Cour martiale

Informations sur la décision

Résumé :

Date de l'ouverture du procès : 24 avril 2012

Endroit : BFC Esquimalt, Édifice 30-N, Victoria (CB)

Chefs d'accusation
•Chef d’accusation 1 : Art. 130 LDN, agression sexuelle (art. 271 C. cr.).
•Chef d’accusation 2 : Art. 97 LDN, ivresse.
•Chef d’accusation 3 : Art. 129 LDN, comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline.

Résultats
•VERDICTS : Chef d'accusation 1 : Coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait (art. 266 C. cr.). Chef d’accusation 2 : Retiré. Chef d’accusation 3 : Coupable.
•SENTENCE : Un blâme et une amende au montant de 8000$.

Contenu de la décision

 

COUR MARTIALE

 

Référence : R c Pearson, 2012 CM 1004

 

Date : 20120426

Dossier : 201208

 

Cour martiale permanente

 

Base des Forces canadiennes Esquimalt

Victoria (Colombie-Britannique), Canada

 

Entre :

 

Sa Majesté la Reine

 

- et -

 

Lieutenant de vaisseau L.M. Pearson, contrevenant

 

 

Sous la présidence du colonel M. Dutil, J.M.C.


 

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 

Restriction à la publication : Par ordonnance de la cour rendue en vertu de l'article 179 de la Loi sur la défense nationale et de l'article 486.4 du Code criminel, il est interdit de publier ou de diffuser, de quelque façon que ce soit, tout renseignement permettant d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante.

 

 

MOTIFS DE LA SENTENCE

 

(Prononcée de vive voix)

 

[1]        Le lieutenant de vaisseau Pearson a plaidé coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait visée à l’article 266 du Code criminel après le dépôt d’une accusation en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale pour une infraction prévue à l’article 271 du Code criminel. Il a également inscrit un plaidoyer de culpabilité à l’accusation, portée en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale, d’avoir eu un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en contravention de la Directive et ordonnance administrative de la Défense (DOAD) 5012‑0 – Prévention et résolution du harcèlement.

 

[2] Il m’incombe maintenant de déterminer ce qui constituera une peine appropriée, équitable et juste propre à assurer le maintien de la discipline. Dans le cadre de la détermination de la peine d'un contrevenant aux termes du code de discipline militaire, une cour martiale doit, comme la Cour d’appel de la cour martiale l’a expressément affirmé, tenir compte des principes et objectifs de détermination de la peine appropriés, y compris ceux énoncés aux articles 718.1 et 718.2 du Code criminel. L'objectif fondamental de la détermination de la peine en cour martiale est de contribuer au respect de la loi et au maintien de la discipline militaire en infligeant des peines qui répondent à un ou plusieurs des objectifs suivants : la protection du public, y compris les intérêts des Forces canadiennes; la dénonciation de la conduite illicite; l'effet dissuasif de la peine, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur d'autres personnes qui pourraient être tentées de commettre des infractions semblables; et la réformation et la réhabilitation du contrevenant.

 

[3] La peine doit également tenir compte des principes suivants : la peine doit être proportionnelle à la gravité de l'infraction; elle tient compte des antécédents du contrevenant et de son degré de responsabilité; et la peine infligée devrait être semblable à celles qui ont été infligées à des contrevenants semblables pour des infractions semblables commises dans des circonstances semblables. La cour doit aussi respecter le principe selon lequel le contrevenant ne devrait pas être privé de liberté si des sanctions moins contraignantes peuvent être justifiées dans les circonstances. Autrement dit, une peine d’incarcération devrait constituer une sanction de dernier recours. Enfin, la peine devrait être adaptée aux circonstances aggravantes ou atténuantes pertinentes liées à la perpétration de l’infraction ou à la situation du contrevenant. Toutefois, la cour doit faire preuve de retenue lorsqu’elle détermine la peine en infligeant la sanction la moins sévère pour maintenir la discipline. Il faut souligner que la détermination de la peine au Canada est un processus individualisé.

 

[4]        Les faits et les circonstances entourant la perpétration des infractions en cause révèlent que les événements qui ont mené aux accusations sont survenus à l’été 2011 à bord du Navire canadien de Sa Majesté (NCSM) OTTAWA, qui effectuait une mission d’entraînement d’une durée de quatre mois et demi dans le Pacifique Sud. Le lieutenant de vaisseau Pearson, ingénieur en génie maritime, était à bord du NCSM OTTAWA pour une mission d’entraînement à l’été 2011. Il était chef de service de la Division du génie des systèmes de combat (partie du paragraphe enlevée, car elle contient des renseignements qui peuvent permettre d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante), le lieutenant de vaisseau Pearson était en situation d’autorité et de confiance par rapport à la victime. (Reste du paragraphe enlevé, car il contient des renseignements qui peuvent permettre d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante).

 

[5]        Durant cette période, le lieutenant de vaisseau Pearson a fait, à l’égard de la victime et en sa présence, des commentaires déplacés dont un observateur raisonnable conclurait qu’ils étaient de nature sexuelle et démontraient des comportements harcelants à l’endroit de la victime. Devant ce genre de commentaires et de comportements (partie du paragraphe enlevée, car elle contient des renseignements qui peuvent permettre d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante), la victime soit disait au lieutenant de vaisseau Pearson qu’elle ne voulait pas en parler, soit ne disait rien, ne voulant pas être prise à partie en tant que femme qui se plaignait et dénonçait du harcèlement sans cesse.

 

[6]        À une occasion alors qu’ils étaient à bord et en service, le lieutenant de vaisseau Pearson a demandé à la victime où elle conservait ses produits féminins. (Partie du paragraphe enlevée, car elle contient des renseignements qui peuvent permettre d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante).

 

[7]        Le 14 juin 2011, alors qu’ils étaient à quai à Hawaii, la victime est allée à la plage avec un groupe de collègues, dont le lieutenant de vaisseau Pearson. La victime appliquait de l’écran solaire en vaporisateur et tentait d’atteindre son dos. Le lieutenant de vaisseau Pearson lui a prêté assistance et, pendant qu’il faisait cela, il a glissé la main sous l’arrière du haut de bikini de la victime pour faire pénétrer l’écran solaire, ce qui a rendu la victime très mal à l’aise.

 

[8]        Le 21 juin, la veille de l’incident, la victime était sortie à Pago Pago avec l’équipage du navire. Afin d’empêcher les habitants de l’endroit de danser avec elle dans un débit de boissons où ils passaient la soirée, le lieutenant de vaisseau Pearson intervenait et commençait à danser très près d’elle. La victime, que ce comportement mettait très mal à l’aise, enchaînait avec des pas de swing pour empêcher le lieutenant de vaisseau Pearson de trop s’approcher d’elle.

 

[9]        Le 22 juin, le NCSM OTTAWA était à quai à Pago Pago en Samoa américaine. Vers 18h, plusieurs membres de l’équipage du navire se sont réunis au carré des officiers, où ils ont commencé à boire. Vers 19h, la victime et certains de ses collègues ont quitté le carré des officiers pour se rendre à un débit de boissons à Pago Pago. Alors qu’ils se trouvaient dans cet établissement, le lieutenant de vaisseau Pearson a entraîné la victime à l’écart du groupe à quelques occasions et a engagé avec elle des conversations à cœur ouvert au sujet de son comportement sur le ton du sermon. Elle estimait que ses remarques n’étaient pas méritées ni appropriées puisqu’elle croyait que son comportement était convenable et n’avait pas attiré l’attention d’autres officiers supérieurs présents. En outre, hors de contexte, le lieutenant de vaisseau Pearson lui a demandé ce qu’elle ferait si une de ses compagnes de cabine avait un comportement déplacé au plan sexuel avec un subalterne. De plus, il a parlé d’une jeune femme qu’il connaissait qui s’était rasé la région du pubis, une histoire que la victime et une autre femme officier ont perçue comme clairement déplacée dans les circonstances. Ces conversations inhabituelles ont mis la victime extrêmement mal à l’aise, tant et si bien qu’elle a tenté d’éviter le lieutenant de vaisseau Pearson pour le reste de la soirée.

 

[10]      Vers 23 h 30, la victime, accompagnée de la même femme officier, du lieutenant de vaisseau Pearson et d’un autre collègue, ont pris un taxi pour retourner au vaisseau. En arrivant, la victime est allée directement au carré des officiers pour prendre de l’eau. Les lumières dans le carré des officiers étaient éteintes et la musique jouait fort. La seule lumière provenait du téléviseur. La victime s’est penchée contre le bar, y faisant face pendant qu’elle buvait son eau. Le lieutenant de vaisseau Pearson s’est approché de la victime par derrière, a placé son visage contre le cou de la victime, puis a glissé sa main dans son short et ses sous-vêtements, atteignant la ligne de ses poils pubiens. Au moment où cela se produisait, la victime s’est sentie extrêmement inconfortable au point où elle a tout simplement figé. Après quelques secondes, l’autre femme officier est arrivée dans le carré des officiers et, en voyant le comportement du lieutenant de vaisseau Pearson et la victime manifestement en détresse, elle a dit fort au lieutenant de vaisseau Pearson [TRADUCTION] « Arrête d’être si étrange » ou quelque chose du genre. Le lieutenant de vaisseau Pearson a reculé et a retiré sa main des pantalons de la victime; il a ensuite quitté le carré des officiers. La conduite du lieutenant de vaisseau Pearson et la réaction de la victime ont également été observées par le sous-lieutenant Giraldo-Mejia, qui était présent au carré des officiers, assis sur un divan avec le sous-lieutenant Patterson.

 

[11]      La victime a quitté le carré des officiers, suivie de l’autre femme officier, qui lui a demandé si elle allait bien. La victime, bouleversée et en larmes, l’a suivie pour dénoncer l’incident. En chemin, elles ont rencontré le lieutenant de vaisseau Pearson. L’autre femme officier l’a confronté au sujet de l’incident, ce à quoi il a répondu : [TRADUCTION] « Elle doit être mécontente des heures de bar » ou quelque chose du genre. La victime est allée informer la chaîne de commandement de ce qui était arrivé.

 

[12]      Vers minuit, le lieutenant de vaisseau Gray est revenu au NCSM OTTAWA et s’est rendu au carré des officiers. Il y a vu le lieutenant de vaisseau Pearson assis sur un divan, fixant le téléviseur, l’air absent. Après que le lieutenant de vaisseau Gray se fut approché de lui et lui eut demandé comment avait été sa soirée, le lieutenant de vaisseau Pearson lui a répondu qu’elle n’avait [TRADUCTION] « pas été bonne, pas bonne du tout ». Après que le lieutenant de vaisseau Gray lui ait demandé des précisions, le lieutenant de vaisseau Pearson a répondu : [TRADUCTION] « Je pense que j’ai fait une bêtise. Je pense que j’ai peut-être dépassé les bornes avec A., et J. a une grande gueule et elle va le dire à tout le monde et je vais avoir beaucoup d’ennuis » ou quelque chose du genre.

 

[13]      Le lieutenant de vaisseau Pearson a été envoyé à terre le 23 juin. Il a quitté Pago Pago par avion le même jour.

 

[14]      Après les événements, la victime ne se sentait plus à l’aise à bord du navire. Elle ne faisait plus confiance aux gens avec qui elle naviguait, même ceux qui ne lui avaient rien fait. Elle estimait que le mieux pour elle était d’être renvoyée chez elle, même si elle savait qu’elle suivait un entraînement et elle comprenait que cela aurait des répercussions sur son entraînement de métier et sur sa carrière. Ces événements lui ont fait perdre la motivation à poursuivre son entraînement et surtout à passer les examens dans le cadre de cet entraînement, qu’elle devait tous passer dans un délai d’un an.

 

[15]      La cour a été informée que la victime n’a plus actuellement qu’un mois et demi pour terminer ses examens et qu’elle craint de ne pas être assez concentrée sur ses études pour terminer dans ce délai, ce qui ajoute à son stress. Elle estime donc avoir perdu plusieurs mois de préparation à ses examens de carrière. Les parties conviennent que ces événements ont également causé à la victime beaucoup de stress et qu’elle a été stigmatisée. La base étant un petit milieu, tout le monde est au courant de ce qui est arrivé. L’incident a placé la vie de la victime sous les projecteurs, et partout où elle va on la reconnaît comme (expression enlevée, car elle contient des renseignements qui peuvent permettre d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante) qui a été agressée à bord du navire à Pago Pago, ce qui la rend très mal à l’aise avec les gens. Après son retour à terre, la victime a vécu des moments difficiles avec son ami de cœur en rapport avec ces événements, mais ils ont réussi à aplanir les difficultés. Elle a demandé de l’aide, et voyait un travailleur social. La victime a encore de la difficulté à parler de ces événements avec sa famille. Maintenant que la cour martiale instruit l’affaire, la victime ressent le besoin de demander à nouveau de l’aide. La cour a été informée des répercussions que l’infraction avait eues sur la victime après que celle-ci eut appris que le lieutenant de vaisseau Pearson comptait reconnaître sa culpabilité à ces accusations. Elle s’est sentie soulagée de ne pas avoir à témoigner dans la présente instance, et elle a trouvé satisfaisant que ces renseignements puissent être présentés à la cour au moyen du sommaire des circonstances comme les avocats en avaient convenu entre eux.

 

[16]      À l’audience de détermination de la peine, le poursuivant a cité comme témoin le commandant J.C. Allsopp, qui était le commandant et le capitaine du navire à bord du NCSM OTTAWA durant l’été 2011. Son témoignage a révélé les répercussions négatives du comportement du lieutenant de vaisseau Pearson sur le moral, la cohésion et l’efficacité d’ensemble de la mission d’entraînement. Le rapatriement immédiat du lieutenant de vaisseau Pearson a eu d’importantes conséquences sur les activités du navire. À titre de chef de service, le lieutenant de vaisseau Pearson était responsable d’environ 50 subalternes, dont 15 à 20 élèves. La division du génie des systèmes de combat était le troisième plus important service du navire. Étant donné que les événements sont survenus vers le début de la mission d’entraînement, ce service a été laissé sans chef de service pendant une période de deux semaines, jusqu’à ce qu’un premier remplaçant arrive à bord, mais seulement pour partir peu après. Au cours des trois mois suivants, trois remplaçants ont dû être envoyés à bord du navire. Cette instabilité a eu une incidence négative sur la mission d’entraînement du navire.

 

[17]      Le commandant Allsopp a affirmé que le personnel placé sous son commandement avait été touché par les événements ayant mené aux accusations, mais il a dit ne pas avoir eu l’impression que ces événements avaient eu des répercussions plus négatives sur les femmes officiers et marins. Il a affirmé qu’il avait immédiatement pris des mesures pour réitérer ses attentes à ses subalternes en ce qui avait trait à la consommation d’alcool et à la conduite en mer ou sur la terre ferme, et qu’il avait été rappelé à ses officiers que ceux-ci devaient diriger par l’exemple. Le commandant Allsopp a affirmé que la dynamique du navire avait été perturbée. Il a dit qu’au cours des jours qui ont suivi les événements, il avait senti que l’ambiance à bord était sombre et pessimiste. Le commandant Allsopp a donné son avis au sujet de l’employabilité du lieutenant de vaisseau Pearson dans les fonctions de chef de service des systèmes de combat s’il est déclaré coupable des infractions dont il est accusé. Après avoir parlé du moral miné à bord du navire et avoir exprimé l’avis que le lieutenant de vaisseau Pearson avait perdu son intégrité, le commandant Allsopp a affirmé sans nuance ni réserve qu’il ne lui ferait pas confiance.

 

La défense n’a pas appelé de témoins, mais elle a produit des éléments de preuve documentaire, à savoir les rapports d’appréciation du personnel (REP) pour la période de septembre 2010 à octobre 2011 concernant le lieutenant de vaisseau Pearson, de même qu’une copie d’un prix excellence qui lui avait été présenté en février 2011 pour sa contribution exceptionnelle à l’efficacité et à l’efficience de la fonction publique et du groupe du matériel au Quartier général de la Défense nationale. Ses récents REP révèlent qu’il a un rendement exceptionnel. Le commandant Allsopp a examiné son potentiel en sa qualité de commandant du lieutenant de vaisseau Pearson en mai 2011, un mois avant les événements qui ont mené aux accusations. Il a exprimé son avis comme suit :

 

[TRADUCTION] Le potentiel de réussite du lieutenant de vaisseau Pearson comme capitaine de corvette est excellent. Son leadership comme BP MCH était remarquable et adéquat pour le niveau supérieur lorsqu’il a occupé par intérim le grade de capitaine de frégate et chef de sous-section pendant quatre mois. En tant qu’OGSC, son leadership était solide, et l’a tout de suite rendu crédible au sein de son service grâce à sa direction, à ses solides connaissances techniques et à ses antécédents opérationnels. En outre, sa capacité à diriger d’autres chefs de service dans le cadre d’essais en mer intensifs sur le plan technique sous la supervision du service du génie des systèmes de combat démontre sa capacité à assumer des fonctions au niveau de capitaine de corvette. En tant qu’officier divisionnaire, il démontre un intérêt et une empathie authentiques à l’égard de son personnel, et il consacre tout le temps nécessaire en dehors des heures de travail pour voir à leurs besoins. L’initiative qu’il a prise de s’éduquer lui-même au sujet du MDN et de la politique sur les marchés ainsi que tous les documents techniques connexes en tant que BGP, démontre l’intérêt et la motivation à l’égard du perfectionnement professionnel requis pour devenir un capitaine de frégate. En tant qu’OGCS, ses aptitudes en communication sont fortes et adéquates pour le niveau de capitaine de corvette lorsqu’il fait une description détaillée, tant verbalement que par écrit, des problèmes techniques au sein de son service. Ses aptitudes à la planification et à l’organisation sont superbes et ont été démontrées par la planification de tous les essais de surveillance de combat et d’acquisition de cible en tant que BP MCH et la coordination de l’entretien vital à partir d’une IMF en tant qu’OGSC. Son administration est nettement supérieure à ce qui est attendu d’un lieutenant de vaisseau, comme en témoigne sa production de correspondance bien documentée et complète, qui me permet de prendre des décisions éclairées. Il est extrêmement dévoué, et il fait toujours passer les besoins du navire avant les siens. Le lieutenant de vaisseau Pearson est un officier très dévoué au potentiel superbe.

 

 

[19]      La cour a été informée que le lieutenant de vaisseau Pearson n’a aucun dossier disciplinaire ni aucun casier judiciaire. Il a obtenu un baccalauréat en science (physique) de l’Université de Waterloo en 1992. Il s’est enrôlé dans les Forces canadiennes la même année comme matelot de 3e classe et est devenu officier sorti du rang en 1999. Le lieutenant de vaisseau Pearson a 42 ans et il est marié. Le couple a trois enfants nés entre 1997 et 2003. La cour a également été informée que la conduite du lieutenant de vaisseau Pearson avait causé d’importantes perturbations dans sa relation conjugale. Mis à part son droit actuel à rémunération, la cour n’a pas été informée de sa situation financière. Le lieutenant de vaisseau Pearson est maintenant posté à Ottawa et il exercera ses fonctions militaires en occupant le même poste jusqu’à ce qu’il soit procédé à un examen administratif de la conduite qui a mené aux accusations. Les parties ont informé la cour que la chaîne de commandement actuelle du lieutenant de vaisseau Pearson n’avait pas pris de décision quant à son avenir au sein des Forces canadiennes. Elle attend le verdict et la sentence de la cour avant de le faire.

 

[20]      Le poursuivant demande à la cour d’infliger une peine de rétrogradation au grade de sous-lieutenant et une amende de 3 000 $. Le procureur soutient que de telles sanctions assureraient la protection du public en mettant l’accent sur l’importance de la dénonciation de la conduite et des dissuasions générale et spécifique. Outre la gravité objective des infractions, le poursuivant soutient que les facteurs les plus aggravants sont liés à l’abus de confiance très grave du lieutenant de vaisseau Pearson en rapport avec la victime, mais aussi à l’abus de confiance à l’égard de sa propre chaîne de commandement. Le poursuivant ajoute que ces événements ont eu de sérieuses incidences sur le navire et sur la victime. Le procureur de la poursuite a indiqué que les répercussions sur la victime se poursuivaient et que la conduite de l’accusé n’avait pas été un incident isolé, mais une série de commentaires et de gestes déplacés au cours d’une période appréciable. La victime s’est sentie humiliée et a dû elle aussi être rapatriée. Au soutien de sa recommandation, le procureur de la poursuite a cité une série de décisions des cours martiales et de la Cour d’appel de la cour martiale.

 

[21]      L’avocat de la défense soutient que la sanction minimale requise pour réaliser l’objectif et les principes de détermination de la peine militaire ne nécessite pas que le lieutenant de vaisseau Pearson soit rétrogradé. Il soutient qu’une sentence qui comprendrait comme sanctions un blâme accompagné d’une amende de 5 000 $ serait indiquée dans les circonstances.

 

[22]      Les facteurs aggravants en l’espèce peuvent être résumés comme suit, sans ordre de gravité :

 

a)                  La gravité objective des infractions. Les voies de fait simples visées à l’article 266 du Code criminel poursuivies par voie de mise en accusation sont passibles d’une peine d’emprisonnement maximale de cinq ans, tandis qu’une personne coupable d’un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline visé à l’article 129 de la Loi sur la défense nationale est passible de destitution ignominieuse du service de Sa Majesté;

 

b)                  La gravité subjective des infractions telle qu’elle ressort clairement des circonstances entourant les événements. Ceux-ci ont eu lieu à bord d’un navire vers le début d’un important exercice d’entraînement de quatre mois dans le Pacifique Sud. La cour ne saurait trop souligner à quel point les actes du contrevenant nuisent à la cohésion et au moral d’une unité navale lorsque des membres de sexe masculin portent atteinte à l’intégrité physique de femmes officiers ou marins en se livrant à des attouchements non sollicités ou déplacés ou à d’autres formes d’agression ou de harcèlement physique;

 

c)                  Le fait que le contrevenant, le lieutenant de vaisseau Pearson, est un officier naval expérimenté qui avait reçu une formation sur les politiques des Forces canadiennes concernant la prévention du harcèlement en milieu de travail, appelée « cours de sensibilisation SHARP », en 1995;

 

d)                 (Paragraphe enlevé, car il contient des renseignements qui peuvent permettre d'établir l'identité de la personne décrite dans le présent jugement comme étant la plaignante).;

 

e)                  Le fait que l’inconduite du lieutenant de vaisseau Pearson a sérieusement miné l’efficacité de la Division des systèmes de combat à bord du navire et l’important fardeau administratif causé par le rapatriement prématuré du contrevenant, puis de l’élève. De plus, la situation créée par le lieutenant de vaisseau Pearson a causé une crise importante à bord du navire, qui a nécessité l’intervention directe du capitaine du navire afin de rétablir la cohésion, le moral et l’efficacité;

 

f)                   Enfin, le fait que l’inconduite du lieutenant de vaisseau Pearson a eu d’importantes répercussions négatives sur la victime et que celle-ci continue à souffrir émotionnellement et professionnellement en conséquence.

 

[23] Il y a toutefois d’importants facteurs atténuants en l'espèce :

 

a)                  Le lieutenant de vaisseau Pearson a plaidé coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait et de l’infraction de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline à la première occasion. La cour considère que cet aveu de culpabilité traduit des remords sincères et la pleine acceptation de la responsabilité de son inconduite par le lieutenant de vaisseau Pearson. Ce faisant, celui-ci a épargné à la victime de devoir témoigner et d’éprouver plus de douleur que ce qu’elle a déjà enduré par suite de la conduite du contrevenant. C’est le plus important facteur atténuant en l’espèce;

 

b)                  Deuxièmement, l'absence de dossier disciplinaire et de casier judiciaire;

 

c)                  Troisièmement, le fait que le lieutenant de vaisseau Pearson a eu une longue et brillante carrière jusqu’aux événements. De plus, son rendement et son potentiel décrits dans ses REP des plus récentes années ont été exceptionnels. Compte tenu des éléments de preuve, la cour admet que son inconduite est attribuable en partie à un sérieux manque de jugement qui semble ne pas cadrer avec son caractère antérieur, en particulier à la lumière des indicateurs de rendement documentés indiqués dans ses REP concernant la fiabilité et l’éthique et les valeurs;

 

d)                 Enfin, le fait que sa famille a souffert par suite de son inconduite.

 

[24]      Dans le contexte de la présente affaire, la cour convient que les décisions Matelot de 2e classe Bernier c Sa Majesté la Reine, 2003 CACM 3; R c Caporal chef J.E. Hopkins, 2004 CM 40; R c Adjudant Quirk 2006, Cour martiale permanente, 5 décembre 2006; R c Ex-adjudant Deschamps, 2009 CM 1013; R c Sergent D.G. MacDonald, 2010 CM 2018; R c Capitaine (retraité) Amirault; et R c Officier marinier de 2e classe Rayment, 2012 CM 1003, donnent une échelle adéquate de peines. Sauf dans Quirk, où le juge militaire a accepté une proposition conjointe des procureurs et a infligé une sanction de rétrogradation à un sergent, tous les autres contrevenants se sont vu infliger une peine de blâme accompagné d’une lourde amende. Dans la décision Deschamps, la cour a infligé au contrevenant une peine de blâme accompagné d’une amende de 4 000 $ après avoir entériné une proposition conjointe.

 

[25]      La cour considère qu’une peine appropriée, équitable et juste qui assurera le maintien de la discipline doit mettre l’accent sur la dénonciation du comportement illégal; l’effet dissuasif de la sanction, non seulement sur le contrevenant, mais aussi sur d’autres qui pourraient être tentés de commettre des infractions semblables, et la réformation et la réhabilitation du contrevenant. La peine traduira surtout les principes de proportionnalité et de parité, les circonstances aggravantes et atténuantes décrites plus haut, notamment le fait qu’en perpétrant les infractions, le contrevenant a abusé de sa position de confiance ou d’autorité par rapport à la victime.

 

[26]      Dans la décision Matelot de 2e classe Bernier c Sa Majesté la Reine, 2003 CACM 3, l’appelant avait interjeté appel de ses condamnations sous deux chefs de voies de fait et un chef de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline relié à du harcèlement sexuel. Il avait aussi interjeté appel de la sentence lui infligeant une rétrogradation au grade de matelot de 2e classe et une amende de 1 500 $ au titre de ses trois condamnations. Le juge Ewaschuk, s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la cour martiale, a accueilli l’appel de la peine et a affirmé, au paragraphe 9 :

 

Dans la présente affaire, je conclus que le juge de première instance a commis une erreur de droit en ne tenant pas compte de la justesse d’une réprimande sévère assortie d’une amende. Dans les circonstances, je suis convaincu que la peine appropriée pour les voies de faits non violentes et le harcèlement sexuel sera une réprimande sévère assortie d’une amende de 50 $. Par conséquent, l’appel à l’encontre de la peine sera accueilli.

 

[27]      Dans la décision Amirault, le contrevenant a été déclaré coupable d’agression sexuelle en vertu de l’article 271 du Code criminel. Les faits sous-jacents ont révélé que, le jour allégué dans l’accusation, la plaignante, une femme bombardier, prenait part à un exercice avec son unité dans le secteur d’entraînement de Petawawa. Dans le cadre de ses fonctions de reconnaissance, elle était assise seule à l’arrière d’un véhicule militaire lorsque l’accusé l’a approchée. Ils ont bavardé, puis l’accusé a posé sa main sur la cuisse gauche de la victime et a massé sa cuisse jusqu’à l’entre-jambes et tâté la région de son vagin à travers ses vêtements de combat. Elle a été sidérée et choquée, a ri nerveusement et a repoussé la main du contrevenant avec sa propre main. Le contrevenant a alors étendu le bras et a touché la région de la poitrine de la victime à l’intérieur de ses vêtements, mais par-dessus son t‑shirt. Il a cessé lorsqu’elle l’a repoussé avec plus de force et d’agressivité. Il a ricané et a affirmé que [TRADUCTION] « ceci pourrait leur attirer des ennuis à tous les deux ». L’incident a duré peut-être cinq minutes. La victime ne se sentant pas en sécurité, elle était allée ailleurs pour se retrouver parmi d’autres gens. Le lendemain, elle a rencontré l’accusé lors d’une cérémonie mondaine et celui-ci s’est excusé. Le juge Lamont a déclaré l’accusé coupable d’agression sexuelle et l’a condamné à un blâme et à une amende de 8 000 $.

 

[28]      En l’espèce, le contrevenant, Pearson, a plaidé coupable de l’infraction moindre et incluse de voies de fait visée à l’article 266 du Code criminel en vertu de l’article 130 de la Loi sur la Défense nationale au titre d’une infraction prévue à l’article 271 du Code criminel et d’un comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline à cause de son harcèlement répété de la victime, qui a clairement causé un préjudice réel au bon ordre et à la discipline tel qu’il appert des circonstances. La cour estime que la décision récente Amirault constitue néanmoins un comparateur approprié pour ce qui concerne la parité de la peine. Cependant, il appert que l’ensemble des circonstances, notamment les conséquences de la conduite du contrevenant sur le moral, la cohésion et l’efficacité de l’unité et les répercussions sur la victime, sont plus graves en l’espèce.

 

[29]      Après avoir soigneusement analysé les précédents judiciaires précités et les principes applicables de détermination de la peine, je conclus que les circonstances atténuantes décrites plus haut militent en faveur du contrevenant contre l’infliction d’une peine qui, autrement, aurait été, pour de justes raisons, plus sévère que les sanctions infligées par le juge Lamont dans la décision Amirault. Pour ces motifs, je conclus que la peine minimale, équitable et juste consiste en un blâme et une amende de 8000 $.

 

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR

 

[30]      Vous DÉCLARE, lieutenant de vaisseau Pearson, coupable de voies de fait, une infraction punissable en vertu de l’article 130 de la Loi sur la défense nationale et contraire à l’article 266 du Code criminel; et coupable de comportement préjudiciable au bon ordre et à la discipline en vertu de l’article 129 de la Loi sur la défense nationale pour harcèlement en contravention de la Directive et ordonnance administrative de la Défense 5012-0.

 

[31] Vous CONDAMNE à un blâme et une amende de 8 000 $. L’amende sera payable à raison de 300 $ par mois en versements mensuels égaux jusqu’à parfait paiement, à compter du 15 mai 2012.

 


 

Procureurs :

 

Capitaine A.C. Samson, Service canadien des poursuites militaires

Procureur adjoint de Sa Majesté la Reine

 

Lieutenant-Colonel M. Trudel, Service canadien des poursuites militaires

Procureur adjoint de Sa Majesté la Reine

 

Major D.M. Hodson, Direction du service d'avocats de la défense

Procureur du lieutenant de vaisseau L.M. Pearson

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