a interrompu l’écoulement du temps, causant ainsi une violation du droit constitutionnel du demandeur d’être jugé dans un délai raisonnable, comme l’a exposé le juge militaire en chef en cour martiale dans l’affaire Corporal Gibbons.
[42] Quant à l’inaction de l’accusé, la cour en traitera au cours de l’analyse des quatre facteurs du préjudice subi par l’accusé.
[43] Au sujet des limites des ressources institutionnelles en l’espèce, la cour est convaincue que les ressources étaient suffisantes. Il n’existe aucune preuve démontrant que ce facteur aurait pu jouer un rôle en contribuant à la longueur du délai. D’après la preuve présentée devant cette cour, il est clair qu’il n’existait pas de restrictions aux ressources judiciaires, entre le moment où les accusations ont été déposées le 15 janvier 2007 jusqu’au moment où la présente cour a été convoquée, le 26 avril 2007. En fait, les ressources judiciaires n’étaient pas limitées, comme en témoigne l’échange de plusieurs courriels pendant cette période. Le fait qu’il n’y ait pas eu de disponibilité judiciaire pendant certaines périodes, comme l’a laissé entendre l’avocat, qu’il y ait eu une certaine accumulation de causes à traiter et que celle-ci ait eu pour effet de donner la priorité aux causes plus anciennes quand venait le moment de fixer une date de procès, combiné au fait qu’il a fallu un délai de deux semaines en l’espèce pour fixer une date de procès, n’est pas anormal dans les circonstances et ne témoigne pas d’un manque de ressources judiciaires, comme le plaide l’avocat de la défense.
[44] La cour ne voit pas d’autres raisons pour expliquer le délai. Par conséquent, le délai total est de 8 à 13 mois, selon que soit incluse ou non la période pendant laquelle l’avocat de la défense n’était pas encore nommé au moment où la poursuite déposait le dossier. Dans les circonstances de l’espèce, ce délai ne donne pas lieu à une présomption irréfutable de préjudice même si c’est à la limite supérieure de ce qui peut être considéré comme raisonnable. La preuve présentée à la cour ne permet pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur a subi un préjudice causé directement par le délai ou en découlant. À présent, la cour se tourne maintenant vers le préjudice subi par l’accusé.
[45] La preuve présentée par le demandeur ne montre pas qu’il ait subi un préjudice autre que le stress et l’angoisse habituels qui sont inhérents au fait de devoir affronter de très graves accusations d’infractions de nature criminelle ou d’infractions d'ordre militaire. La cour reconnaît que la décision du commandant du Royal Regiment of Canada a eu une incidence sur le demandeur. Le sergent Quinn a déclaré qu’il n’a pas pu être engagé dans les Forces canadiennes en raison de cette décision. Il n’a pas été en mesure d’envisager un transfert dans la force régulière, trouver un poste en service de classe B ou C, ou se porter volontaire pour une mission à l’étranger. Il est important de noter que, sauf la mention faite par le demandeur dans son témoignage, il n’y a pas eu de preuve présentée à la cour au sujet d’une véritable perte de possibilité. Aux yeux de la cour, il semble qu’il s’agisse de souhaits du demandeur, mais la preuve de la possibilité concrète que cela ait pu se produire n’a pas été faite.
[46] Force est bien de constater, pour la cour, que dans le contexte d’une condamnation en cour martiale pour des infractions comparables, qui a provoqué sa rétrogradation sept ans plus tôt, l’incidence psychologique est évidente et ne semble ni anormale ni excessive dans les circonstances. Il serait normal que le demandeur ait été préoccupé de l’effet d’une déclaration de culpabilité pour lui et pour sa carrière dans les forces militaires.
[47] Le sergent Quinn a déclaré que la perspective de l’emprisonnement, ainsi que l’humiliation et la perte d’estime de soi, l’ont amené à consommer plus d’alcool, ont constitué un des facteurs ayant conduit à son divorce et ont donné lieu à un manque de motivation à faire de l’exercice, et qu’il avait des troubles du sommeil. Toutefois, comme le montrent son témoignage et son grief, ce n’est pas la perspective d’être traduit en cour martiale, mais le fait d’être retiré de ses fonctions militaires qui lui a causé bon nombre de soucis. La réponse du commandant à son grief, pièce VD1-4, visait à l’humilier et à l’embarrasser, selon lui, du fait qu’il était banni de tout événement militaire ou social de son unité, comme il ressort des paragraphes 7 et 8 du document. La cour estime que la longueur du délai n’a eu aucune incidence et qu’elle n’a pas eu pour effet d’aggraver les conséquences inhérentes au fait que le demandeur faisait l’objet de quatre chefs d’accusation devant la cour.
[48] De plus, le commandant a affirmé devant la cour, et a clairement déclaré, que, sans égard aux conclusions de la cour martiale, il était clair, quant à lui, que le sergent Quinn ne serait jamais employé à nouveau dans son unité. Il a confirmé à la cour qu’il avait fondé sa décision sur ce qu’il avait appris au cours des deux dernières années au sujet du sergent Quinn et qu’il n’avait pas attendu que la cour martiale tranche sur les accusations pour se faire une opinion. Cette déclaration prouve, comme le poursuivant a tenté de le dire à la cour, que même si la cour martiale avait agi plus tôt, le préjudice allégué par le demandeur aurait continué d’exister et n’avait rien à voir avec les accusations devant la cour.
[49] En ce qui concerne les pertes financières, il est clair pour la cour que pour compenser les pertes monétaires découlant de son retrait des fonctions militaires, le sergent Quinn a commencé à travailler à temps plein dans d’autres emplois. Puis, comme le montrent les documents présentés et le témoignage du sergent Quinn, tout compte fait, ses revenus étaient à peu près les mêmes avant et après le 20 septembre 2005, date de son retrait, comme il a été admis par l’avocat de la défense dans son exposé final dans le cadre de cette demande. Aucun préjudice n’a été causé par une perte financière parce que le demandeur n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que c’était le cas.
[50] De plus, les actes de l’accusé et de son avocat sont aussi une indication de l’absence de préjudice. Dans la décision R. c. R.C. (2001), 158 C.C.C. (3d) 119, une affaire mettant en cause la question du délai raisonnable, la Cour d’appel de Terre-Neuve a mentionné ce qui suit au paragraphe 31 :
[TRADUCTION]
Si, en fait, les effets négatifs étaient graves ou exacerbés de par la longueur du délai, on s’attendrait à ce que l’intimé ait pris des mesures, comme de se plaindre du délai ou de demander des dates antérieures. (Voir R. c. Marstar Trading International Inc. and St. Amour (1999) 138 C.C.C. (3d) 87 (C.A. Ont.), au paragraphe 2). Le fait qu’il n’ait pris aucune mesure, ce qui est certainement son droit, conduit à en déduire raisonnablement qu’il n’était pas trop préoccupé ou lésé par le délai. Nous faisons remarquer que l’intimé n’était ni incarcéré ni soumis à des conditions restrictives de liberté sous caution.
[51] Dans l’arrêt Morin, la Cour suprême du Canada est arrivée à la même conclusion dans l’évaluation du préjudice subi par l’accusé lorsqu’elle déclare ce qui suit, au paragraphe 78 :
[...] Bien que l’accusée n’était pas obligée de prendre des mesures pour accélérer son procès, on peut tenir compte de son inaction pour évaluer le préjudice. Pour ce motif, je conclus que l'accusée était satisfaite du rythme auquel se déroulaient les événements et que, par conséquent, le délai n'a causé que peu de préjudice, sinon aucun.
[52] Le directeur de la Direction du service d’avocats de la défense a désigné un avocat militaire pour l’accusé sept mois après le dépôt des accusations contre lui. Comme l’a mentionné le juge Lamont au paragraphe 34 de la décision R. c. Ex-Caporal S.C. Chisholm, 2006 CM 07 :
[...] Si l’avocat avait été informé du préjudice subi par le demandeur en raison des délais, il ou elle aurait été conscient(e) de l’importance sur le plan juridique de ce préjudice et on se serait attendu qu’il fasse pression sur les autorités au nom du demandeur pour que le procès ait lieu le plus tôt possible. Dans de telles circonstances, et en l’absence de toute inquiétude exprimée quant au délai à l’étape préliminaire, il se pourrait bien que la cour en conclue que le préjudice n’a pas été établi puisque la défense a consenti au délai.
[53] Aucun élément de preuve n’a été présenté au sujet de toute expression ou préoccupation du demandeur comme quoi il avait décidé de faire pression sur les autorités pour obtenir une date de procès plus proche. Le sergent Quinn a déclaré qu’il se renseignait auprès de son sergent-major régimentaire à l’unité, une fois par mois, quant à l’évolution de la procédure disciplinaire contre lui. De telles demandes de renseignements n’indiquent pas que la personne veut faire valoir son droit à un procès rapide, mais montre plutôt qu’elle est assez satisfaite de l’allure à laquelle les choses avancent. En revanche, il existe des éléments de preuve que l’avocat de la défense n’a pas eu de difficulté à accepter, le 26 mars 2007, la date du 5 septembre 2007 comme première date de procès. Jamais, dans sa correspondance, il n’a mentionné le fait qu’une date de procès antérieure devait être envisagée en raison de la situation du demandeur.
[54] La Cour d’appel de l’Ontario affirme ce qui suit à la page 458 de la décision R. c. Bennett, 64 C.C.C. (3d) 384, confirmée par la Cour suprême du Canada dans [1992] 2 R.C.S. 168 :
[TRADUCTION]
Il m’est très difficile de conclure qu’une personne accusée d’une infraction a été privée du droit constitutionnel d’être jugée dans un délai raisonnable en l’absence de preuve que la personne voulait être jugée à une date antérieure à celle fixée pour le procès. Une conclusion de cet ordre part du principe selon lequel toute personne accusée d’une infraction a hâte de subir son procès au plus vite et souhaite qu’il ait lieu rapidement. Cela inclut la présomption, dans les cas où l’accusé et son avocat ont accepté un procès à la première date disponible, que l’accusé souhaite que son procès ait lieu plus tôt.
[55] Ainsi, la cour conclut que le préjudice dont se plaint le demandeur est attribuable exclusivement au fait qu’il ait été retiré de ses fonctions militaires et non pas à un délai trop long pour trancher les accusations.
[56] Pour déterminer si le demandeur s’est vu privé de son droit, la cour doit rendre une décision judiciaire dans laquelle elle soupèse les intérêts visés par la protection de l’alinéa 11b) de la Charte et les facteurs qui ont causé le délai. Sans oublier que, plus l’infraction est grave, plus il est impératif que l’accusé soit traduit en cour martiale.
[57] Compte tenu de la gravité des accusations, il est tout à fait crucial, pour la collectivité militaire et pour la société canadienne, que le sergent Quinn soit traduit devant la cour martiale. En revanche, il n’a pas été prouvé que sa sécurité ou l’équité du procès de l’accusé, sa liberté n’étant pas en jeu, ait été menacé dans le contexte d’une violation de l’alinéa 11b) de la Charte. En l’absence de tout préjudice, et sachant que le délai pour le procès en cour martiale n’était pas déraisonnable dans les circonstances, surtout à la lumière de l’explication raisonnable fournie à la cour et du contexte de l’affaire, la cour conclut que le demandeur n’a pas fait la preuve, selon la prépondérance des probabilités, de la violation de son droit d’être jugé dans un délai raisonnable.
[58] En conséquence, la demande faite par le demandeur conformément à l’alinéa 11b) de la Charte est rejetée.
[59] En ce qui concerne la deuxième partie de cette demande, dans laquelle l’avocat de la défense a fait valoir que le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité du sergent Quinn, comme il est prévu à l’article 7 de la Charte, a été violé et qu’une suspension de l’instance devrait être accordée à titre de réparation, la cour n’est pas convaincue que cette allégation soit appuyée par la preuve. Comme il a été dit précédemment, les faits de cette affaire peuvent être distingués de ceux de l’affaire Larocque. De plus, il convient de se rappeler que, dans la décision Larocque, les juges de la majorité n’étaient pas convaincus, malgré les faits, que les droits de l’accusé visés à l’article 7 avaient été violés.
[60] La cour a déjà établi la distinction entre l’espèce et l’affaire R. c. Perrier, dans laquelle l’accusé avait été suspendu de ses fonctions au tout début de l’enquête, avait subi des pertes financières et avait été stigmatisé en raison des mesures prises par son unité. Comme il a été dit précédemment, à part le fait d’avoir été retiré de ses fonctions militaires, le sergent Quinn n’a jamais été mis aux arrêts ou mis sous garde, et aucune restriction n’a été imposée à sa liberté. Il n’a subi aucune perte financière, à aucun moment, bien qu’il n’était pas employé dans les forces militaires.
[61] Dans le contexte pénal, l'atteinte que l'État porte à l'intégrité corporelle et la tension psychologique grave causée par l'État constituent une atteinte à la sécurité de la personne. Dans ce contexte, il a été permis que la sécurité de la personne s’applique à la protection de son intégrité physique et psychologique. Par ailleurs, les atteintes de l’État à l’intégrité psychologique d’une personne ne font pas toutes intervenir l’article 7. Lorsque l’intégrité psychologique d’une personne est en cause, la sécurité de la personne se limite à la « tension psychologique grave causée par l’État ».
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[62] Premièrement, le préjudice psychologique doit être causé par l’État, c’est-à-dire qu’il doit résulter d’un acte de l’État. Deuxièmement, le préjudice psychologique doit être grave. Pour que la sécurité de la personne soit en cause en l’espèce, l’acte reproché à l’État doit avoir eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique de l’intimé. La cour doit déduire de la présentation de la défense que la preuve, selon la défense, montrerait des répercussions graves et profondes sur la santé physique et émotive du demandeur, ainsi que des répercussions graves et profondes sur sa carrière professionnelle en tant que soldat dans les Forces canadienne, bien que le demandeur n’ait pas été très clair sur ce point.
[63] En appliquant ces principes, ou ceux énoncés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, et à la lumière de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire Langlois, la cour n’est pas convaincue que le droit du sergent Quinn à la sécurité visé à l’article 7 a été violé. La cour ne veut aucunement laisser entendre que l’anxiété et le stress qu’il a vécus jusqu’à présent ne sont pas réels; il sont certainement liés au fait d’être retiré de ses fonctions militaires et, en fin de compte, au fait d’être accusé. La preuve qui est présentée à la cour ne suffit pas pour établir que les actes reprochés à l’État ont eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique du sergent Quinn, en ce qui concerne sa vie personnelle et professionnelle, au sens de l’article 7 de la Charte. La preuve n’a pas été faite, selon la prépondérance des possibilités, que la décision du commandant du Royal Regiment of Canada de retirer le sergent Quinn de ses fonctions militaires a eu des répercussions graves et profondes sur la santé physique et émotive de ce dernier. Cela a eu des répercussions, mais pas dans la mesure exigée pour avoir gain de cause sur cette question.
[64] Enfin, l’avocat de la défense a fait valoir que le sergent Quinn a été lésé dans sa capacité de présenter une réponse et défense pleine et entière parce qu’il n’a pas été en mesure de retracer un témoin oculaire et de l’assigner à comparaître. Il aurait été intéressant de savoir, premièrement, si ce témoin aurait été en mesure de fournir une preuve substantielle et relativement à quel chef d’accusation. Il n’a été présenté aucun élément de preuve, quel qu’il soit, en ce qui concerne le genre de preuve que ce témoin aurait présenté à la cour et à quel chef, ou chefs, d’accusation elle se serait rapportée. Comment la cour aurait-elle pu trancher sur la capacité du sergent Quinn de présenter une réponse et défense pleine et entière en l’absence de tout élément de preuve pour évaluer les incidences d’une situation de cet ordre sur l’issue et l’équité du procès? Le seul élément de preuve fourni à ce sujet, par le témoignage du sergent Quinn, est que ce témoin est le témoin oculaire d’un incident, mais la cour ne sait pas lequel, que le dernier contact du demandeur avec lui remonte au début de 2007, que le témoin fait l’objet d’accusations en ce qui concerne le même incident, mais la cour ne sait pas de quel incident précis il s’agit, et que le demandeur n’a pas été capable de communiquer avec lui récemment. En l’absence d’élément de preuve présenté par le demandeur sur cette question spécifique, ce serait de la pure conjecture pour la cour de conclure que le témoin aurait été disponible si le procès avait été instruit à une date antérieure. L’impossibilité de faire comparaître un témoin est une chose, l’incidence d’une situation de cette nature sur la capacité du demandeur de présenter une réponse et défense pleine et entière en est une autre, dont il faut encore faire la preuve.
[65] Par conséquent, la Cour conclut que les droits du sergent Quinn en vertu de l’article 7 n’ont pas été violés et, pour ces motifs, la partie de la demande de la défense qui se rapporte à l’article 7 de la Charte est également rejetée.
Lieutenant-Colonel L.- V. d’Auteuil, J.M.
Avocats :
Major A. Tamburro, Direction des poursuites militaires, Région du Centre
Procureur de Sa Majesté la Reine
Capitaine de corvette J.A. McMunagle, Direction du service d'avocats de la défense
Avocat du sergent Quinn.