Cour martiale
Informations sur la décision
Date de l'ouverture du procès : 22 septembre 2008
Endroit : BFC Cold Lake, Centre communautaire Medley, Édifice 674, Cold Lake (AB)
Chefs d'accusation
•Chef d'accusation 1 : Art. 130 LDN, agression armée (art. 267 C. cr.).
•Chef d'accusation 2 : Art. 86 LDN, a adressé des gestes provocateurs à un justiciable du code de discipline militaire, tendant ainsi à créer du désordre.
Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable. Chef d'accusation 2 : Retiré.
•SENTENCE : Détention pour une période de 30 jours. L'exécution de la peine de détention a été suspendue.
Contenu de la décision
Référence : R. c. Caporal-chef T.J. Mills, 2008 CM 4011
Dossier : 200819
COUR MARTIALE PERMANENTE
CANADA
ALBERTA
4e ESCADRE COLD LAKE
Date : 23 septembre 2008
SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J-G PERRON, JUGE MILITAIRE
SA MAJESTÉ LA REINE
c.
CAPORAL-CHEF T.J. MILLS
(Accusé)
DÉCISION RELATIVEMENT À UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L’ALINÉA 11B) DE LA CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS
RETARD DÉRAISONNABLE
TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE
[1] Le caporal-chef Mills V19 573 631, est accusé d’avoir commis deux infractions. Plus particulièrement, il est accusé d’avoir utilisé son fusilC8, lorsqu’il a commis des voies de fait à l’encontre d’un autre soldat, et d’avoir armé son fusilC8 lorsqu’il a défié ce même soldat. L’accusé a présenté une demande en application de l’alinéa112.05(5)e) des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (les ORFC). Il allègue qu’il y a eu un retard déraisonnable en l’espèce et que, de ce fait, les droits qui lui sont garantis à l’alinéa11b) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés. Il cherche à obtenir une réparation convenable pour cette prétendue violation en vertu du paragraphe24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés et demande en conséquence à la cour d’ordonner un arrêt des procédures.
[2] L’intimée, la poursuite, soutient que le requérant n’a pas démontré,
comme il devait le faire, qu’il a subi un préjudice à cause du délai qui s’est écoulé avant la tenue du procès dans les circonstances de l’espèce. L’intimée soutient que la présente requête en vue de l’arrêt des procédures doit être rejetée.
[3] La preuve présentée par le requérant et l’intimée comprend un exposé conjoint des faits, ainsi que les réponses des avocats aux questions posées par la cour. La cour a pris judiciairement connaissance des éléments énumérés à l’article15 des Règles militaires de la preuve.
[4] Les dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés qui s’appliquent en l’espèce sont l’alinéa11b) et le paragraphe 24(1). L’alinéa 11b) prévoit :
Tout inculpé a le droit :
[...]
b) d’être jugé dans un délai raisonnable;
Le paragraphe 24(1) est libellé comme suit :
Toute personne, victime de violation ou de négation des droits ou libertés qui lui sont garantis par la présente charte, peut s’adresser à un tribunal compétent pour obtenir la réparation que le tribunal estime convenable et juste eu égard aux circonstances.
[5] L’article 162 de la Loi sur la défense nationale prévoit :
Une accusation portée aux termes du code de discipline militaire est traitée avec toute la célérité que les circonstances permettent [....]
L’article162 de la Loi sur la défense nationale a été modifié en juillet2008. Avant cette modification, cet article se lisait comme suit :
Une accusation aux termes du code de discipline militaire est traitée avec toute la célérité que les circonstances permettent [....]
[6] Le requérant et l’intimée conviennent que l’arrêt de principe concernant ce type de requête fondée sur la Charte est R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771, un arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 1992. Cet arrêt donne aux tribunaux d’instance inférieure des indications sur l’objet de l’alinéa 11b). Aux paragraphes 26 à 30, le juge Sopinka a indiqué :
L’objet principal de l’al. 11b) est la protection des droits individuels de l’accusé.[...]
Les droits individuels que l’alinéa cherche à protéger sont [...] le droit à la sécurité de la personne [...] le droit à la liberté et [...] le droit à un procès équitable.
Il a ensuite expliqué que « l’alinéa 11b) protège le droit à la sécurité de la personne en tentant de diminuer l'anxiété, la préoccupation et la stigmatisation qu'entraîne la participation à des procédures criminelles. Il protège le droit à la liberté parce qu'il cherche à réduire l'exposition aux restrictions de la liberté qui résulte de l'emprisonnement préalable au procès et des conditions restrictives de liberté sous caution. Pour ce qui est du droit à un procès équitable, il est protégé par la tentative de faire en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente ». Au paragraphe 29, il affirme que :
[...] [L]a société [...] a intérêt à ce que le moins fortuné de ses citoyens qui est accusé de crimes soit traité de façon humaine et équitable. À cet égard, les procès qui sont tenus rapidement ont la confiance du public.
Enfin, au paragraphe30, citant l’arrêt R. c. Conway, [1989] 1 R.C.S. 1659, il réaffirme que, pour la Cour suprême du Canada,
[...] les intérêts de l'accusé doivent être contrebalancés par les intérêts de la société dans l'application de la loi. [...] Plus un crime est grave, plus la société exige que l'accusé subisse un procès [...]
[7] Le juge Sopinka nous présente ensuite la méthode générale pour déterminer s'il y a eu violation d’un droit. Il affirme que cette méthode générale ne consiste pas dans l'application d'une formule mathématique ou administrative mais plutôt dans une décision judiciaire qui soupèse les intérêts que cet alinéa est destiné à protéger et les facteurs qui, inévitablement, entraînent un délai ou sont autrement la cause du délai.
[8] Il dresse ensuite la liste des facteurs à prendre en considération pour analyser la longueur d’un délai déraisonnable : premièrement, la longueur du délai, deuxièmement, la renonciation à invoquer certaines périodes dans le calcul, troisièmement, les raisons du délai, notamment les délais inhérents à la nature de l’affaire, les actes de l’accusé, les actes de la poursuite, les limites des ressources institutionnelles et les autres raisons du délai et le quatrième facteur, le préjudice subi par l’accusé.
[9] Le requérant et l’intimée conviennent dans l’ensemble que la période d’environ20 mois qui s’est écoulée entre le dépôt des accusations, le30janvier2007, et le procès, le22septembre2008, est suffisante pour soulever la question du caractère raisonnable du délai. L’intimée reconnaît que le requérant n’a renoncé ni explicitement ni implicitement aux droits qui lui sont garantis à l’alinéa 11b). Pour sa part, le requérant fait valoir qu’aucun acte de la poursuite n’a prolongé le délai.
[10] Le requérant et l’intimée ont présenté l’analyse qu’ils ont effectuée à l’aide de ces facteurs. Évidemment, ils sont arrivés à des conclusions différentes. Avant de procéder à ma propre analyse en me servant des facteurs décrits dans l’arrêt Morin, je rappellerai les dates et les communications qui, à mon avis, sont essentiels en l’espèce:
L’incident se serait déroulé le25décembre2005.
Le30janvier2007, des accusations ont été portées à l’encontre du caporal-chef Mills par le Service national des enquêtes des forces canadiennes (le SNEFC). Le procès‑verbal de procédure disciplinaire a été signifié à l’accusé, et une copie remise à son commandant. Le caporal-chef Mills était un membre du 2e Bataillon de service.
Le22février2007, le SNEFC a procédé à la divulgation des renseignements au commandant de l’accusé.
Le13mars2007, le commandant de l’accusé a déféré les accusations au commandant du 2e Groupe de soutien du secteur, son commandant de la formation.
Le19 mars2007, le caporal-chef Mills a signé la formule selon laquelle il souhaitait être représenté par un avocat nommé par le directeur du service d’avocats de la défense (le DSAD).
Le3avril2007, le commandant du 2e Groupe de soutien du secteur a demandé à l’autorité de renvoi, le commandant de la Force opérationnelle interarmées (Centre), Secteur du Centre de la Force terrestre (le SCFT), de connaître des accusations. Ces documents ont été égarés jusqu’au31décembre2007 environ.
Le14janvier2008, le DSAD a reçu la demande du caporal-chef Mills d’être représenté par avocat.
Le15janvier2008, le commandant de la Force opérationnelle interarmées (Centre), SCFT, a déféré les accusations au directeur des poursuites militaires (le DPM).
Le22janvier2008, le DPM a reçu les documents. À cette même date, le DSAD a désigné le lieutenant(N) Létourneau pour agir comme avocat du caporal-chef Mills.
Le23janvier2008, le directeur adjoint des poursuites militaires (le DAPM) a confié les documents au major MacLeod en vue d’un examen postérieur au dépôt des accusations.
Le19 février2008, le major MacLeod a envoyé son examen postérieur au dépôt des accusations au DAPM. Le lendemain, le DAPM a mis l’accusé en accusation et a transmis l’acte d’accusation à l’administrateur de la cour martiale, en précisant que la poursuite était prête à commencer le 1ermars2007, ou après un préavis de deux semaines.
Le20février2007, bien que cela n’ait pas été fait à la demande de l’avocat de la défense, le major MacLeod a envoyé les documents à communiquer au lieutenant(N) Létourneau.
Le14mars2007, une copie de l’acte d’accusation a été signifiée à l’accusé.
Les26et27mars2008, le lieutenant(N) Létourneau s’est retiré du dossier parce qu’il avait accepté un poste de procureur de la Couronne provincial. Il n’avait pas terminé de préparer la défense et n’était pas prêt à fixer une date de procès. Le major MacLeod a demandé par courriel au lieutenant(N) Létourneau s’il pouvait participer à une conférence téléphonique portant sur la coordination du rôle fixée au28mars; le lieutenant(N) Létourneau lui a répondu qu’il ne pouvait plus représenter le caporal-chef Mills et que le lieutenant(N) Desbiens le remplacerait.
Le 1eravril2008, le DSAD a désigné le lieutenant(N) Desbiens pour agir comme avocat du caporal-chef Mills.
Le24avril2008, à la lumière de la décision rendue par la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire Trépanier, le juge militaire en chef a cessé de tenir des conférences téléphoniques en vue de fixer des dates de procès, et l’administrateur de la cour martiale a cessé de convoquer les cours martiales.
Le 1er mai 2008, le lieutenant(N) Desbiens était prêt à aller en procès et il attendait la prochaine conférence téléphonique pour fixer une date pour le procès.
Le 9 mai 2008, l’administrateur de la cour martiale a retourné tous les actes d’accusation, y compris celui pour le caporal-chef Mills, au DPM. Ces actes d’accusation concernaient des affaires pour lesquelles il n’y avait pas encore eu de convocation.
Le 18 juillet 2008, des modifications à la Loi sur la défense nationale, en ce qui concerne la convocation des cours martiales, sont entrées en vigueur, et le DAPM a déposé les accusations contre l’accusé.
Le 29 juillet 2008, l’administrateur de la cour martiale a informé le poursuivant et la défense que les conférences téléphoniques visant à fixer les dates de procès reprendraient dès que l’avocat serait prêt à commencer. Le même jour, le major MacLeod a demandé par courriel au lieutenant(N) Desbiens s’il était prêt en vue de la tenue du procès.
Le 31 juillet 2008, le lieutenant(N) Desbiens a répondu au courriel en disant qu’il était prêt à commencer et qu’il présenterait une requête arguant le caractère déraisonnable du retard. Le même jour, l’accusé s’est vu signifier un nouvel acte d’accusation.
Le 7 août, une date de procès a été fixée pour le 22 septembre 2008, au cours d’une conférence téléphonique à laquelle participait le juge militaire en chef et les deux avocats en l’espèce.
Enfin, le 17 septembre 2008, le lieutenant(N) Desbiens a avisé la poursuite qu’il était prêt, depuis le1er mai 2008, à fixer une date en vue de la tenue du procès
[11] En premier lieu, je suis d’accord avec les deux avocats lorsqu’ils disent qu’on peut se demander si le délai de 20 mois est raisonnable à première vue et que le requérant n’a pas renoncé, explicitement ou implicitement, aux droits qui lui sont garantis à l’alinéa 11b) de la Charte, et je suis d’accord avec le requérant qu’aucun acte de la poursuite n’a prolongé le délai.
DÉLAIS INHÉRENTS À LA NATURE DE L’AFFAIRE
[12] Je dois maintenant me pencher sur les raisons du délai en examinant d’abord les délais inhérents à la nature de l’affaire. Le requérant avance que le délai, pour une affaire comme celle dont je suis saisi, est d’environ 3 mois, tandis que l’intimée laisse entendre qu’un délai d’environ 5mois est approprié. Après un examen approfondi de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Morin, ainsi que de la décision de la Cour d’appel de la cour martiale dans l’affaire ex-Soldat Alain Francis LeGresley c. R., 2008 CMAC 2, j’ai trouvé que leurs points de vue, bien qu’ils ne soient pas identiques, se situent dans les limites acceptables pour une affaire de cette nature. Comme il a été énoncé par l’avocat de la défense, la présente affaire ne semble pas compliquée, étant donné qu’elle porte sur un incident concernant un plaignant et un acte de la part de l’accusé.
ACTES DE L’ACCUSÉ
[13] Comme il est mentionné au paragraphe44 de l’arrêt Morin,il ne s’agit pas de mettre le blâme sur l’accusé lorsque l’on examine les actes de l’accusé. Simplement : «[...] il faudra [...] tenir compte [de certains actes de l’accusé] pour déterminer le délai qui est raisonnable.» En l’espèce, l’intimée a soutenu que la période du26mars au31juillet2008, soit quelque4mois, devrait être mise sous cette rubrique, c’est-à-dire celle des actes de l’accusé, alors que le requérant fait valoir qu’une seule semaine, c’est-à-dire du26mars au1eravril2008, constitue le délai approprié.
[14] Le lieutenant(N) Létourneau a, à l’origine, été désigné pour représenter le caporal-chef Mills, le 23janvier2008. Bien qu’il n’ait pas fait de demande relative aux documents à communiquer, il les a reçus le20février. Les accusations ont été déposées le20février, mais elles n’ont été signifiées à l’accusé que le14mars. Le26mars, le lieutenant(N) Létourneau a dû se retirer du dossier. La preuve révèle qu’il n’était pas prêt pour la tenue du procès. Le 1eravril, le lieutenant(N) Desbiens a été désigné pour représenter le caporal-chef Mills. Bien qu’il ait été prêt, le1ermai, pour la tenue du procès, il n’en a informé le poursuivant que le 17septembre. Le lieutenant(N) Létourneau et le lieutenant(N) Desbiens n’ont jamais communiqué avec le poursuivant.
[15] Il ressort clairement des arrêts Mills c. La Reine, [1986] 1. R.C.S. 863, R. c. Askov et Morin, rendus par la Cour suprême du Canada, que c’est à la poursuite et non à l’accusé de faire en sorte que l’on procède à l’instruction d’une affaire. Il appert de la preuve qu’aucun des avocats de la défense ne s’est efforcé d’accélérer le rythme de cette affaire. Cette inaction de la part des avocats de la défense est : [TRADUCTION] «examinée et appréciée au moment de soupeser le tout » (voir LeGresley au paragraphe56). La décision rendue dans l’affaire Trépanier, 2008CACM3 a entraîné une interruption du processus de convocation et, par conséquent, des conférences téléphoniques de coordination pour la fixation de dates de procès. Aucune conférence n’était prévue entre le24avrilet le31juillet2008; c’est pourquoi, aucun des avocats ne pouvait tenter d’accélérer les procédures liées aux accusations présentées à la cour pendant cette période.
[16] Comme l’a affirmé l’avocat de la défense, il ne s’agit pas d’une affaire compliquée. Le premier avocat de la défense n’était pas prêt pour la tenue du procès, après avoir eu les documents à communiquer en sa possession pendant environ un mois. Le deuxième avocat de la défense était prêt à commencer un mois après avoir été commis au dossier. Le changement d’avocat de la défense ne découle pas d’une demande de nouvel avocat présentée par l’accusé, mais il a quand même eu lieu. Une conséquence certaine de ce changement d’avocat est que le nouvel avocat de la défense avait effectivement besoin de temps pour examiner les documents. Ce délai, bien que tout à fait raisonnable, a fait en sorte que la décision rendue dans l’affaire Trépanier a eu une incidence en l’espèce. Rien ne disait dans la preuve que le lieutenant(N) Létourneau aurait été prêt pour la tenue du procès avant que la décision ne soit rendue dans l’affaire Trépanier. Si le premier avocat de la défense avait fait preuve de plus de diligence, la date du procès aurait été fixée, et la cour aurait été convoquée avant que la décision ne soit rendue dans l’affaire Trépanier.
[17] Comme la Cour suprême du Canada l’a écrit au paragraphe 40 de l’arrêt Morin:
[....] Toutefois, aucune partie ne peut invoquer ses propres délais à l'appui de sa position [....]
Je conclus que la période d’un mois est imputable à l’accusé.
LIMITES DES RESSOURCES INSTITUTIONNELLES
[18] La Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, au paragraphe 47 de l’arrêt Morin en ce qui concerne le délaiinstitutionnel:
[....][C]'est la période qui commence lorsque les parties sont prêtes pour le procès mais le système ne peut leur permettre de procéder [....]
Selon le requérant, la période d‘un mois et demi peut être mise sous cette rubrique, mais ne devrait pas être tenue comme étant déraisonnable, tandis que, selon l’intimée, il n’y a pas de délaiinstitutionnel, la date de procès ayant été fixée comme les deux avocats l’avaient demandé.
[19] Je conclus qu’aucune période ne peut être mise sous cette rubrique.
AUTRES RAISONS DU DÉLAI
[20] Le prévenu a été accusé d’une infraction grave, à la fois objectivement et subjectivement. L’accusation alléguant une agression armée est punissable d’une peine maximale d'emprisonnement de 10ans. Les infractions auraient eu lieu en Afghanistan, et l’accusé aurait utilisé un fusilC-8 au moment de la perpétration des infractions. Je m’attendrais à ce que toute personne participant activement à la procédure disciplinaire entourant cette affaire reconnaisse l’importance, ainsi que la gravité, de ces accusations et veille donc à ce que le processus disciplinaire soit traité de la façon la plus efficace et la plus rapide possible. Malheureusement, la preuve indique tout à fait autre chose en l’espèce.
[21] Il n’est pas expliqué dans la preuve pourquoi il a fallu 3 semaines après le dépôt des accusations pour que le SNEFC fournisse les documents à l’unité. La preuve ne dit pas non plus pourquoi la communication des documents est exigée à cette étape du processus disciplinaire. Elle ne précise pas non plus pourquoi il a fallu au commandant de l’accusé environ 6 semaines pour déférer les accusations à l’autorité de renvoi par l’entremise de son commandant de la formation. L’exposé conjoint des faits décrit ensuite une situation inacceptable selon laquelle des documents auraient été envoyés par le commandant du2e Groupe de soutien du secteur au commandant de la Force opérationnelle interarmées (Centre), SCFT, sans être convenablement identifiés et auraient donc été égarés, ayant, semble-t-il, été confondus par erreur avec une enveloppe des Affaires publiques.
[22] Les Ordonnances et règlements royaux fournissent le cadre pour l’administration de la justice militaire. Il semble, d’après les dates des accusations alléguées, qu’il était impossible pour le commandant de juger l’accusé (voir l’alinéa 69b) de la Loi sur la défense nationale dans sa version d’avant le18juillet2008, ainsi que l’alinéa 108.16(1)a) des ORFC), et que, par conséquent, seule une cour martiale pouvait juger l’accusé. En conséquence, le commandant devait renvoyer les accusations à une autorité de renvoi (voir l’alinéa 108.16(3)b) des ORFC). L’article109.03 prévoit qu’une demande à une autorité de renvoi:
[...] [E]st expédiée directement à l’autorité de renvoi appropriée
Lorsque le commandant transmet une demande à l’autorité de renvoi qui n’est pas son supérieur immédiat pour les questions de discipline, une copie de la demande est transmise à titre d’information à l’autre officier supérieur envers qui le commandant est responsable pour les questions de discipline.
[23] Il semble qu’en l’espèce, le commandant du 2e Groupe de soutien du secteur n’ait pas été visé par la procédure de renvoi, au sens des Ordonnances et règlements royaux, mais qu’il s’y soit immiscé. Toute procédure relative à l’administration de la justice militaire qui n’est pas rendue obligatoire par les Ordonnances et règlements royaux risque de causer des délais supplémentaires qui peuvent gêner le respect efficient et efficace de la discipline. Les avocats militaires qui agissent à titre de conseillers juridiques auprès des commandants et des capitaines de frégate, et leur personnel, devraient s’efforcer d’avertir ces acteurs-clés dans le processus disciplinaire au sujet de l’incidence négative qu’un délai inutile et déraisonnable peut avoir sur la discipline et sur la justice militaire. Il n’existe aucune preuve, en l’espèce, qui justifie ou explique pourquoi les documents n’ont pas été traités par le commandant du 2e Groupe de soutien du secteur, le commandant de la Force opérationnelle interarmées (Centre), SCFT, et leur personnel, avec le soin et l’attention qui s’imposaient. Ce type de négligence ne donne pas une bonne image de l’importance qu’ils devraient accorder à toute question de discipline, surtout compte tenu de la nature des accusations en l’espèce.
[24] Tout aussi troublant pour moi est le fait que le commandant de l’accusé ne se soit pas conformé aux dispositions de l’article109.04. Les fonctions du commandant sont claires et simples; lorsqu’il transmet la demande aux termes de l’article109.03, il doit informer l’accusé de son droit d’être représenté par un avocat militaire et il doit aviser le DSAD des désirs exprimés par l’accusé. Cette fonction doit être remplie par le commandant et par nul autre. Bien que le commandant ait obtenu les renseignements de la part du caporal-chef Mills le19mars2007, ceux-ci n’ont été transmis au DSAD que lorsque les documents ne sont retrouvés dans un classeur, dans le bureau du commandant du Secteur du Centre de la Force terrestre, à la fin du mois de décembre2007. Le DSAD a été informé du choix du caporal-chef Mills le14janvier2008.
[25] Quelle incidence ce retard inacceptable à se conformer aux dispositions de l’article109.04 a-t-il eu sur ces procédures? Le délai de10mois a empêché l’avocat de la défense de participer le plus tôt possible à la présente affaire. Bien que l’on puisse supposer que l’avocat de la défense affecté à la représentation du caporal-chefMills aurait pu se renseigner auprès de la poursuite sur l’état du dossier, et que cela aurait pu aider à rectifier la situation des «documents perdus», la cour ne fera pas de conjectures sur le sujet, étant donné qu’on ne lui a présenté aucun élément de preuve pour l’aider à déterminer quelle aurait été l’incidence de la désignation rapide d’un avocat de la défense sur l’affaire. Il est clair que l’accusé n’a été représenté qu’à partir du22janvier2008 et que ce n’était pas de sa faute.
[26] La période du3avril au31décembre2007 a certainement eu une grande incidence sur la présente affaire. Ce retard d’environ 9mois est totalement inacceptable et il est, en partie, attribuable à la négligence de certaines personnes qui ont participé à la procédure de renvoi. La participation d’un acteur supplémentaire à la procédure de renvoi semble avoir constitué l’une des sources de ce retard inacceptable. Le fait que le commandant ait omis de transmettre au DSAD la demande de l’accusé a probablement, lui aussi, été déterminant dans la création de cette situation inacceptable.
[27] La décision rendue dans l’affaire Trépanier a entraîné une interruption de la convocation des cours martiales et du calendrier des conférences téléphoniques pour la fixation des dates de procès. Ces conférences ont repris après que des modifications ont été apportées à la Loi sur la défense nationale, enjuillet2008. Un délai d’environ 3 mois, du24avril au31juillet2008, sera considéré comme étant neutre, étant donné qu’il n’a pas été causé par l’une des deux parties.
[28] Par conséquent, j’estime que le délai qui est attribuable à la poursuite, au-delà de ce qui devrait être raisonnable en l’espèce, est d’environ12mois.
PRÉJUDICE SUBI PAR L’ACCUSÉ
[29] J’aborderai maintenant la question du préjudice subi par l’accusé.
[30] Le requérant n’a présenté aucune preuve quant au préjudice et il a affirmé que l’on peut déduire qu’il y a eu préjudice, surtout en raison du délai et de l’administration de la demande de représentation par un avocat militaire de la défense aux termes de l’article109.04. L’intimée a prétendu qu’il n’y avait pas de préjudice dans cette affaire et que le fait que le caporal-chef Mills ait eu une promotion et ait participé à un exercice pourrait permettre de réfuter la prétention de l’existence d’ un préjudice par déduction.
[31] Bien qu’il soit vrai que, selon la preuve présentée en l’espèce, cela n’ait pas été un modèle idéal d’administration de la justice militaire par la chaîne de commandement, la cour n’estime pas qu’un délai de12mois soit prolongé au point de permettre d’établir, par déduction, qu’il y a eu un préjudice d’après les faits en l’espèce. La cour n’a reçu aucune preuve de conséquences négatives pouvant être liées à ce délai déraisonnable. Aucune preuve n’a été présentée en ce qui concerne tout stress, angoisse, ou autre source de préjudice indus découlant du délai. Le requérant n’a pas expliqué quel préjudice peut être établi par déduction du fait qu’il n’a été représenté par un avocat de la défense qu’à partir du22janvier2008.
[32] L’inaction de la part de l’accusé ou de son avocat constitue une considération pertinente pour évaluer le niveau du préjudice, s’il y a lieu, qu’un accusé a subi en raison du délai (voir le paragraphe66 de l’arrêt LeGresley). Aucun des avocats de la défense n’a tenté de communiquer avec le poursuivant pour fixer une date de procès. Par conséquent, il semble que le besoin d’avoir une date de procès rapprochée en raison d’un préjudice subi par l’accusé n’ait pas été jugé crucial par les deux avocats de la défense.
[33] Sur le fondement de la preuve qui lui a été présentée, la cour conclut que l’accusé n’a subi aucun préjudice causé par le délai, autre que le stress et l’angoisse normaux que doit ressentir toute personne exposée à des accusations graves.
CONCLUSION
[34] Au paragraphe52 de l’arrêt R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80, le juge Sopinka, au nom de la majorité, s’exprime en ces termes :
Il a été reconnu que l’arrêt des procédures constitue une réparation exceptionnelle, qui ne devrait être accordée que dans les «cas les plus manifestes». Dans les motifs qu’elle a exposés dans O’Connor, le juge L’Heureux-Dubé a affirmé ceci (au par.82) :
Il faut toujours se rappeler que l'arrêt des procédures est approprié uniquement«dans les cas les plus manifestes» lorsqu'il serait impossible de remédier au préjudice causé au droit de l'accusé à une défense pleine et entière ou lorsque la continuation de la poursuite causerait à l'intégrité du système judiciaire un préjudice irréparable.
[35] Ayant conclu qu’un délai d’environ 12mois était déraisonnable en l’espèce, je ne crois pas que l’on puisse dire que l’accusé ait subi un préjudice à cause de ce délai, car le délai ne peut être qualifié de «prolongé», et je conclus que le requérant n’a pas prouvé qu’il avait subi un préjudice en raison du délai.
[36] Ce délai est long, et ses causes donnent une mauvaise image des personnes qui ont participé à la procédure de renvoi de la présente affaire, mais la cour est aussi consciente de l’intérêt sociétal concernant l’application de la loi et du besoin de faire respecter la discipline. Il s’agit d’infractions graves. Je ne crois pas qu’un préjudice irréparable serait causé à l’intégrité du système de justice militaire si la poursuite de ces accusations suivait son cours.
DÉCISION
[37] Pour ces motifs, la cour rejette la requête présentée aux termes de l’alinéa 112.05(5)e) en vue d’obtenir un arrêt des procédures, conformément au paragraphe24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.
[38] L’audience tenue en vertu de l’alinéa 112.05(5)e) est levée.
Lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.
AVOCATS :
Le Major S. MacLeod, Procureur militaire régional, région du Centre
Procureur de Sa Majesté la Reine
Le Capitaine de corvette P. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense
Avocat du Caporal-chef T.J. Mills