Cour martiale
Informations sur la décision
CACM 501 - Appel rejeté
Date de l’ouverture du procès : 13 mars 2007.
Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).
Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 116 LDN, a volontairement endommagé un bien public.
•Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.
Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1500$.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Matelot de 1re classe W.K. Freudenreich, 2007 CM 3009
Dossier : 200677
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
NOUVELLE-ÉCOSSE
BASE DES FORCES CANADIENNES D’HALIFAX
Date : 16 mars 2007
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL L.-V. d'AUTEUIL, JM
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
MATELOT DE 1RE CLASSE W.K. FREUDENREICH
(Accusé)
VERDICT
(prononcé oralement)
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Le Matelot de 1re classe Freudenreich est accusé, conformément à l’alinéa 116a) de la Loi sur la défense nationale, d’avoir volontairement endommagé des biens publics et conformément à l’article 97 de la Loi sur la défense nationale, de s’être trouvé en état d’ivresse.
[2] Les deux chefs d’accusation reposent sur des faits relatifs à des événements qui ont eu lieu au cours de la soirée et de la nuit du 25 au 26 janvier 2006, dans la ville d’Halifax et au pavillon Normandie de la base des Forces canadiennes (BFC) d’Halifax.
LA PREUVE
[3] La preuve présentée devant la Cour martiale est essentiellement composée de ce qui suit :
a. les témoignages présentés devant la Cour, dans leur ordre de présentation, c’est-à-dire celui du Caporal-chef Fougere, celui du Caporal-chef Nickerson, celui du Matelot-chef Casey, celui du Matelot de 1re classe Haggan, celui du Maître de 2e classe House, celui de l’Adjudant Briggins et celui du Dr David Barry King;
b. pièce 3 : un lot de 16 photos illustrant les dommages causés à la porte, au lit et à la fenêtre de la chambre 316 du pavillon Normandie;
c. pièce 4 : le DVD d’une entrevue filmée du Matelot de 1re classe Freudenreich, réalisée par deux patrouilleurs de la police militaire, le 26 janvier 2006;
d. pièce 5 : un document de sept pages déterminant le coût des dommages faits dans la chambre 316 du pavillon Normandie;
e. pièce 6 : un rapport d’urgence médicale préparé pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 26 janvier 2006;
f. pièce 7 : un rapport d’urgence et de suivi médical préparé pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 30 janvier 2006;
g. pièce 8 : un rapport d’urgence médicale préparé pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 15 février 2006;
h. pièce 9 : un rapport de visualisation diagnostique du patient effectué pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 29 janvier 2006;
i. pièce 10 : un rapport d’urgence médicale préparé pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 28 mars 2006;
j. pièce 11 : un rapport de fin d’enquête médicale préparé pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 26 janvier 2006;
k. pièce 12 : un rapport de fin d’enquête médicale préparé pour le Matelot de 1re classe Freudenreich, daté du 30 janvier 2006;
l. pièce 13 : le curriculum vitae du Dr David Barry King;
m. pièce 14 : le rapport neurologique du Dr King, daté du 2 mars 2007;
tous ces documents ont été produits en preuve sur consentement,
n. la Cour a pris connaissance d’office des faits et des questions conformément à la règle15 des Règles militaires de la preuve.
LES FAITS
[4] Les faits dont il est question dans la présente affaire se rapportent à des événements qui se sont produits dans la nuit du 25 au 26 janvier 2006, à deux endroits à Halifax. Le Matelot de 1re classe Freudenreich suivait le cours de qualification élémentaire en leadership (QEL), qui avait lieu du 13 janvier au 2 mars 2006, à la BFC Halifax. Les participants à ce cours logeaient au pavillon Normandie de la BFC d’Halifax. Ils étaient deux participants par chambre.
[5] Après les cours, le 25 janvier 2006 vers 17h30, le Matelot de 1re classe Freudenreich est allé prendre un verre avec d’autres participants à la Ale House. Au bout d’un moment, quelques participants, dont le Caporal-chef Fougere et le Matelot de 1re classe Freudenreich, sont allés souper dans un pub, le Split Crow. Ils ont bu de l’alcool au cours de ce repas. En fin de soirée, les Caporaux-chefs Martin et Fougere et le Matelot de 1re classe Freudenreich ont décidé d’aller dans une boîte de nuit, le Cheers, à Halifax. Ils y sont arrivés vers 20h; cependant, seuls le Caporal-chef Fougere et le Matelot de 1re classe Freudenreich ont pu y entrer. Le Caporal-chef Martin s’est vu refuser l’entrée, car il était trop ivre.
[6] Un peu avant 1h, en ce 26 janvier 2006, tout allait bien pour les deux participants. Ils buvaient et s’amusaient. Le groupe qui se produisait à la boîte de nuit s’est mis à jouer la chanson « Drunken Sailor». Soudain, le Caporal-chef a été tiré par derrière et s’est retrouvé au sol. En se relevant, il a réalisé que c’était le Matelot de 1re classe Freudenreich qui l’avait fait tomber en dansant le slam. Il était le seul dans la boîte de nuit à se comporter ainsi. Le Caporal-chef Fougere s’est retrouvé au sol encore deux fois, de la même façon, même s’il avait demandé à deux reprises au Matelot de 1re classe Freudenreich d’arrêter. Puis des videurs sont intervenus croyant qu’ils se battaient. Le Caporal-chef Fougere a expliqué ce qui s’était passé, mais lui et le Matelot de 1re classe Freudenreich se sont fait mettre dehors.
[7] Cette situation a mis le Caporal-chef Fougere dans l’embarras et en colère. Le Matelot de 1re classe Freudenreich était incapable de se calmer, et d’une certaine manière, incontrôlable, malgré les tentatives du Caporal-chef Fougere pour le calmer. Pour obtenir des explications sur son inconduite, il l’a attrapé par la veste et l’a poussé contre un mur pour l’arrêter. Selon le Caporal-chef Fougere, seul le dos du Matelot de 1re classe Freudenreich a touché le mur; cependant, d’après ce que le Matelot de 1re classe Freudenreich a rapporté aux autorités médicales et à plusieurs témoins cette nuit-là, sa tête a également touché le mur, ce qui a provoqué une légère commotion.
[8] L’altercation à l’extérieur du bar a duré une trentaine de secondes. Le Caporal-chef Fougere a décidé de partir et a pris un taxi. Lorsqu’il est parti, le Matelot de 1re classe Freudenreich était debout, conscient et ne saignait pas. Selon son témoignage, le Caporal-chef a bu 12 verres de rhum et 7-up ce soir-là. Il a payé la tournée six à huit fois à ses amis, et il a affirmé que le Matelot de 1re classe Freudenreich a bu autant que lui. À son avis, il était ivre, mais pas assez pour ne pas savoir ce qu’il faisait. Le Caporal-chef Fougere est rentré directement à sa chambre (n316) au pavillon Normandie. Il y est arrivé vers 1h du matin. Il s’est déshabillé et a pris une douche. La douche est à l’extérieur de la chambre.
[9] Soudain, vers 1h56, le compagnon de chambre du Caporal-chef Fougere, le Caporal-chef Nickerson, a été réveillé par un grand bruit. Le Matelot de 1re classe Freudenreich était à la porte et lui demandait : « Où est-il»? Le Caporal-chef Nickerson était très surpris de le voir là, car il savait que la porte est toujours verrouillée. Il s’est rendu compte plus tard que le mécanisme de fermeture de la porte était cassé au milieu. Ensuite, le Matelot de 1re classe Freudenreich a cassé la vitre d’un coup de pied puis a sauté dans la fenêtre. Le Caporal-chef Nickerson a essayé de le calmer. Il a décrit le Matelot de 1re classe Freudenreich comme étant fou furieux, enragé, hors de contrôle et disjoncté. Le Matelot de 1re classe Freudenreich a dit au Caporal-chef Nickerson : « Il m’a frappé la tête contre un mur de brique.» Après, il a retourné le lit du Caporal-chef Fougere, a donné des coups de pieds dans la tête et la base du lit. Il l’a complètement démoli, puis il est sorti. Une fois dans le couloir, il a donné des coups de pieds dans les poubelles.
[10] Puis, le Caporal-chef Fougere est revenu de la douche. Dès qu’il l’a vu, le Matelot de 1re classe Freudenreich a commencé à lui crier après et il ont eu une dispute. Le Matelot de 1re classe Freudenreich a dit au Caporal-chef Fougere : « Je croyais qu’on était amis. Les amis ne font pas ça. » Le Caporal-chef Huberdeau, dont le surnom est Moose, s’est interposé, a calmé et conduit le Matelot de 1re classe Freudenreich à sa chambre. Les autres participants ont dit au Caporal-chef Fougere d’aller au salon, ce qu’il a fait. Tout le monde a été surpris du comportement du Matelot de 1re classe Freudenreich cette nuit-là. Tous les témoins qui suivaient le cours avec lui l’ont décrit comme quelqu’un de calme et de discret.
[11] Par la suite, le Caporal-chef Casey s’est occupé du Matelot de 1re classe Freudenreich. Il l’a accompagné à l’hôpital parce qu’il se plaignait de douleur à la tête. Le Matelot de 1re classe Freudenreich lui a dit qu’il avait eu une altercation avec le Caporal-chef Fougere ce soir-là et qu’il avait voulu blesser ce dernier. Ils sont allés à l’hôpital civil et on lui a ouvert un dossier; cependant, ils ont attendu en vain de voir un médecin de 3 h à 5h. Ils ont donc décidé de retourner à la base. L’instructeur principal, le M2House, a été mis au courant de l’incident et a ensuite rencontré le Matelot de 1re classe Freudenreich pendant cinq minutes. Ce dernier lui a semblé conscient et normal. Ensuite, le Matelot de 1re classe Freudenreich s’est rendu à la salle d’examen médical (SEM) où on l’a soigné pour une légère commotion.
[12] Plus tard dans la matinée, le Matelot de 1re classe Freudenreich s’est rendu à l’édifice de la PM où il a rencontré les deux caporaux responsables de l’enquête. Il a reçu une mise en garde et a appelé un avocat. Lorsqu’il est revenu dans la salle d’entrevue, les enquêteurs lui ont fait une deuxième mise en garde. Ces derniers ont décidé de le renvoyer à la formation, car ils le jugeaient incapable de comprendre pleinement la mise en garde au sujet d’une personne d’un rang plus élevé. Après avoir regardé la vidéocassette de l’entrevue présentée comme élément de preuve, la Cour n’était pas d’accord sur ce point. De toute façon, par la suite, le Matelot de 1re classe Freudenreich a rencontré l’instructeur-chef pour discuter de ce qui s’était passé.
[13] Le Matelot de 1re classe Freudenreich est retourné à la SEM pour un suivi médical le 30 janvier 2006. Il y est retourné encore deux fois pour des maux de tête, les 15 février et 20 mars 2006. Le 26 février 2007, il a consulté un neurologue, le Dr King, qui a rédigé un rapport médical daté du 2mars 2007 (pièce 14).
LE DROIT APPLICABLE ET
LES ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS DES ACCUSATIONS
[14] L’alinéa 116a) de la Loi sur la défense nationale indique ce qui suit :
Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans quiconque :
a) volontairement détruit ou endommage, perd par négligence, vend irrégulièrement ou dissipe un bien public, un bien non public ou un bien de l’une des forces de Sa Majesté ou de toute force coopérant avec elles; ...
[15] Ensuite, la poursuite a dû prouver, hors de tout doute raisonnable, les éléments constitutifs suivants pour la présente infraction. La poursuite a dû prouver l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu de l’infraction, comme cela a été allégué dans l’acte d’accusation. La poursuite a aussi dû prouver les éléments suivants : le fait que le Matelot de 1re classe Freudenreich a endommagé des biens publics, que ces biens publics sont la propriété des Forces de Sa Majesté et le fait que le Matelot de 1re classe Freudenreich savait ce qu’il faisait ou qu’il l’avait fait volontairement.
[16] Voici les dispositions pertinentes de l’article 97 de la Loi sur la défense nationale :
1) Quiconque se trouve en état d’ivresse commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de moins de deux ans, sauf s’il s’agit d’un militaire du rang qui n’est pas en service actif ou de service — ou appelé à prendre son tour de service — , auquel cas la peine maximale est un emprisonnement de quatre-vingt-dix jours.
(2) Pour l’application du paragraphe (1), il y a infraction d’ivresse chaque fois qu’un individu, parce qu’il est sous l’influence de l’alcool ou d’une drogue :
a) soit n’est pas en état d’accomplir la tâche qui lui incombe ou peut lui être confiée;
b) soit a une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.
[17] Ensuite, la poursuite a dû prouver, hors de tout doute raisonnable, les éléments constitutifs suivants pour la présente infraction. La poursuite a dû prouver l’identité de l’accusé ainsi que la date et le lieu de l’infraction, comme cela a été allégué dans l’acte d’accusation. La poursuite a aussi dû prouver les éléments suivants : le fait que le Matelot de 1re classe Freudenreich était sous l’emprise de l’alcool, le fait qu’il a eu une conduite répréhensible ou susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté, et pour finir, l’état d’esprit répréhensible du Matelot de 1re classe Freudenreich.
[18] Avant que la Cour n'expose son analyse juridique, il convient de traiter de la présomption d'innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable; il s’agit d’une norme qui est inextricablement liée à des principes fondamentaux en jeu dans tout procès criminel. Ces principes sont évidemment très bien connus des avocats, mais d’autres personnes dans la salle pourraient ne pas les connaître aussi bien.
[19] Il est juste de dire que la présomption d’innocence est peut‑être le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable est un élément essentiel de la présomption d’innocence. Pour les questions qui relèvent du Code de discipline militaire, tout comme pour celles qui relèvent du droit criminel, toute personne accusée d’une infraction criminelle est présumée innocente tant que le poursuivant n’a pas prouvé qu’elle est coupable hors de tout doute raisonnable. Un accusé n’a pas à prouver son innocence. Il revient au poursuivant de prouver hors de tout doute raisonnable chacun des éléments de l’infraction.
[20] La norme de preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à
chacun des éléments de preuve, ni pour séparer les éléments de preuve qui forment le dossier du poursuivant, mais plutôt à l’ensemble des éléments de preuve invoqués par la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau ou la charge de prouver la culpabilité d’un accusé hors de tout doute raisonnable repose sur le poursuivant et n’est jamais transféré à l’accusé. Le tribunal doit déclarer un accusé non coupable si, après avoir examiné toutes les preuves, il subsiste un doute raisonnable quant à sa culpabilité.
[21] L’expression hors de tout doute raisonnable est utilisée depuis très longtemps. Elle fait partie de notre histoire et de nos traditions en matière de justice. Dans l’arrêt R. c. Lifchus, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives pour le doute raisonnable. Les principes décrits dans l’affaire Lifchus ont été appliqués dans de nombreuses autres décisions de la Cour suprême et des cours d’appel. Essentiellement, un doute raisonnable n’est pas un doute exagéré ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou un préjugé. Il repose sur la raison et le bon sens. C’est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal mais également sur ce qu’elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne ait été inculpée n’est pas une indication qu’elle est coupable, et j’ajouterai que les seules accusations dont une personne accusée doit répondre sont celles qui apparaissent sur l’acte d’accusation présenté à la Cour.
[22] Au paragraphe 242 de l’arrêt R. c. Starr, [2000] 2R.C.S.144, la Cour
suprême a statué que :
... une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités.
Par contre, il convient de se rappeler qu’il est presque impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue. Le poursuivant n’a pas à le faire. La certitude absolue est une norme de preuve qui n’existe pas en droit. Le poursuivant n’a que le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé, en l’espèce le Matelot de 1re classe Freudenreich, hors de tout doute raisonnable. Pour placer les choses en perspective, si la Cour est convaincue, ou aurait été convaincue, que l’accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit alors acquitter l’accusé car la preuve d’une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[23] Qu’est-ce qu’une preuve? Une preuve peut être constituée d’un
témoignage sous serment ou d’une affirmation solennelle de témoins devant le tribunal de ce qu’ils ont observé ou de ce qu’ils ont fait. Il peut s’agir de documents, de photographies, de cartes ou d’autres éléments présentés par les témoins, du témoignage d’experts, d’aveux de faits formels par la poursuite ou la défense, et de questions dont la Cour prend connaissance d’office. Il n’est pas rare que certains éléments de preuve présentés devant le tribunal soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents d’un événement. Le tribunal doit décider quelle preuve elle juge crédible.
[24] La crédibilité ne signifie pas dire la vérité, et l'absence de crédibilité n'est pas synonyme de mentir. Beaucoup de facteurs influent sur l'évaluation que fait un tribunal de la crédibilité d'un témoin. Ainsi, un tribunal vérifiera si le témoin a pu observer quelque chose, s'il a des raisons de se souvenir d’un fait précis, par exemple, les événements étaient‑ils mémorables, inhabituels et frappants, ou relativement sans importance et, par conséquent, naturellement plus difficiles à se rappeler? Le témoin a‑t‑il un intérêt relativement à l'issue du procès, c'est‑à‑dire une raison de favoriser le poursuivant ou la défense, ou est‑il impartial? Ce dernier facteur s'applique d'une façon quelque peu différente à l'accusé. Même s'il est raisonnable de penser que l'accusé a intérêt à être acquitté, la présomption d'innocence ne permet pas de conclure que l'accusé va mentir s'il choisit de témoigner.
[25] Un autre facteur permettant d’établir la crédibilité est la capacité apparente du témoin à se souvenir. Le comportement du témoin au moment de témoigner est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité; autrement dit, le témoin était-il réceptif aux questions, direct dans ses réponses, ou évasif, hésitant ou ergoteur? Finalement, son témoignage était-il cohérent en lui-même et compatible avec les faits non contestés? De légères divergences, qui peuvent survenir et qui surviennent
innocemment, ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. Toutefois, il en va tout autrement d’une fausse information donnée délibérément. Cette question est toujours grave et pourrait bien vicier toute la déposition du témoin.
[26] La Cour n’est tenue d’accepter le témoignage de personne à moins que celui‑ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi, sauf si elle a une raison de ne pas y croire. Ayant traité du fardeau et de la norme de preuve, la Cour se penchera maintenant sur la question dont elle est saisie et abordera les questions juridiques. Pour traiter la question appropriée à chaque infraction, la Cour fera une analyse pour chaque accusation.
[27] En ce qui concerne le premier chef d’accusation, la question est de savoir si l’état de conscience du Matelot de 1re classe Freudenreich était diminué au point qu’il soit incapable d’agir de son plein gré. Il incombe directement à la poursuite de prouver, hors de tout doute raisonnable, que le Matelot de 1re classe Freudenreich savait ce qu’il faisait ou qu’il l’a fait volontairement, lorsqu’il a démoli la porte et le lit, et qu’il a brisé une vitre dans la chambre 316 du pavillon Normandie à la BFC d’Halifax, le 26 janvier 2006. Tous les autres éléments constitutifs de ce chef d’accusation ne sont pas remis en question et la Cour est certaine que la preuve en a été faite hors de tout doute raisonnable.
[28] L’avocat de la défense a soulevé la question de la défense d’automatisme. Premièrement, je parlerai du droit au Canada relatif à l’automatisme comme moyen de défense; ensuite, j’analyserai les faits en rapport avec le droit sur ce sujet. En 1999, la Cour suprême du Canada a examiné de nouveau l’état du droit relatif à l’automatisme. À la page 350 de l’arrêt R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290, le juge Bastarache a établi au nom de la majorité un critère général applicable à toutes les affaires où l’automatisme est allégué. Avant que ce nouvel arrêt fasse autorité, dans l’arrêt R. c. Rabey, [1980] 2 S.C.R.513, à la page 518, l’automatisme était défini comme un «comportement qui se produit à l’insu de la conscience et qui échappe à la volonté». Maintenant, on a une nouvelle définition, plus générale et fondée sur diverses références médicales qui traitent des différents niveaux de conscience. Le juge Bastarache décrit le nouveau concept comme :
...un état de conscience diminué, plutôt qu’une perte de conscience, dans lequel la personne, quoique capable d’agir, n’a pas la maîtrise de ses actes.
et il se trouve à la page 367 de l’arrêt Stone.
[29] Un tel état peut être causé par des troubles mentaux; dans ce cas, c’est l’article 16 du Code criminel qui s’applique. Le vrai automatisme, au contraire, ne concerne qu’un comportement qui échappe à la volonté et ne vient pas d’une maladie de l’esprit et qui, s’il est pris en compte, permet à l’accusé d’être acquitté. Cependant, cette classification pose problème, car il peut y avoir des affaires dans lesquelles les faits ne peuvent tout simplement pas être classés de manière aussi stricte. Par conséquent, la Cour suprême a établi un critère général applicable à toutes les affaires où l’automatisme est allégué. D’abord, l’accusé doit établir les fondements appropriés de la défense d’automatisme. Ensuite, la Cour doit déterminer ce qui s’applique : un automatisme avec ou sans troubles mentaux.
[30] Il incombe à l’accusé d’établir la preuve juridique, selon la prépondérance des probabilités, des fondements appropriés pour sa défense. Il est important de noter que s’acquitter de cette charge de présentation est une question de juste milieu entre le droit et les faits pour le juge de la Cour. Étant donné que l’automatisme est facilement simulé et que c’est l’accusé lui-même qui est en mesure de savoir qu’il a été plongé dans un tel état, deux conditions s’appliquent : l’accusé doit invoquer qu’il a agi involontairement au moment des faits; et de plus, la défense doit présenter des témoignages d’expert qui confirment cette allégation.
[31] Au vu des preuves qui lui ont été présentées par l’accusé, la Cour est convaincue que l’accusé a invoqué qu’il avait agi involontairement lorsqu’il a démoli plusieurs choses dans la chambre 316 du pavillon Normandie à la BFC d’Halifax.
[32] La Cour va maintenant passer à la deuxième étape, celle de la présentation de témoignages d’expert. Le Dr King, neurologue, a témoigné de manière très professionnelle et impartiale. Il était d’avis qu’au cours de l’incident avec le Caporal-chef Fougere, le Matelot de 1re classe Freudenreich a été victime d’un traumatisme cérébral, c’est-à-dire une perturbation des fonctions du cerveau due à un coup. Il a confirmé le diagnostic que l’Adjudant Briggins avait fait au moment de l’incident, c’est-à-dire que la blessure à la tête du Matelot de 1re classe Freudenreich avait causé une légère commotion. Au cours de l’examen médical, il a déclaré que le Matelot de 1re classe Freudenreich n’avait pas pu consciemment contrôler ses actes lorsqu’il a endommagé les biens le 26 janvier 2006.
[33] Cependant, comme le mentionne le juge Bastarache au paragraphe 186 de l’arrêt Stone,, la Cour a gardé en mémoire que comme l’opinion d’expert du Dr King ne repose que sur l’exactitude et la véracité des faits que lui a relatés l’accusé, il fallait attendre l’étape du contre-interrogatoire par la poursuite pour déterminer l’importance à accorder à cette conclusion .
[34] Lorsque la poursuite a fait part de son hypothèse au Dr King, y compris les faits prouvés hors de tout doute raisonnable devant la présente Cour et de ce que l’accusé ne lui avait pas dit (comme la quantité d’alcool qu’il avait consommée, son comportement à la boîte de nuit, y compris les raisons pour lesquelles il s’est fait mettre dehors, les commentaires particuliers qu’il a faits au sujet du Caporal-chef pendant et après la destruction des biens de Sa Majesté, la dispute qu’il a eue avec le Caporal-chef Fougere dans le couloir et les mots qu’il a utilisés), l’expert a alors tempéré ses premières conclusions. Il a indiqué que l’alcool avait certainement eu un effet sur le comportement du Matelot de 1re classe Freudenreich avant qu’il ne se blesse à la tête. Il a aussi ajouté que son comportement par la suite avait dû être influencé par une combinaison des deux. Il n’a pas été en mesure d’affirmer que les dommages causés par l’accusé dans la chambre étaient une conséquence directe de sa blessure à la tête, étant donné que l’alcool avait aussi joué un rôle dans cette affaire.
[35] De plus, il a déclaré qu’étant donné la nature consciente et délibérée des actes entourant l’incident dans la chambre, il est peu probable que la destruction des biens par le Matelot de 1re classe Freudenreich ait été faite de manière inconsciente et non délibérée. En faisant son exposé à la Cour, le Dr King a déclaré que le Matelot de 1re classe Freudenreich avait peut-être eu de la difficulté à maîtriser sa colère, mais qu’il était conscient de ce qu’il faisait étant donné qu’il s’était dirigé vers une chambre en particulier et qu’il s’était attaqué à des biens en particulier et à une personne en particulier. Finalement, Le Dr King a clairement admis que le Matelot de 1re classe Freudenreich n’était pas dans un état d’automatisme lors des événements en question.
[36] Pour finir, le stimulus de déclenchement n’était pas très grave. En effet, comme l’ont décrit l’Adjudant Briggins et le Dr King, il se situait en bas de l’échelle de gravité. Les observateurs n’ont pas fourni de preuves corroborantes importantes à part de dire que le Matelot de 1re classe Freudenreich se comportait comme quelqu’un de très enragé. Comme le dit le juge Bastarache dans l’arrêt Stone, au paragraphe 190 :
...Je tiens cependant à prévenir qu’il faut aborder avec beaucoup de prudence le témoignage d’observateurs étant donné qu’automatisme et rage peuvent souvent être confondus par le profane.
C’est exactement ce que la présente Cour a fait.
[37] Il n’existe pas non plus d’antécédents médicaux relatifs à l’automatisme. La Cour estime que l’infraction était raisonnablement explicable sans faire référence au présumé automatisme. De plus, le déclencheur présumé de l’automatisme, la blessure à la tête causée lors de l’altercation avec le Caporal-chef Fougere, a fait du Caporal-chef Fougere la victime de cette violence relevant présumément de l’automatisme. Par conséquent, la présente Cour a décidé que l’accusé n’avait pas présenté les preuves nécessaires pour permettre à un jury instruit à juste titre de conclure qu’il avait agi involontairement selon la prépondérance des probabilités. Les actes du Matelot de 1re classe Freudenreich étaient volontaires.
[38] En conséquence, ayant pris en compte l’ensemble de la preuve, la poursuite a prouvé, hors de tout doute, tous les éléments constitutifs de l’infraction d’endommagement volontaire des biens publics.
[39] La Cour poursuit maintenant avec l’analyse du second chef d’accusation. L’avocat de la défense a plaidé que la poursuite n’avait pas réussi à prouver, hors de tout doute raisonnable, que la conduite du Matelot de 1re classe Freudenreich, avant qu’il ne se blesse à la tête, était répréhensible. La Cour n’est pas d’accord. Alors qu’il était sous l’influence de l’alcool, le Matelot de 1re classe Freudenreich s’est mis de sa propre initiative à danser le slam. Il était le seul dans la boîte de nuit à bouger de la sorte et le service de sécurité a cru qu’il y avait une bagarre à ce moment-là, étant donné que le Caporal-chef Fougere a été projeté à terre à plusieurs reprises.
[40] Selon le Concise Oxford Dictionary, en se comportant de manière «répréhensible», l’accusé était TRADUCTION «impliqué dans des agissements violents et irrespectueux des lois». Le fait qu’il se soit fait jeter dehors de la boîte de nuit par le personnel de sécurité à cause de son ivresse et de son comportement prouve aussi que l’accusé avait agi de manière répréhensible.
[41] L’avocat de la défense a aussi soutenu qu’il était impossible de dire si la destruction des biens par l’accusé était due au fait qu’il était sous l’influence de l’alcool ou à la légère commotion dont il souffrait. Fait intéressant, le DrKing, appelé à témoigner par l’accusé en tant qu’expert, a dit à la Cour que même s’il était impossible de savoir ce qui, de la consommation d’alcool ou de la blessure à la tête, était à l’origine de la destruction des biens de Sa Majesté par le Matelot de 1re classe Freudenreich, il était clair à ses yeux que les deux y avaient contribué. Par conséquent, la Cour conclut qu’il a été prouvé hors de tout doute raisonnable que l’accusé était sous l’influence de l’alcool lorsque les biens ont été détruits. De plus, si l’on prend en compte la conclusion de la Cour concernant la premier chef d’accusation, il est clair que la destruction des biens de Sa Majesté constitue une preuve, hors de tout doute raisonnable, que l’accusé a eu une conduite susceptible de jeter le discrédit sur le service de Sa Majesté.
[42] Par conséquent, ayant pris en compte la preuve dans son ensemble, la poursuite a prouvé, hors de tout doute raisonnable, tous les éléments constitutifs pour l’infraction d’ivresse. De plus, ayant pris en compte les conclusions de la Cour sur les éléments constitutifs des articles 116 et 97 de la Loi sur la défense nationale et leur application relativement à la présente affaire, la Cour est d’avis que la poursuite s’est bien acquittée de son devoir de preuve en établissant, hors de tout doute raisonnable, le fait que l’accusé a endommagé volontairement des biens publics et qu’il y a eu infraction d’ivresse.
[43] Matelot de 1re classe Freudenreich, veuillez vous lever. Matelot de 1re classe Freudenreich, la Cour vous déclare coupable des premier et deuxième chefs d’accusation. Veuillez vous asseoir.
LIEUTENANT-COLONEL L.-V. D'AUTEUIL, JM
Avocats :
Le Major S.D. Richards, procureur militaire régional (Atlantique)
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Major L. D'Urbano, Direction du service des avocats de la défense
Avocat du Matelot de 1re classe W.K. Freudenreich