Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :



R c Sergent R.L. Sutherland








Date de l’ouverture du procès : 30 septembre 2013.

Endroit : Édifice Général J.V. Allard, pièce A-171, 25 rue Grand-Bernier, Saint-Jean-sur-Richelieu (QC).

Chefs d’accusation
•Chefs d’accusation 1, 2 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.
•Chefs d’accusation 3, 4 : Art. 83 LDN, a désobéi à un ordre légitime d’un supérieur.

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2, 3, 4 : Coupable.
•SENTENCE : Une réprimande et une amende au montant de 1000$

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Sutherland, 2013 CM 4023

 

Date :  20130930

Dossier :  201335

 

Cour martiale permanente

 

Garnison St-Jean

Saint-Jean-sur-Richelieu (Quebec), Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Sergent R.L. Sutherland, contrevenant

 

 

En présence du lieutenant-colonel J.-G. Perron, J.M.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcés de vive voix)

 

[1]               Sergent Sutherland, après avoir accepté et inscrit votre plaidoyer de culpabilité à l’égard des premier, deuxième, troisième et quatrième chefs d’accusation, la Cour vous déclare maintenant coupable des infractions visées sous ces chefs d’accusation déposés en vertu des articles 83 et 129 de la Loi sur la défense nationale. La Cour doit maintenant déterminer une peine juste et appropriée en l’espèce.

 

[2]               Le sommaire des circonstances, à l’égard duquel vous avez formellement admis que les faits y énoncés constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la Cour les circonstances entourant la perpétration de ces infractions. Au moment des infractions, vous étiez employé comme instructeur en matière de qualification militaire de base à l’École de leadership et de recrues des Forces canadiennes (ELRFC) à Saint-Jean-sur-Richelieu. Vous formiez le peloton R25, Compagnie B, Division des recrues. Le matelot de 3e classe Doyle, une ancienne candidate du peloton R25, avait été transféré à la Compagnie de préparation des guerriers (CPG), Division spécialisée.

 

 

[3]               Le vendredi 9 novembre 2012, vous avez abordé le matelot de 3e classe Doyle dans le gymnase. Vous saviez qu’elle était maintenant une candidate au sein de la CPG. Au cours de la conversation, vous vous êtes enquis de ses plans pour la fin de semaine et vous lui avez demandé son numéro de téléphone, qu’elle vous a donné. Plus tard le même jour, vous avez échangé des messages texte à caractère personnel avec le matelot de 3e classe Doyle jusqu’à ce qu’elle devienne mal à l’aise et cesse de répondre. Le dernier message qu’elle a reçu de vous était à 0752 heures le 10 novembre 2012.

 

[4]               Le 10 novembre 2012, le matelot de 3e classe Doyle a parlé au soldat Nobbs des messages texte inconvenants que vous lui aviez envoyés. Après avoir lu tous les messages texte échangés entre vous et le matelot de 3e classe Doyle, le soldat Nobbs a demandé à cette dernière la permission d’en parler au matelot-chef Jenkins, qu’il savait être en service. Il est ensuite parti avec le téléphone du matelot de 3e classe Doyle pour parler au matelot-chef Jenkins, et il lui a montré les messages texte. Le matelot‑chef Jenkins a trouvé le contenu des messages préoccupant. Lorsqu’il a parlé plus tard au matelot de 3e classe Doyle, le matelot-chef Jenkins lui a expliqué que la conversation était inconvenante, et il lui a dit qu’elle devrait signaler l’affaire officiellement après la longue fin de semaine.

 

[5]               L’adjudant-maître Fuller, sergent-major de compagnie de la Compagnie B, a été avisé le 13 novembre 2012 qu’il y avait peut-être un problème entre un membre du personnel de la Compagnie B et une candidate de la Compagnie de préparation des guerriers (CPG). Le 14 novembre 2012, il a été avisé que le problème concernait le sergent Sutherland, et il a reçu les déclarations écrites du matelot de 3e classe Doyle et du soldat Nobbs, de même qu’une transcription des messages texte échangés. En conséquence, vous avez été retiré de vos fonctions et il vous a été ordonné de n’avoir aucun contact avec aucun des candidats avant la conclusion de l’enquête. Vous deviez toutefois demeurer auprès du peloton et continuer d’aider au déroulement du cours.

 

[6]               Le 15 novembre 2012, l’adjudant-maître Fuller s’est entretenu avec vous, après vous avoir fait une mise en garde, au sujet des allégations formulées par le matelot de 3e classe Doyle. Vous avez collaboré à l’enquête, et vous avez fait des admissions au cours de l’entretien. À la fin de cet entretien, l’adjudant-maître Fuller vous a rappelé que vous étiez toujours suspendu de vos fonctions d’instructeur et que vous ne deviez avoir aucun contact ni avec le matelot de 3e classe Doyle ni avec aucun des candidats jusqu’à la conclusion de l’enquête.

 

[7]               Le 26 novembre 2012, l’adjudant-maître Fuller et le capitaine Bain, commandant de la Compagnie B, se sont assis avec vous, et l’adjudant-maître Fuller vous a avisé qu’il avait terminé l’enquête et qu’il croyait qu’il y avait suffisamment de preuve pour justifier le dépôt d’une accusation. Tous deux vous ont dit que vous ne deviez avoir aucun contact avec aucun candidat du peloton R25. Vous avez été avisé en outre que vous deviez demeurer auprès du peloton et continuer d’aider au déroulement du cours, mais que vous ne deviez avoir aucun contact direct avec les candidats qui suivaient ce cours. Vous avez également été avisé que vous n’auriez aucun contact, sauf pour des motifs strictement liés au travail, avec aucun candidat à l’ELRFC, y compris les candidats des unités suivantes : CPG, PAR, CAC, WFT, WFT-W, Division du leadership et Division des recrues. Vous avez été avisé que vous n’auriez aucun contact avec la candidate qui avait formulé les allégations.

 

[8]               Le 29 novembre 2012, alors que vous étiez en train de parler avec des recrues du peloton R25 dans une salle de classe dont les deux portes étaient fermées, l’adjudant-maître Fuller est venu et vous a ordonné de quitter la salle de classe, et vous avez obéi. Il vous a également dit que si vous ne vous corrigiez pas, vous vous attireriez des ennuis. À 0433 heures le 30 novembre 2012, vous vous êtes trouvé de nouveau en train de parler avec des candidats du peloton R25, tandis que vous manipuliez leurs sacs à fourbis dans une salle de classe.

 

[9]               Après avoir examiné les principaux faits de l’espèce, je déterminerai maintenant la peine.

 

[10]           Comme l’a indiqué la Cour d’appel de la cour martiale, la détermination de la peine est un processus fondamentalement subjectif et individualisé, et il s’agit d’une des tâches les plus difficiles que le juge du procès doit accomplir.

 

[11]           La Cour d’appel de la cour martiale a clairement affirmé que les objectifs fondamentaux de la détermination de la peine qui figurent dans le Code criminel du Canada s’appliquent dans le contexte du système de justice militaire, et le juge militaire doit tenir compte de ces objectifs lorsqu’il détermine la peine. L’objectif fondamental de la détermination de la peine est de contribuer au respect de la loi et à la protection de la société, qui comprend les Forces canadiennes, par l’infliction de sanctions justes visant un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

(a)                dénoncer le comportement illégal;

 

(b)               dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

 

(c)                isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

 

(d)               favoriser la réinsertion des délinquants;

 

(e)                assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la société;

 

(f)                susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

 

[12]           La cour doit décider si la protection du public serait mieux servie par la dissuasion, par la réinsertion sociale, par la dénonciation ou par une combinaison de ces facteurs.

 

[13]           Les dispositions du Code criminel en matière de détermination de la peine, soit les articles 718 à 718.2, établissent un processus individualisé au cours duquel la cour doit tenir compte, en plus des circonstances de l’infraction, de la situation particulière du contrevenant. La peine doit également être similaire aux autres peines imposées dans des circonstances semblables. Le principe de la proportionnalité constitue un élément central de la détermination de la peine. La proportionnalité signifie qu’une sanction ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du contrevenant et de la gravité de l’infraction.

 

[14]           La cour doit également infliger la peine la moins sévère nécessaire pour maintenir la discipline. L’objectif ultime de la détermination de la peine dans le contexte militaire est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans la société militaire.

 

[15]           La poursuite et votre avocat ont proposé conjointement une peine composée d’une réprimande et d’une amende de 1000 $ payable par versements mensuels de 250 $. La Cour d’appel de la cour martiale a clairement indiqué que le juge responsable de la détermination de la peine ne devait pas s’écarter d’une proposition conjointe à moins que la peine proposée déconsidère l’administration de la justice ou qu’elle soit par ailleurs contraire à l’intérêt public.

 

[16]           J’énoncerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont j’ai tenu compte pour déterminer la peine appropriée en l’espèce. Je considère que les circonstances suivantes sont aggravantes :

 

(a)                l’infraction de désobéissance à un ordre légitime d’un officier supérieur est objectivement l’une des infractions les plus graves prévues au Code de discipline militaire puisque la peine maximale est l’emprisonnement à perpétuité. L’article 129 de la Loi sur la défense nationale prévoit l’infraction de conduite préjudiciable au bon ordre et à la discipline, qui, objectivement, est également une infraction grave puisque son auteur est passible de destitution ignominieuse des services de Sa Majesté ou d’une infraction moindre sur l’échelle des sanctions;

 

(b)               subjectivement, je trouve également que ces infractions sont graves. Vous connaissiez les ordres qui s’appliquaient aux instructeurs à l’École des recrues et vous avez choisi d’y désobéir. Vos supérieurs immédiats vous ont ordonnés au moins à deux occasions de cesser d’avoir des contacts avec des candidats de votre peloton, mais vous avez décidé de faire le contraire. Aucune explication n’a été donné à vos actes;

 

(c)                vous avez envoyé des messages personnels inconvenants au matelot de 3e classe Doyle qui l’ont rendue mal à l’aise. Elle a mis fin à la communication avec vous. Elle a consulté un camarade candidat pour lui demander conseil. Vos actes ne sont pas ceux d’un instructeur responsable, et ils éclaboussent les autres membres du personnel. Tel qu’indiqué dans l’avertissement écrit qui vous a été donné le 11 avril 2013, et dont je cite les extraits suivants :

 

                                    [TRADUCTION] « Ses actes témoignent d’un manqué d’intégrité et de professionnalisme. Le sergent Sutherland a agi d’une manière qui a jeté le discrédit non seulement sur le personnel instructeur à l’ÉLRFC, mais également sur tout le personnel qui est en position d’autorité. Par ses actes, il a fait preuve d’un manque de sens du devoir et d’intégrité. Le sergent Sutherland a perdu toute crédibilité par ses actes à l’égard du soldat (recrue) Doyle. Le sergent Sutherland a perdu la confiance de la chaîne de commandement et des candidats en méconnaissant des IPO de l’unité. »

 

(d)               vous avez déjà une fiche de conduite, mais les deux infractions datent de 2003, à l’époque où vous étiez caporal. Vous avez contrevenu à un CANFORGEN concernant l’emploi approprié des ordinateurs des Forces canadiennes. Une amende importante de 1500 $ vous a été infligée. Je ne vous traiterai pas comme un délinquant primaire, comme m’y invite votre avocat, mais, compte tenu du passage du temps, je n’accorderai pas autant de poids que je le ferais normalement au fait que vous avez une fiche de conduite;

 

(e)                au moment de l’infraction, vous étiez âgé de 43 ans et vous étiez membre de la Force régulière depuis 22 ans. Vous avez été promu au rang de sergent en 2011. Vous étiez assez vieux et vous aviez assez d’expérience pour savoir que vous n’auriez pas dû agir comme vous l’avez fait.

 

[17]           Pour ce qui est des circonstances atténuantes, je note ce qui suit :

 

(a)                Vous avez pleinement collaboré à l’enquête disciplinaire. Vous avez inscrit un plaidoyer de culpabilité. Par conséquent, un plaidoyer de culpabilité sera habituellement considéré comme un facteur atténuant. Cette façon de procéder n’est généralement pas considérée comme étant en contradiction avec le droit au silence et le droit d’attendre que la poursuite prouve la culpabilité hors de tout doute raisonnable à l’égard des accusations déposées mais est considérée comme un moyen pour les tribunaux d’imposer une peine plus clémente parce qu’un plaidoyer de culpabilité signifie habituellement que les témoins n’auront pas besoin de témoigner et les coûts liés à une instance judiciaire seront considérablement réduits. De plus, un plaidoyer de culpabilité est habituellement interprété comme signifiant que l’accusé veut assumer la responsabilité de ses actes illicites et des torts causés par suite de ces actes;

 

(b)               L’adjudant-maître Fuller a affirmé dans son témoignage que vous aviez été un très bon instructeur jusqu’à ces infractions. J’ai examiné la pièce 11, qui contient six rapports d’appréciation du rendement (RAR). Votre rendement pour la période de 2012-2013 a été qualifié de supérieur à la norme et votre potentiel de promotion a été jugé supérieur à la moyenne. Le commandant de la Division des recrues a recommandé que vous soyez inscrit au prochain cours NQ 6B, et il a affirmé que vous étiez prêt à être promu au rang d’adjudant. Les six RAR étaient excellents, mais les présentes déclarations de culpabilité auront certainement une incidence négative sur votre prochain RAR;

 

(c)                Un avertissement écrit vous a été donné le 11 avril 2013, et la période de surveillance prendra fin le 11 octobre 2013. Vos actes qui ont mené à ces accusations constituent les raisons de cette mesure administrative correctrice  concernant votre conduite déficiente. Aussi, cette mesure correctrice sera considérée comme un facteur atténuant.

 

[18]           Je ne suis pas d’accord avec votre avocat lorsqu’il affirme que les décisions de vous  relever de vos fonctions d’instructeur et de vous détacher à Yellowknife devraient être considérées comme des facteurs atténuants. Votre chaîne de commandement a déterminé que vos actes étaient assez graves pour justifier de vous relever de vos fonctions d’instructeur. L’énoncé des circonstances indique que l’on vous a demandé si vous aimeriez être détaché de l’ELRFC à Yellowknife. Vous avez exprimé le désir d’être détaché, et vous avez ensuite été détaché à Yellowknife. Je ne dispose d’aucun élément de preuve démontrant que l’une ou l’autre de ces décisions aurait eu une incidence négative sur vous.

 

[19]           Le droit au Canada est assez clair au sujet des propositions conjointes. Le juge responsable de la détermination de la peine a très peu de marge de manœuvre dans le cas d’un plaidoyer de culpabilité. Cela tient au fait que la cour ne dispose pas de tous les renseignements qui ont mené au plaidoyer et à la proposition conjointe. La cour doit respecter l’entente entre les deux parties à moins que cette entente ne soit clairement pas dans l’intérêt public ou que la peine proposée déconsidère l’administration de la justice.

 

[20]           J’ai conclu que la dénonciation et la dissuasion générale étaient les deux principaux objectifs de détermination de la peine qui devaient être appliqués en l’espèce. Après avoir examiné l’ensemble des éléments de preuve, de la jurisprudence et des observations formulées par le poursuivant et par l’avocat de la défense, j’en suis venu à la conclusion que la peine proposée ne déconsidérerait pas l’administration de la justice et qu’elle est dans l’intérêt public. La peine proposée constitue également la peine minimale nécessaire pour maintenir la discipline en l’espèce. Par conséquent, je suis d’accord avec la proposition conjointe du poursuivant et de votre avocat.

 

 


 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[21]           vous CONDAMNE à une réprimande et à une amende de 1000 $. L’amende sera payée par versements mensuels de 250 $ à compter du 15 octobre 2013.

 


 

Avocats :

 

Major P. Doucet et capitaine R. de Balinhard, Service canadien des poursuites militaires

Procureurs de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-commandant B.G. Walden, Direction du service d’avocats de la défense

Procureur du sergent R.L. Sutherland

 

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