Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 3 octobre 2008

Endroit : Centre Asticou, Bloc 2600, 241 boulevard de la Cité-des-Jeunes, Gatineau (QC)

Chefs d'accusation
•Chefs d'accusation 1, 2 : Art. 130 LDN, trafic de substance (art. 5(1) LRCDAS).
•Chef d'accusation 3 : Art. 130 LDN, possession en vue du trafic (art. 5(2) LRCDAS).
•Chefs d'accusation 4, 5 : Art. 130 LDN, possession d'une substance (art. 4(1) LRCDAS).

Résultats
•VERDICTS : Chefs d'accusation 1, 2, 4 : Coupable. Chefs d'accusation 3, 5 : Retirés.
•SENTENCE : Emprisonnement pour une période de 60 jours. L'exécution de la peine d'emprisonnement a été suspendue.

Contenu de la décision

Référence : R. c. Caporal-chef S. J. Pearson, 2008 CM 4015

 

Dossier : 200821

 

 

 

COUR MARTIALE PERMANENTE

CANADA

QUÉBEC

CENTRE ASTICOU, GATINEAU

 

Date: 3 octobre 2008

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DU LIEUTENANT-COLONEL J.-G. PERRON, J. M.

 

SA MAJESTÉ LA REINE

c.

LE CAPORAL-CHEF S. J. PEARSON

(contrevenant)

 

SENTENCE

(prononcée oralement)

 

 

[1]                   Caporal-chef Pearson, après avoir accepté et consigné votre plaidoyer de culpabilité relativement aux accusations nos 1, 2 et 4, la Cour vous déclare coupable de ces infractions.

 

[2]                   Le sommaire des circonstances, et vous avez formellement admis que les faits qui y sont décrits constituent une preuve concluante de votre culpabilité, fournit à la Cour les circonstances entourant la perpétration de ces infractions. Un de vos proches amis est devenu un mandataire de la police pour l'équipe nationale de lutte contre les drogues du SNEFC. Celui-ci vous a approché et vous a demandé de lui vendre de la marihuana pour sa petite amie civile. En fait, celle-ci était membre du SNEFC et agissait comme agente d'infiltration pour l'équipe de lutte contre les drogues. Vous avez vendu une demi-once de marihuana à l'agente le 12 février 2007 et le 16 avril 2007. Les deux transactions se sont déroulées dans un bar d'Ottawa. Le 28 mai 2007, tandis que vous étiez en route pour une autre rencontre de ce genre, vous avez été intercepté et arrêté par l'équipe de lutte contre les drogues du SNEFC.

 


[3]                    Un mandat de perquisition a été exécuté à votre demeure. À cette occasion, vous vous êtes volontairement dessaisi de 34,6 grammes de marihuana et de 36,7 grammes de résine de cannabis. Vous avez offert votre entière collaboration au SNEFC durant cette perquisition.

 

[4]                    Les deux transactions étaient à l'instigation du mandataire de la police. Avant le moment de la première et de la deuxième transactions, vous avez également été invité à fournir de la marihuana à l'agente d'infiltration mais vous ne l'avez pas fait. Les deux fois, vous avez vendu la marihuana à un prix bien inférieur au prix normal pour une quantité équivalente de marihuana demandé dans les rues d'Ottawa. Vous l'avez fait pour rendre service à un ami. Je reviendrai sur cette question d'amitié plus loin dans ma décision. Vous avez été décrit comme étant un trafiquant social.

 

[5]                    L'ex‑caporal Prince, un mandataire de la police, a été libéré des Forces canadiennes en décembre 2006. Vous vous étiez lié d'amitié avec lui lorsque vous avez été affecté, de 2003 à 2006, à la Compagnie de défense nucléaire, biologique et chimique interarmées, maintenant renommée l'Unité interarmées d'intervention du Canada.

 

[6]                    Les principes de détermination de la sentence, qui sont les mêmes pour les cours martiales et les procès criminels devant les tribunaux civils au Canada, ont été énoncés de diverses façons. Règle générale, ils sont fondés sur la nécessité de protéger le public, et le public inclut bien sûr les Forces canadiennes. Les principaux principes sont ceux de l'effet dissuasif, soit l'effet dissuasif spécifique destiné à vous dissuader personnellement, et l'effet dissuasif dans son sens large, celui visant à dissuader les autres qui pourraient être tentés de commettre des infractions similaires. Les principes comprennent aussi la réprobation de la société à légard de la conduite du contrevenant, et le dernier mais non le moindre, le principe de la réadaptation et de la réforme du contrevenant.

 

[7]                    La Cour doit décider si la protection du public serait mieux assurée en mettant l'accent sur l'effet dissuasif, la réadaptation, la réprobation, ou une combinaison de ces facteurs.

 

[8]                    La Cour a aussi tenu compte des orientations fournies par les articles 718 à 718.2 du Code criminel du Canada. Ces principes et objectifs sont de dénoncer le comportement illégal; de dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions; d'isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société; de favoriser la réinsertion sociale des délinquants; d'assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité; de susciter la conscience de leurs responsabilités chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité. J'ai aussi pris en compte les orientations en matière de détermination de la sentence fournies par l'article 10 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances.

 


[9]                    Pour déterminer la sentence, la Cour doit aussi suivre les directives énoncées à l'article 112.48 des ORFC, selon lequel elle doit tenir compte de toute conséquence indirecte du verdict ou de la sentence, et prononcer une sentence proportionnée à la gravité de l'infraction et aux antécédents du contrevenant.

 

[10]                  La Cour a tenu compte du fait que les sentences infligées à des délinquants pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables doivent être relativement semblables. La Cour doit aussi prononcer une sentence correspondant à la sentence minimale nécessaire pour assurer la discipline.

 

[11]                  Dans R. c. Paquette, 1998 CACJ no 8, la Cour d'appel de la cour martiale précise clairement que le juge appelé à prononcer une sentence ne peut rejeter la recommandation conjointe des avocats, à moins que la sentence proposée ne soit de nature à déconsidérer ladministration de la justice ou quelle ne soit dans lintérêt public. La poursuite et votre avocat ont tous les deux proposé que vous soyez condamné à une sentence d'emprisonnement de 60 jours, mais que cette sentence soit suspendue. Ils ont aussi indiqué qu'en amende de 1 000 $ serait appropriée, mais ils ont laissé entendre qu'un don de 1 000 $ de votre part au Centre de ressources pour les familles des militaires de la région de la Capitale nationale au lieu de l'amende serait également appropriée. On m'a remis un document prouvant que vous avez fait ce don au Centre.

 

[7]                    La Cour doit aussi garder à lesprit que lobjectif fondamental de la sentence est le rétablissement de la discipline chez le contrevenant et dans les rangs des Forces armées.

 

[8]                    La Cour suprême du Canada a parlé du concept de discipline au sein des Forces armées au paragraphe 60 de son arrêt de principe de 1992, R. c. Généreux, [1992] 1 R.C.S. 259. La Cour a déclaré que:

 

Le but d'un système de tribunaux militaires distinct est de permettre aux Forces armées de s'occuper des questions qui touchent directement à la discipline, à l'efficacité et au moral des troupes. La sécurité et le bien-être des Canadiens dépendent dans une large mesure de la volonté d'une armée, composée de femmes et d'hommes, de défendre le pays contre toute attaque et de leur empressement à le faire. Pour que les Forces armées soient prêtes à intervenir, les autorités militaires doivent être en mesure de faire respecter la discipline interne de manière efficace. Les manquements à la discipline militaire doivent être réprimés promptement et, dans bien des cas, punis plus durement que si les mêmes actes avaient été accomplis par un civil. Il s'ensuit que les Forces armées ont leur propre code de discipline militaire qui leur permet de répondre à leurs besoins particuliers en matière disciplinaire. En outre, des tribunaux militaires spéciaux, plutôt que les tribunaux ordinaires, se sont vu conférer le pouvoir de sanctionner les manquements au Code de discipline militaire. Le recours aux tribunaux criminels ordinaires, en règle générale, serait insuffisant pour satisfaire aux besoins particuliers des Forces armées sur le plan de la discipline. Il est donc nécessaire d'établir des tribunaux distincts chargés de faire respecter les normes spéciales de la discipline militaire....

 


[9]                    Dans R. c. Dominie, 2002 CACM 8, la Cour d'appel de la cour martiale fait écho à ce passage de l'arrêt Généreux lorsqu'elle déclare, au paragraphe 5 :

 

Le trafic répété du crack, même s'il est de nature non commerciale, doit généralement être sanctionné par l'emprisonnement, même pour les civils. Lorsqu'il s'agit de militaires, la dissuasion exige clairement la pleine conscience qu'ils seront emprisonnés s'ils font le trafic du crack sur une base militaire. On ne peut bénéficier d'une sentence suspendue, sauf dans les rares cas où il existe des circonstances atténuantes exceptionnelles. Ce n'est pas le cas ici.

 

Même si cette décision de la Cour d'appel de la cour martiale portait sur le trafic de crack, les Forces canadiennes ne peuvent tolérer le trafic de drogue de quelque nature que ce soit, et la sentence imposée à de tels contrevenants doit en tenir compte.

 

[10]                  Jénoncerai maintenant les circonstances aggravantes et les circonstances atténuantes dont jai tenu compte en déterminant la sentence appropriée dans la présente affaire. Ce qui suit m'apparaît aggravant :

 

Le trafic de drogues illicites constitue un grave manquement au code de discipline militaire, de même qu'une infraction grave aux termes de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances. En l'espèce, la quantité vendue fait en sorte qu'il s'agit d'un acte criminel, passible d'une sentence d'emprisonnement de cinq ans. Il ressort clairement du cadre de détermination de la sentence que le législateur considère que le trafic de marihuana est une infraction grave et qu'il souhaite sanctionner les contrevenants en conséquence tout en voulant dissuader les autres de commettre la même infraction.

 


Le programme des Forces canadiennes sur le contrôle des drogues est énoncé au chapitre 20 des Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes. Tous les membres des Forces canadiennes connaissent bien cette politique et les conséquences qui en découlent s'il y a manquement. L'usage de drogues illicites ne peut pas être toléré dans les Forces canadiennes. Pire, le trafic de telles drogues contrevient aux valeurs fondamentales de la société militaire. J'ai cité plus haut un extrait d'un jugement de la Cour suprême du Canada traitant de la discipline et du rôle des Forces canadiennes. Nous jouons un rôle fondamental dans la société canadienne. Il nous est permis de recourir à la violence pour défendre notre pays et accomplir les tâches qui nous sont confiées par notre gouvernement démocratiquement élu. Ce pouvoir et ce devoir vont de pair avec de grandes responsabilités et obligations. Les hommes et les femmes qui reçoivent l'ordre de se placer en situation dangereuse au Canada et à l'étranger doivent être sains de corps et d'esprit. Nous sommes formés pour accomplir nos tâches et on s'attend à ce que nous les accomplissions au mieux de nos habiletés. Nous devons aussi avoir confiance en nos compagnons d'armes et être convaincus qu'ils seront à la hauteur de la tâche pour assurer le succès et la sécurité de nos troupes. L'usage de drogues et le trafic de drogues menacent directement l'efficacité opérationnelle de nos Forces et mettent en danger la sécurité de notre personnel et équipement. Par conséquent, les infractions pour lesquelles vous avez plaidé coupable sont objectivement des infractions très graves dans la société militaire.

 

Vous avez bénéficié de près de 15 ans d'expérience dans les Forces canadiennes et vous étiez parfaitement au courant de la stricte politique en matière de drogues.

 

[11]                  Quant aux circonstances atténuantes, je note ce qui suit :

 

Vous en êtes à votre première infraction. Vous avez reconnu votre culpabilité relativement aux trois accusations. Vous avez indiqué à la première occasion que vous désiriez plaider coupable et demandé à votre avocat de ne pas engager de procédure dilatoire ou même qui aurait possiblement permis que certaines de ces accusations soient suspendues. Vous avez pleinement collaboré avec la police militaire le jour de votre arrestation. Ces actions démontrent clairement que vous êtes prêt à assumer l'entière responsabilité de vos actions. Vos plaidoyers de culpabilité ont épargné beaucoup d'efforts à la poursuite, puisqu'il semble qu'un témoin clé, le mandataire de la police, est maintenant au Pakistan. Le poursuivant a indiqué qu'il aurait dû appeler 20témoins à la barre si cette affaire s'était rendue au procès.

 

La petite quantité de marihuana ayant fait lobjet du trafic, la quantité retrouvée à votre domicile et les circonstances particulières entourant les infractions doivent aussi être considérées comme des circonstances atténuantes. Même si vous vous êtes livré au trafic de marihuana, vous ne l'avez pas fait par appétit du gain mais seulement pour aider un ami qui vous demandait un peu de drogue. Même si vous devez accepter la responsabilité de vos actions, la preuve ne révèle pas que vous étiez un trafiquant de drogue actif.

 

Les infractions n'ont pas été commises dans un établissement militaire et vous aviez l'impression que vous vendiez ces petites quantités à la petite amie civile d'un ami civil.

 


Vous êtes sur le point d'être libéré des Forces canadiennes. Il se peut que vous le soyez aux termes de l'alinéa 2a) ou 5f), la décision n'a pas encore été prise par les autorités compétentes. Comme il a été mentionné plusieurs fois par d'autres cours martiales, ce fait doit être pris en compte lorsqu'on considère le principe de la dissuasion générale.

 

Je crois que vous avez commis deux graves erreurs de jugement. Premièrement, vous avez choisi dignorer la politique clairement et fermement formulée des Forces canadiennes sur lusage de drogue ainsi que les conséquences désastreuses pouvant en découler lorsquon sert dans les Forces. Les conséquences découlant du trafic de drogue sont aussi bien connues dans la société militaire.

 

Votre deuxième grave erreur a été de vous associer à une personne comme lex-caporal Prince. Cet individu semble personnaliser à la perfection le vieil adage « les loups se mangent entre eux ». Je ne dis pas que vous êtes comme lui, je dis seulement que votre choix damis dans le monde de la drogue est un facteur qui a créé la situation dans laquelle vous vous trouvez maintenant.

 

Vous avez quitté une carrière civile où vous sembliez avoir assez de succès pour vous enrôler dans les Forces canadiennes parce que vous aimiez la vie de soldat. Vous avez accepté un salaire inférieur parce que vous vouliez retrouver la camaraderie que nous chérissons tant comme militaires. Vous avez commis lerreur de vous lier damitié avec un menteur.

 

[12]                  Après avoir examiné la preuve présentée par les deux avocats, jen suis arrivé à la conclusion que vous avez commis de très graves erreurs de jugement qui ne reflètent probablement pas qui vous êtes vraiment.

 

[13]                  Vos rapports dappréciation du personnel sont excellents et décrivent un soldat qui avait une brillante carrière devant lui. Votre rendement depuis votre arrestation na pas fléchi. Les rapports dappréciation décrivent aussi le type de soldat dont notre organisation a besoin en ce moment où la cadence opérationnelle est élevée.

 

[14]                  Malheureusement pour vous, il semble quon ne vous permettra pas de continuer à servir. Une telle décision dans la présente affaire sera prise par les autorités compétentes à la suite des recommandations de vos supérieurs. Jai relu la DOAD 5019‑3 et le mémoire de votre officier supérieur à la DAGRCM 5‑4. Même si je nai rien vu dans cette DOAD indiquant quune libération des Forces canadiennes était une conséquence immédiate davoir fait le trafic de drogue, il semblerait que cette politique existe. Je note que votre commandant recommande « malheureusement » votre libération en vertu de larticle 5f). Même sil faut se montrer très respectueux à légard de la chaîne de commandement dans de telles affaires, et même si elles ne relèvent pas de cette cour, il est à espérer que les décisions administratives en matière de libération sont prises avec la même attention accordée à tous les facteurs et renseignements pertinents en lespèce que lorsquune cour martiale condamne un contrevenant à être libéré du service de Sa Majesté.


 

[15]                  Jai attentivement examiné la jurisprudence présentée par les deux avocats.

 

[16]                  Caporal-chef Pearson, vous mavez démontré que vous assumez lentière responsabilité de vos actions. Jaccueille la proposition commune des avocats en ce qui a trait à la sentence.

 

[17]                  Je conviens avec le poursuivant que la sentence doit tout dabord tenir compte du principe de la dissuasion générale. Cependant, ayant pris en compte les circonstances particulières entourant la perpétration de cette infraction, ainsi que la situation particulière du contrevenant, je conclus que les circonstances atténuantes en lespèce justifient que la sentence demprisonnement soit suspendue.

 

[18]                  Je vous condamne à une sentence demprisonnement de 60 jours. L'exécution de la sentence de détention est suspendue.

 

[19]                  Je vous aurais aussi imposé une amende de 1 000 $, mais je ne le ferai pas car on ma fourni la documentation nécessaire établissant que vous avez fait une contribution de 1 000 $ au Centre de ressources pour les familles des militaires de la région de la Capitale nationale. Jestime que cette contribution servira de bien meilleures fins que lamende tout en atteignant le même objectif.

 

[20]                  Vous avez perdu votre carrière dans les Forces canadiennes, tâchez dapprendre de vos erreurs et de poursuivre votre chemin dans la vie.

 

 

 

 

 

Lieutenant‑Colonel J‑G. Perron, J. M.

 

Avocats :

 

Major S. MacLeod, Direction des poursuites militaires 3-2

avocat de Sa Majesté la Reine

Me D. Baum, Direction du Services des avocats de la défense

avocat du caporal-chef S.J. Pearson

 

 

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