Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 26 juin 2012

Endroit : Caserne Selfkant (Neiderheid), Salle Terry Fox, Geilenkirchen, Allemagne

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 (subsidiaire au chef d’accusation 2) : Art. 130 LDN, conduite avec plus de 80 milligrammes d’alcool (art. 253(1)b) C. cr.).
•Chef d’accusation 2 (subsidiaire au chef d’accusation 1) : Art. 130 LDN, capacité de conduite affaiblie (art. 253(1)a) C. cr.).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d’accusation 1, 2 : Non coupable.

Contenu de la décision

 

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Barber, 2012 CM 1008

 

Date : 20120629

Dossier :  201217

 

Cour martiale permanente

 

Caserne Selfkant

Geilenkirchen (Allemagne)

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Capitaine M.A. Barber, accusée

 

 

En présence du Colonel M. Dutil, J.M.C.

 


 

TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

VERDICT

 

(Prononcé de vive voix)

 

INTRODUCTION

 

[1]               La capitaine Barber a été inculpée de deux chefs d’accusation subsidiaires à l’égard d’infractions prévues à l’article 130 de la Loi sur la défense nationale. Selon le premier chef d’accusation, elle aurait contrevenu à l’alinéa 253(1)b) du Code criminel en conduisant un véhicule à moteur alors que son alcoolémie dépassait quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang. Après que la poursuite eut déclaré qu’elle avait terminé la présentation de sa preuve, l’avocat de la défense a demandé à la cour de déclarer la capitaine Barber non coupable de cette accusation au motif que la poursuite n’avait pas réussi à établir un élément essentiel de l’infraction au moyen d’éléments de preuve admissibles, soit le fait que l’alcoolémie de la capitaine Barber dépassait quatre-vingts milligrammes d’alcool par cent millilitres de sang. La cour a accueilli la demande fondée sur le non-établissement d’une preuve prima facie et a déclaré la capitaine Barber non coupable de la première accusation.

 

[2]               Selon le deuxième et dernier chef d’accusation, la capitaine Barber est accusée d’avoir conduit un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool, contrairement à l’alinéa 253(1)a) du Code criminel. Les événements ayant mené à ces accusations se seraient produits vers le 4 juillet 2011, à Munich, en Bavière, dans la République fédérale d’Allemagne, ou à proximité de cet endroit.

 

LA PREUVE

 

[3]               La preuve présentée en l’espèce se compose des éléments dont la cour a pris judiciairement connaissance conformément à l’article 15 des Règles militaires de la preuve, d’un document (produit comme pièce 3) contenant une série d’admissions formulées par écrit par la défense et d’une admission verbale de la défense selon laquelle l’identité ainsi que la date et le lieu allégués dans les accusations n’étaient pas contestés au procès. La preuve est complétée par le témoignage de cinq personnes, soit :

 

a.                   l’agente de police allemande Stephanie Asam;

 

b.                  la Dre Bridgit Elizabeth Santjohanser, médecin qui travaille à l’institut de médecine légale de Munich;

 

c.                   l’agent de police allemand Ulrich Hebe;

 

d.                  la Dre Liana Dianela Paul, chef de laboratoire à l’institut de médecine légale de Munich;

 

e.                   la maître de 2e classe Sylvie Turcotte.

 

Tous les témoins appelés par la poursuite ont témoigné en allemand, avec l’aide d’un interprète, tandis que la maître de 2e classe Turcotte a témoigné en français.

 

Les faits

 

[4]               Les agents de police allemands Asam et Hebe ont déclaré au cours de leur témoignage que pendant la nuit du 3 au 4 juillet 2011, ils exerçaient leurs fonctions de patrouille à Munich. L’agente Asam suivait une formation pratique professionnelle sous la surveillance de sa collègue, qui était son mentor. L’agent de police Hebe exerce des fonctions policières depuis 2004, y compris sa formation. Pendant leur patrouille, vers 2 h 15 le 4 juillet 2011, ils ont vu un véhicule à moteur portant une plaque d’immatriculation étrangère, soit un véhicule Mazda de couleur grise, qui circulait devant eux. La circulation était calme et les conditions d’éclairage étaient normales, car les rues étaient illuminées au moyen de réverbères ordinaires. Les agents de police ne se souviennent pas de façon précise des conditions météorologiques. Alors qu’ils se trouvaient à un ou deux véhicules de celui de la capitaine Barber (Gilchrist), ils ont décidé de procéder à une vérification générale du véhicule ou à un contrôle routier sans raison apparente, hormis la décision de l’agent de police Hebe. Ils ont arrêté le véhicule devant l’immeuble dont l’adresse civique est le 5 Semefelder Strasse, à la jonction de la Schwanthaler Strasse. Les policiers effectuent régulièrement ce type de vérification en Allemagne pour s’assurer que le chauffeur est apte à conduire et que le véhicule est en bon état de fonctionnement. Ils ont intercepté le véhicule de l’accusée à l’aide d’un gyrophare portant la mention « STOP POLICE ». La Mazda grise s’est rangée du côté droit de la rue et s’est immobilisée. L’agente de police Asam s’est dirigée vers le côté du passager et a constaté que trois personnes, dont l’accusée, se trouvaient dans le véhicule. Pour sa part, l’agent de police Hebe s’est dirigé vers le côté du chauffeur et a demandé à la personne qui se trouvait au volant, soit la capitaine Barber (qui portait le nom Gilchrist lors de l’interception), son permis de conduire ainsi que le certificat d’immatriculation du véhicule. L’agente de police Asam a déclaré que l’accusée n’avait qu’un permis de conduire canadien sur elle. Cependant, l’agent de police Hebe a dit que la capitaine Barber (Gilchrist) ne lui a remis que sa carte d’identité militaire du Canada ainsi que le certificat d’immatriculation du véhicule. Il a ajouté qu’ils se sont rendus plus tard avec elle à un hôtel de Munich et qu’elle leur a finalement fourni les renseignements concernant son permis de conduire et son passeport canadien pendant le trajet qui les a menés au poste de police no 14 à Munich, après le prélèvement de l’échantillon de sang. L’agente Asam n’a d’abord remarqué aucun signe d’intoxication, mais son collègue lui a dit qu’une odeur d’alcool se dégageait du véhicule et il a demandé à la capitaine Barber (Gilchrist) de se soumettre volontairement à un alcootest. Les agents de police ont expliqué comment le test serait effectué et ont dit à la capitaine Barber (Gilchrist) qu’elle serait autorisée à conduire si le résultat était négatif. L’agente Asam était responsable du déroulement du test, tandis que son collègue était chargé du dossier et de la communication des directives. Selon l’agent Hebe, la capitaine Barber (Gilchrist) était très nerveuse.

.

[5]               Les agents de police allemands ont précisé que la capitaine Barber (Gilchrist) avait consenti au test, mais qu’elle voulait auparavant téléphoner et parler à des autorités militaires canadiennes. Les agents lui ont dit que ce n’était pas possible. L’agente Asam a affirmé qu’elle se trouvait à une ou deux longueurs de bras de la capitaine Barber (Gilchrist) et pouvait sentir l’odeur d’alcool qui se dégageait de l’haleine de celle-ci; elle pouvait aussi voir que les yeux de l’accusée étaient vitreux. La capitaine Barber (Gilchrist) a accepté de se soumettre au test. L’agent Hebe se tenait debout près de sa collègue, mais l’agente Asam ne se souvenait pas du côté où il se trouvait.

 

[6]               Alors qu’elle se tenait debout entre son véhicule et le véhicule de police, la capitaine Barber (Gilchrist) a été informée de la procédure à suivre aux fins du test. Elle a tenté de souffler cinq ou six fois dans l’alcootest, mais aucun résultat n’a été obtenu. Les agents Asam et Hebe ont affirmé qu’habituellement, lorsque la personne effectue le test correctement en soufflant dans l’embouchure pendant quatre ou cinq secondes, les résultats sont connus immédiatement. Selon l’agente Asam, l’absence de résultat ne faisait aucun sens pour eux et ils ont alors soupçonné la capitaine Barber (Gilchrist) d’avoir conduit son véhicule alors qu’elle était en état d’ébriété. Ils ont décidé d’amener la capitaine Barber (Gilchrist) à l’institut de médecine légale de Munich afin d’obtenir un échantillon du sang de l’accusée, comme ils sont autorisés à le faire en vertu de la loi allemande. Deux autres policiers ont conduit le véhicule de l’accusée en lieu sûr. La capitaine Barber (Gilchrist) a été transportée à l’institut de médecine légale, située à moins de 800 mètres de l’endroit où elle avait été transférée dans le véhicule de patrouille de la police allemande conduit par l’agent Hebe. La capitaine Barber (Gilchrist) a pris place à l’arrière, du côté gauche du véhicule.

 

[7]               Après avoir déclaré qu’elle avait personnellement rempli le document administratif concernant l’enquête en question, l’agente Asam a souligné qu’elle avait écrit que les raisons de l’échec de l’alcootest étaient inconnues, que le seul signe lié à l’alcool mentionné dans le document était l’odeur d’alcool et qu’elle n’avait pas écrit que les yeux de la capitaine Barber (Gilchrist) étaient vitreux. L’agent Hebe n’a senti l’odeur d’alcool que dans l’haleine de la capitaine Barber (Gilchrist). Il a ajouté que ce n’est qu’à l’institut de médecine légale qu’il a constaté que la capitaine Barber (Gilchrist) avait les yeux vitreux, bien qu’il n’ait pas consigné de notes en ce sens.

 

[8]               Lorsqu’elle est arrivée à l’institut de médecine légale avec les policiers, la capitaine Barber (Gilchrist) a tenté de téléphoner à une personne à l’aide de son téléphone cellulaire. Elle s’est fait demander si elle consentait au prélèvement d’échantillons de sang et elle a répondu par la négative. Le véhicule de police s’est immobilisé devant la clinique. L’agente Asam a ouvert la portière arrière gauche pour permettre à la capitaine Barber (Gilchrist) de sortir du véhicule et ils sont entrés dans l’immeuble peu après. La capitaine Barber (Gilchrist) a été informée qu’elle devait fournir l’échantillon de sang, parce qu’elle était soupçonnée d’avoir conduit son véhicule alors qu’elle était en état d’ébriété. L’agente Asam a ajouté qu’un médecin est venu et que des formulaires ont été remplis. L’agente a consigné le poids et la taille de la capitaine Barber (Gilchrist). Les formulaires en question sont les suivants :

 

            (1)        Demande de la police en vue de prélever un échantillon de sang;

 

            (2)        Rapport médical.

 

[9]               L’agent Hebe a déclaré qu’à son arrivée à la clinique, la capitaine Barber (Gilchrist) a continué à dire qu’elle voulait téléphoner aux autorités des Forces canadiennes avant de consentir à un prélèvement d’échantillon de sang. Il a confirmé avec son supérieur qu’il pouvait faire prélever l’échantillon par un médecin, malgré le refus de la capitaine Barber (Gilchrist). L’agent Hebe a ordonné qu’un échantillon du sang de la capitaine Barber (Gilchrist) soit prélevé à 2h46.

 

[10]           L’accusée s’est assise sur un banc et un échantillon de son sang a été prélevé à 2h49, soit environ 35 minutes après le contrôle routier, par la Dre Santjohanser, le médecin en poste, en présence des agents de police. La Dre Santjohanser travaille à la clinique depuis 1992 et ses tâches comprennent le prélèvement d’échantillons de sang de personnes visées par une enquête criminelle. Au cours de ses tâches normales, elle remplit différents formulaires à l’aide des renseignements qu’elle obtient habituellement d’un policier et elle prélève les échantillons de sang du suspect. La Dre Santjohanser a déclaré qu’elle pouvait prendre de 10 à 40 échantillons de sang de différentes personnes au cours d’une seule nuit.

 

[11]           Bien que la Dre Santjohanser ne se rappelait pas avoir prélevé l’échantillon de sang de la capitaine Barber (Gilchrist) le 4 juillet 2011, elle s’est rafraîchi la mémoire à l’aide du protocole qu’elle avait utilisé cette nuit-là. Selon la Dre Santjohanser, la capitaine Barber (Gilchrist) a affiché une attitude dédaigneuse, une attitude de rejet. Elle aurait remarqué que la capitaine Barber avait un tonus musculaire inhabituel, notamment lorsqu’elle est montée sur la balance pour la vérification de son poids et de sa taille, parce qu’elle a alors montré quelques problèmes d’équilibre. La Dre Santjohanser a mentionné que les renseignements qu’elle avait obtenus à cet égard indiquaient que la capitaine Barber (Gilchrist) pesait plus de 66 kilogrammes et mesurait 176 centimètres. À son avis, elle croyait que la capitaine Barber (Gilchrist) avait du mal à articuler, puisque l’élocution est liée au tonus musculaire de la langue. Cependant, elle a convenu que cette observation est plus problématique lorsque le sujet s’exprime dans une langue différente. Cette affirmation n’est corroborée d’aucune façon par les agents de police concernés et est contredite par la maître de 2e classe Turcotte, qui était l’officier de service de l’Unité de soutien des Forces canadiennes (Europe) cette nuit-là et qui a parlé à la capitaine Barber au téléphone pendant la même période.

 

[12]           La Dre Santjohanser a ajouté qu’elle a également observé la capitaine Barber (Gilchrist) à l’insu de celle-ci; elle a alors constaté que l’accusée avait des problèmes d’équilibre lorsqu’elle montait sur la balance et en redescendait. D’après ses observations, la capitaine Barber (Gilchrist) donnait l’impression qu’elle était en état d’ébriété. La Dre Santjohanser n’a pas expliqué le fondement de ses opinions. Elle n’a pas précisé, par exemple, la durée de la période pendant laquelle elle a observé la capitaine Barber (Gilchrist), ce qu’elle voulait dire par ses affirmations et l’ampleur des problèmes qu’elle avait constatés. Cependant, elle ne s’est pas fait demander de donner des explications plus détaillées sur ces questions. Cette lacune est particulièrement importante, étant donné que les agents de police n’ont pas témoigné au sujet de la présence de l’un ou l’autre de ces signes de facultés affaiblies alors qu’ils se trouvaient à la clinique en présence de la Dre Santjohanser, ou à quelque autre moment que ce soit. La Dre Santjohanser a décrit la procédure normalement suivie pour le prélèvement d’échantillons de sang à l’institut de médecine légale et la façon dont le prélèvement était obtenu de la personne concernée. Elle a dit qu’elle avait obtenu l’échantillon du sang de la capitaine Barber (Gilchrist) à 2 h 49 le 4 juillet 2011. Elle a ensuite apposé sur le contenant l’étiquette portant le nom de Mary Ann Gilchrist, qu’elle avait reçue d’un agent de police, et a rempli son rapport. Enfin, elle a rangé l’échantillon dûment étiqueté dans un réfrigérateur sécurisé. L’échantillon devait normalement rester à cet endroit pendant la nuit et être ramassé le lendemain matin à des fins d’analyse de laboratoire. Pendant qu’elle est restée à la clinique, la capitaine Barber (Gilchrist) n’a pas bu ou mangé quoi que ce soit. L’agent Hebe a ajouté que, après son arrivée à la clinique, la capitaine Barber (Gilchrist) a finalement accepté de fournir l’échantillon de sang. Il a ajouté qu’elle s’était calmée et que ses yeux étaient vitreux. Interrogé par la défense au sujet du formulaire intitulé [traduction] « Suspension temporaire du permis de conduire » qui a été rempli le 4 juillet 2011 en liaison avec la présente affaire, l’agent Hebe a confirmé qu’aucun renseignement ou marque n’avait été ajouté au formulaire au sujet des éléments précis qui y étaient énumérés, sauf en ce qui a trait à l’existence d’une odeur d’alcool qui a été identifiée de façon positive. Aucun commentaire ou marque ne figurait au sujet des éléments suivants du formulaire : alcootest; alcoolémie, test de dépistage de drogue, médicaments, manque de concentration/problèmes d’orientation, démarche incertaine, élocution difficile et autres anomalies. Le formulaire ne permettait pas de savoir si la capitaine Barber (Gilchrist) avait des yeux vitreux.

 

[13]           Après le prélèvement de l’échantillon de sang, la capitaine Barber (Gilchrist) a été amenée au poste de police no 14, où elle a été remise en liberté vers 4 h le 4 juillet 2011, après l’arrêt à un hôtel de Munich.

 

[14]           La cour a accepté la Dre Paul à titre de témoin expert dans le domaine de la toxicologie judiciaire. La Dre Paul est à la tête du département de toxicologie judiciaire et de l’alcoologie à l’institut de médecine légale de Munich et elle a témoigné en qualité d’expert plus de 300 fois devant les tribunaux allemands dans le cadre d’accusations se rapportant à des infractions criminelles liées à la consommation d’alcool ou de drogue, y compris des infractions relatives à des véhicules à moteur. Elle ne participe pas directement à l’analyse des échantillons de sang apportés au laboratoire et ne surveille pas non plus les travaux des analystes, mais elle autorise la communication des résultats du laboratoire. La Dre Paul s’est fait demander de donner son opinion en fonction de deux scénarios hypothétiques. Dans le premier, elle a reçu les résultats d’une alcoolémie associée au poids, à la taille et au sexe de la capitaine Barber (Gilchrist) ainsi qu’à d’autres éléments connexes, comme le fait que l’heure à laquelle le dernier verre d’alcool avait été consommé était inconnue, mais que l’intéressée n’avait pas consommé d’alcool après un moment précis. À l’aide d’une formule scientifique, elle a converti le résultat original obtenu dans Promille à son équivalent en milligrammes d’alcool par 100 millilitres de sang. Appliquant les principes scientifiques acceptés au sujet de l’absorption et de l’élimination de l’alcool, elle a extrapolé les résultats à la période proposée par la poursuite. Elle a explicité les effets physiques et physiologiques de la présence d’alcool dans l’organisme humain dans le contexte de la conduite d’un véhicule à moteur, y compris la capacité d’utiliser le volant, les freins et l’accélérateur et de changer de vitesse. De plus, elle a expliqué comment cette alcoolémie pouvait affaiblir la capacité d’une personne de conduire un véhicule à moteur en raison de certaines lacunes touchant la capacité motrice fine ou la motricité globale. La poursuite n’a pas établi en bout de ligne le fondement factuel de ce scénario. Il importe de souligner que la poursuite a décidé de terminer la présentation de sa preuve après le témoignage de la Dre Paul. Rien n’empêchait la poursuite, après le témoignage de la Dre Paul, de présenter d’autres éléments de preuve admissibles, y compris le témoignage de témoins compétents, qui auraient permis d’établir un fondement factuel suffisant pour appuyer le scénario hypothétique présenté au témoin expert, notamment en ce qui a trait à l’alcoolémie de la capitaine Barber (Gilchrist) d’après l’échantillon de sang prélevé sur celle-ci. Cette décision relève du pouvoir discrétionnaire de la poursuite et il n’appartient pas à la cour de formuler d’autres remarques à ce sujet.

 

[15]           La Dre Paul s’est également fait demander son avis au sujet de la capacité de l’accusée de conduire un véhicule à moteur, à 2 h 15 le 4 juillet 2011, d’après les signes de diminution des facultés que la Dre Santjohanser avait observés à la clinique. À cette fin, elle devait tenir compte du fait que l’haleine de la capitaine Barber (Gilchrist) dégageait une odeur d’alcool et que ses yeux étaient vitreux lors de la vérification effectuée à 2h15 et environ 30 minutes plus tard. La Dre Paul n’a obtenu aucun renseignement détaillé quant aux signes de diminution des facultés de l’accusée. Sur la foi des renseignements qui lui avaient été fournis, elle croyait qu’une personne présentant ces symptômes n’était pas en mesure de conduire un véhicule à moteur.

 

[16]           La maître de 2e classe Turcotte était l’officier de service lors des événements et elle a parlé deux fois à la capitaine Barber cette nuit-là. Elle a parlé pour la première fois à l’accusée à 2 h 30, le 4 juillet 2011, lorsqu’elle a été réveillée par l’appel. La capitaine Barber (Gilchrist) lui a alors dit qu’elle avait été arrêtée et qu’elle voulait parler à des gens de la police militaire. La maître de 2e classe Turcotte lui a donné le numéro de téléphone d’un certain sergent Peterson et elle a aussi obtenu le numéro de téléphone cellulaire de la capitaine Barber lors de cette conversation. Après avoir tenté sans succès de contacter la police militaire, la maître de 2e classe Turcotte a laissé un message sur la boîte vocale du sergent Peterson à domicile. Peu après, elle a parlé à nouveau à la capitaine Barber. Elle lui a expliqué qu’elle avait été incapable de joindre la police militaire et qu’elle avait laissé un message sur la boîte vocale. La capitaine Barber (Gilchrist) lui a dit qu’elle avait besoin de parler à un avocat. La maître de 2e classe Turcotte a affirmé que l’élocution de la capitaine Barber était claire en tout temps, de même que les demandes que celle-ci a formulées.

 

LE DROIT ET LES ÉLÉMENTS ESSENTIELS DE L’ACCUSATION

 

La deuxième accusation (article 130 de la Loi sur la défense nationale - alinéa 253(1)a) du Code criminel) (accusation subsidiaire à la première)

 

[17]           Pour que la cour déclare la capitaine Barber coupable d’avoir conduit un véhicule à moteur avec des facultés affaiblies, la poursuite doit établir, en plus de l’identité de l’accusée à titre de contrevenante ainsi que les date et lieu de l’infraction énoncés dans l’accusation, chacun des éléments essentiels suivants hors de tout doute raisonnable :

 

a.                   le fait qu’elle conduisait un véhicule à moteur;

 

b.                  le fait qu’elle avait l’intention de conduire un véhicule à moteur après avoir consommé de l’alcool;

 

c.                   le fait que sa capacité de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l’effet de l’alcool.

 

La seule question qui se pose en l’espèce concerne la diminution des facultés de l’accusée : la preuve a-t-elle établi hors de tout doute raisonnable que la capacité de l’accusée de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue? La défense admet que la capitaine Barber a conduit et avait l’intention de conduire un véhicule à moteur, soit une automobile de marque Mazda, à l’heure et à l’endroit pertinents. Tel qu’il est mentionné plus haut, il faut se demander s’il existe suffisamment d’éléments de preuve crédibles et fiables qui établissent hors de tout doute raisonnable que la capacité de l’accusée de conduire un véhicule à moteur a été affaiblie par l’effet de l’alcool.

 

La présomption d’innocence et le doute raisonnable

 

[18]           Le principe le plus important qui s’applique à toutes les affaires criminelles, y compris les procédures découlant du Code de discipline militaire, réside dans la présomption d’innocence. La capitaine Barber était présumée innocente au début des procédures et cette présomption demeure en vigueur tout au long de l’affaire, jusqu’à ce que la poursuite prouve hors de tout doute raisonnable à la cour que l’accusée est coupable.

 

[19]           Deux règles découlent de la présomption d’innocence. D’abord, il incombe à la poursuite d’établir la culpabilité de l’accusé. En second lieu, la culpabilité doit être établie hors de tout doute raisonnable. Ces règles sont liées à la présomption d’innocence et visent à éviter que des personnes innocentes soient condamnées. Le fardeau de prouver la culpabilité de l’accusé incombe à la poursuite et n’est pas transféré. La capitaine Barber n’est pas tenue de prouver qu’elle est innocente. Elle n’est pas tenue de prouver quoi que ce soit.

 

[20]           Un doute raisonnable n’est pas un doute imaginaire ou frivole. Il ne doit pas être fondé sur la sympathie ou sur un préjugé à l’endroit d’une personne concernée par les procédures. Il repose plutôt sur la raison et le bon sens. Il s’agit d’un doute qui découle logiquement de la preuve ou d’une absence de preuve.

 

[21]           Il est pour ainsi dire impossible de prouver quelque chose avec une certitude absolue et la poursuite n’est pas tenue de le faire. Une telle norme de preuve serait trop élevée. Cependant, la norme de preuve hors de tout doute raisonnable se rapproche bien davantage de la certitude absolue que de la culpabilité probable.

 

[22]           Il n’est pas rare que des éléments de preuve présentés à la cour soient contradictoires. Les témoins ont souvent des souvenirs différents des événements. Toutefois, il y a une distinction importante entre un témoin dont le témoignage est à la fois crédible et fiable et un témoin qui paraît crédible, mais dont le témoignage n’est néanmoins pas fiable.

 

[23]           La crédibilité n’est pas synonyme de vérité et l’absence de crédibilité n’est pas synonyme de mensonge. La cour doit tenir compte de nombreux facteurs pour évaluer la crédibilité d’un témoin. Par exemple, la cour évaluera la possibilité qu’a eue le témoin d’observer, les raisons d’un témoin de se souvenir. Quelque chose en particulier a-t-il aidé le témoin à se souvenir des détails de l’événement qu’il ou elle a décrit? Les événements étaient-ils remarquables, inhabituels et frappants, ou plutôt relativement anodins et, par conséquent, naturellement plus faciles à oublier? Le témoin a-t-il un intérêt dans l’issue du procès; en d’autres termes, a-t-il une raison de favoriser la poursuite ou la défense, ou est-il impartial? Ce dernier facteur s’applique d’une manière quelque peu différente à l’accusé. Bien qu’il soit raisonnable de présumer que l’accusé a intérêt à se faire acquitter, la présomption d’innocence ne permet pas de conclure que l’accusé mentira lorsqu’il décide de témoigner. Toutefois, l’accusé n’a pas à prouver quoi que ce soit, et il n’a pas à témoigner.

 

[24]           Un autre facteur qui doit être pris en compte dans la détermination de la crédibilité d’un témoin est son apparente capacité à se souvenir. L’attitude du témoin quand il témoigne est un facteur dont on peut se servir pour évaluer sa crédibilité : le témoin est-il réceptif aux questions, honnête et franc dans toutes ses réponses ou évasif, hésitant? Argumente-t-il sans cesse? Cependant, l’appréciation de ce facteur doit tenir compte des difficultés intrinsèques et particulières associées à la présentation d’un témoignage d’une personne par l’entremise d’un interprète, comme c’était le cas en l’espèce pour chaque personne que la poursuite a fait témoigner. Enfin, la cour se demandera si le témoignage était cohérent en lui-même et compatible avec les faits qui n’ont pas été contestés.

 

[25]           De légères contradictions peuvent se produire, et cela arrive en toute innocence; elles ne signifient pas nécessairement que le témoignage devrait être écarté. La cour n’est pas tenue d’accepter le témoignage d’une personne, à moins que celui-ci ne lui paraisse crédible. Cependant, elle jugera un témoignage digne de foi à moins d’avoir une raison de ne pas le croire.

 

[26]           Comme la règle du doute raisonnable s’applique aussi à la question de la crédibilité, la cour n’est pas tenue de se prononcer de manière définitive sur la crédibilité d’un témoin ou d’un groupe de témoins, ni ne doit-elle croire complètement ou ne pas croire du tout un témoin ou un groupe de témoins.

 

DÉCISION

 

Analyse juridique

 

[27]           Selon l’alinéa 253(1)a) du Code criminel, commet une infraction quiconque conduit un véhicule à moteur lorsque sa capacité de conduire ce véhicule est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue. L’infraction sera prouvée si la preuve établit hors de tout doute raisonnable un degré de diminution de la capacité de l’accusé de conduire un véhicule à moteur, allant de léger à élevé, et que cette diminution a été causée par l’effet de l’alcool ou d’une drogue. L’infraction de conduite d’un véhicule à moteur avec les facultés affaiblies est une infraction d’intention générale : Penno (1990), 59 CCC (3d) 344 (C.S.C.), à la page 18. La mens rea réside dans l’intention de conduire un véhicule à moteur après avoir volontairement consommé de l’alcool ou une drogue. L’actus reus est l’acte qui consiste à conduire un véhicule à moteur à un moment où la capacité de conduire est affaiblie par l’effet de l’alcool ou d’une drogue : Toews (1985), 21 CCC (3d), à la page 24 (C.S.C.), à la page 29, Stellato, [1993] OJ 18 (C.A.), à la page 14, adopté par la Cour suprême du Canada [1994] ACS 51, à la page 1.

 

[28]           Dans Graat, [1982] 2 R.C.S. 819, à la page 825, le juge Dickson, alors juge de la Cour suprême du Canada, a approuvé les commentaires suivants que le juge Howland, juge en chef de l’Ontario, a formulés dans (1980), 17 CR (3d), à la page 55 (C.A.O.) aux pages 69 et 70 :

 

Témoigner que les facultés d’une personne sont affaiblies équivaut en réalité à dire : « Je ne crois pas qu’il aurait dû conduire ». Dans tous les cas, l’opinion doit se fonder sur les faits observés : la voiture zigzaguait, l’haleine du chauffeur avait une forte odeur d’alcool, ses facultés de perception et de coordination étaient réduites, il était somnolent et réagissait lentement à la présence d’autres voitures ou de piétons sur la trajectoire de sa voiture, et ainsi de suite.

 

[29]           Dans la présente affaire, les agents de police allemands ont décidé de procéder à un contrôle routier à l’égard du véhicule conduit par la capitaine Barber à 2 h 15, le 4 juillet 2011, dans la ville de Munich, en Allemagne. Avant le contrôle routier décrit plus haut, les agents n’avaient remarqué aucun signe de mauvaise conduite automobile ou de conduite erratique. Cependant, la poursuite n’est pas tenue d’établir un écart marqué par rapport à une façon de conduire normale, ni même une conduite automobile inappropriée. La capacité de conduire d’une personne peut être affaiblie par l’effet de l’alcool même si aucun élément de mauvaise conduite automobile n’est établi.

 

[30]           Après avoir arrêté le véhicule de la capitaine Barber pour procéder à un contrôle routier, les agents de police ont tous les deux constaté qu’une odeur d’alcool se dégageait du véhicule et ils ont confirmé que l’haleine de l’accusée sentait l’alcool. L’agente Asam a déclaré que les yeux de la capitaine Barber (Gilchrist) étaient vitreux. Les agents de police n’ont remarqué aucun autre signe de diminution des facultés de l’accusée et ils n’ont pas dit non plus si l’odeur d’alcool était forte ou légère ou jusqu’à quel point les yeux de la capitaine Barber (Gilchrist) étaient vitreux lors de l’incident. La cour ne tire aucune conclusion de l’impossibilité pour la capitaine Barber (Gilchrist) de fournir un résultat après avoir tenté cinq ou six fois de souffler dans l’alcootest à la demande des agents de police, en l’absence d’éléments de preuve établissant que l’appareil fonctionnait correctement. Le témoignage de l’agent de police Hebe selon lequel cela ne s’était pas produit auparavant ne prouve pas que le dispositif fonctionnait bien ou que les facultés de la capitaine Barber étaient affaiblies, en l’absence d’éléments de preuve plus précis.

 

[31]           L’élément de preuve le plus important qui concerne les signes d’affaiblissement des facultés de la capitaine Barber (Gilchrist) au cours de la nuit du 4 juillet 2011 réside dans le témoignage non corroboré et en grande partie inexpliqué du médecin qui a prélevé un échantillon de sang de l’accusée à 2h49, la Dre Santjohanser, laquelle a déclaré qu’à son avis, les facultés de l’accusée étaient affaiblies par l’effet de l’alcool lors du prélèvement. Cette opinion est fondée sur l’avis de la Dre Paul, le témoin expert, qui estimait que la capacité de la capitaine Barber (Gilchrist) de conduire un véhicule à moteur était affaiblie par l’effet de l’alcool environ 35 minutes plus tôt.

 

[32]           La cour est préoccupée par la faiblesse de la preuve testimoniale entendue au cours du procès. De plus, le fait que la preuve a été présentée à l’aide d’un interprète qu’il était parfois difficile de comprendre aggrave les problèmes liés à la fiabilité de cette preuve. La cour est également préoccupée par le fait qu’aucun élément du témoignage des deux policiers qui sont restés en tout temps avec la capitaine Barber (Gilchrist) ne permet de corroborer la déclaration de la Dre Santjohanser en ce qui concerne les signes d’affaiblissement des facultés qui ont été observés à la clinique, bien que la corroboration ne soit pas nécessaire. Qui plus est, l’opinion de la Dre Santjohanser selon laquelle la capitaine Barber (Gilchrist) avait du mal à articuler, ce que les agents de police n’ont pas eux-mêmes constaté, est contredite par le témoignage de la maître de 2e classe Turcotte, qui a parlé à la capitaine Barber à deux occasions en quelques minutes au cours de cette même période. Enfin, la déclaration de la Dre Santjohanser selon laquelle la capitaine Barber a affiché une attitude de « dédain » et de « rejet » doit être interprétée à la lumière de la version des événements qu’ont donnée les agents de police : de l’avis de ceux-ci, la capitaine Barber (Gilchrist) était très nerveuse et ne voulait pas fournir d’échantillon de sang avant de téléphoner aux autorités militaires canadiennes. Dans ce contexte, la cour ne considère pas ce comportement comme un signe d’affaiblissement des facultés.

 

[33]           La cour n’a pas disséqué la preuve pour analyser chaque signe d’affaiblissement des facultés de manière isolée afin d’en arriver à sa conclusion. Cette approche serait non seulement inappropriée, mais erronée. La cour a plutôt examiné les signes d’affaiblissement des facultés révélés par la preuve dans le contexte de l’ensemble de celle-ci et de l’absence d’éléments de preuve concernant le degré de cet affaiblissement ainsi que les motifs à l’appui des observations en question.

 

[34]           Il n’est pas nécessaire d’avoir suivi une formation médicale pour déterminer la sobriété d’une personne. Il n’y a aucune raison logique qui aurait empêché deux agents de police, dont l’un est très expérimenté, de faire les mêmes observations que la Dre Santjohanser et d’exprimer l’avis que les facultés de la capitaine Barber (Gilchrist) étaient affaiblies par l’effet de l’alcool, et non un doute en ce sens, lorsque tous étaient présents ensemble à la clinique. Les agents de police ont remarqué simplement une odeur d’alcool qui se dégageait de l’haleine de l’accusée et des yeux vitreux; cependant, ils n’ont pas précisé jusqu’à quel point l’odeur était forte ou jusqu’à quel point les yeux étaient vitreux, et on ne leur a pas demandé de le faire.

 

[35]           Dans ces circonstances, il est raisonnable de tenir compte uniquement de l’effet cumulatif des signes d’affaiblissement des facultés qui ont été établis par des éléments de preuve crédibles et fiables aux yeux de la cour. Le fait de conduire un véhicule à moteur après avoir bu de l’alcool n’est pas une infraction. Cependant, la personne qui conduit un véhicule à moteur alors que ses facultés sont affaiblies par l’effet de l’alcool commet une infraction. Le moment critique est celui de la conduite du véhicule. Ce n’est pas celui où l’alcool a été consommé, ni la période qui suit la conduite du véhicule ou le moment où un échantillon de sang est prélevé. Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, j’en arrive à la conclusion que celle-ci ne constitue pas un fondement suffisant à l’appui de la conclusion que la Dre Paul a exprimée et selon laquelle la capitaine Barber (Gilchrist) conduisait un véhicule à moteur alors que sa capacité de conduire était affaiblie par l’effet de l’alcool à 2 h 15 le 4 juillet 2011.

 

[36]           La poursuite a établi que la capitaine Barber (Gilchrist) a probablement conduit un véhicule à moteur lorsque sa capacité de le faire était affaiblie par l’effet de l’alcool; cependant, la preuve concernant l’affaiblissement des facultés est ténue au point de soulever un doute raisonnable dont l’accusée doit bénéficier.

 

Conclusion et décision

 

POUR LES MOTIFS EXPOSÉS PLUS HAUT, LA COUR :

 

[37]           DÉCLARE la capitaine Barber non coupable de la seconde accusation, soit la seule accusation qui reste.

 


 

Avocats :

 

Major E. Carrier, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de Sa Majesté la Reine

 

Major C.E. Thomas, Direction du service d’avocats de la défense

Avocat de la capitaine M.A. Barber

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