Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 septembre 2013.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1: S. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 3): Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 2): Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable. Chef d’accusation 3 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Brinton, 2013 CM 4020

 

Date : 20130919

Dossier : 201320

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le matelot de 1re classe D.J. Brinton, accusé

 

 

Devant : Le lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DU VERDICT

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               L’accusé, le matelot de 1re classe Brinton, fait face à deux chefs d’accusation, le premier pour avoir désobéi à l’ordre légitime d’un officier supérieur et l’autre pour s’être trouvé en congé sans permission. Avant que la cour ne procède à l’analyse de la preuve et des accusations, il convient de traiter de la présomption d’innocence et de la norme de la preuve hors de tout doute raisonnable. Ces principes sont peut-être bien connus des conseils, mais ils peuvent être moins connus de certaines autres personnes présentes dans la salle d’audience.

 

[2]               Il est juste de dire que la présomption d’innocence est fort probablement le principe le plus fondamental de notre droit pénal, et le principe de la preuve hors de tout doute raisonnable en est un élément essentiel. Dans les affaires qui sont tranchées aux termes du Code de discipline militaire comme dans les affaires qui sont tranchées aux termes du droit criminel canadien, toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que la Couronne ait prouvé sa culpabilité hors de tout doute raisonnable. Ce n’est pas à l’accusé de prouver son innocence. C’est à la Couronne de prouver chacun des éléments essentiels de l’infraction hors de tout doute raisonnable. La présomption d’innocence s’applique tout au long du procès, jusqu’à ce que le juge des faits ait rendu un verdict.

 

[3]               La norme de preuve hors de tout doute raisonnable ne s’applique pas à chacun des éléments de preuve sur lesquels se fonde l’accusation, mais elle s’applique à l’ensemble de la preuve avancée par la poursuite pour prouver la culpabilité. Le fardeau de la preuve de la culpabilité d’un accusé hors de tout doute raisonnable appartient toujours à la Couronne, jamais à l’accusé.

 

[4]               Le tribunal doit déclarer un accusé non coupable s’il existe un doute raisonnable au sujet de sa culpabilité, une fois qu’il a examiné l’ensemble de la preuve.

 

[5]               Dans R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, la Cour suprême du Canada a proposé un modèle de directives sur le doute raisonnable. Les principes décrits dans cet arrêt ont été appliqués dans plusieurs autres jugements de la Cour suprême et des cours d’appel. En substance, le doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou futile. Un doute raisonnable n’est pas fondé sur un élan de sympathie ou sur un préjugé. Au contraire, il est fondé sur la raison et le bon sens. C'est un doute qui survient à la fin du procès et qui est fondé non seulement sur ce que la preuve révèle au tribunal, mais également sur ce qu'elle ne lui révèle pas. Le fait qu’une personne est accusée n’est absolument pas une indication qu’elle est coupable.

 

[6]               Dans R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144, la Cour suprême a statué que :

 

… une manière efficace de définir la norme du doute raisonnable à un jury consiste à expliquer qu’elle se rapproche davantage de la certitude absolue que de la preuve selon la prépondérance des probabilités…

 

Par contre, il est pratiquement impossible de prouver quoi que ce soit avec une certitude absolue, et la Couronne n’est pas tenue de le faire. Une norme de preuve fondée sur la certitude absolue n’existe pas en droit. La poursuite doit seulement prouver la culpabilité de l'accusé, en l'espèce le matelot de 1re classe Brinton, hors de tout doute raisonnable.  Pour placer les choses en perspective, si la cour est convaincue que l'accusé est probablement ou vraisemblablement coupable, elle doit l'acquitter car la preuve d'une culpabilité probable ou vraisemblable ne constitue pas une preuve de culpabilité hors de tout doute raisonnable.

 

[7]               La preuve comprend les témoignages livrés sous serment ou après une déclaration solennelle devant le tribunal; les témoins expliquent ce qu’ils ont observé ou ce qu’ils ont fait. La preuve peut également comprendre des documents, des photos, des cartes ou d’autres éléments qu’ils auront eux-mêmes présentés; la preuve peut également comprendre le témoignage de témoins experts, des aveux officiels sur une question de fait, soit par la poursuite, soit par la défense, et les faits dont le tribunal a pris judiciairement connaissance.

 

[8]               Il n’est pas rare que les éléments de preuve présentés devant un tribunal soient contradictoires. Souvent, les témoins ont des souvenirs différents des événements. Le tribunal doit déterminer quels éléments de preuve sont à son avis les plus crédibles.

 

[9]               La crédibilité n’est pas un synonyme de la vérité, et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge.

 

[10]           Des divergences mineures, qui sont inévitables, mais innocentes, ne signifient pas nécessairement qu’il faille rejeter un témoignage. Toutefois, un mensonge délibéré, c’est toute autre chose. Le mensonge est toujours grave, et il peut donner le ton à l’ensemble du témoignage d’un témoin.

 

[11]           Le tribunal n’est pas obligé d’accepter le témoignage de quiconque, sauf dans la mesure où le tribunal le considère comme un témoin crédible. Toutefois, le tribunal devra considérer que les éléments de preuve fournis sont dignes de foi sauf s’il existe un motif de croire le contraire.

 

[12]           Le tribunal doit s’attacher au critère défini dans l’arrêt R c. W. (D.) [1991] 1 RCS 742 de la Cour suprême du Canada :

 

Premièrement, si vous croyez la déposition de l'accusé, manifestement vous devez prononcer l'acquittement.

 

 

Deuxièmement, si vous ne croyez pas le témoignage de l'accusé, mais si vous avez un doute raisonnable, vous devez prononcer l'acquittement.

 

 

Troisièmement, même si n'avez pas de doute à la suite de la déposition de l'accusé, vous devez vous demander si, en vertu de la preuve que vous acceptez, vous êtes convaincus hors de tout doute raisonnable par la preuve de la culpabilité de l'accusé.

 

[13]           Après m’être rafraîchi la mémoire en ce qui concerne le fardeau de la preuve et la norme de preuve, je vais me pencher sur les questions soumises au tribunal. La preuve qui a été présentée aux membres du comité de la présente cour martiale comprend essentiellement les témoignages du docteur Hache, du premier maître de 2e classe Eastham, du cadet-maître de 2e classe Larouche et du matelot-chef Rogers. Le tribunal a pris judiciairement connaissance des faits et points en litige aux termes de l’article 15 des Règles militaires de la preuve. Il a également pris judiciairement connaissance des dispositions du Manuel sur les politiques régissant les congés des Forces canadiennes aux termes de l’article 16 des Règles militaires de la preuve. Le procureur a présenté sept éléments de preuve, et l’avocate de la défense en a présenté deux.

 

[14]           Le premier acte d’accusation est ainsi libellé :

 

« Le 27 juin 2012 ou vers cette date, à Halifax (Nouvelle‑Écosse) ou dans les environs, l’intimé s’est présenté à un examen dans une université civile en contravention de l’ordre que lui avait donné le maître de 2e classe M. Larouche. »

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants, en ce qui a trait à l’infraction :

 

a)                  l’intimé est bel et bien le contrevenant, et la date et le lieu correspondent à ce qui est indiqué dans l’acte d’accusation;

 

b)                  un ordre vous a été donné, c’est‑à‑dire qu’on vous a ordonné de ne pas vous présenter à votre examen dans une université civile;

 

c)                  il s’agissait d’un ordre légitime;

 

d)                 vous avez reçu l’ordre ou vous en avez eu connaissance;

 

e)                  l’ordre vous a été donné par un officier supérieur, en l’occurrence le maître de 2e classe M. Larouche;

 

f)                   vous connaissiez le grade de cet officier;

 

g)                  vous n’avez pas respecté l’ordre qui vous avait été donné;

 

h)                  votre état d’esprit était répréhensible.

 

[15]           Le deuxième chef d’accusation est ainsi libellé :

 

« Le 27 juin 2012 ou vers cette date, à Halifax (Nouvelle‑Écosse) ou dans les environs, vous n’étiez pas en repos à votre résidence contrairement à un ordre qui vous avait donné par le maître de 2e classe M. Larouche. »

 

La poursuite devait prouver hors de tout doute raisonnable les éléments essentiels suivants, en ce qui a trait à l’infraction :

 

a)                  l’intimé est bel et bien le contrevenant, et la date et le lieu correspondent à ce qui est indiqué dans l’acte d’accusation;

 

b)                  un ordre vous avait donné, c’est‑à‑dire qu’on vous a ordonné de vous reposer à votre résidence;

 

c)                  il s’agissait d’un ordre légitime;

 

d)                 vous avez reçu l’ordre ou vous en avez eu connaissance;

 

e)                  l’ordre vous a été donné par un officier supérieur, en l’occurrence le maître de 2e classe M. Larouche;

 

f)                   vous connaissiez le grade de cet officier;

 

g)                  vous n’avez pas respecté l’ordre qui vous avait été donné;

 

h)                  votre état d’esprit était répréhensible.

 

[16]           L’avocate de la défense affirme qu’il n’y a aucun désaccord sur les faits, en ce qui concerne l’identité du présumé contrevenant, du lieu et de l’heure où les infractions présumées ont été commises, du fait que le maître de 2e classe Larouche a dit au matelot de 1re classe Brinton de retourner chez lui et de prendre du repos, sans se présenter à son examen, que le maître de 2e classe Larouche est un officier supérieur, que le matelot de 1re classe Brinton savait que le maître de 2e classe Larouche était un officier supérieur et que le matelot de 1re classe Brinton a reçu l’ordre. L’avocate de la défense soutient que les ordres donnés au matelot de 1re classe Brinton n’étaient pas des ordres légitimes, puisque le matelot de 1re classe était en congé de maladie et avait été exempté du service, ce qui signifie qu’on ne pouvait pas lui imposer d’être en service. Est-ce qu’un officier supérieur peut ordonner à un matelot de faire ou de ne pas faire quelque chose lorsque ce matelot est en congé de maladie? Voilà la question au cœur de l’affaire.

 

[17]           Le matelot de 1re classe Brinton s’est rendu à la visite médicale le matin du 27 juin 2012 et il a été reçu par le docteur Hache. Ce dernier a ausculté le matelot de 1re classe Brinton, lui a posé des questions et a reçu des réponses, et il a préparé un plan de traitement qu’il a remis au matelot de 1re classe Brinton. Le docteur Hache a déclaré que le congé de maladie fait partie d’un plan de traitement qui vise à aider ses patients à se rétablir et à prévenir la propagation de la maladie. Le docteur Hache a déclaré que la lutte à la propagation de la maladie était un aspect important de la décision d’accorder un congé de maladie. Un médecin ne peut pas ordonner à un patient de suivre un traitement; il ne peut que le lui recommander. Sur la fiche médicale, pour signifier qu’il a accordé un congé de maladie, le médecin inscrit « Exempt de service ». Le docteur Hache a déclaré que la chaîne de commandement agit en fonction des recommandations du médecin. Il explique qu’une personne qui vient d’obtenir un congé de maladie devrait retourner chez elle, conformément à son plan de traitement, mais qu’elle peut toutefois se rendre à la pharmacie ou à l’épicerie pour acheter ce dont elle a besoin. Elle peut par exemple aller chercher un membre de sa famille, mais dans une mesure raisonnable. Les activités scolaires ne font pas partie des activités jugées acceptables pour une personne qui est en congé de maladie. Dans de tels cas, le médecin peut formuler des recommandations différentes à l’intention de la chaîne de commandement.

 

[18]           Le docteur Hache a dit au matelot de 1re classe Brinton de se reposer, chez lui, toute la journée, de boire beaucoup de liquide, de prendre les médicaments qu’il lui a prescrits et de revenir le voir si son état empirait. Il estime que le matelot de 1re classe Brinton a compris ses directives. Il ne se rappelle pas exactement ce qu’il a dit au matelot de 1re classe Brinton, mais ses notes indiquent qu’il lui a dit de rester chez lui. Il conseille habituellement à ses patients de demeurer à la maison et d’éviter tout contact avec d’autres personnes de manière à prévenir la propagation de la maladie. Il n’a pas inscrit sur la fiche médicale (pièce 3) quoi que ce soit qui ait pu renseigner la chaîne de commandement sur le diagnostic qu’il venait de poser.

 

[19]           Le matelot de 1re classe Brinton suivait un cours de mécanicien de marine (NQ5), et le maître de 2e classe Larouche était son maître divisionnaire. Le matelot de 1re classe Brinton s’est présenté devant le maître de 2e classe Larouche après sa consultation avec le docteur Hache et il lui a remis sa fiche médicale. Le maître de 2e classe Larouche a dit au matelot de 1re classe Brinton de retourner chez et de prendre du repos et de ne pas se présenter à son examen dans une université civile ce jour-là. Le maître de 2e classe Larouche a expliqué les raisons pour lesquelles il avait ordonné précisément au matelot de 1re classe Brinton de ne pas se présenter à son examen à l’université. Le matelot de 1re classe Brinton lui avait demandé un mois environ avant l’infraction présumée la permission de manquer un des cours du programme NQ5, le 27 ou le 28 juin, parce qu’il devait se présenter à un examen à l’université. Le maître de 2e classe Larouche a demandé au matelot de 1re classe Brinton de lui présenter sa demande par écrit, par le truchement d’une note de service, mais sa demande est restée lettre morte. Deux examens avaient été prévus pour les 27 et 28 juin dans le cadre du cours NQ5.

 

[20]           Le matelot de 1re classe Brinton avait proposé de se présenter en classe le 28 juin, mais le maître de 2e classe Larouche a refusé, car cela aurait été contraire aux directives figurant sur la fiche médicale. Le maître de 2e classe Larouche estimait n’avoir pas le pouvoir d’annuler une fiche médicale et il n’a pas donné l’ordre d’aller à l’encontre des directives figurant sur cette fiche. Le maître de 2e classe Larouche a déclaré qu’il se fiait aux fiches médicales rédigées par un médecin. Il a indiqué que le matelot de 1re classe Brinton semblait pâle, voûté et malade.

 

[21]           Le matelot-chef Rogers était un enseignant du cours NQ5 et le matelot-chef divisionnaire du matelot de 1re classe Brinton. Elle était présente lorsque le maître de 2e classe Larouche a ordonné au matelot de 1re classe Brinton d’aller chez lui se reposer et de ne pas se présenter à son examen à l’université. Elle a déclaré que les ordres étaient clairs et que le maître de 2e classe Larouche les avait répétés. Le matelot-chef Rogers avait elle-même, dans le passé, obtenu un congé de maladie et elle savait que cela supposait qu’elle reste chez elle et qu’elle se repose. Elle se fiait également à la fiche médicale et elle devait respecter les directives figurant sur ces fiches lorsqu’un de ses élèves était malade.

 

[22]           La Loi sur la défense nationale et les Ordres et règlements royaux n’offrent aucune définition d’un congé. Cette définition se trouve au chapitre 1 du Manuel sur les politiques régissant les congés des Forces canadiennes : « Un congé est une absence du travail approuvée par une autorité compétente. » J’aimerais mentionner que je cite la version la plus récente du Manuel sur les politiques régissant les congés, qui est datée du 6 juillet 2012, et qui est affichée sur le site Web du ministère de la Défense nationale et des Forces canadiennes, non pas sur le document daté du 16 juin 2009, qui a été présenté par l’avocate de la défense. Selon le dictionnaire, un congé correspond à une « permission de s’absenter, de quitter un service, un emploi, un travail ».

 

[23]           L’alinéa a) de l’article 16.16 des Ordres et règlements royaux prévoit qu’un officier ou militaire du rang peut se voir accorder un congé de maladie ne dépassant pas deux jours civils consécutifs, par son commandant, sans la recommandation d'un médecin militaire. L’alinéa b) du même article indique que la durée de ce congé est de 30 jours civils consécutifs, à l'exclusion de tout congé de maladie accordé en vertu du sous-alinéa a), par un médecin militaire, ou un médecin civil qui est désigné par le médecin militaire supérieur d'une base.

 

[24]           L’article 6.1.01 du chapitre 6 du Manuel sur les politiques régissant les congés donne l’objectif des congés de maladie :

 

« Le congé de maladie vise à compléter les soins médicaux fournis aux militaires des FC. Il est accordé pour la période pendant laquelle le militaire n’est pas en état de travailler, sans être en convalescence à l’infirmerie ou à l’hôpital. On ne peut pas imposer le congé annuel à un militaire des FC qui est en congé maladie. »

 

Le docteur Hache a accordé au matelot de 1re classe Brinton une exemption du service d’une durée de deux jours, à compter du 27 juin 2012 (pièce 3). Autrement dit, il a donné au matelot de 1re classe Brinton un congé de maladie de deux jours.

 

« Le congé annuel est un droit. Il a comme objet de soutenir l’esprit d’initiative et l’enthousiasme des militaires des FC et de favoriser leur bien-être physique et mental en leur offrant périodiquement la possibilité de se reposer et de se détendre. »

 

C’est l’objectif donné à l’article 3.1.01 du chapitre 3 du Manuel sur les politiques régissant les congés des Forces canadiennes. Le congé de maladie n’est pas un droit. Selon la définition, le congé annuel « désigne un congé imputé à l’année ou à la période de service admissible », mais le congé de maladie n’est pas défini au chapitre 1 du Manuel sur les politiques régissant les congés.

 

[25]           Les officiers et les militaires du rang sont enrôlés dans la Force régulière pour un service continu et à plein temps (voir le paragraphe 15(1) de la Loi sur la défense nationaleLa force régulière, ses unités et autres éléments, ainsi que tous ses officiers et militaires du rang, sont en permanence soumis à l’obligation de service légitime. « Service » s’entend, outre des tâches de nature militaire, de toute tâche de service public autorisée sous le régime de l’article 273.6 de la Loi sur la défense nationale (voir les paragraphes 33(1) et 33(4) de la Loi sur la défense nationale). Le dictionnaire définit « service » comme un « travail particulier que l’on doit accomplir au cours d’une activité (civile ou militaire) ».

 

[26]           L’article 19.18 des Ordres et règlements royaux porte que :

 

Un officier ou militaire du rang qui souffre ou croit souffrir d’une maladie doit sans délai la signaler.

 

L’article 98 de la Loi sur la défense nationale prévoit qu’une personne qui simule, feint ou provoque une maladie ou une infirmité ou qui aggrave une maladie ou une infirmité, ou en retarde la guérison, par inconduite ou désobéissance volontaire à des ordres commet une infraction. Une personne reconnue coupable de cette infraction est passible d’un emprisonnement à perpétuité ou d’une peine moindre si elle a agi alors qu’elle était en service actif et, dans tout autre cas, à un emprisonnement d’au plus cinq ans ou à une peine moindre. Objectivement, il s’agit d’une infraction grave.

 

[27]           Le chapitre 34 des Ordres et règlements royaux concerne les soins de santé. Le paragraphe 34.07 (4) porte que :

 

... les soins de santé sont prodigués aux frais de l’État à un militaire :

 

                1. de l force régulière.

 

[28]           La pièce 10 (CANFORGEN 039/08, CPM 018/08, document daté du 13 février 2008) fournit une orientation provisoire qui permet de clarifier les obligations des parties concernées relativement à la divulgation de renseignements de nature médicale. Le paragraphe 1 du CANFORGEN établit que :

 

« Le présent CANFORGEN donne une orientation provisoire pour clarifier les obligations des parties concernées. »

 

Voici ce que dit le paragraphe 2 :

 

« Dans le système de santé des FC, les fournisseurs de soins de santé ont des obligations envers les militaires qu’ils rencontrent aux fins de traitement et envers la chaîne de commandement. Leur principale obligation envers les militaires, hommes ou femmes, est de maintenir leur état de santé et leur bien-être mental, de prévenir les maladies, de diagnostiquer ou de traiter toutes blessures, maladies ou tous handicaps et de faciliter leur rétablissement pour qu’ils reviennent rapidement à un niveau opérationnel de condition physique. La principale obligation des fournisseurs de soins de santé envers la chaîne de commandement est de faire en sorte que le personnel maintienne un niveau d’efficacité opérationnelle et de déployabilité ou qu’il se rétablisse pour revenir à ce niveau. À cette fin, ils doivent, dans certains cas, faire part des CERM d’un militaire à la chaîne de commandement. Grâce à cela, le militaire peut accomplir ses tâches de manière sécuritaire, fiable et efficace, et ce, sans risque d’aggraver son état de santé actuel. Les objectifs suivants orienteront la divulgation de renseignements relatifs aux CERM des militaires."

 

Voici ce que disent les paragraphes 4 à 6 de ce CANFORGEN :

 

« 4.      Deuxièmement, il incombe aux commandants de maintenir l’efficacité opérationnelle, la capacité, le bien-être et la sécurité de tous leurs subordonnés. Dans l’exercice de ses fonctions, un cmdt doit s’assurer que les militaires sont affectés seulement aux tâches qu’ils peuvent accomplir de manière sécuritaire et efficace. Afin de bien employer un marin, un soldat ou un aviateur, homme ou femme, et de s’assurer que les conditions sont respectées pour que son traitement réussisse et qu’il puisse reprendre toutes ses fonctions, un cmdt doit avoir une idée des CERM et du pronostic. Cela pourrait être facilité par des renseignements non cliniques additionnels qui peuvent être fournis s’ils sont pertinents pour l’attribution de tâches adaptées au militaire.

 

5.         Troisièmement, les fournisseurs de soins de santé ont l’obligation professionnelle de protéger les renseignements médicaux de leurs patients contre toute divulgation inappropriée. Les patients abordent des points intimes et personnels avec leurs fournisseurs de soins de santé. Ces derniers sont particulièrement conscients et bien disposés à l’égard du besoin de conserver la confiance du militaire quand ils s’entretiennent avec lui sur des questions de soins de santé. Les fournisseurs de soins de santé doivent faire preuve d’une diligence raisonnable dans le contexte de l’appui à l’efficacité opérationnelle tout en respectant le cadre légal et réglementaire dans lequel ils travaillent.

 

6.         L’absence de communication claire entre le fournisseur de soins de santé et le cmdt peut nuire à la mission des FC. Alors que certains renseignements comme le diagnostic et les détails du traitement ne devraient pas être divulgués, un dialogue libre pour échanger des renseignements pertinents selon le principe du besoin de savoir est essentiel afin de maintenir l’intégrité du système de soins de santé des FC et de garantir que ni le militaire ni la mission ne sont compromis. Échanger les renseignements appropriés et traiter ces derniers d’une manière sensible et respectueuse pour le bien du soldat, du marin ou de l’aviateur, homme ou femme, et de l’effet opérationnel des FC est une responsabilité conjointe entre le militaire, le fournisseur de soins de santé et le cmdt. Voici les directives précises pour atteindre cet objectif […] »

 

[29]           Le paragraphe 7 établit qu’un membre des Forces canadiennes doit se présenter sans délai à la visite médicale lorsqu’il souffre d’une maladie ou pense souffrir d’une maladie et qu’il doit respecter les restrictions relatives à son emploi que lui impose le fournisseur de soins de santé.

 

[30]           Ces différentes sources émettent un message clair que l’on comprend facilement. Les membres de la Force régulière doivent être en bonne condition physique pour exercer leurs fonctions. Les Forces canadiennes procureront à leurs membres les soins médicaux nécessaires et s’assureront que tous les membres des Forces canadiennes sont en bonne condition physique.

 

[31]           Un militaire du rang doit connaître, observer et faire respecter la Loi sur la défense nationale, la Loi sur la protection de l'information, les ORFC et l’ensemble des autres règlements, règles, ordres et directives se rapportant à l'exercice de ses fonctions (voir les articles 5.01 et 19.01 des Ordres et règlements royaux) Un militaire du rang doit également promouvoir le bien-être, l'efficacité et l'esprit de discipline de tous ses subordonnés (voir l’alinéa 5.01c) des  Ordres et règlements royaux).

 

[32]           Dans R c. Lambert, 2011 CM 4012, au paragraphe 64, j’ai fait la déclaration suivante :

 

Comme il est énoncé dans R. c. Liwyj, 2010 CACM 6, l’infraction prévue à l’article 83 de la Loi sur la défense nationale « témoigne du fait que l’obéissance aux ordres constitue le principe fondamental de la vie militaire ». Tout membre des Forces canadiennes doit obéir aux ordres légitimes d’un supérieur, voir article 19.015 des ORFC. Il n’y a pas lieu d’obéir à un ordre manifestement illégal. Comme il est indiqué au paragraphe 24 de Liwyj :

 

L'ordre qui ne se rapporte pas à des fonctions militaires ne satisfait évidemment pas au critère minimal nécessaire de la légitimité. Autrement dit, l'ordre qui est sans objet évident sur le plan militaire sera considéré comme un ordre manifestement illégitime.

 

[33]           Dans Scott c. R, 2004 CACM 2, la Cour d’appel de la cour martiale a fait la déclaration suivante concernant l’importance d’obéir aux ordres légitimes (paragraphe 11) :

 

... Les ordres exposant les troupes au danger auront généralement un objectif militaire clair qui leur permettra d'échapper à l'application du premier volet du critère formulé dans l'arrêt Big M. Drug Mart, précité, et la légalité de ces ordres pourra être reconnue ou non selon qu'elle se justifie au regard de l’article premier (il est permis de penser qu'elle sera le plus souvent reconnue). Nous reconnaissons également que de tels ordres ne se limitent pas nécessairement aux circonstances où les troupes sont engagées dans un combat. L'obéissance aux ordres légitimes est essentielle pour maintenir la discipline nécessaire au sein des forces militaires…

 

[34]           La note (B) de l’article 19.015 prévoit ce qui suit :

 

D'ordinaire il n'y a pas à se demander si un commandement ou un ordre est légitime ou non. Toutefois, lorsque le subordonné ignore la loi ou n'en est pas certain, il obéira au commandement même s'il doute de sa légitimité, sauf si celui-ci est manifestement illégal.

 

[35]           La Cour d’appel de la cour martiale, au paragraphe 12 de R. c. Matusheskie 2009 CACM 9, a déclaré ce qui suit :

 

... les notes B et C de l'article 19.015 des ORFC […] énoncent clairement qu'il faut obéir au commandement à moins que le commandement soit manifestement illégal. Cela reflète le fait que l'obéissance aux ordres est la règle fondamentale de la vie militaire. On doit obéir immédiatement à tous les ordres légitimes…

 

Le tribunal a ajouté ce qui suit, au paragraphe 13 :

 

Le critère permettant de conclure qu'un ordre est manifestement illégal est, comme il se doit, très exigeant. [Pour être considéré comme manifestement illégal, l’ordre d'un supérieur] doit être de nature à offenser la conscience de toute personne raisonnable et sensée.  Il doit être clairement et manifestement répréhensible.  L'ordre ne peut se situer dans une zone grise ou être seulement douteux; il doit au contraire être manifestement et clairement répréhensible.

 

[36]           L’avocate de la défense a renvoyé le tribunal à la première phrase de la note (F) de l’article 103.16 des Ordres et règlements royaux, en faisant valoir que les ordres donnés par le maître de 2e classe Larouche n’étaient pas des ordres légitimes. Il ne faut pas interpréter les notes comme si elles avaient autant de force qu’une loi, mais il ne faut pas non plus s’en écarter sans une bonne raison (voir l’article 1.095 des Ordres et règlements royaux). Le tribunal doit également porter attention à la deuxième phrase de cette note :

 

Pour qu'un ordre soit légitime, il faut qu'il se rapporte au service militaire, c'est-à-dire, il faut que la désobéissance à cet ordre tende à entraver, retarder ou empêcher l'exécution d'un acte militaire. Un supérieur a le droit de donner un ordre destiné à maintenir l'ordre ou à réprimer une émeute ou en vue de l'exécution d'une fonction militaire ou de l'application d'un règlement militaire, ou pour une fin intéressant le bien-être des troupes, ou encore à l'égard de tout aspect généralement reconnu de la vie militaire...

 

[37]           Le matelot de 1re classe Brinton était un étudiant du cours NQ5. C’était la tâche principale de son service, les 27 et 28 juin 20102. Il devait, ces deux jours, se présenter à un examen pour ce cours. Il avait auparavant indiqué à ses supérieurs qu’il désirait être exempté, une de ces deux journées-là, parce qu’il devait se présenter à un examen dans une université civile. Il a obtenu un congé de maladie de deux jours ou a été exempté de service pour ces deux jours. puisqu’un médecin avait déterminé qu’il n’était pas apte à accomplir son service régulier. Le docteur Hache lui avait dit de rester chez lui et de se reposer, de boire beaucoup de liquide et de prendre les médicaments prescrits.

 

[38]           Le congé de maladie accordé à un membre des forces armées dans le cadre d’un plan de traitement vise à l’aider à se rétablir de façon qu’il puisse reprendre le plus tôt possible ses tâches ordinaires. Le maître de 2e classe Larouche avait le devoir de s’assurer du bien-être du matelot de 1re classe Brinton. Il a ordonné au matelot de 1re classe Brinton de retourner chez lui et de se reposer. C’est ce que le docteur Hache avait dit au matelot de 1re classe Brinton. Le docteur Hache, en tant que civil, ne pouvait pas donner un ordre au matelot de 1re classe Brinton, mais le maître de 2e classe Larouche pouvait le faire. Le maître de 2e classe Larouche ne pouvait ordonner au matelot de 1re classe Brinton de prendre ses médicaments, mais il pouvait lui ordonner de rester chez lui pour se reposer, puisque c’était une des façons de s’assurer que le matelot de 1re classe Brinton puisse se rétablir rapidement. Cet ordre faisait en sorte que le matelot de 1re classe Brinton devait se trouver chez lui afin de se reposer et de se rétablir.

 

[39]           L’ordre donné par le maître de 2e classe Larouche est lié au bien-être du matelot de 1re classe Brinton et à celui des autres membres des forces armées.

 

[40]           Le maître de 2e classe Larouche a ordonné au matelot de 1re classe Brinton d’aller se reposer chez lui; cet ordre avait un objectif militaire et il s’agissait donc d’un ordre légitime.

 

[41]           Le maître de 2e classe Larouche était également au courant du fait que le matelot de 1re classe Brinton devait se rendre à l’université, le 27 ou le 28 juin, pour se présenter à un examen. Le congé de maladie n’est pas un congé annuel. Le congé de maladie est accordé dans un but précis, aider le membre des forces armées à guérir plus rapidement et à reprendre son service. Une personne qui est trop malade pour s’acquitter de ses tâches régulières est donc trop malade pour accomplir toute autre tâche personnelle exigeante pendant les heures normales de son service. Si le maître de 2e classe Larouche a ordonné au matelot de 1re classe Brinton de ne pas se présenter à son examen à l’université, c’est afin de maintenir le bon ordre et la discipline. Le bon ordre, de façon que le congé de maladie ne serve qu’aux fins prévues, et la discipline à laquelle doit se plier, entre autres, le matelot de 1re classe Brinton. L’ordre donné par le maître de 2e classe Larouche au matelot de 1re classe Brinton de ne pas se présenter à son examen à l’université avait un objectif militaire, et c’était donc un ordre légitime.

 

[42]           Le matelot de 1re classe Brinton n’a pas respecté l’ordre qui lui avait été donné puisqu’il ne s’est pas rendu immédiatement chez lui et qu’il s’est présenté à l’université pour passer son examen. Le tribunal estime que les éléments de preuve soumis par M. Blake sont fiables et dignes de foi. En se fondant sur les éléments de preuve qui lui ont été présentés, le tribunal estime que la poursuite a prouvé hors de tout doute raisonnable que le matelot de 1re classe Brinton avait prévu de se présenter à son examen, le 27 juin, et qu’il l’a fait en toute connaissance de cause.

 

[43]           Le tribunal estime que les éléments de preuve prouvent hors de tout doute raisonnable que le matelot de 1re classe Brinton a intentionnellement désobéi à l’ordre légitime du maître de 2e classe Larouche.

 

[44]           Le troisième acte d’accusation est ainsi rédigé :

 

« À environ 1200 heures, le 27 juin 2012 ou aux alentours de cette date, à Halifax (Nouvelle-Écosse) ou à proximité, le contrevenant a, sans autorisation, été absent de sa résidence et est resté absent jusqu’à environ 1500 heures, le 27 juin 2012. »

 

La poursuite devait prouver les éléments essentiels suivants, au regard de cette infraction, hors de tout doute raisonnable :

 

a)                  l’identité de l’accusé en tant que contrevenant;

 

b)                  le fait que vous aviez le devoir d’être à un endroit donné, à une heure donnée; c’est‑à‑dire d’être à votre résidence entre 1200 heures, le 27 juin 2012 ou vers cette date, jusqu'à environ 1500 heures, le 27 juin 2012;

 

c)                  vous n’étiez pas présent;

 

d)                 vous n’aviez pas l’autorisation de ne pas y être;

 

e)                  vous étiez au courant de l’obligation qui vous avait été imposée.

 

[45]           En se fondant sur les motifs fournis pour l’analyse des chefs d’accusation 1 et 2, le tribunal estime que le matelot de 1re classe Brinton avait le devoir d’être chez lui de 1200 heures environ à 1500 heures, le 27 juin 2012, et qu’il était au courant de cette exigence. Selon les éléments de preuve soumis par M. Blake, il est évident que le matelot de 1re classe Brinton se trouvait à l’Université Mount Saint Vincent, à faire un examen, à 1300 heures, le 27 juin 2012. Les éléments de preuve n’indiquent pas exactement combien de temps il a fallu au matelot de 1re classe Brinton pour terminer son examen.

 

[46]           En se fondant sur les motifs fournis pour l’analyse des chefs d’accusation 1 et 2, le tribunal estime que le matelot de 1re classe Brinton n’avait pas l’autorité de ne pas être chez lui. Il était absent de sa résidence à 1200 heures environ et est resté absent pendant une période indéterminée.

 

[47]           L’avocate de la défense soutient que le critère Kineapple s’applique en l’espèce, puisque le tribunal ne peut condamner l’intimé pour une accusation que s’il détermine que la poursuite a prouvé tous les autres actes d’accusation hors de tout doute raisonnable. Le premier chef d’accusation porte sur la désobéissance à l’ordre légitime de ne pas se présenter à un examen universitaire le 27 juin 2012. Les deuxième et troisième chefs d’accusation ont été portés par la suite; une accusation concerne la désobéissance à l’ordre légitime de rester chez soi à se reposer, et l’autre concerne le fait de s’être trouvé absent sans permission du lieu de son service, sa résidence. Le critère énoncé dans Kineapple s’appliquerait pour les chefs d’accusation no 2 et 3, et je suppose que c’est la raison pour laquelle ces accusations ont été portées. Le premier chef d’accusation se distingue des deux autres car il porte sur une situation précise. Le matelot de 1re classe Brinton aurait pu s’adonner à n’importe quelle autre activité à l’extérieur de sa résidence et faire quand même l’objet des deuxième et troisième chefs d’accusation, mais il n’aurait pas été accusé du premier chef. C’est pourquoi je ne suis pas d’accord avec l’avocate de la défense pour dire que la règle s’applique comme elle le soutient.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[48]           JUGE le matelot de 1re classe Brinton coupable des premier et second chefs d’accusation et suspend la procédure pour le troisième chef d’accusation.


 

Conseil :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette D. Liang et major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du matelot de 1re classe D.J. Brinton

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.