Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 27 mai 2013.

Endroit : BFC Esquimalt, édifice 30-N, Victoria (CB).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 125a) LDN, a fait volontairement une fausse déclaration dans un document officiel signé de sa main.
•Chef d’accusation 2 : Art. 129 LDN, acte préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chef d’accusation 3 : Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3 : Non coupable.

Remarque:
Aux termes du paragraphe 192(2) de la Loi sur la défense nationale, les membres du comité d’une cour martiale générale doivent uniquement rendre les verdicts applicables au cas. Par conséquent, les membres du comité de la cour martiale ne motivent pas leurs décisions.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Penner, 2013 CM 1007

 

Date : 20130605

Dossier : 201281

 

Cour martiale générale

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

(Colombie-Britannique) Canada

 

Entre :

 

Ex-matelot de 3e classe C.G. Penner, demandeur

 

et

 

Sa Majesté la Reine

 

 

 

 

 

Devant : Colonel M. Dutil, JMC

 


 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE DE LA DÉFENSE FONDÉE SUR L’ABSENCE DE PREUVE PRIMA FACIE ÉTABLISSANT LES CHEFS D’ACCUSATION


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

(Prononcée de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               L’avocat de l’accusé a présenté une requête fondée sur l’absence de preuve prima facie à l’égard de toutes les accusations dont est saisie la cour martiale générale. L’ex‑matelot de 3e classe Penner, comme l’indique l’acte d’accusation, à la pièce 2, a été accusé d’avoir commis trois infractions, à savoir une infraction en vertu de l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale, une infraction en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale et une autre infraction en vertu de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale.

 

ANALYSE

[2]               Une requête fondée sur l’absence de preuve prima facie a pour but de déterminer s’il existe des éléments de preuve, directs ou circonstanciels, sur lesquels un juge ou un comité militaire, comme un jury dans une affaire criminelle, pourrait à bon droit se fonder pour reconnaître l’accusé coupable et si la poursuite a présenté des éléments de preuve contre l’accusé à l’égard de chacun des éléments essentiels de l’infraction reprochée. À ce stade‑ci, le juge ne se préoccupe pas de savoir si la culpabilité de l’accusé a été prouvée hors de tout doute raisonnable et il n’a pas à apprécier la qualité et la fiabilité des éléments de preuve, ni la crédibilité des témoins. Ces tâches s’inscrivent à juste titre dans le mandat du comité de la cour martiale. S’il est vrai que le juge n’a pas à apprécier les éléments de preuve présentés pour décider de la culpabilité de l’accusé, il est fondé à le faire dans une certaine mesure pour décider « s’il y a une preuve suffisante pour qu’un jury ayant reçu des directives appropriées puisse raisonnablement conclure à la culpabilité » (R c Charemski, [1998] 1 R.C.S. 679).

[3]               Dans les affaires comme celles-ci où la poursuite se fonde sur des éléments de preuve directs et circonstanciels, le juge pourrait user de son pouvoir limité d’apprécier la preuve pour déterminer si un jury ayant reçu des directives appropriées pourrait à bon droit rendre un verdict de culpabilité à l’égard d’un chef d’accusation donné. Un verdict de non‑culpabilité n’est rendu que si aucun élément de preuve ne vient l’étayer. Autrement dit, ce principe s’applique généralement lorsque la poursuite n’a présenté aucun élément de preuve à l’égard d’un élément essentiel d’une infraction.

Premier chef d’accusation, alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale

[4]               Le premier chef d’accusation a été déposé en vertu de l’article 125 de la Loi sur la défense nationale dont l’alinéa a) dispose en partie ce qui suit :

 Commet une infraction et, sur déclaration de culpabilité, encourt comme peine maximale un emprisonnement de trois ans quiconque :

a) fait volontairement ou par négligence une fausse déclaration ou inscription dans un document officiel établi ou signé de sa main ou, tout en sachant que la déclaration ou l’inscription y figurant est fausse, ordonne l’établissement ou la signature d’un tel document;

 

[5]               L’énoncé détaillé de la première accusation se lit comme suit :

[traduction] Le 19 juin 2012 ou vers cette date, à la base Esquimalt des Forces canadiennes (Colombie‑Britannique), ou aux alentours, l’accusé a signé un document indiquant qu’il s’était marié le 6 juin 2012, tout en sachant que cette déclaration était fausse.

 

[6]               Pour se décharger du fardeau d’établir une preuve prima facie à l’égard de cette première accusation, la poursuite doit prouver que l’ex-matelot de 3classe C.G. Penner est bien la personne qui a perpétré l’infraction à la date et à l’endroit décrits dans l’acte d’accusation. De plus, la poursuite doit produire des éléments de preuve à l’égard de chacun des éléments essentiels de l’infraction, à savoir :

1.                  la preuve d’une fausse déclaration dans un document;

2.                  la preuve que l’ex-matelot de 3e classe C.G. Penner a signé ce document;

3.                  la preuve que le document devait servir à des fins officielles;

4.                  la preuve d’un état d’esprit répréhensible de l’accusé, ainsi que le décrit l’énoncé de l’accusation, soit son intention délibérée de faire une fausse déclaration.

Existe-t-il une preuve que le document contient une fausse déclaration?

[7]               Sans apprécier la valeur probante et la fiabilité de la pièce 3‑1, qui se veut un certificat de mariage délivré le 13 juin par M. Iain Hooey, lequel a déclaré au procès qu’un mariage avait eu lieu entre Terri Margaret Francis et Caleb Gordon Penner, la cour estime que ce document prouve que ces deux personnes se sont mariées ce jour-là.

[8]               La poursuite avance que la fausse déclaration se trouve dans la pièce 3‑2 à la première ligne, à savoir : « Date du mariage : 06 juin 2012 ». Ce document ne révèle rien quant à l’identité de l’épouse, mais on pourrait déduire qu’il s’agit de la même personne que celle qui est mentionnée dans la pièce 3‑1. Je n’accepte pas l’argument de l’avocat de la défense selon lequel ce document ne sert qu’à corroborer ce qu’a déclaré M. Penner au matelot de 1re classe Sinclair le 18 juin 2013 et que toute information fausse ou incorrecte qui s’y trouve ne doit pas être considérée comme une fausse déclaration. La pièce 4 révèle que M. Penner a signé l’attestation sur le document selon laquelle [traduction] « l’information ci-dessus est véridique et exacte ». La cour est d’avis qu’il s’agit d’un élément de preuve portant sur un élément essentiel de l’accusation, à savoir que le document contient une fausse déclaration.

Existe-t-il une preuve que l’ex-matelot de 3e classe Penner a signé ce document?

[9]               La pièce 4 nous permet de répondre à cette question par l’affirmative.

Ce document devait-il servir à des fins officielles?

[10]           Cette question se rapporte à la nature particulière du document. L’infraction en l’espèce ne concerne pas un type particulier de document. Il doit d’agir d’un document devant servir à des fins officielles. Les types de documents visés par l’article 125 de la Loi sur la défense nationale sont ceux qu’un officier ou un militaire du rang doit remplir dans le cadre de ses fonctions militaires ou pour demander un avantage prévu par le règlement et dont il ne pourra profiter qu’après avoir rempli les documents requis.

[11]           La poursuite se fonde sur la déclaration du lieutenant de vaisseau Bowditch, qui était aumônière à l’École navale des Forces canadiennes à la Base des Forces canadiennes Esquimalt à l’époque où se sont produits les faits qui sont à l’origine des accusations dont la cour est saisie, pour définir les fins que devait servir le document figurant à la pièce 3‑2 et sur lequel repose la première accusation. Le lieutenant de vaisseau a témoigné qu’en sa qualité d’aumônière, elle peut recommander au cas par cas qu’on accorde à un membre de l’École un congé pour raisons personnelles ou une aide au transport pour raisons familiales ou personnelles. Elle a précisé que, généralement, elle s’entretient avec le membre concerné et rédige une note de service qui est versée à son dossier. Elle a aussi déclaré qu’elle prend contact avec les responsables du service touché.

[12]           Le lieutenant de vaisseau Bowditch a déclaré que M. Penner lui a remis le document déposé comme pièce 3‑1, soit le certificat de mariage. Toutefois, elle a déclaré en contre-interrogatoire qu’elle ignorait l’existence du document qui contenait la prétendue fausse déclaration signée par l’accusé, la pièce 3‑2, jusqu’à ce que l’avocat de la défense le lui fasse parvenir par courriel il y a deux semaines. Elle a déclaré ne pas avoir écrit une note à la chaîne de commandement au sujet de cette demande de congé pour raisons personnelles et a fourni à la cour les raisons pour lesquelles elle ne l’a pas fait. Rien dans son témoignage ne permet d’établir qu’elle a demandé le document versé au dossier comme pièce sous la cote 3‑2 ni qu’elle doit habituellement obtenir pareil document avant de pouvoir écrire à la chaîne de commandement au sujet d’une demande de congé.

[13]           Dans ces circonstances, rien ne permet à la cour de conclure que ce document devait servir des fins officielles au sens de l’article 125 de la Loi sur la défense nationale. Le maître de 1re classe McCrae a témoigné qu’il connaissait l’existence de ce document, lequel était en la possession du matelot de 1re classe Sinclair qui était le supérieur de l’accusé à l’époque. Une simple lecture de ce document ne permet pas de déduire qu’il devait servir à des fins officielles, par exemple pour demander un congé pour raisons personnelles ou une aide au transport pour raisons familiales ou personnelles qu’aurait approuvé le lieutenant de vaisseau Bowditch.

[14]           Même si l’information relative à la date du mariage est considérée comme fausse du fait que l’ex‑matelot de 3e classe Penner s’est marié le 13 juin 2012 et non le 6 juin 2012, la pièce 3‑2 fait état d’une fausse couche dont l’accusé aurait été informé le 18 juin 2012. Rien ne permet à la cour d’établir à quelles fins devait servir ce document ni l’identité de la personne qui l’a réclamé et le témoignage de l’aumônière ne permet pas non plus de l’inférer. Ce document s’apparente à un aveu non officiel fait à une personne en autorité cherchant à obtenir des éléments de preuve contre l’accusé, et n’est donc pas un document de la nature de ceux visés à l’article 125 de la Loi.

[15]           Pour ces motifs, je conclus qu’aucune preuve prima facie n’a été établie à l’égard de la première accusation.

Deuxième chef d’accusation, article 129 de la Loi sur la défense nationale

[16]           Le deuxième chef d’accusation a été déposé en vertu de l’article 129 de la Loi sur la Défense nationale pour conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline. Pour ce qui nous intéresse, les passages pertinents de l’article 129 de la Loi se lisent comme suit :

 (1) Tout acte, comportement ou négligence préjudiciable au bon ordre et à la discipline constitue une infraction […]

 

(2) Est préjudiciable au bon ordre et à la discipline tout acte ou omission constituant une des infractions prévues à l’article 72, ou le fait de contrevenir à :

a) une disposition de la présente loi;

b) des règlements, ordres ou directives publiés pour la gouverne générale de tout ou partie des Forces canadiennes;

c) des ordres généraux, de garnison, d’unité, de station, permanents, locaux ou autres.

 

[17]           L’énoncé détaillé de la deuxième accusation se lit comme suit :

[traduction] Le 22 juin 2012 ou aux environs de cette date, l’accusé a autorisé Mme Terri-Margaret Francis à pénétrer dans sa chambre située au numéro 171 de la caserne Nelles, Base des Forces canadiennes Esquimalt (Colombie‑Britannique) après les heures normales de visite en contravention des paragraphes 50 et 51 des Règlements concernant les logements pour célibataires de la Base des Forces canadiennes Esquimalt.

 

[18]           La poursuite devait prouver que l’ex‑matelot 3e classe Penner était bien la personne qui a commis cette infraction à la date et à l’endroit précisés dans l’acte d’accusation. De plus, la poursuite doit produire des éléments de preuve à partir desquels un comité ayant reçu des directives raisonnables serait fondé à condamner l’accusé au regard des éléments additionnels suivants :

1.                  l’ex-matelot de 3e classe Penner a commis l’acte reproché dans l’acte d’accusation;

2.                  l’acte reproché a des conséquences préjudiciables au bon ordre et à la discipline;

3.                  l’état d’esprit répréhensible de l’ex-matelot de 3e classe Penner.

L’ex-matelot de 3e classe Penner a-t-il commis l’acte reproché dans l’acte d’accusation?

[19]           Il est allégué dans la deuxième accusation que l’ex-matelot de 3e classe Penner a autorisé Mme Terri-Margaret Francis à pénétrer dans sa chambre située au numéro 171 de la caserne Nelles, Base des Forces canadiennes Esquimalt (Colombie‑Britannique) après les heures normales de visite.

[20]           Cet élément essentiel comporte plusieurs volets. Tout d’abord, la poursuite doit prouver que la dame qui s’est trouvée dans la chambre no 171 de la caserne Nelles, sur la Base des Forces canadiennes Esquimalt (Colombie‑Britannique) était bien Mme Terri‑Margaret Francis. Elle doit aussi prouver que la dame est bien entrée dans cette chambre et qu’elle l’a fait après les heures de visite. La Cour conclut que les témoignages du maître de 1re classe McCrae, du capitaine de corvette Thaler et du premier maître de 2e classe Living confirment que la dame a pénétré dans la chambre et qu’elle l’a fait après les heures de visite en contravention des paragraphes 50 et 51 de la pièce 3‑7. Les témoignages du maître de 1re classe McCrae et du capitaine de corvette Thaler établissent aussi que le contenu de la pièce 3‑7 a été notifié à l’accusé.

[21]           La preuve révèle que les résidents de la Base sont tenus de lire les Règlements sur les logements pour célibataires et qu’ils ont signé une déclaration à cet effet à leur arrivée. Par ailleurs, les pièces 5 et 6 ont été admises en preuve par consentement. Il appert de ces pièces que la personne qui a signé le document, l’ex‑matelot de 3e classe Penner, a reconnu avoir pris connaissance du paragraphe 3 où il est précisé que [traduction] « [t]ous les membres du personnel qui occupent un logement sont tenus de lire le règlement relatif aux logements pour célibataires s’appliquant à leur bâtiment. » Cette signature constitue une preuve de notification.

[22]           La défense fait valoir que rien ne permet à la cour de conclure que la pièce 3‑7 a été reconnue par un témoin, et donc qu’il serait impossible de faire la preuve de son contenu. Je ne suis pas d’accord. Cette ordonnance a été déposée comme pièce durant le présent procès. Elle fait preuve de son contenu. Le capitaine de corvette Thaler a également témoigné que les règlements sur les logements des célibataires sont affichés sur le tableau situé à l’entrée de la caserne Nelles et que les résidents sont tenus de les lire. Ce témoignage se rapporte à la question de savoir si l’accusé avait connaissance des Règlements sur les logements des célibataires à la caserne Nelles.

[23]           La poursuite se fonde sur les témoignages des mêmes témoins pour établir que l’accusé a autorisé Mme Francis à pénétrer dans sa chambre, y compris sur la déclaration relatée que celle‑ci a faite au premier maître de 2e classe Living en s’identifiant comme Terri-Margaret Francis. Je m’arrêterai à cette question pour commencer. La déclaration relatée d’une personne qui n’est pas appelée à comparaître peut être admissible lorsqu’elle satisfait aux critères de nécessité et de fiabilité. La poursuite prétend que cette déclaration établit l’identité de Mme Francis et qu’elle est admissible parce que la pièce 3‑1 (certificat de mariage) prouve que Mme Francis est l’épouse de l’ex‑matelot de 3classe Penner et qu’elle ne peut être obligée par la poursuite à témoigner. Il est juste de dire que l’inhabilité du conjoint à témoigner ne fait pas obstacle à l’admission en preuve des déclarations que le conjoint a faites à une tierce partie et qui peuvent être admises selon l’exception générale à la règle de la preuve par ouï-dire fondée sur les principes de la fiabilité de la preuve et de la nécessité. La nécessité découle toujours du fait que la personne en question n’est pas habile à témoigner. (R. v. Phan, [2000] O.J. no 2223 (Cour de justice de l'Ontario.)

[24]           La question de savoir si l’accusé a autorisé l’accès à sa chambre est critique, car elle se rapporte au deuxième chef d’accusation. Pour établir que l’ex‑matelot de 3e classe Penner a effectivement donné cet accès à Mme Francis, la poursuite se fonde sur le témoignage de ces mêmes témoins qui ont procédé ce jour-là à l’inspection de la chambre attribuée à l’accusé dans la caserne Block. Plus particulièrement, la poursuite insiste sur le fait que Mme Francis avait en sa possession la clé de la chambre, que la clé lui a été reprise et que la seule clé de cette chambre avait été confiée à l’accusé.

[25]           À mon humble avis, on ne peut inférer de ces preuves circonstancielles que l’accusé a autorisé l’accès à sa chambre, même en tenant compte des éléments de preuve directs que la cour a admis, ni qu’un comité de la cour martiale serait raisonnablement fondé à conclure à la culpabilité de l’accusé à la lumière de ces ceux‑ci.

[26]           Je ne considère pas que ces éléments de preuve appuient la conclusion, que réclame la poursuite, portant qu’une seule conclusion raisonnable peut être tirée de l’ensemble de la preuve. En nous fondant sur les mêmes éléments de preuve, il serait tout aussi raisonnable de conclure que, après avoir pris la clé de son présumé époux, la dame qui se trouvait dans la chambre y est entrée d’elle-même uniquement pour faire une surprise à son époux après sa journée de travail et sans qu’il s’y attende, ou encore qu’elle a décidé d’attendre sagement dans la chambre qu’il rentre du travail ce jour‑là. Le fait qu’elle s’est cachée dans une penderie et qu’elle a semblé très nerveuse lorsqu’elle a été découverte par les personnes qui faisaient l’inspection et le fait que certains vêtements féminins se trouvaient dans la chambre sont des éléments de preuve pertinents qui permettent d’établir son état d’esprit ainsi que de conclure qu’elle a pénétré sans autorisation. Elle n’était pas censée se trouver là et elle le savait. Toutefois, ces éléments de preuve circonstanciels ne suffisent pas à conclure comme le souhaite la poursuite que l’accusé a autorisé la dame à entrer dans sa chambre. En conséquence, je conclus qu’aucune preuve prima facie n’a été établie à l’égard de la seconde accusation.

Troisième acte d’accusation, article 90 de la Loi sur la défense nationale

[27]           La troisième accusation a été portée en vertu de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale pour absence sans permission. Les passages pertinents de l’article 90 de la Loi se lisent comme suit :

 (1) Quiconque s’absente sans permission commet une infraction […]

 

(2) S’absente sans permission quiconque :

a) sans autorisation, quitte son poste;

b) sans autorisation, est absent de son poste;

      c) ayant été autorisé à s’absenter, ne rejoint pas son poste à l’expiration de la période d’absence autorisée.

 

[28]           L’énoncé détaillé de la deuxième accusation se lit comme suit :

[traduction] À midi, le 3 juillet 2012, l’accusé s’est absenté sans permission de l’École navale des Forces canadiennes, Base des Forces canadiennes Esquimalt (Colombie‑Britannique), et n’y est revenu qu’à 6 h 30 le 6 juillet 2012.

 

[29]           La poursuite doit prouver que l’ex-matelot de 3e classe Penner est la personne qui a commis l’infraction à la date et à l’endroit décrits dans le troisième acte d’accusation, au cours de la période indiquée dans l’énoncé, ainsi que les éléments essentiels qui suivent :

1.                  l’ex-matelot de 3e classe Penner avait l’obligation de se trouver à un endroit donné à une heure donnée;

2.                  l’ex-matelot de 3e classe Penner a négligé ou omis de se présenter;

3.                  l’ex-matelot de 3e classe Penner n’était pas autorisé à s’absenter;

4.                  l’ex-matelot de 3e classe Penner connaissait l’obligation qui lui incombait.

[30]           L’ex-matelot de 3e classe Penner avait-il l’obligation de se trouver à un endroit donné à une heure donnée?

[31]           Il est allégué dans l’énoncé détaillé du troisième acte d’accusation que l’ex-matelot de 3e classe Penner avait l’obligation ou le devoir de se trouver à l’École navale des Forces canadiennes, Base des Forces canadiennes Esquimalt (Colombie‑Britannique), à 12 h le 3 juillet 2012.

[32]           Les témoignages du capitaine de corvette Thaler et du maître de 1re classe McCrae ainsi que le document déposé comme pièce 3-4 (FC Demande/Autorisation de congé – CF 100) donnent à penser que l’ex‑matelot de 3e classe Penner avait fait autoriser et approuver son absence du 23 juin 2012 au 2 juillet 2012. La poursuite fait valoir que la preuve, c’est‑à‑dire les témoignages des personnes susmentionnées, indique aussi clairement que l’accusé n’avait pas obtenu l’autorisation de s’absenter au-delà de cette date.

[33]           La défense avance qu’il ressort du témoignage du maître de 1re classe McCrae – plus particulièrement des réponses qu’il a fournies en contre-interrogatoire − qu’il a donné d’autres directives quant au moment où il devait se présenter à son poste au cours d’une conversation téléphonique qui s’est tenue vers 16 h le 2 juillet 2012. L’avocat de la défense a signalé à juste titre que cette déclaration n’établit pas ce en quoi consistaient ces instructions. Voici comment s’est déroulé le contre-interrogatoire du maître de 1re classe McCrae :

[traduction]

Q. : Maître de 1re classe, lorsque je vous pose des questions, je ne veux pas que vous me répétiez ce qu’on vous a dit; je veux simplement savoir ce que vous-même avez fait ou dit. R. : Oui, Monsieur.

Q. : Lors de votre interrogatoire principal, vous avez dit avoir reçu un appel du matelot de 3e classe Penner. Vous souvenez-vous de la date à laquelle il vous a téléphoné? R. : Je crois bien que c’était le 2 juillet.

Q. : Très bien. Et vous souvenez-vous de l’heure? R. : Je crois que… laissez‑moi réfléchir un moment, Monsieur.

Q. : Si vous ne pouvez vous en souvenir, je vous prie de ne pas essayer de deviner. R. : C’était durant la soirée. Ce n’était pas tard dans la soirée, c’était aux environs de 16 h. En fait, c’était probablement un peu plus tard, vu les circonstances du coup de téléphone, Monsieur.

Q. : Et êtes-vous sûr que c’était le 2, ou bien cela aurait-il pu être le 1er? R. : Non, ce n’était pas le 1er, Monsieur. C’était sans aucun doute le 2.

Q. : Et comment vous souvenez-vous de la date à ce stade-ci? R. : Je me souviens de la date parce qu’il était censé revenir le lundi, et la raison pour laquelle il a téléphoné…          

Q. : Non, je ne veux pas que vous nous rapportiez ce qu’il vous a dit, et qui serait la raison de son appel. R. : J’allais dire… d’accord. Oui, Monsieur.

Q. : Vous avez reçu cet appel quel jour de la semaine? Vous en souvenez‑vous ? R. : C’était le week-end, Monsieur. J’étais chez moi.

Q. : D’accord. C’était donc le week‑end précédant le lundi où il était censé se présenter au travail? R. : Oui, Monsieur.

Q. : Bien. Et dites-moi, par suite de l’information que vous avez obtenue au cours de cet appel téléphonique, avez-vous dit à M. Penner de reporter son retour à l’École à une date ultérieure? R. : Je lui ai dit de rentrer le lendemain, Monsieur.

Q. : Et au cours des deux jours suivants, vous-même et M. Penner avez communiqué ensemble quelques fois, n’est-il pas vrai? R. : Non, Monsieur.

Q. : C’était donc la seule fois où vous avez parlé à M. Penner durant son absence? R. : Oui, à cette occasion seulement, ce jour‑là seulement, Monsieur.

Q. Très bien. Et vous n’avez pas parlé à M. Penner avant qu’il se présente au travail? R. : Oh, oui, Monsieur, je lui ai reparlé.

Q. D’accord. R. : C’était… oui.

Q. : Et au cours de ces communications subséquentes, lui avez‑vous donné des instructions quant à la date à laquelle il devait se présenter au travail? R. : Oui, Monsieur.

Je vous remercie, ce sera tout.

[34]           J’estime que les témoignages du capitaine de corvette Thaler et du maître de 1re classe McCrae tendent à établir que l’ex‑matelot de 3e classe Penner avait l’obligation ou le devoir de se trouver à l’École navale des Forces canadiennes, Base des forces canadiennes Esquimalt (Colombie‑Britannique), le 3 juillet 2012. Les communications subséquentes entre l’accusé et son supérieur McCrae n’ont rien à voir avec cet élément.

L’ex-matelot de 3classe Penner a-t-il négligé ou omis de se présenter?

[35]           Les mêmes éléments de preuve semblent appuyer l’affirmation que l’ex‑matelot de 3e classe Penner n’était pas à son poste le 3 juillet 2012.

L’ex-matelot de 3classe Penner était‑il autorisé à s’absenter?

[36]           L’avocat de la défense fait valoir que la poursuite n’a pas produit de preuve à l’égard de cet élément essentiel et que le témoignage du maître de 1re classe McCrae tend plutôt à établir que l’ex‑matelot de 3e classe Penner avait obtenu l’autorisation de ne se présenter que le 6 juillet 2012. À mon avis, le témoignage du maître de 1re classe McCrae ne permet pas de déterminer s’il avait effectivement autorisé l’ex‑matelot de 3e classe Penner à s’absenter de son poste durant toute la période du 3 juillet au 6 juillet 2012. Il n’appartient pas au juge du procès d’apprécier la valeur ou les lacunes de ce témoignage. L’appréciation de cette preuve ressort exclusivement au comité de la cour martiale.

L’ex-matelot de 3classe Penner était-il au courant de l’obligation qui lui incombait?

[37]           La poursuite n’a pas à établir hors de tout doute raisonnable que l’ex‑matelot de 3e classe Penner avait l’intention précise de perpétrer cette infraction. C’est au comité de la cour martiale qu’il revient de le déterminer en se fondant sur l’ensemble de la preuve qu’il jugera admissible.

[38]           Pour tous ces motifs, je conclus que la poursuite a prouvé prima facie la troisième accusation.

DÉCISION

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[39]           DÉCLARE l’accusé, l’ex-matelot de 3e classe Penner, non coupable de la première accusation d’avoir intentionnellement fait dans un document signé par lui et qui devait servir à des fins officielles une fausse déclaration en contravention de l’alinéa 125a) de la Loi sur la défense nationale.

[40]           DÉCLARE l’accusé, l’ex-matelot de 3e classe Penner, non coupable de la deuxième accusation de s’être comporté d’une manière préjudiciable au bon ordre et à la discipline en contravention de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale.

[41]           ORDONNE que le procès se poursuive sous le troisième chef d’accusation de s’être absenté sans permission en contravention de l’article 90 de la Loi sur la défense nationale.  

[41]

 

Avocats

 

Capitaine de corvette S. Torani, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major D. Berntsen, Direction du service d’avocats à la défense

Avocat de l’ex-matelot de 3e classe C.G. Penner

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.