Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 2 décembre 2013.

Endroit : BFC/ASU Wainwright, édifice 588, chemin Ordinance, Denwood (AB).

Chef d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chef d’accusation 1 : Coupable.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 36 mois.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Royes, 2013 CM 4032

 

Date : 20131204

Dossier : 201339

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Wainwright

Denwood (Alberta), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Caporal-chef D.D. Royes, requérant

 

 

Sous la présidence du : Lieutenant-colonel J.G. Perron, J.M.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

RESTRICTIONS CONCERNANT LA PUBLICATION

 

Restrictions concernant la publication : Par ordonnance de la Cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante ou de tout autre témoin.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]        Le demandeur, le caporal-chef Royes, est accusé, en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir commis une agression sexuelle contrairement à l’article 271 du Code criminel du Canada. Il a présenté une demande fondée sur l’alinéa 112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC) en vue d’obtenir une ordonnance déclarant inopérant l’alinéa 130(1)a) de la Loi sur la défense nationale (la LDN) en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982 au motif qu’il est incompatible avec l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) et qu’il ne peut se justifier par l’article premier de la Charte. Il demande également à la page 4 de son avis de demande d’être acquitté.

 

[2]        La demande a été entendue à la fin de la présentation de la preuve du procureur de la poursuite. Le procureur de la poursuite a suggéré que la Cour rende sa décision avant que la défense ne présente sa preuve. La preuve est composée essentiellement des éléments suivants : les éléments dont la Cour a pris connaissance d’office en vertu de la règle 15 des Règles militaires de la preuve et le témoignage des cinq témoins à charge.

 

[3]        Je vais d’abord examiner les faits de la présente demande. Il est allégué que le caporal-chef Royes a quitté un bar de la ville de Wainwright vers deux heures du matin, le 12 février 2012 en compagnie de la plaignante et de deux amis. La plaignante était intoxiquée au point de ne pouvoir dire à ses camarades soldats où elle résidait à la Base des Forces canadiennes (la BFC) de Wainwright. Le caporal-chef Royes l’a amenée à sa chambre à la BFC Wainwright. Le caporal-chef Royes aurait eu des relations sexuelles avec la plaignante sans son consentement. Le caporal-chef Royes aurait ensuite ramené la plaignante en voiture à sa chambre à la base le matin du 12 février.

 

[4]        L’avocat du demandeur affirme que la présente demande est identique à celles présentées dans diverses causes soumises à des cours martiales, notamment dans les affaires R c. Moriarity, 2012 CM 3017, 18 octobre 2012; R c. Arsenault, 2013 CM 4006, 23 avril 2013 et R c. Hannah, 2013 CM 2011, 15 mai 2013. Il n’a présenté aucun nouvel argument de droit substantiel. L’avocat de l’intimé n’a pas lui non plus présenté de nouveaux arguments de droit substantiels. La seule différence entre la présente demande et les demandes précédentes concerne les faits précis de l’affaire et les infractions précises reprochées.

 

[5]        Dans la décision Arsenault, j’ai cité le passage suivant de la décision rendue par le juge en chef Lamer dans l’affaire R c. Généreux, [1992] 1 RCS 259, au paragraphe 31, où le juge Lamer examine le double rôle que joue le Code de discipline militaire :

 

Certes, le Code de discipline militaire porte avant tout sur le maintien de la discipline et de l’intégrité au sein des Forces armées canadiennes, mais il ne sert pas simplement à réglementer la conduite qui composent pareilles discipline et intégrité. Le Code joue aussi un rôle de nature publique, du fait qu’il vise à punir une conduite précise qui menace l’ordre et le bien-être publics [...] Les tribunaux militaires jouent donc le même rôle que les cours criminelles ordinaires, soit punir les infractions qui sont commises par des militaires ou par d’autres personnes assujetties au Code de discipline militaire. En effet, l’accusé qui est jugé par un tribunal militaire ne peut pas être jugé également par une cour criminelle ordinaire (art. 66 à 71 de la Loi sur la défense nationale).

 

[6]        Plus loin dans la même décision, le juge en chef Lamer explique le but visé par un système de tribunaux militaires distincts, au paragraphe 60 :

Le but d’un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s’occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l’efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien‑être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d’une armée, composée de femmes et d’hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s’ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. En outre, des tribunaux militaires spéciaux, plutôt que les tribunaux ordinaires, se sont vu conférer le pouvoir de sanctionner les manquements au Code de discipline militaire. Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. Il est donc nécessaire d’établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire. Je souscris, à cet égard, aux observations du juge Cattanach dans l’affaire MacKay c. Rippon, [1978] 1 C.F. 233 (1re inst.), aux pp. 235 et 236 :

 

Sans code de discipline militaire, les Forces armées ne pourraient accomplir la fonction pour laquelle elles ont été créées. Vraisemblablement ceux qui s’enrôlent dans les Forces armées le font, en temps de guerre, par patriotisme et, en temps de paix, pour prévenir la guerre. Pour qu’une force armée soit efficace, il faut qu’il y ait prompte obéissance à tous les ordres licites des supérieurs, respect des camarades, encouragement mutuel et action concertée; il faut aussi respecter les traditions du service et en être fier. Tous les membres des Forces armées se soumettent à un entraînement rigoureux pour être à même, physiquement et moralement, de remplir le rôle qu’ils ont choisi et, en cela, le respect strict de la discipline est d’une importance capitale.

 

Plusieurs infractions de droit commun sont considérées comme beaucoup plus graves lorsqu’elles deviennent des infractions militaires, ce qui autorise l’imposition de sanctions plus sévères. Les exemples en ce domaine sont légion, ainsi le vol au détriment d’un camarade. Dans l’armée la chose est plus répréhensible puisqu’elle porte atteinte à cet « esprit de corps » si essentiel, au respect mutuel et à la confiance que doivent avoir entre eux des camarades, ainsi qu’au moral de la vie de caserne. Pour un citoyen, en frapper un autre, c’est se livrer à des voies de faits punissables en tant que telles, mais pour un soldat, frapper un officier supérieur, c’est beaucoup plus grave; c’est porter atteinte à la discipline et, en certains cas, cela peut équivaloir à une mutinerie. À l’inverse, l’officier qui frappe un soldat commet aussi une infraction militaire sérieuse. Dans la vie civile, un citoyen peut à bon droit refuser de travailler, mais le soldat qui agit ainsi commet une mutinerie, ce qui est une infraction des plus graves, passible de mort en certains cas. De même, un citoyen peut quitter son emploi en tout temps, sa conduite ne sera entachée que d’inexécution d’obligations contractuelles mais, pour un soldat, agir ainsi constitue une infraction sérieuse, qualifiée d’absence sans permission et, s’il n’a pas l’intention de revenir, de désertion.

 

[7]        Pour rendre ma décision au sujet de la présente demande, je vais reprendre certains des passages de ma décision dans l’affaire Arsenault. Le Code de discipline militaire est défini à l’article 2 de la Loi sur la défense nationale comme étant les dispositions de la Partie III de cette loi. La Partie III est composée des articles 60 à 249.26. Le Code de discipline militaire attribue des compétences, crée des infractions, établit le droit d’arrestation et de détention, établit des tribunaux militaires soit des procès par voie sommaire ou des cours martiales et les autres mesures procédures nécessaires à la bonne administration de la justice militaire. En d’autres mots, ces articles ainsi que le Volume II des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes régissent l’administration du droit militaire pénal.

 

[8]        Les tribunaux militaires relèvent du Code de discipline militaire, mais celui‑ci ne concerne pas seulement les tribunaux administratifs. L’article 130 crée une infraction d’ordre militaire qui consiste en tout acte ou omission punissable en vertu de la partie VIII de la Loi, du Code criminel ou de toute autre loi fédérale. Ce n’est pas l’article 130 qui confère la compétence au tribunal militaire, mais bien le Code de discipline militaire, ainsi que de nombreux articles de la LDN et des ORFC, mais surtout les articles 2, 60, 67, 68, 69, 130 et 173 de la Loi sur la défense nationale¸ dans le cas qui nous occupe.

 

[9]        La Cour martiale permanente a compétence en matière d’infractions d’ordre militaire imputées aux justiciables du Code de discipline militaire (voir l’article 173). L’article 60 indique qui est justiciable du Code de discipline militaire. Les articles 67 et 68 établissent une compétence territoriale pour la commission de l’infraction et la tenue du procès. L’article 70 limite la compétence des tribunaux militaires pour juger certaines infractions commises au Canada, soit le meurtre, l’homicide involontaire coupable et les enlèvements d’enfants et de personnes âgées de moins de 16 ans.

 

[10]      Ainsi que je l’ai affirmé dans la décision Arsenault, l’objet du Code de discipline militaire n’est pas aussi restreint que ce que suggère le requérant. La Cour suprême du Canada y attribue aussi un rôle de nature publique parce que la Cour suprême accepte que le système de justice militaire joue le même rôle que le système de justice criminelle civile pour ainsi permettre aux tribunaux militaires de réprimer une conduite qui menace l’ordre et le bien-être publics. Ainsi qu’il est précisé au paragraphe 49 de l’arrêt R c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, le tribunal doit se demander si l’alinéa 130(1)a) est nécessaire pour atteindre l’objectif visé par l’État.

 

[11]      L’avocat du demandeur s’est longuement attardé sur la question de la doctrine du lien militaire. Ainsi que je l’ai déclaré dans la décision Arsenault :

 

La question du lien militaire fut discutée dans l’arrêt Sa Majesté La Reine c. Sergent Reddick, 1996 CMAC 393. La Cour d’appel de la cour martiale était saisie d’un appel portant sur l’application du paragraphe 60(2) de la Loi sur la défense nationale au procès d’un militaire à la retraite, donc un civil au moment du procès, relativement à des actes qui constituaient des infractions criminelles et des actes qui constituaient des infractions d’ordre militaire. Bien que l’arrêt Reddick se préoccupe principalement d’une question de division des pouvoirs constitutionnels, la Cour d’appel de la cour martiale, ayant fait référence à l’arrêt Généreux, précise au paragraphe 28 :

 

Je conclus donc que la théorie du lien ne possède plus la pertinence ou la force qui a influencé bon nombre des décisions que notre Cour a rendues par le passé. Je crois d’ailleurs que l’on peut l’écarter, parce qu’elle distrait de la véritable question, qui en est une de partage des pouvoirs. Pour aborder cette question, une cour martiale doit commencer par se demander si le code de discipline militaire lui donne compétence compte tenu des circonstances relatées dans les accusations. Dans l’affirmative, elle peut présumer que le code, qui fait partie de la Loi sur la défense nationale, est constitutionnel, sauf si le prévenu réussit à démontrer que, compte tenu de sa situation particulière, l’application du Code aurait, dans son cas, des conséquences inconstitutionnelles.

 

[12]      Le fait de traduire devant une cour martiale un soldat accusé d’avoir agressé sexuellement une autre soldate sur une base militaire correspond de toute évidence aux objectifs consistant à maintenir la discipline et l’intégrité des Forces armées canadiennes et de réprimer les actes qui menacent l’ordre et le bien-être publics. La Cour conclut également que les faits de l’espèce établissent nettement l’existence d’un lien militaire, en supposant que ce principe s’applique toujours, et que le demandeur n’a pas démontré que l’application du Code de discipline militaire aurait, dans son cas, des conséquences inconstitutionnelles.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[13]      REJETTE la demande. Le demandeur a soutenu que la présente demande aurait dû être présentée en vertu de l’alinéa 112.05(5)b) des ORFC étant donné que la compétence de la Cour est en cause et que cette question a des incidences sur la réparation appropriée. Comme elle a rejeté la demande au fond, la Cour n’a pas à se prononcer sur la question de savoir quelle disposition exacte des ORFC et quelle réparation précise s’appliquent.

 

[14]      Il est mis fin à la présente instance.


 

Avocats :

 

Major D. Hodson, Direction du service d’avocats de la défense

Major E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du demandeur

 

Lieutenant-commandant S. Torani, Service canadien des poursuites militaires

Major R.J. Rooney, Service canadien des poursuites militaires

Avocats de l’intimée

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