Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

CAMC 553 - Appel rejeté

Date de l'ouverture du procès : 29 mai 2012

Endroit : 19e Escadre Comox, École de recherche et de sauvetage des Forces canadiennes, Édifice 238, Lazo (CB)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 130 LDN, proférer des menaces (art. 264.1(1)a) C. cr.).
•Chef d’accusation 3 : Art. 130 LDN, voies de fait (art. 266 C. cr.).

Résultats
•VERDICT : Chefs d'accusation 1, 2, 3 : Arrêt des procédures.

Contenu de la décision

COUR MARTIALE

 

Référence :  R c Wehmeier, 2012 CM 1005

 

                                                Date :  20120601

                                                                                                Dossier :  201212

 

                                                                                                Cour martiale permanente

 

                                                                                    19e Escadre Comox

                                                                        Colombie‑Britannique, Canada

 

Entre : 

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Paul Wehmeier, demandeur

 

 

Devant :  le colonel M. Dutil, J.C.M.

 


TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE

 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l’article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l’article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

 

DÉCISION RELATIVE À LA DEMANDE POUR FIN DE NON‑RECEVOIR SUIVANT L’ALINÉA 112.05(5)B) ET L’ARTICLE 112.24 DES ORDONNANCES ET RÈGLEMENTS ROYAUX APPLICABLES AUX FORCES CANADIENNES AU MOTIF QUE LA COUR N’A PAS COMPÉTENCE POUR JUGER L’ACCUSÉ____________________________________________________________

 

(Oralement)

 

INTRODUCTION

 

[1]               La défense a présenté une demande pour fin de non‑recevoir au motif que la cour n’a pas compétence pour juger l’accusé. Selon le demandeur, la présente cour martiale n’a pas compétence sur l’accusé civil parce que les renseignements figurant dans l’acte d’accusation, même s’ils sont établis, ne visent pas une personne justiciable du code de discipline militaire. L’acte d’accusation (pièce M1-2) en date du 16 février 2012, signé par le major Dylan Kerr, officier autorisé à le faire en vertu de la Loi sur la défense nationale, est ainsi libellé :

 

[traduction] L’accusé, Paul Wehmeier, Directeur – Gestion du soutien aux blessés, Forces canadiennes, est accusé des infractions suivantes :

 

PREMIER CHEF D’ACCUSATION, ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, INFRACTION PUNISSABLE SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, À SAVOIR L’INFRACTION D’AGRESSION SEXUELLE ÉNONCÉE À L’ARTICLE 271 DU CODE CRIMINEL.

 

Plus précisément : le 19 mars 2011 ou vers cette date, à Bitburg, en Allemagne, alors qu’il était employé comme agent d’éducation des pairs, a commis une agression sexuelle sur la personne de S.R.

 

DEUXIÈME CHEF D’ACCUSATION, ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, INFRACTION PUNISSABLE SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, À SAVOIR L’INFRACTION DE PROFÉRER DES MENACES ÉNONCÉE À L’ALINÉA 264.1(1)a) DU CODE CRIMINEL.

 

Plus précisément : le 19 mars 2011 ou vers cette date, à Bitburg, en Allemagne, alors qu’il était employé comme agent d’éducation des pairs, a sciemment proféré la menace de causer la mort de la caporale Kimberly Caldwell.

 

TROISIÈME CHEF D’ACCUSATION, ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, INFRACTION PUNISSABLE SOUS LE RÉGIME DE L’ARTICLE 130 DE LA LOI SUR LA DÉFENSE NATIONALE, À SAVOIR L’INFRACTION DE VOIES DE FAIT ÉNONCÉE À L’ARTICLE 266 DU CODE CRIMINEL.

 

Plus précisément : le 19 mars 2011 ou vers cette date, à Bitburg, en Allemagne, alors qu’il était employé comme agent d’éducation des pairs, a commis des voies de fait sur la personne du caporal Daniel Lessard.

 

LA PREUVE

 

[2]               La preuve présentée à la cour pour les besoins de la demande pour fin de non‑recevoir est constituée des éléments dont la cour a pris connaissance d’office en vertu de l’article 15 des Règles militaires de la preuve, y compris la Loi sur la défense nationale, les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC). La preuve comprend également l’acte d’accusation (pièce M1-2), un courriel daté du 23 avril 2012 du major R.D. Kerr adressé aux capitaines de corvette M. Létourneau et P.D. Desbiens, (pièce M1-3), l’arrêté ministériel d’organisation 2006001 en date du 26 janvier 2006, pour désigner le Commandement du soutien opérationnel comme commandement des Forces canadiennes constituant la force régulière (pièce M1-4), les témoignages de l’adjudant S. Vincent et du capitaine S. Piché. La pièce M1-3 révèle un échange d’information entre les avocats de la défense et le procureur concernant l’intention de ce dernier de se fonder sur les alinéas 60(1)f) et 61(1)b) de la Loi sur la défense nationale et le paragraphe 102.09(4) des ORFC pour établir la compétence à l’égard de l’accusé, ainsi que la façon dont il entend procéder.

 

[3]               Le procureur a invoqué la preuve testimoniale présentée à l’instruction de la demande pour fin de non‑recevoir. L’adjudant Vincent a déclaré qu’il était responsable, depuis quatre ans, de la troupe de soutien intégré auprès du Groupe de soutien interarmées des Forces canadiennes à Kingston, en Ontario. Il a expliqué qu’il s’occupait de la salle des rapports et de la section d’approvisionnement de cette unité. L’adjudant Vincent a déclaré qu’en mars 2011, il travaillait au détachement des communications de deuxième ligne, qu’il a décrit comme une unité mise sur pied pour fournir des services d’indemnité de retour au domicile (IRD) aux militaires ayant été en mission à l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan. Il a ajouté que cette unité était également utilisée comme centre principal pour les visites d’aide technique (VAT). L’adjudant Vincent était en affectation à la Base aérienne Spangdahlem, en Allemagne, et logeait à l’hôtel Eiffel Inn Towers, situé sur la base et sous la direction des Forces aériennes des États‑Unis (US Air Force). Il a affirmé qu’environ 45 à 50 personnes étaient réparties entre trois emplacements, soit Spangdahlem, Bitburg (environ 25 personnes) et Trèves (de 12 à 15 personnes). L’adjudant Vincent a également expliqué que le Détachement des communications de deuxième ligne était également responsable du centre de décompression dans un tiers lieu (DTL) hors cycle de Trèves où étaient envoyés les militaires en mission en Afghanistan auxquels on accordait un séjour de cinq journées pour décompresser ainsi que suivre des cours et une formation pour faciliter les retrouvailles avec leurs familles et leur retour au travail au Canada.

 

[4]               L’adjudant Vincent a déclaré que, pendant son séjour à Spangdahlem, il est devenu commis‑chef responsable de la salle des rapports. Son travail consistait à traiter les demandes soumises par les membres du personnel à leur arrivée à Spangdahlem et à traiter les demandes d’indemnités de repas tous les 15 jours. L’adjudant Vincent était également responsable de l’administration quotidienne du personnel sur place, formé d’employés militaires et civils. Le nombre de civils se situait entre 12 et 15.  Le personnel civil était constitué d’employés des programmes de soutien du personnel (PSP) et de spécialistes de la santé mentale. En ce qui concerne ces employés civils, l’équipe de l’adjudant Vincent avait comme unique rôle de leur trouver un endroit pour résider et de s’assurer qu’ils respectent les règlements du détachement des communications de deuxième ligne selon le ou les endroits où ils étaient affectés (Spangdahlem, Bitburg et/ou Trèves). L’adjudant Vincent a déclaré qu’il se chargeait habituellement de ces questions, car il était le point de contact pour les trois hôtels et que les Forces canadiennes et le ministère de la Défense nationale assumaient les frais d’hébergement. Il a ajouté qu’il était également responsable de l’administration des ordres courants destinés aux civils.

 

[5]               L’adjudant Vincent a déclaré que M. Wehmeier était employé comme éducateur de pairs à Trèves, en Allemagne, et qu’il résidait, comme les autres éducateurs, dans un hôtel à Trèves, en vertu d’un marché passé par le COMSOCAN et administré par le détachement des communications de seconde ligne. Les Forces canadiennes ont payé directement l’hébergement à l’hôtel de M. Wehmeier après réception de la facture et confirmation que les services avaient été rendus. La facture a ensuite été envoyée à Ottawa pour paiement. Selon l’adjudant Vincent, les dispositions relatives au voyage de M. Wehmeier à destination et en provenance de l’Allemagne ont été prises par les Forces canadiennes ou le ministère de la Défense nationale. Enfin, il a déclaré que les vivres n’ont pas été fournis à M. Wehmeier, puisque ce dernier bénéficiait d’une indemnité quotidienne pour ses repas, conformément aux directives du Conseil du Trésor pour les employés en affectation temporaire. Cette déclaration a été confirmée par le capitaine Piché.

 

[6]               Le capitaine Piché a déclaré qu’en mars 2011, elle faisait partie d’une équipe de santé mentale qui s’occupait de la décompression des soldats ayant été en mission en Afghanistan. Au début, elle faisait partie de l’équipe de deux membres, composée d’un spécialiste de la santé mentale et d’un éducateur de pairs. L’effectif de l’équipe a été augmenté à six membres, soit trois membres pour chaque fonction, y compris M. Wehmeier. Elle a déclaré qu’elle était devenue la superviseure de l’équipe parce qu’elle était la seule personne détenant un grade. Le capitaine Piché a expliqué que l’équipe devait s’occuper de toutes les séances d’information et que ses membres avaient presque tous logé à l’hôtel Park Plaza à Trèves, en Allemagne, pendant plusieurs jours avant de déménager à Spangdahlem, sur la base, dans les quartiers ou dans l’hôtel de la base, et à Bitburg, dans des quartiers provisoires. À sa connaissance, les dispositions relatives à l’hébergement ont été dictées par le commandant adjoint du détachement des communications de deuxième ligne, bien qu’elle ait elle‑même fait des suggestions sur l’endroit où devrait résider le personnel et bien que le processus ait généralement été mis en branle par le commis-chef ou par la salle des rapports. Le capitaine Piché a déclaré que pendant cette période, elle relevait du commandant adjoint du détachement des communications de deuxième ligne, le major Gilbert, qui remplissait aussi les fonctions de commandant par intérim lorsque le lieutenant-colonel Boyle était absent. Le capitaine Piché a confirmé que les éducateurs de pairs ne pouvaient pas choisir leur lieu d’hébergement pendant leur séjour en Allemagne, mais devaient résider à l’endroit où les services étaient offerts puisque des dispositions avaient été prises à cet effet. En tant que superviseure, elle devait suivre les politiques, directives et orientations pertinentes, et les transmettre aux membres de son équipe. Le capitaine Piché a également déclaré que M. Wehmeier, qui faisait partie de son équipe, résidait à l’hôtel Park Plaza à Trèves, en Allemagne, à la suite des dispositions prises par le commis-chef, l’adjudant Vincent et les deux caporaux qui travaillaient pour lui.  Lorsque la poursuite lui a demandé qui payait l’hébergement à l’hôtel, elle a répondu qu’elle ignorait quel code financier s’y appliquait, c’est‑à‑dire le budget de la santé mentale, le budget du détachement des communications de deuxième ligne ou celui d’une autre organisation. Enfin, il ressort de son témoignage que l’hôtel Park Plaza n’était pas utilisé exclusivement par les Forces canadiennes pendant cette période et qu’il avait une capacité de plus de 100 chambres. Le capitaine Piché a ajouté que les Forces canadiennes ne géraient pas la réception de cet hôtel et que l’équipe d’administration contrôlait l’accès aux chambres et la gestion de celles‑ci.

 

POSITION DES PARTIES

 

Le demandeur

 

[7]               Le demandeur soutient que la présente cour martiale n’a pas compétence sur l’accusé civil, parce que les renseignements figurant dans l’acte d’accusation, même s’ils sont établis, ne révèlent pas qu’il était une personne justiciable du code de discipline militaire. En l’absence de renseignements supplémentaires, cette affirmation était bien fondée. Après la présentation par la poursuite de la preuve à l’égard de la présente demande pour fin de non‑recevoir, le demandeur a ajouté que cette preuve ne suffit pas à établir que l’accusé était justiciable du code de discipline militaire au moment des infractions alléguées, en vertu des alinéas 60(1)f) et 61(1)b) de la Loi sur la défense nationale. Selon l’avocat de la défense, la preuve n’établit pas que M. Wehmeier accompagnait les Forces canadiennes pendant la période en question puisqu’il n’était pas logé ou pourvu d’une ration par l’unité ou l’élément qu’il accompagnait, au sens de l’alinéa 61(1)b) de la Loi.

 

[8]               À l’appui de son argument, la défense fait valoir que M. Wehmeier résidait à l’hôtel Park Plaza à Trèves, en Allemagne, qui n’est manifestement pas un logement des Forces canadiennes, mais un établissement privé. Celui‑ci n’était pas placé sous l’autorité des Forces canadiennes ou de l’unité ou l’élément que M. Wehmeier aurait accompagné, à savoir le détachement des communications de deuxième ligne, comme le précise le procureur. Selon la défense, rien ne démontre que le COMSOCAN est l’unité ou un autre élément que M. Wehmeier a accompagné. Le fait que le détachement des communications de deuxième ligne a pris les dispositions relatives à l’hébergement des membres de l’équipe de santé mentale et de l’équipe des programmes de soutien du personnel (PSP) qui travaillaient au centre de décompression dans un tiers lieu (DTL) hors cycle de Trève, ne suffit pas à répondre aux exigences de l’alinéa 61(1)b) de la Loi. L’avocat de la défense soutient que l’hôtel Park Plaza n’avait pas placé son établissement sous l’autorité des Forces canadiennes et ne leur a pas confié le contrôle de l’accès aux chambres occupées par les employés canadiens militaires ou civils à l’égard desquels les dispositions relatives à l’hébergement avaient été prises par le commis‑chef du détachement des communications de deuxième ligne, qui s’occupait également du traitement des factures. Selon la défense, le fait que l’unité ou l’élément des Forces canadiennes avait payé pour l’hébergement est sans importance pour l’application de l’alinéa 61(1)b) de la Loi. L’avocat de la défense a ajouté que rien ne permet de savoir quelle unité ou quel élément a payé pour l’hébergement de M. Wehmeier. 

 

La défenderesse

 

[9]               La défenderesse soutient que la demande pour fin de non‑recevoir devrait être rejetée. L’avocat de la poursuite a fait valoir devant la cour que M. Wehmeier accompagnait le détachement des communications de deuxième ligne à Trève, en Allemagne, et que cette unité ou élément des Forces canadiennes a logé M. Wehmeier et lui a fourni des vivres en mars 2011, lorsqu’il a exercé ses fonctions aux termes de son contrat de travail, à titre de membre de l’équipe du capitaine Piché. Selon l’avocat de la poursuite, le contexte est suffisant pour établir clairement que M. Wehmeier était logé par le détachement des communications de deuxième ligne. À l’appui de sa position, il fait valoir que le fait que le commis‑chef du détachement des communications de deuxième ligne ou ses subordonnés prenaient les dispositions relatives à l’hébergement et les modalités d’administration, et qu’ils s’occupaient notamment du traitement des demandes afférentes ainsi que du suivi de l’hébergement à l’hôtel de tous les membres du détachement des communications de deuxième ligne suffit à établir que M. Wehmeier a été logé par cette unité et que, par conséquent, il accompagnait l’unité et était justiciable du code de discipline militaire dans les circonstances.

 

DÉCISION

 

Analyse juridique

 

[10]           La compétence des Forces canadiennes en matière disciplinaire est traitée à la section 1, partie III (Code de discipline militaire) de la Loi sur la défense militaire. L’article 60 de la Loi précise les personnes justiciables du code de discipline militaire. En vertu de l’alinéa 60(1)f) de la Loi, les personnes qui, normalement non assujetties au code de discipline militaire, accompagnent quelque unité ou autre élément des Forces canadiennes en service, actif ou non, dans un lieu quelconque, sont assujetties au code de discipline militaire. Pour l’application des articles 61, 60, 62 et 65, une personne accompagne les Forces canadiennes si, selon le cas :

 

a) elle participe, avec cet élément ou unité, à l’une quelconque de ses actions : mouvements, manœuvres, aide au pouvoir civil, assistance en cas de catastrophe ou opérations de combat;

 

b) elle est logée ou pourvue d’une ration — à ses propres frais ou non — par cet élément

ou unité en tout pays ou en tout lieu désigné par le gouverneur en conseil;

 

c) elle est à la charge, à l’étranger, d’un officier ou militaire du rang servant au‑delà des

limites du Canada avec cet élément ou unité;

 

d) elle se trouve à bord d’un navire ou aéronef de cet élément ou unité.

 

[11]           L’article 62 prévoit également que la personne qui accompagne une unité ou un autre élément des Forces canadiennes est réputée être placée sous l’autorité du commandant de l’unité ou autre élément des Forces canadiennes qu’elle accompagne. Il convient de noter que ces dispositions n’ont pas été interprétées régulièrement au cours des dernières années et qu’elles n’ont pas été modifiées au moins depuis 1985.

 

[12]           La demande pour fin de non‑recevoir conteste la compétence de la cour pour juger l’accusé, du fait que ce dernier n’aurait pas été assujetti au code de discipline militaire au moment des infractions alléguées, parce que les faits et les circonstances de l’espèce n’appuient pas la position de la poursuite selon laquelle M. Wehmeier était une personne accompagnant une unité ou un autre élément des Forces canadiennes, au sens des alinéas 60(1)f) et 61(1)b). Si la poursuite n’avait pas présenté des éléments de preuve à l’encontre de la demande pour fin de non‑recevoir, la cour aurait conclu que l’acte d’accusation dont elle disposait, à savoir la pièce M1-2, ne fournissait pas suffisamment de renseignements pour conférer la compétence de juger l’accusé, parce qu’il n’établissait pas prima facie que M. Wehmeier, un civil, était assujetti au code de discipline militaire au moment des infractions alléguées.

 

[13]           Il ressort de la preuve crédible et digne de foi présentée à la cour que M. Wehmeier se trouvait à Trève, en Allemagne, pour remplir ses fonctions à titre d’éducateur de pairs au sein d’une équipe de santé mentale lors de la décompression des troupes, qui faisait partie du centre de décompression dans un tiers lieu (DTL) hors cycle pour les militaires en provenance de l’Afghanistan. Il a travaillé sous la supervision du capitaine Piché, qui relevait du commandant adjoint d’une unité appelée détachement des communications de deuxième ligne, mise sur pied en Allemagne à cette fin, ainsi que pour fournir des services d’indemnité de retour au domicile (IRD) aux militaires ayant été en mission à l’aérodrome de Kandahar, en Afghanistan. Cette unité était également utilisée comme centre principal pour les visites d’aide technique (VAT). Ladite unité était composée d’un personnel divers, y compris des civils, soit environ 45 personnes, civils and militaires. Le quartier général de l’unité était situé sur la Base des Forces aériennes des États‑Unis (US Air Force) à Spangdahlem, en Allemagne, mais l’unité fournissait également ses services à Bitburg et à Trève. Le personnel relevant de cette unité résidait dans des quartiers situés sur la base, à Spangdahlem, à l’hôtel Eiffel Towers situé sur la base et sous la direction des Forces aériennes des États‑Unis (US Air Force), ainsi que dans des hôtels privés in Bitburg et à Trève, dont l’hôtel Park Plaza où avait résidé M. Wehmeier pendant la période alléguée. Le commis‑chef du détachement des communications de deuxième ligne était chargé de prendre les dispositions nécessaires avec les hôtels locaux, notamment en ce qui concerne les réservations, la répartition du personnel devant être logé ainsi que le traitement des demandes et des factures provenant de ces hôtels. Les militaires ou les employés civils hébergés dans un hôtel particulier n’avaient pas le choix quant à l’endroit d’hébergement et ils n’étaient pas liés par une entente contractuelle à la direction de l’hôtel. Les vivres n’étaient pas fournis au personnel, puisque ce dernier bénéficiait d’une indemnité quotidienne qui était traitée ensuite par le commis‑chef du détachement des communications de deuxième ligne.

 

[14]           Après examen minutieux de la preuve et du libellé des alinéas 60(1)f) et 61(1)b), la cour est convaincue que M. Wehmeier était justiciable du code de discipline militaire au moment des infractions alléguées. Les circonstances montrent que M. Wehmeier n’était pas un simple visiteur, mais qu’il accompagnait le détachement des communications de deuxième ligne dans l’exécution de ses propres fonctions, qui faisaient partie du mandat du détachement. Le Concise Oxford Dictionary définit le verbe « accompagner » comme « se joindre à quelqu’un pour aller quelque part ».  Il définit également le verbe « loger » comme « héberger, installer quelqu’un ».

 

[15]           En l’espèce, il convient de formuler la question en litige de la façon suivante :  Pour être logé par une unité ou un autre élément, pour l’application de l’alinéa 61(1)b), y a‑t‑il nécessairement lieu que la personne en question soit hébergée dans l’établissement physique de cette unité?  La réponse est non. Selon le Concise Oxford Dictionary, le verbe « pourvoir » dans le contexte « pourvoir quelqu’un de quelque chose », signifie aussi de prendre des mesures et des dispositions adéquates. Le rôle et les fonctions du détachement des communications de deuxième ligne et de son personnel quant à la prise des dispositions relatives à l’hébergement et aux modalités d’administration du personnel décrit précédemment, à Spangdahlem, Bitburg et Trève, tombe sous le coup de l’alinéa 61(1)b) de la Loi. Par conséquent, M. Wehmeier était une personne qui accompagnait une unité ou un autre élément des Forces canadiennes et il était, en fin de compte, assujetti au code de discipline militaire au moment des infractions alléguées.

 

[16]           Toutefois, la cour estime qu’il convient de reprendre les propos du juge Strayer, l’ancien juge en chef de la Cour d’appel de la Cour martiale du Canada, formulés dans l’arrêt R c Reddick, (1996) 5 C.M.A.R. 485, à la page 502, relativement à la théorie du lien avec la vie militaire :

 

[...] Si, de par ses propres termes, la Loi sur la défense nationale confère manifestement une compétence, comme c’est le cas en l’espèce, le seul motif de contester la compétence de la cour martiale consiste à démontrer que cette loi ne peut constitutionnellement s’appliquer à cet accusé déterminé ou à cette infraction précise.

 

Conclusion et décision

 

 

POUR CES MOTIFS :

 

 

[17]           La demande pour fin de non‑recevoir n’est pas accueillie.

 

           

 

 

COLONEL M. DUTIL, J.C.M.

 

 

 

 

Avocats :

 

Capitaine de corvette P.D. Desbiens, Direction du service d’avocats de la défense

Capitaine de corvette M. Létourneau, Direction du service d’avocats de la défense

Major A.M.W. Reed, Direction du service d’avocats de la défense

Avocats du demandeur

 

Major R.D. Kerr, Service canadien des poursuites militaires

Procureur de la défenderesse

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