Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l’ouverture du procès : 16 septembre 2013.

Endroit : 6080 rue Young, 5e étage, salle d’audience, Halifax (NÉ).

Chefs d’accusation
•Chef d’accusation 1: S. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 3): Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.
•Chef d’accusation 3 (subsidiaire au chef d’accusation 2): Art. 90 LDN, s’est absenté sans permission.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Coupable. Chef d’accusation 3 : Une suspension d’instance.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 3000$.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Brinton, 2013 CM 4021

 

Date : 20130920

Dossier : 201320

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Le matelot de 1re classe D.J. Brinton, contrevenant

 

 

Devant : Le lieutenant-colonel J-G Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               Matelot de 1re classe Brinton, à l’issue d’un procès complet, la cour vous a déclaré coupable des premier et deuxième chefs d’accusation et a ordonné une suspension d’instance dans le cas du troisième chef d’accusation. La cour vous a déclaré coupable de deux accusations portées aux termes de l’article 38 de la Loi sur la défense nationale pour avoir désobéi aux ordres légitimes d’un officier supérieur. La cour doit maintenant fixer une sentence juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               Vous suiviez un cours de qualification de niveau 5 (NQ5). Vous deviez vous présenter à un examen le 27 et le 28 juin 2012. Vous aviez déjà dit à vos supérieurs que vous désiriez avoir la permission de vous absenter, un de ces deux jours, pour vous présenter à un examen dans une université civile. Vous avez obtenu un congé de maladie de deux jours, les deux jours en question, puisqu’un médecin avait déterminé que vous n’étiez pas apte à accomplir vos tâches normales. Le médecin vous a dit de prendre une période de repos à la maison, de boire beaucoup de liquide et de prendre les médicaments qui vous avaient été prescrits.

 

[3]               Le cadet-maître de 2e classe Larouche vous a ordonné de retourner chez vous et de vous reposer. Cet ordre vous imposait le devoir de demeurer chez vous afin de vous reposer et de vous rétablir. Le cadet-maître de 2e classe Larouche savait que vous deviez vous présenter à un examen, à l’université, le 27 ou le 28 juin. Il vous a également ordonné de ne pas vous présenter à l’université pour cet examen. Vous n’êtes pas retourné immédiatement chez vous, vous êtes allé à l’université et vous vous êtes présenté à votre examen.

 

PRINCIPES GÉNÉRAUX DE DÉTERMINATION DE LA PEINE

 

[4]               Pour suggérer à la cour le principe sur lequel elle devrait s’appuyer pour déterminer la peine, la procureure s’est appuyée sur l’article 203.1 de la Loi sur la défense nationale. Cet article est ajouté en vertu de l’article 62 de la Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada, L.C. 2013, chap. 24.

 

[5]               L’article 135 de la Loi visant à renforcer la justice militaire pour la défense du Canada est le suivant :

 

                135. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et exception faite des paragraphes 2(2) à (4) et (6) et des articles 3, 10, 11, 41 à 45, 106, 109 à 116, 118 à 125 et 132 à 134, les dispositions de la présente loi entrent en vigueur à la date ou aux dates fixées par décret.

 

 (2) Les articles 19, 68 et 126 à 128 entrent en vigueur à la date fixée par décret.

 

[6]               La cour n’a reçu aucun élément de preuve selon lequel l’article 62 est entré en vigueur sur ordre du gouverneur en conseil. Un examen des sites Web de CanLII et de Justice Canada montre que la Loi sur la défense nationale n’est pas modifiée par cet article. La cour doit donc s’appuyer sur les lois et la jurisprudence applicables au moment d’évaluer les principes qui s’appliqueront en l’espèce à la détermination de la peine.

 

[7]               Comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a souligné, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé où le juge du procès a l’avantage d’avoir vu et entendu tous les témoins; il s’agit sans doute de l’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit remplir (voir R c Tupper 2009 CMAC 5, paragraphe 13).

 

 

[8]               La Cour d’appel de la cour martiale a également mentionné en toutes lettres, au paragraphe 30 de la décision qu’elle a rendue dans Tupper, que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui sont énoncés dans le Code criminel du Canada s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire et qu’un juge militaire doit examiner ces objectifs au moment de la détermination de la peine. L’article 718 du Code criminel énonce que le prononcé des peines a pour objectif essentiel de contribuer « au respect de la loi et au maintien d’une société juste, paisible et sûre », par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

*                   a) dénoncer le comportement illégal;

*                   b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

*                   c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

*                   d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

*                   e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

*                   f) susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[9]               Les dispositions du Code criminel qui concernent la détermination de la peine, à savoir les articles 718 à 718.2, prévoient un processus individualisé de détermination de la peine selon lequel la cour doit tenir compte non seulement des circonstances de l’infraction, mais également de la situation particulière du délinquant. La peine doit également être semblable à celle infligée dans des circonstances semblables. Le principe de la proportionnalité est au cœur du système de détermination de la peine. Une peine proportionnelle ne doit donc pas aller au-delà de ce qui est juste et approprié, compte tenu du blâme moral qu’on peut attribuer au délinquant et de la gravité de l’infraction. Mais une peine est également une forme de censure judiciaire ou sociale. Une peine proportionnelle peut donc dans une certaine mesure refléter les valeurs et les préoccupations de l’ensemble de la société.

 

[10]           Le juge doit soupeser les objectifs de détermination de la peine qui reflètent les circonstances précises de l’affaire. Il appartient au juge qui prononce la sanction de déterminer s’il faut accorder plus de poids à un ou plusieurs objectifs. La peine sera par la suite ajustée dans la fourchette des peines appropriées pour des infractions similaires, selon l’importance relative des circonstances atténuantes ou aggravantes.

 

 

[11]            La Cour d’appel de la cour martiale a également souligné que le contexte précis peut, dans des circonstances appropriées, justifier et, à l’occasion, exiger une peine qui favorisera l’atteinte d’objectifs d’ordre militaire.  Mais il faut se rappeler que l’objectif ultime de la détermination de la peine dans le contexte militaire est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire. La cour doit infliger la peine la moins sévère nécessaire pour assurer le maintien de la discipline.

 

[12]           Une seule sentence est prononcée à l’endroit d’un contrevenant, que celui-ci soit déclaré coupable d’une seule infraction ou de plusieurs, mais la sentence peut prévoir plusieurs peines.

 

[13]           Le procureur soutient que, en l’espèce, une peine appropriée consisterait à imposer une amende d’un montant de 3 000 $ et une réprimande. L’avocate de la défense soutient qu’une réprimande et une amende d’un montant de 800 à 1 000 $ représenteraient la peine minimale requise à des fins disciplinaires. Elle propose également que l’amende soit payée par tranches de 200 à 500 $ par mois.

 

[14]           Je vais maintenant examiner les facteurs atténuants et aggravants. J’ai tenu compte des facteurs aggravants qui suivent :

 

a)                  l’infraction consistant à désobéir à l’ordre légitime d’un officier supérieur est, objectivement, l’une des infractions les plus graves aux termes du Code de discipline militaire, puisque la peine maximale prévue est l’emprisonnement à perpétuité. Subjectivement, j’estime moi aussi que ces infractions sont graves. Vous avez intentionnellement désobéi à deux ordres donnés par votre supérieur immédiat, parce que vous avez voulu faire ce que vous vouliez;

 

b)                  ce faisant, vous avez utilisé de manière abusive le régime de congés de maladie. Le docteur Hache n’était pas convaincu que vous étiez aussi souffrant que vous le prétendiez, mais il vous a quand même accordé deux jours de congé de maladie, en se fondant sur les renseignements que vous lui avez donnés. Le cadet-maître de 2e classe Larouche s’est lui aussi fié à la décision du médecin de vous accorder un congé de maladie et ne l’a pas remise en question. Vous avez abusé de la confiance que nous accordons à chacun des membres des Forces canadiennes en supposant qu’il n’utilisera pas les services médicaux et le régime de congés de maladie à d’autres fins que les fins prévues et qu’il ne les utilisera pas à des fins personnelles;

 

c)                  aucune fiche de conduite n’est versée à votre dossier, mais vous avez toutefois déclaré (pièce 5) que vous avez été reconnu coupable d’une accusation d’absence sans permission. Il semble pourtant que cette condamnation a été supprimée, aux termes de la DOAD 7006-1. En conséquence, bien qu’aucune fiche de conduite ne figure à votre dossier, je dois tenir compte du fait que vous avez déjà été jugé coupable d’absence sans permission. Cela montre que vous avez déjà eu dans le passé des problèmes directement liés à l’autodiscipline et au respect des ordres. Je ne vais pas y accorder autant d’importance que je le ferais normalement, puisque je ne possède aucune autre information sur cette accusation;

 

d)                 ces infractions supposent une certaine mesure de préméditation. Vous aviez prévu vous présenter à votre examen à l’université le jour précédant votre visite au cabinet du docteur Hache. Vos actes, après le fait, sont également des facteurs aggravants. Vous avez tenté de tromper l’enquêteur en lui remettant une déclaration écrite contenant de nombreux mensonges. De plus, lorsque l’état-major de votre division vous a demandé si vous aviez reçu l’ordre de rester chez vous et de ne pas vous présenter à quelque examen que ce soit, vous avez répondu « non, je n’ai pas reçu cet ordre précis ». Vous avez également dit que c’était le surveillant qui vous avait obligé à vous présenter à votre examen le 27 juin, alors qu’en réalité, c’est vous qui aviez choisi cette date;

 

e)                  vos actes ont eu des conséquences sur le cours NQ5. Les responsables des cours ont dû préparer deux examens supplémentaires à votre seule intention, et vous avez passé ces examens en juillet et en septembre. De plus, le cadet-maître de 2e classe Larouche a déclaré que, après la date des infractions, il a dû s’occuper d’un autre étudiant qui disait qu’il demanderait peut-être un congé de maladie afin d’avoir le temps de s’occuper de ses affaires personnelles. Il a dû s’assurer que l’étudiant comprenne bien que ce n’était pas là une bonne façon de faire;

 

f)                   le cadet-maître de 2e classe Larouche a déclaré que vous consacriez beaucoup de temps et d’efforts à vos études universitaires et que cela avait un effet négatif sur votre rendement dans le cours NQ5. Il affirme également que vous obtenez de très bons résultats lorsque vous vous appliquez.

 

[15]           J’examinerai maintenant les facteurs atténuants dans la présente affaire :

 

a)                  vous étiez âgé de 36 ans au moment de l’infraction. Vous vous êtes enrôlé dans les Forces canadiennes en mars 2007 et vous servez depuis quatre ans au sein des Forces. En conséquence, je considérerai ce manque d’expérience comme un facteur atténuant;

 

b)                  j’ai examiné votre Rapport d’appréciation du personnel (RAP), votre Revue du développement du personnel (RDP) et vos bulletins (pièces 15, 16, 17, 18 et 22). Vous avez été promu au grade de matelot de 1re classe en mars 2011. Le RAP concerne la période qui va du 1er avril 2010 au 21 mars 2011. Je n’ai pas reçu vos deux derniers RAP. Votre rendement est satisfaisant, et votre potentiel d’avancement est moyen. Vos bulletins indiquent également que vos résultats sont de bons à très bons. De manière générale, vous semblez être un matelot tout ce qu’il y a de plus normal. Dans votre RDP qui concerne la période allant du 1er avril 2009 au 31 mars 2010, je vois qu’il est indiqué que vous ne devriez pas « assumer de trop nombreuses tâches à l’extérieur du service militaire, car elles pourraient vous distraire de [votre] carrière »;

 

c)                  je remarque également que vous avez suivi avec succès quatre cours du PEMPO, entre le 28 décembre 2011 et le 29 mai 2012. Il semble que vous pouvez réussir si vous le voulez vraiment. Vous devez maintenant vous efforcer d’être un bon matelot. Pour être un bon matelot, il ne suffit pas d’obtenir de bonnes notes aux cours qui font partie de votre programme ou à d’autres cours. Il faut faire preuve d’autodiscipline et il faut aussi respecter les ordres et les règlements.

 

[16]           Vous vouliez vous présenter à votre examen le 27 juin et vous avez décidé de demander un congé de maladie, parce que vous pensiez qu’il vous était impossible, à titre d’étudiant du cours NQ5, d’obtenir de votre chaîne de commandement une exemption de service. Vous avez trompé la confiance de votre médecin quand vous avez décrit votre état. Vous avez utilisé de manière abusive le régime de congés de maladie afin d’en faire à votre tête. Vous avez rejeté le blâme sur d’autres personnes. Vous n’avez jamais manifesté de remords sincères ni montré que vous aviez compris vos erreurs.

 

[17]           Vous avez désobéi à deux ordres légitimes, intentionnellement et avec une certaine préméditation. J’estime que le fait de désobéir à des ordres légitimes, dans un tel contexte, est très grave. Il montre que vous n’avez aucun respect pour l’autorité légitime de vos supérieurs et pour vos tâches à titre de matelot inscrit dans un programme professionnel. Vous ne pouvez tout simplement pas faire passer votre intérêt personnel avant votre devoir.

 

[18]           J’ai examiné la jurisprudence fournie par les deux conseils. J’estime que les faits en l’espèce rendent cette affaire beaucoup plus grave que la plupart des affaires soumises au tribunal. Je n’ai reçu aucun élément de preuve pouvant me convaincre du fait que cette façon d’agir n’est pas habituelle chez vous. La peine à infliger en l’espèce doit être axée principalement sur la dénonciation de la conduite du contrevenant et sur la dissuasion spécifique et générale.

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

[19]           CONDAMNE le matelot de 1re classe Brinton à une réprimande et à une amende d’un montant de 3 000 $. L’amende sera versée en paiements mensuels de 300 $ à compter du 15 octobre 2013.


 

Conseil :

 

Capitaine de corvette D.T. Reeves

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Capitaine de corvette D. Liang et major S. Collins, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du matelot de 1re classe D.J. Brinton

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