Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 décembre 2013.

Endroit : BFC/ASU Wainwright, édifice 588, chemin Ordinance, Denwood (AB).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 36 mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Royes, 2013 CM 4034

 

Date : 20131214

Dossier : 201339

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Wainwright

Denwood (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le caporal-chef D.D. Royes, contrevenant

 

 

Sous la présidence du : Lieutenant-colonel J.G. Perron, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

RESTRICTIONS CONCERNANT LA PUBLICATION

 

Restrictions concernant la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante ou de tout autre témoin.

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Caporal-chef Royes, la Cour vous a reconnu coupable d’un chef d’accusation d’agression sexuelle au terme d’un procès en bonne et due forme. La Cour doit maintenant imposer une peine juste et appropriée.

 

[2]               Vous avez été reconnu coupable d’agression sexuelle sur une soldate dans votre chambre au pavillon Yukon à la Base des Forces canadiennes Wainwright le 12 février 2012. Vous avez quitté le bar JD’s, dans la ville de Wainwright, vers 2 heures du matin, le 12 février en compagnie de N.K., la victime, et de deux caporaux pour rentrer à la base en voiture. La Cour a conclu que N.K. était intoxiquée au point de vomir, qu’elle ne répondait pas aux questions et qu’elle avait du mal à marcher lorsqu’elle est descendue de la voiture et que vous l’avez fait entrer dans votre chambre. Elle était extrêmement ivre. Vous avez relaté deux activités sexuelles librement consenties : en premier lieu, des rapports sexuels qui ont duré une vingtaine de minutes et, environ deux heures plus tard, des attouchements à ses seins. N.K. a expliqué que les derniers souvenirs qu’elle avait remontaient aux premières heures du 12 février au bar JD’s alors qu’elle se rendait à sa table et qu’elle buvait un verre. Elle se rappelle ensuite avoir senti votre pénis dans son vagin et vous avoir vu éjaculer sur son ventre et essuyer votre sperme avec une serviette. Elle croit vous avoir demandé : [traduction] « qu’est‑ce qui se passe? » et se souvient ensuite avoir eu l’impression que vous lui massiez les seins. La Cour ne vous croit pas. La Cour estime que la victime était en état d’ébriété et qu’elle était inconsciente et qu’elle n’avait pas la capacité de consentir à des activités sexuelles.

 

Principes généraux en matière de détermination de la peine

 

[3]               Comme la Cour d’appel de la cour martiale (CACM) l’a souligné, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit sans doute de l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R. c. Tupper, 2009 CACM 5, paragraphe 13).

 

[4]               La Cour d’appel de la cour martiale a également mentionné en toutes lettres, au paragraphe 30 de la décision qu’elle a rendue dans la décision Tupper, que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel du Canada s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et qu’un juge militaire doit examiner ces objectifs lors de la détermination de la peine. L’article 718 du Code criminel énonce que le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer « au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre », par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

a)                  dénoncer les comportements illégaux;

b)                  dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c)                  isoler les délinquants du reste de la société, au besoin;

d)                  favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e)                  assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f)                    susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment, par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[5]               Les dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine (articles 718 à 718.2) prévoient un processus individualisé selon lequel il faut prendre en considération non seulement les circonstances de l’infraction, mais aussi la situation particulière du contrevenant (R. c. Angelillo 2006 CSC 55, au paragraphe 22). La peine doit également respecter le principe de l’harmonisation des peines (R. c. L.M. 2008 CSC 31, au paragraphe 17). Le principe de proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine (R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, au paragraphe 41). Le principe de la proportionnalité signifie que la sanction ne doit pas dépasser ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction. Mais la détermination de la peine représente aussi « une forme de censure judiciaire et sociale ». Une peine proportionnée exprime, dans une certaine mesure, les valeurs et les préoccupations légitimes que partagent les Canadiens.

 

[6]               Le juge doit soupeser les objectifs de détermination de la peine de façon à tenir compte des circonstances de l’affaire. Il appartient au juge qui prononce la peine de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs. La peine sera par la suite ajustée — à la hausse ou à la baisse — dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes, s’il en est (Nasogaluak, paragraphes 43 et 44). La Cour est également guidée par les dispositions des articles 130 et 139 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 271 du Code criminel du Canada dans la détermination de la peine que la loi permet d’infliger en l’espèce.

 

[7]               Je vais reprendre certains passages de ma décision relative à la détermination de la peine dans l’affaire R. c. Corporal T. LeBlanc, 2010 CM 4002, car j’estime qu’ils s’appliquent aux circonstances de la présente décision. Dans l’arrêt R. c. L.M. 2008 CSC 31, la Cour suprême du Canada déclare, au paragraphe 17 :

 

[17]         Loin d’être une science exacte ou une procédure inflexiblement prédéterminée, la détermination de la peine relève d’abord de la compétence et de l’expertise du juge du procès. Ce dernier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire en raison de la nature individualisée du processus [renvois omis]. Dans sa recherche d’une sentence adéquate, devant la complexité des facteurs relatifs à la nature de l’infraction commise et à la personnalité du contrevenant, le juge doit pondérer les principes normatifs prévus par le législateur dans le Code criminel :

 

-               Les objectifs de dénonciation, de dissuasion, d’isolation des délinquants, leur réinsertion sociale, ainsi que la reconnaissance et la réparation des torts qu’ils ont causés [...];

 

-               le principe fondamental de la proportionnalité de la peine au regard de la gravité de l’infraction et du degré de responsabilité du délinquant [...];

 

-               les principes d’adaptation de la peine aux circonstances aggravantes et atténuantes, d’harmonisation des peines, d’identification des sanctions moins contraignantes et des sanctions substitutives applicables [...].

 

[8]               Dans l’arrêt R. c. L. (J.J.) [1998] R.J.Q. 971, 126 C.C.C.(3rd) 235, la Cour d’appel du Québec propose une liste de facteurs dont le tribunal peut tenir compte pour déterminer la peine en matière d’infractions d’ordre sexuel. Les voici :

 

a)                  la nature et la gravité intrinsèque des infractions se traduisant, notamment, par l’usage de menaces, violence, contrainte psychologique et manipulation;

 

b)                  la fréquence des infractions et l’espace temporel qui les contient;

c)                  l’abus de confiance et l’abus d’autorité caractérisant les relations du délinquant avec la victime;

 

d)                  les désordres sous-jacents à la commission des infractions : détresse psychologique du délinquant, pathologies et déviances, intoxication;

 

e)                  les condamnations antérieures du délinquant : proximité temporelle avec l’infraction reprochée et nature des condamnations antérieures;

 

f)                    le comportement du délinquant après la commission des infractions: aveux, collaboration à l’enquête, implication immédiate dans un programme de traitement, potentiel de réadaptation, assistance financière s’il y a lieu, compassion et empathie à l’endroit des victimes (remords, regrets);

 

g)                  le délai entre la commission des infractions et la déclaration de culpabilité comme facteur d’atténuation selon le comportement du délinquant (âge du délinquant, intégration sociale et professionnelle, commission d’autres infractions, etc.);

 

h)                  la victime : gravité des atteintes à l’intégrité physique et psychologique se traduisant, notamment, par l’âge, la nature et l’ampleur de l’agression, la fréquence et la durée.

 

[9]               Cette liste n’est pas exhaustive et d’autres facteurs peuvent être pris en compte pour déterminer la peine à appliquer.

 

[10]           Je suis bien conscient du fait que le tribunal ne devrait pas priver un délinquant de sa liberté sans avoir envisagé la possibilité de sanctions moins contraignantes et qu’il devrait examiner toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances (Code criminel, alinéas 718.2d) et e)).

 

[11]           Le procureur de la poursuite a proposé une peine d’emprisonnement de 36 mois. Il réclame une ordonnance autorisant le prélèvement d’échantillons d’ADN sur le contrevenant aux termes de l’article 196.14 de la Loi sur la défense nationale. Le procureur de la poursuite a également demandé que la Cour rende une ordonnance enjoignant au caporal-chef Royes de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. Il n’a pas demandé à la Cour de rendre en l’espèce une ordonnance interdisant au contrevenant de posséder une arme. L’avocat de la défense fait valoir qu’une peine d’emprisonnement de 24 mois constituerait une peine appropriée en l’espèce. Je conviens avec le procureur de la poursuite que les principes de dénonciation et de dissuasion générale sont les principes de détermination de la peine les plus importants en l’espèce.

 

[12]           Je vais tout d’abord examiner les circonstances atténuantes. Vous n’avez pas de fiche de conduite et vous n’avez aucune condamnation criminelle; vous en êtes donc à votre première infraction. Vous étiez âgé de 38 ans au moment des faits reprochés. Vous avez joint les rangs des Forces canadiennes en juin 1997 et aviez servi au sein de l’Armée canadienne pendant 14 ans à l’époque. Vous avez été promu au rang de caporal en 2001 et avez été nommé caporal-chef en 2009. Vous avez effectué deux périodes de service en Bosnie-Herzégovine en 2000 et 2002 et deux périodes de service en Afghanistan en 2006 et 2008.

 

[13]           J’ai examiné le rapport d’évaluation personnelle versé au dossier sous la cote 6. Il couvre la période du 1er avril 2012 au 31 mars 2013. Il s’agit d’un excellent rapport dans lequel votre rendement général est qualifié de supérieur et votre potentiel de remarquable et où l’on recommande votre promotion immédiate au rang de sergent. J’ai également examiné les pièces 7 et 8. Il s’agit de lettres de référence rédigées par deux capitaines sous les ordres desquels vous avez servi en Afghanistan. Vous étiez chargeur au sein de leur équipe de chars d’assaut. Ils parlent en termes élogieux de vos qualités de leader, de votre rendement et de vos qualités personnelles à l’occasion de vos deux missions.

 

[14]           Je vais maintenant aborder les circonstances aggravantes en l’espèce. L’agression sexuelle est un crime grave. Le Parlement du Canada a décidé qu’une peine d’emprisonnement de dix ans est la peine maximale appropriée pour cette infraction lorsqu’elle est poursuivie en tant qu’acte criminel. Dans l’arrêt R. c. Osolin, [1993] 4 R.C.S. 595, le juge Cory a formulé les observations suivantes au sujet de la nature spéciale de cette infraction :

 

Il ne faut pas oublier que l’agression sexuelle est une infraction très différente des autres types de voies de fait. Il est vrai que, comme toutes les autres formes de voies de fait, elle est un acte de violence. Elle est toutefois plus qu’un simple acte de violence. Dans la grande majorité des cas, l’agression sexuelle est fondée sur le sexe de la victime. C’est un affront à la dignité humaine et un déni de toute notion de l’égalité des femmes.

 

                La réalité de cette situation ressort clairement des statistiques qui démontrent que 99 pour 100 des contrevenants dans les affaires d’agression sexuelle sont des hommes, et que 90 pour 100 des victimes sont des femmes.

 

[15]           Dans l’arrêt R. c. Ewanchuk [1999] 1 R.C.S. 330, au paragraphe 28, le juge Major a explicité la notion de protection de la sécurité de la personne en écrivant ce qui suit :

 

28            Le raisonnement qui sous‑tend la criminalisation des voies de fait explique cet état de choses. La société est déterminée à protéger l’intégrité personnelle, tant physique que psychologique, de tout individu. Le pouvoir de l’individu de décider qui peut toucher son corps et de quelle façon est un aspect fondamental de la dignité et de l’autonomie de l’être humain. L’inclusion des infractions de voies de fait et d’agression sexuelle dans le Code témoigne de la détermination de la société à assurer la sécurité des personnes, en les protégeant des contacts non souhaités ou des menaces de recours à la force. La common law reconnaît depuis des siècles que le droit d’un individu à son intégrité physique est un principe fondamental : [traduction] « la personne de tout homme étant sacrée, et nul n’ayant le droit de lui porter atteinte, quelque légère qu’elle soit » : voir Blackstone, Commentaires sur les lois anglaises, 1823, t. 4, aux pp. 195 et 196. Par conséquent, tout attouchement intentionnel mais non souhaité est criminel.

 

[16]           La Cour d’appel de l’Ontario a formulé les observations suivantes sur l’incidence des rapports sexuels dans la détermination de la peine dans R. c. F.P., (2005) 198 C.C.C. (3d) 289, au paragraphe 52 :

 

[traduction]

Toutefois, s’il y a des rapports sexuels, comme ce fut le cas dans l’affaire D. (D.), cette circonstance est qualifiée d’aggravante. Il en va ainsi parce qu’il est probable qu’il en résulte des traumatismes physiques ou psychologiques additionnels et parce que les rapports sexuels augmentent le risque de transmission de maladies et, dans le cas des filles, le risque de grossesse.

 

Bien que, dans cette affaire, les victimes étaient de jeunes filles, j’estime que les observations formulées par la Cour d’appel dans cet arrêt s’appliquent également dans le cas qui nous occupe.

 

[17]           Dans l’arrêt R. c. Arcand, 2010 ABCA 363, la Cour d’appel de l’Alberta a défini comme suit la notion d’agression sexuelle majeure, au paragraphe 171 :

 

[traduction]

Par agression sexuelle majeure, on entend toute agression sexuelle dont, en raison de sa nature ou de son caractère, une personne raisonnable pourrait prévoir que la victime risque de subir un préjudice émotionnel ou psychologique grave, et ce, qu’il y ait ou non préjudice physique. Le préjudice peut tenir à l’aspect sexuel de la situation, à la violence employée ou encore à une combinaison des deux. Entrent dans cette catégorie notamment les relations sexuelles vaginales non consenties, les relations sexuelles anales, la fellation et le cunnilingus. Nous sommes convaincus que l’appréciation de la question de savoir si une agression sexuelle constitue une agression sexuelle majeure relève parfaitement de la capacité des juges chargés de déterminer la peine.

 

[18]           Subjectivement, il s’agit d’une infraction très grave. Vous avez eu des relations sexuelles avec une soldate inconsciente dans votre chambre à la base. Elle était intoxiquée et ne pouvait murmurer que des réponses incohérentes lorsque vous lui avez demandé son numéro de chambre. Vous l’avez amenée dans votre chambre et avez profité d’elle alors qu’elle était sans défense.

 

[19]           La poursuite a demandé l’autorisation de lire la déclaration de la victime rédigée par N.K. Vous ne vous êtes pas opposé à cette demande et la Cour y a fait droit. Cette agression sexuelle a changé la vie de N.K. Elle a expliqué en détail ses souffrances psychologiques et émotionnelles depuis le 12 février 2012. Je ne vais reprendre en détail la lecture qui en a été faite à la Cour, mais il est clair que la dépression, l’anxiété, les problèmes de sommeil et les crises de panique en présence d’autres personnes, qu’il s’agisse de membres de sa famille immédiate ou d’étrangers ont eu des conséquences néfastes sur sa vie. Elle doit prendre des médicaments pour traiter sa dépression et son anxiété, et les effets secondaires de ces médicaments lui causent également des problèmes de santé. Elle ne peut réintégrer les Forces régulières comme elle avait l’intention de le faire en 2012 en raison des problèmes de santé avec lesquels elle doit composer dans sa vie de tous les jours. Elle ne peut également pas travailler pour le moment, parce qu’elle ne dort pas bien et qu’elle ne se sent pas encore en sécurité en présence d’autres personnes.

 

[20]           Votre avocat de la défense a déclaré que le fait que vous aviez accepté que cette déclaration soit lue devant le tribunal avait permis à N.K. d’informer la Cour sans se déplacer jusqu’à Terre‑Neuve pour témoigner et être interrogée, ce qui lui avait épargné les inconvénients de ce déplacement ainsi qu’un contre-interrogatoire et des difficultés émotionnelles en plus de faire épargner de l’argent à la poursuite. Bien que j’accepte cet argument, je signale par ailleurs que la victime a déjà témoigné et qu’elle a déjà été contre-interrogée au procès. Je vais accepter l’argument de votre avocat en tant que circonstance atténuante (c.‑à‑d. le fait que vous avez accepté cette demande) mais tiens à signaler que les conséquences considérablement négatives que cette agression sexuelle a eues sur N.K l’emportent largement sur ce facteur.

 

[21]           L’avocat de la poursuite a indiqué que la durée des agressions et la différence d’âge constituaient des circonstances aggravantes. Bien que vous ayez déclaré que les relations sexuelles auraient duré une vingtaine de minutes et que vous avez touché ses seins pendant quelques instants, la Cour ne dispose d’aucun autre renseignement concernant les activités sexuelles. Par conséquent, la Cour ne considérera pas la durée des relations comme une circonstance aggravante à laquelle il convient d’accorder beaucoup de poids.

 

[22]           N.K. était âgée de 26 ans au moment de l’agression. Bien que la Cour ne considère pas la différence d’âge comme une circonstance aggravante en l’espèce, elle estime cependant que la différence de rang et le fait que vous veniez d’être nommé caporal-chef constituent une circonstance aggravante. Toute agression sexuelle est illégale et est inexcusable, mais l’agression sexuelle commise par un supérieur sur une subordonnée est non seulement un acte criminel, mais va à l’encontre de notre devoir de veiller au bien-être de nos subordonnés (ORFC, alinéa 4.02(1)c) et 5.01c)).

 

[23]           Vous avez exercé votre droit de plaider non coupable. Vous avez été déclaré coupable par la Cour au terme d’un procès complet. L’exercice de ce droit ne peut être considéré négativement, pas plus qu’il ne peut constituer un facteur aggravant. La jurisprudence canadienne considère généralement le fait de plaider coupable rapidement et de collaborer avec la police comme des signes tangibles que le contrevenant éprouve du remords de ses actes et qu’il assume la responsabilité de ses gestes illicites et du préjudice qui en a découlé. Par conséquent, une telle collaboration avec la police et un aveu de culpabilité rapide seront généralement considérés comme des facteurs atténuants.

 

[24]           Cette démarche n’est généralement pas considérée comme étant incompatible avec le droit au silence et le droit d’exiger du ministère public qu’il prouve hors de tout doute raisonnable les accusations pesant contre l’accusé. On y voit plutôt un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine plus clémente, parce que le plaidoyer de culpabilité signifie généralement que les témoins n’auront pas à témoigner et que les frais liés à la procédure judiciaire seront considérablement réduits. De plus, on interprète généralement le plaidoyer de culpabilité comme une reconnaissance du fait que l’accusé entend assumer la responsabilité de ses actes illégaux.

 

[25]           L’accusé qui plaide non coupable ne peut pas s’attendre à recevoir la même considération de l’appareil judiciaire. Cela ne veut pas dire que la peine sera plus sévère parce que l’accusé a été déclaré coupable après avoir plaidé non coupable, mais bien seulement que la circonstance atténuante que représente un plaidoyer de culpabilité ne pourra pas jouer favorablement sur la détermination de sa peine.

 

[26]           J’ai examiné les décisions présentées par le procureur de la poursuite ainsi que d’autres décisions canadiennes se rapportant à des agressions sexuelles liées à des rapports sexuels. Il en ressort de cet examen que l’emprisonnement est la norme mais que la période d’emprisonnement varie grandement selon les circonstances entourant la commission de l’infraction et la situation du contrevenant. Bien que certaines des affaires citées présentent des faits semblables à ceux de la présente espèce et sont utiles, je dois déterminer une peine en fonction des circonstances spécifiques de l’infraction et du contrevenant.

 

[27]           La DAOD 5019-5, Inconduite sexuelle et troubles sexuels, définit l’inconduite sexuelle comme consistant en un ou plusieurs actes qui sont soit de nature sexuelle, soit posés dans l’intention de commettre un ou plusieurs gestes de nature sexuelle, et qui constituent une infraction en vertu du Code criminel ou du Code de discipline militaire.

 

[28]           Il y est également précisé que : « L’inconduite sexuelle détruit les valeurs sociales et militaires de base en plus de miner la sécurité, le moral, la discipline et la cohésion au sein des [Forces canadiennes]. » La Cour a pris connaissance d’office du contenu de la DOAD 5019‑5 en vertu de la règle 15 des Règles militaires de la preuve.

 

[29]           Les agressions sexuelles liées à des rapports sexuels doivent être dénoncées. Comme la Cour suprême du Canada l’a mentionné dans l’arrêt R. c. Stone, [1999] 2 R.C.S. 290, au paragraphe 239 :

 

239    Il incombe à la magistrature d’harmoniser le droit aux valeurs sociales contemporaines. Cela est également vrai en ce qui concerne la détermination de la peine. À cet égard, le juge en chef Lamer a tenu les propos suivants, dans M. (C.A.), précité, au par. 81:

 

Pour sa part, l’objectif de réprobation commande que la peine indique que la société condamne la conduite de ce contrevenant. Bref, une peine assortie d’un élément réprobateur représente une déclaration collective, ayant valeur de symbole, que la conduite du contrevenant doit être punie parce qu’elle a porté atteinte au code des valeurs fondamentales de notre société qui sont constatées dans notre droit pénal substantiel. [. . .] Notre droit criminel est également un système de valeurs. La peine qui exprime la réprobation de la société est uniquement le moyen par lequel ces valeurs sont communiquées. En résumé, en plus d’attacher des conséquences négatives aux comportements indésirables, les peines infligées par les tribunaux devraient également être infligées d’une manière propre à enseigner de manière positive la gamme fondamentale des valeurs communes que partagent l’ensemble des Canadiens et des Canadiennes et qui sont exprimées par le Code criminel. [Souligné dans l’original.]

 

[30]           Plus tôt au cours du procès, j’ai cité un extrait de la décision du juge en chef Lamer dans l’arrêt R. c. Généreux, [1992] 1 RCS 259, lorsque j’ai rendu ma décision en réponse à une demande présentée par votre avocat. Je cite de nouveau ce passage, qui se trouve au paragraphe 31 de l’arrêt Généreux parce qu’il est très pertinent pour déterminer la peine en l’espèce. Le juge en chef Lamer abordait comme suit la question du double rôle que joue le Code de discipline militaire :

 

Certes, le Code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes, mais il ne sert pas simplement à réglementer la conduite qui compromet pareilles discipline et intégrité. Le Code joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien‑être publics [...] Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire.

[31]           Voici également ce que le juge Lamer avait à dire au sujet des normes de discipline spéciales qui existent au sein des Forces armées, au paragraphe 60 :

 

Je souscris, à cet égard, aux observations du juge Cattanach dans l’affaire MacKay c. Rippon, [1978] 1 C.F. 233 (1re inst.), aux pp. 235 et 236 :

 

Sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées. Vraisemblablement ceux qui s’enrôlent dans les Forces armées le font, en temps de guerre, par patriotisme et, en temps de paix, pour prévenir la guerre. Pour qu’une force armée soit efficace, il faut qu’il y ait prompte obéissance à tous les ordres licites des supérieurs, respect des camarades, encouragement mutuel et action concertée; il faut aussi respecter les traditions du service et en être fier. Tous les membres des Forces armées se soumettent à un entraînement rigoureux pour être à même, physiquement et moralement, de remplir le rôle qu’ils ont choisi et, en cela, le respect strict de la discipline est d’une importance capitale.

 

Plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves lorsqu’elles deviennent des infractions militaires, ce qui autorise l’imposition de sanctions plus sévères. Les exemples en ce domaine sont légion, ainsi le vol au détriment d’un camarade. Dans l’armée la chose est plus répréhensible puisqu’elle porte atteinte à cet « esprit de corps » si essentiel, au respect mutuel et à la confiance que doivent avoir entre eux des camarades, ainsi qu’au moral de la vie de caserne. Pour un citoyen, en frapper un autre, c’est se livrer à des voies de fait punissables en tant que telles, mais pour un soldat, frapper un officier supérieur, c’est beaucoup plus grave; c’est porter atteinte à la discipline et, en certains cas, cela peut équivaloir à une mutinerie. À l’inverse, l’officier qui frappe un soldat commet aussi une infraction militaire sérieuse. Dans la vie civile, un citoyen peut à bon droit refuser de travailler, mais le soldat qui agit ainsi commet une mutinerie, ce qui est une infraction des plus graves, passible de mort en certains cas. De même, un citoyen peut quitter son emploi en tout temps, sa conduite ne sera entachée que d’inexécution d’obligations contractuelles mais, pour un soldat, agir ainsi constitue une infraction sérieuse, qualifiée d’absence sans permission et, s’il n’a pas l’intention de revenir, de désertion.

 

[32]           Suivant la preuve présentée au procès, la BFC Wainwright compte peu de soldates. Les femmes représentent une faible minorité au sein d’une garnison composée majoritairement d’hommes. Bien que la Cour n’ait pas pris connaissance d’office de ce fait, il est bien connu que les Forces armées canadiennes comptent beaucoup plus d’hommes que de femmes. Les femmes doivent sentir qu’elles sont traitées comme des égales et elles doivent se sentir en sécurité. Or, au lieu de venir en aide à une camarade soldate ivre, vous avez abusé d’elle.

 

[33]           Une agression sexuelle comme celle que vous avez commise est un crime répugnant aux yeux de la société canadienne, mais le fait de commettre une agression sexuelle comme celle‑ci est un crime encore plus odieux dans le contexte militaire et il s’agit d’un crime qui est loin de constituer un simple manquement à la discipline. Il s’agit d’un crime à la fois contre l’intégrité physique, psychologique et émotionnelle de la victime et contre sa dignité ainsi que d’une atteinte importante aux valeurs de respect et de confiance auxquelles doivent adhérer les membres du service entre eux.

 

[34]           Sans minimiser les effets des agressions sexuelles sur les victimes, la Cour estime qu’une agression sexuelle commise dans un contexte militaire est beaucoup plus grave qu’une agression sexuelle similaire commise dans un contexte civil, en raison des répercussions qu’une telle agression sexuelle a sur les principes fondamentaux de cohésion, de confiance et de respect qui sont essentiels pour assurer une force militaire forte et disciplinée. En un mot, ce type de comportement blesse la victime et compromet notre capacité opérationnelle.

 

[35]           La Cour d’appel de la cour martiale a également mentionné que le contexte précis du système de justice militaire peut, dans des circonstances appropriées, justifier et, à l’occasion, exiger une peine qui favorise l’atteinte des objectifs militaires (Tupper, 2009 CMAC 5, au paragraphe 34). Bien que l’infliction d’une peine dans le contexte militaire vise essentiellement le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs de la société militaire, la Cour doit également tenir compte du rôle qui lui incombe de réprimer tout comportement constituant une menace à l’ordre et au bien‑être publics lorsqu’il s’agit de déterminer la peine à vous infliger. La Cour doit infliger une peine équivalant au minimum nécessaire pour maintenir la discipline et atteindre les objectifs de la détermination de la peine.

 

[36]           Ainsi que je l’ai déclaré dans la décision rendue par la cour martiale générale dans l’affaire Leblanc, compte tenu de l’opinion de la Cour suprême du Canada concernant l’infraction d’agression sexuelle ainsi que du contenu de la DAOD 5019‑5, les membres des Forces canadiennes doivent être sensibilisés au fait qu’ils encourront une peine d’emprisonnement sévère, sauf dans de rares cas où il existe des circonstances extrêmement atténuantes, s’ils commettent à l’endroit d’autres membres des Forces canadiennes des agressions sexuelles impliquant des rapports sexuels. Les membres des Forces canadiennes doivent se sentir à l’abri de toute atteinte à l’intégrité physique ou sexuelle de leur personne lorsqu’ils se trouvent en présence d’autres membres des Forces canadiennes et encore plus lorsqu’ils sont présents dans un bâtiment de la défense.

 

[37]           Peu de facteurs atténuants ont été présentés à la cour en l’espèce. Les facteurs aggravants, les circonstances entourant la commission de l’infraction et la culpabilité morale du délinquant m’ont amené à croire que la cour doit infliger une peine qui dénoncera sévèrement votre conduite et vous aidera à accepter la responsabilité de cette infraction.

 

[38]           Caporal-chef Royes, après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la jurisprudence et les observations du procureur de la poursuite et de votre avocat, j’en suis venu à la conclusion que la sanction appropriée en l’espèce est une peine d’emprisonnement de 36 mois.

 

[39]           Après avoir examiné les dispositions des articles 196.11 et 196.14 de la Loi sur la défense nationale, j’ordonne le prélèvement d’échantillons d’ADN sur le contrevenant. Après avoir également examiné les dispositions des articles 227, 227.01 et 227.02 de la Loi sur la défense nationale, je rends une ordonnance enjoignant au caporal-chef Royes de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels pour une période de 20 ans.

 

[40]           J’ai examiné les dispositions de l’article 147.1 de la Loi sur la défense nationale. Compte tenu de la nature de l’infraction et des circonstances dans lesquelles elle a été commise, j’en suis arrivé à la conclusion qu’une ordonnance interdisant d’avoir en votre possession des armes à feu, arbalètes, armes prohibées, armes à autorisation restreinte, dispositifs prohibés, munitions, munitions prohibées et substances explosives, ou l’un ou plusieurs de ces objets, n’est pas requise pour la sécurité de toute personne. La présence sentence a été rendue à 9 h 52 le 14 décembre 2013.


 

Avocats :

 

Lieutenant-commandant S. Torani, Service canadien des poursuites militaires

Major R.J. Rooney, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Hodson, Direction du service d’avocats de la défense

Major E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense
Avocats du caporal-chef Royes

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